Nouvelle Continuation des Amours (1556)
Quand j’estois libre, ains que l’amour cruelle
Ne fut esprise encore en ma mouëlle,
Je vivois bien-heureux :
De toutes parts cent mille jeunes filles
Se travailloient par leurs flames gentilles
A me rendre amoureux.
Mais tout ainsi qu’un beau Poulain farouche,
Qui n’a masché le frein dedans la bouche,
Va seulet escarté,
N’ayant sducy, sinon d’un pied superbe
A mille bonds fouler les fleurs et l’herbe,
Vivant en liberté :
Ores il court le long d’un beau rivage,
Ores il erre au fond d’un bois sauvage,
Fuyant de sault en sault :
De toutes parts les Poutres hanissantes
Luy font l’amour, pour-neant blandissantes
A luy qui ne s’en chaut :
Ainsi j’allois, desdaignant les pucelles,
Qu’on estimoit en beauté les plus belles,
Sans respondre à leur vueil :
Lors je vivois amoureux de moy-mesme,
Content et gay, sans porter couleur blesme
Ny les larmes à l’œil.
J’avois escrite au plus haut de la face,
Avec l’honneur une agreable audace
Pleine d’un franc desir :
Avec le pied marchoit ma fantasie
Où je voulois, sans peur ne jalousie,
Seigneur de mon plaisir.
Mais aussi tost que par mauvais desastre
Je vey ton sein blanchissant comme albastre,
Et tes yeux, deux soleils,
Tes beaux cheveux espanchez par ondées
Et les beaux liz de tes lévres bordées
De cent œillets vermeils,
Incontinent j’appris que c’est service :
La liberté de mes ans la nourrice,
S’eschappa loin de moy :
Dedans tes reths ma premiere franchise
Pour obeyr à ton bel œil, fut prise
Esclave sous ta loy.
Lors tu serras mes deux mains à la chesne,
Mon cœur au cep, et l’esprit à la gesne,
Maistresse sans pitié :
Ainsi qu’en mer un rigoreux Corsere,
Fils d’un rocher, n’a pitié d’un forcere
A la chesne lié.
Tu mis cruelle, en signe de conqueste,
Comme veinqueur, tes deux pieds sur ma teste,
Et du front m’a osté
L’honneur, la honte, et l’audace premiere
Acouhardant mon ame prisonniere,
Serve à ta volonté.
Vengeant d’un coup mille fautes commises,
Et les beautez qu’à grand tort j’avois mises
Par-avant à mespris,
Qui me prioient, en lieu que je te prie :
Mais d’autant plus que mercy je te crie,
Tu es sourde à mes cris.
Et ne responds non plus que la fontaine,
Qui de Narcis mira la forme vaine,
En vengeant à son bort
Mille beautez des Nymphes amoureuses,
Que cest enfant par mines desdaigneuses
Avoit mises à mort.
Petite pucelle Angevine,
Qui m’as d’un amoureux souris
Tiré le cœur de la poitrine :
Puis, dés l’heure que tu le pris,
Tu l’enfermas contre raison
Dans les liens de ta prison.
Ainsi perdant la jouyssance
De sa premiere liberté,
Il vit sous ton obeyssance
Si mal-mené, si mal traité,
Qu’un Lion enflé de rigueur
Aurait pitié de sa langueur.
Car toy, de façon plus cruelle
Qu’un roc pendu dessus la mer,
Tu te fais tous les jours plus belle
Du mal qui le vient consommer,
Honorant depuis que tu l’as,
Tes victoires de son trespas.
Non seulement comme trop rude,
Tu fais languir mon cœur à tort
Par une honneste ingratitude,
Luy donnant une lente mort,
Voyant pasmer en triste esmoy
En tes liens mon cœur et moy.
Mais en lieu d’un sacré Poëte,
Qui si haut chantoit ton honneur,
Tu as nouvelle amitié faite
Avecques un nouveau Seigneur,
Qui maintenant tout seul te tient,
Et plus de moy ne te souvient.
Hà vierge simple et sans malice,
Tu ne sçais encore que c’est
De faire aux grands Seigneurs service,
Qui en amour n’ont point d’arrest,
Et qui suivent sans loyautez
En un jour dix mille beautez.
Si tost qu’une proye ils ont prise,
Ils la desdaignent tout expres,
Afin qu’une autre soit conquise
Pour s’en mocquer bien tost apres,
Et n’ont jamais autre plaisir
Que de changer, et de choisir.
Celuy qui ores est ton maistre,
Et qui te tient comme veinqueur,
Te laissera demain, peut estre.
Hé, je le voudrois de bon cœur.
Si le ciel de nous a soucy,
Puisse arriver demain ainsi.
Le ciel qui les amans contemple,
Les meschans sçait bien rechercher :
Anaxarete en sert d’exemple,
Qui fut changée en un rocher,
Portant la semblable rigueur
Au rocher, qu’elle avoit au cœur.
CHANSON
Amour, dy moy de grace (ainsi de tous humains
Et des Dieux soit tousjours l’empire entre tes mains)
Qui te fournist de fléches ?
Veu que tousjours cholere, en mille et mille lieux
Tu perds tes traits és cœurs des hommes et des dieux,
Empennez de flammeches ?
Mais je te pri’ dy moy ! est-ce point le Dieu Mars,
Quand il revient chargé des armes des soldars
Tuez à la bataille ?
Ou bien si c’est Vulcan, qui dedans ses fourneaux
(Apres les tiens perdus) t’en refait de nouveaux,
Et tousjours t’en rebaille ?
Pauvret (respond Amour) et quoy ? ignores-tu
La rigueur, la douceur, la force et la vertu
Des beaux yeux de t’amie ?
Plus je respan de traits sur hommes et sur Dieux,
Et plus en un moment m’en fournissent les yeux
De ta belle Marie.
Bel Aubepin fleurissant,
Verdissant
Le long de ce beau rivage,
Tu es vestu jusqu’au bas
Des longs bras
D’une lambrunche sauvage.
Deux camps de rouges fourmis
Se sont mis
En garnison sous ta souche :
En ton pied demy-mangé
Allongé
Les avettes ont leur couche.
Le chantre Rossignolet
Nouvelet,
Courtisant sa bien-aimée,
Pour ses amours alleger
Vient loger
Tous les ans en ta ramée.
Sur ta cime il fait son ny
Tout uny
De mousse et de fine soye,
Où ses petits esclorront.
Qui seront
De mes mains la douce proye.
Or vy gentil Aubepin,
Vy sans fin,
Vy sans que jamais tonnerre,
Ou la coignée, ou les vens,
Ou les temps
Te puissent ruer par terre.
Mais voyez, mon cher esmoy,
Voyez combien de merveilles
Vous parfaites dedans moy
Par voz beautez nompareilles.
De telle façon voz yeux,
Vostre ris et vostre grace,
Vostre front, et voz cheveux
Et vostre angelique face,
Me brulent depuis le jour
Que j'en eu la connoissance,
Desirant par grande amour
En avoir la jouissance.
Que si ce n'estoient les pleurs
Dont ma vie est arrosée,
Long temps a que les chaleurs
D'Amour l'eussent embrasée.
Au contraire, voz beaux yeux,
Vostre ris, et vostre grace,
Vostre front, et voz cheveux,
Et vostre angelique face
Me gelent depuis le jour
Que j'en eu la connoissance,
Desirant par grande amour
En avoir la joüissance.
Que, si ne fust les chaleurs
Dont mon âme est embrasée,
Long temps a que par mes pleurs
En eau se fut épuisée.
Voyez donc, mon cher esmoy,
Voyez combien de merveilles
Vous parfaites dedans moy
Par voz beaultez nompareilles.
Pourquoy tournez vous voz yeux
Gracieux,
De moy quand voulez m ’occire ?
Comme si n’aviez pouvoir
Par me voir
D’un seul regard me destruire ?
Las ! vous le faittes afin
Que ma fin
Ne me semblast bien-heureuse,
Si j’allois en perissant
Jouissant
De vostre œillade amoureuse.
Mais quoy ? vous abusez fort,
Cette mort
Qui vous semble tant cruelle,
Ce m’est vrayment un bon-heur
Pour l’honneur
De vous, qui estes si belle.
CHANSON
Bon jour mon cœur, bon jour ma douce vie,
Bon jour mon œil, bon jour ma chere amie :
Hé bon jour ma toute belle,
Ma mignardise bon jour,
Mes delices, mon amour.
Mon doux printemps, ma douce fleur nouvelle,
Mon doux plaisir, ma douce colombelle,
Mon passereau, ma gente tourterelle,
Bon jour ma douce rebelle.
Je veux mourir, si plus on me reproche
Que mon service est plus froid qu’une roche
T’abandonnant, ma maistresse,
Pour aller suyvre le Roy,
Mendiant je ne sçay quoy,
Que le vulgaire appelle une largesse.
Plustost perisse honneur, court, et richesse,
Que pour les biens jamais je te relaisse,
Ma douce et belle Déesse.
Belle et jeune fleur de quinze ans
Qui sens encore ton enfance,
Mais bien qui celes au dedans
Un cueur remply de desçevance,
Cachant soubz ombre d'amitié
Une jeunette mauvaitié,
Ren moy (si tu as quelque honte)
Mon cueur, que tu m'as emmené,
Dont tu ne fais non plus de conte
Que d'un prisonnier enchesné,
Ou d'un valet, ou d'un forcere
Qui est esclave d'un corsere.
Une autre moins belle que toy,
Mais d'une nature plus bonne,
Le veult par force avoir de moy,
Me priant que je le luy donne:
Elle l'aura puis qu'autrement
Il n'a de toy bon traitement.
Mais non: j'ayme trop mieux qu'il meure
Que de l'oster hors de tes mains,
J'ayme trop mieux qu'il y demeure
Soufrant mille maux inhumains,
Qu'en te changeant jouyr de celle
Qui doucement à soy l'appelle.
CHANSON
Le printemps n’a point tant de fleurs,
L’autonne tant de raisins meurs,
L’esté tant de chaleurs halées,
L’hyver tant de froides gelées,
Nyla mer tant de poissons,
Nyla Beauce tant de moissons,
Nyla Bretaigne tant d’arenes,
Ny l’Auvergne tant de fonteines,
Ny la nuict tant de clairs flambeaux,
Ny les forests tant de rameaux,
Que je porte au cœur, ma maistresse,
Pour vous de peine et de tristesse.
Demandes tu, douce ennemye,
Quelle est pour toy ma pauvre vie?
Helas certainement elle est
Telle qu'ordonner te la plest:
Pauvre, chetive, langoureuse,
Dolente, triste, malheureuse,
Et si Amour a quelque esmoy
Plus facheux, il loge chez moy.
Apres demandes tu, m'amie,
Quelle compagnie a ma vie?
Certes acompagnée elle est
De telz compagnons qu'il te plest:
Ennuy, travail, peine et tristesse,
Larmes, souspirs, sanglotz, detresse:
Et s'Amour a quelque soucy
Plus facheux, il est mien aussi.
Voila comment pour toy, m'amye,
Je traine ma chetive vie,
Heureux du mal que je reçoy
Pour t'aymer cent fois plus que moy.
CHANSON
Veu que tu es plus blanche que le liz,
Qui t’a rougy ta lévre vermeillette ?
Qui est l’ouvrier qui proprement t’a mis
Dessus ton sein ceste couleur rougette ?
Qui t’a noircy les arcs de tes sourcis ?
Qui t’a bruny tes beaux yeux, ma maistresse ?
0 grand’ beauté qui causes mes soucis !
O grand’ beauté qui causes ma liesse !
O douce, belle, honneste cruauté,
Qui doucement me contrains de te suivre !
O fiere, ingrate, et fascheuse beauté !
Avecque toy je veux mourir et vivre.
O toy qui n’es de rien en ton cœur amoureuse
Que d’honneur et vertu, qui te font estimer
Quoi ! en glace et en feu voirras-tu consommer
Tousjours mon pauvre cœur sans luy estre piteuse ?
Bien que vers moy tu sois ingrate, et dédaigneuse,
Fiere, dure, rebelle, et nonchallant’ d’aimer,
Encor je ne me puis engarder de nommer
La terre où tu nasquis sur toute bien-heureuse.
Je ne te puis haïr, quoy que tu me sois fiere,
Mais bien je hay celuy qui me mena de nuict
Prendre de tes beaux yeux l’acointance premiere :
Celui sans y penser à la mort m’a conduit,
Celui seul me tua, he mon Dieu ! n’esse pas
Tuer que de conduire un homme à son trespas ?
S’il y a quelque fille en toute une contrée,
Qui soit inexorable, inhumaine, et cruelle,
Tousjours ell’ est de moy pour dame rencontrée,
Et tousjours le malheur me fait serviteur d’elle.
Mais si quelcune est douce, honneste, aimable et belle,
La prinse en est pour moy tousjours desesperée :
J’ay beau estre courtois, jeune, accort, et fidelle,
Elle sera tousjours d’un sot enamourée.
Sous tel astre malin je nasquis en ce monde :
» Voyla que c’est d’aimer : ceux qui ont merité
» D’estre recompensez, sont en douleur profonde :
» Et le sot volontiers est tousjours bien traité.
» O traistre et lasche Amour, que tu es malheureux !
» Malheureux est celuy qui devient amoureux !
Hé que voulez vous dire? êste-vous si cruelle
De ne vouloir aimer? Voyez les passereaux
Qui démènent l'amour: voyez les colombeaux,
Regardez le ramier, voyez la tourterelle,
Voyez deçà delà d'une fretillante aile
Voleter par le bois les amoureux oiseaux,
Voyez la jeune vigne embrasser les ormeaux,
Et toute chose rire en la saison nouvelle:
Ici, la bergerette, en tournant son fuseau
Dégoise ses amours, et là, le pastoureau
Répond à sa chanson; ici toute chose aime,
Tout parle de l'amour, tout s'en veut s'enflammer:
Seulement votre cœur, froid d'une glace extrême
Demeure opiniâtre et ne veux point aimer.
J’aime la fleur de Mars, j’aime la belle rose,
L’une qui est sacrée à Venus la Déesse,
L’autre qui a le nom de ma belle maistresse,
Pour qui ne nuit ne jour en paix je ne repose.
J’aime trois oiselets, l’un qui sa plume arrose
De la pluye de May, et vers le ciel se dresse :
L’autre qui veuf au bois lamente sa destresse :
L’autre qui pour son fils mille versets compose.
J’aime un pin de Bourgueil, où Venus apendit
Ma jeune liberté, quand prise elle rendit
Mon cœur, que doucement un bel œil emprisonne.
J’aime un jeune laurier, de Phebus l’arbrisseau,
Dont ma belle maistresse en tortant un rameau
Lié de ses cheveux me fist une couronne.
Autre (j’en jure amour) ne se sçauroit vanter
D’avoir part en mon cœur, vous seule en estes dame,
Vous seule gouvernez les brides de mon ame, Et seulz vos yeux me font ou pleurer, ou chanter, Ils m’ont sceu tellement d’un regard enchanter, Que je ne puis ardoir d’autre nouvelle flamme, Quand j’aurois devant moi toute nuë une femme, Encores sa beauté ne me sçauroit tenter. Si vous n’estes d’un lieu si hautain que Cassandre, Je ne sçaurois qu’y faire, Amour m’a fait descendre Jusques à vous aymer, Amour, qui n’a point d’yeux, Qui tous les jours transforme en cent sortes nouvelles Aygle, Cigne, Toreau, ce grand maistre des dieux, Pour le rendre amoureux de nos femmes mortelles.
Amour (ainsi qu’on dit) ne naist d’oisiveté :
S’il naissoit du loisir, il ne fust plus mon maistre :
Je cours, je vais, je viens, et si ne me despestre
De son lien qui tient serve ma liberté.
Je ne suis paresseux, et ne l’ay point esté :
Tousjours la harquebuze, ou la paume champestre,
Ou l’escrime qui rend une jeunesse adextre,
Me retient en travail tout le jour arresté.
Ore le chien couchant, les oiseaux, et la chasse,
Ore un Ballon poussé sur une verte place,
Ore nager, lutter, courir et voltiger,
Jamais à mon esprit de repos je ne baille.
Mais je ne puis amour de mon cœur desloger :
Car plus je suis actif, et plus il me travaille.
Les Villes et les Bourgs me sont si odieux,
Que je meurs si je voy quelque tracette humaine :
Seulet dedans les bois pensif je me promeine,
Et rien ne m’est plaisant que les sauvages lieux.
Il n’y a dans ces bois sangliers si furieux,
Ny roc si endurcy, ny ruisseau, ny fontaine,
Ny arbre tant soit sourd, qui ne sache ma peine,
Et qui ne soit marry de mon mal envieux.
Un penser qui renaist d’un autre, m’accompaigne
Avec un pleur amer qui tout le sein me baigne,
Travaillé de souspirs qui compaignons me sont :
Si bien que si quelcun me trouvoit au bocage,
Voyant mon poil rebours, et l’horreur de mon front,
Ne me diroit un homme, ains un monstre sauvage.
Las ! pour vous trop aymer je ne vous puis aymer :
Car il faut en aymant avoir discretion,
Helas ! je ne l’ay pas : car trop d’affection
Me vient trop follement tout le cœur enflammer.
D’un feu desesperé vous faites consommer
Mon cœur que vous bruslez sans intermission,
Et si bien la fureur nourrist ma passion
Que la raison me faut, dont je me deusse armer.
Ah ! guarissez moy donc de ma fureur extreme,
Afin qu’avec raison honorer je vous puisse,
Ou pardonnez au moins mes fautes à vous mesme,
Et le peché commis en tatant vostre cuisse :
Car je n’eusse touché en lieu si deffendu,
Si pour trop vous aymer mon sens ne fust perdu.
Un enfant dedans un bocage
Tendoit finement ses gluaux,
Afin de prendre des oyseaux
Pour les emprisonner en cage :
Quand il veit, par cas d’aventure,
Sur un arbre Amour emplumé,
Qui voloit par le bois ramé
Sur l’une et sur l’autre verdure.
L’enfant qui ne cognoissoit pas
Cet oyseau, fut si plein de joye
Que pour prendre une si grand’ proye
Tendit sur l’arbre tous ses lats.
Mais quand il vit qu’il ne pouvoit
(Pour quelques gluaux qu’il peust tendre)
Ce cauteleux oyseau surprendre,
Qui voletant le decevoit :
Il se print à se mutiner
Et getant sa glus de colere,
Vint trouver une vieille mere,
Qui se mesloit de deviner.
Il luy va le fait avouer,
Et sur le hault d’un Buys luy monstre
L’oyseau de mauvaise rencontre,
Qui ne faisoit que se jouer.
La vieille en branlant ses cheveux
Qui ja grisonnoient de vieillesse,
Luy dist : Cesse mon enfant, cesse,
Si bien tost mourir tu ne veux,
De prendre ce fier animal,
Cet oyseau, c’est Amour qui vole,
Qui tousjours les hommes affole
Et jamais ne fait que du mal.
Oh que tu seras bien heureux
Si tu le fuis toute ta vie,
Et si jamais tu n’as envie
D’estre au rolle des amoureux.
Mais j’ay grand doute qu’à l’instant
Que d’homme parfait auras l’âge,
Ce malheureux oyseau volage,
Qui par ces arbres te fuit tant,
Sans y penser te surprendra,
Comme une jeune et tendre queste,
Et foullant de ses pieds ta teste,
Que c’est que d’aimer, t’aprendra.
Quand je te veux raconter mes douleurs,
Et de quel mal en te servant je meurs,
Et quel venin deseche ma mouëlle,
Ma voix tremblote, et ma langue chancelle,
Mon cœur se pasme, et le sang me tressaut :
En mesme instant j’endure froid et chaut,
Sur mes genoux descend une gelée,
Jusqu’aux talons une sueur salée
De tout mon corps comme un fleuve se suit,
Et sur mes yeux nage une obscure nuit :
Tant seulement mes larmes abondantes
Sont les tesmoings de mes flames ardantes,
De mon amour, et de ma foy aussi,
Qui sans parler te demandent mercy.
Il m'advint hyer de jurer
Qu'on voirroit mon amour durer
Apres la mort, ma chere amye,
Et afin de t'asseurer mieux
Je feis le serment par mes yeux,
Et par mon cueur, et par ma vie.
Quoy? dis-tu, cela est à moy.
Bien! je le veulx qu'il soit à toy,
Mais las! ma langueur miserable,
Et mes pleurs sont miens pour le moins,
Qui te serviront de tesmoings
Que ma parole est veritable.
Alors, belle, tu me baisas,
Et doucement desatizas
Le feu de ma gentille rage:
Puis tu feis signe de ton oeil,
Que tu recevois bien mon dueil,
Et ma langueur pour tesmoignage.
Je suis tellement amoureux,
Qu’au vray raconter je ne puis,
Ny où je suis, ne qui je suis,
Ny combien je suis malheureux.
J’ay pour mes hostes nuict et jour
La peine, le soing, et l’esmoy,
Qui tous pratiquent dessus moy
Toutes les cruautez d’Amour :
Et toutefois je n’ose armer
Ma raison pour vaincre le tort :
Car plus on me donne la mort,
Et plus je suis content d’aimer.
Je te hay bien (croy moy) maistresse,
Je te hay bien, je le confesse
Et te devrois encor plus fort
Hayr que je ne fais la mort.
Toutesfois il faut que je t’aime
Plus que ma vie et que moy-mesme,
Car plus ta fiere cruauté
Me rejette, plus ta beauté
(Pour mourir et vivre ayec elle)
A ton service me rappelle.
Si le ciel est ton pays, et ton pere,
Si le Nectar est ton vin savoureux,
Si Venus est ta delicate mere,
Si l’Ambrosie est ton pain bien-heureux :
Pourquoy viens-tu loger en nostre terre ?
Pourquoy viens-tu te cacher en mon sein ?
Pourquoy fais-tu contre mes os la guerre ?
Pourquoy bois-tu mon pauvre sang humain ?
Pourquoy prends-tu de mon cœur nourriture ?
O fils d’un Tygre, ô cruel animal I
Hé, que tu es de meschante nature !
Je suis à toy, pourquoy me fais-tu mal ?
Si tost que tu as beu quelque peu de rosée,
Soit de nuict, soit de jour, caché dans un buisson,
Pendant les aesles bas, tu dis une chanson
D'une notte rustique à ton gré composée.
Si tost que j'ay ma vie un petit arrousée
Des larmes de mes yeux, en la mesme façon
Couché dedans ce boys j'espen un triste son,
Selon qu'à larmoyer mon ame est disposée.
Si te passé je bien, d'autant que tu ne pleures
Sinon trois moys de l'an, et moy à toutes heures,
Navré d'une beauté qui me tient en servage.
Mais helas, Rousignol, ou bien à mes chansons
(Si quelque amour te poingt) accorde tes doux sons,
Ou laisse moy tout seul pleurer en ce bocage.
J’ay cent mille tormens, et n’en voudrais moins d’un,
Tant ils me sont plaisans, pour vous, belle maistresse :
Un fascheux desplaisir me vaut une liesse,
Et jamais vostre orgueil ne me fut importun.
Je suis bien asseuré que si jamais aucun
Fut heureux en servant une humaine Déesse,
Sur tous les amoureux heureux je me confesse,
Et ne veux point ceder en bon-heur à quelcun.
Plus je suis abaissé, plus j’espere de gloire :
Plus je suis en l’obscur, plus j’espere de jour.
Il vaut trop mieux mourir pour si belle victoire,
Que de gaigner ailleurs ce bon enfant Amour.
Je jure par ses traits, et je le veux bien croire,
Qu’il blanchist et noircist ma fortune à son tour.
Mars fut vostre parrein quand nasquistes, Marie,
La Mer vostre marreine : un Dieu cruel et fier :
Une Mer à laquelle on ne se doit fier :
Luy tousjours est cholere, elle tousjours marrie.
Sous un tiltre d’honneur ce guerrier nous convie
De hanter les combats, puis est nostre meurtrier :
La Mer en se calmant fait semblant de prier
Qu’on aille en son giron’, puis nous oste la vie.
Vous tenez de ce Dieu, mais trop plus de la Mer,
Qui feistes voz beaux yeux serenement calmer,
Pour m’attirer chez vous par vos belles œillades.
Heureux et plus qu’heureux, si je m’estois gardé,
Et si j’eusse la Mer du havre regardé,
Sans me faire presser en tant de Symplegades.
BELLEAU
Si tost qu’entre les bois.) L’Autheur oyant un Rossi gnol desgoiser dedans un bocage, le prie, que s’il est espoinçonné de quelque passion amoureuse, qu’il accorde sa voix à la sienne, ou bien qu’il le laisse seulet au bois sans l’ennuyer davantage. Il fait une gentille compa raison de sa vie à celle du Rossignol, accommodant la rosée du ciel aux larmes de ses yeux, le mignard desgoisement à ses tristes chansons. Toutefois il se dit diffe rent d’un poinct, d’autant que le Rossignol n’a que trois mois de l’an pour lamenter, et luy a l’année entiere pour pleurer ses douleurs. Le commencement de ce Sonet est fait à l’imitation d’une Ode d’Anacreon de la Cigalle.
XXXVII
Belle, gentille, honneste, humble, et douce Marie,
Qui mon cœur en voz yeux prisonnier detenez,
Et qui sans contredit à vostre gré menez
De vostre blanche main les brides de ma vie .
Quantes fois en l’esprit sens-je naistre une envie
De rompre voz liens par monceaux trançonnez ?
Mais mon ame s’en rit, que vous emprisonnez,
Et qui mourroit de dueil sans vous estre asservie.
Ha je vous aime tant, que je suis fol pour vous.
J’ay perdu ma raison, et ma langue debile
Au milieu des propos vous nomme à tous les coups
Vous comme son sujet, sa parolle, et son stile,
Et qui parlant ne fait qu’interpreter, sinon
Mon esprit qui ne pense en rien qu’en vostre nom.
Mes souspirs mes amis vous m’estes agreables,
D’autant que vous sortez pour un lieu qui le vaut :
Je porte dans le cœur des flames incurables,
Le feu pourtant m’agrée, et du mal ne me chaut.
Autant me plaist sentir le froid comme le chaut :
Plaisir et desplaisir me sont biens incroyables.
Bien-heureux je m’estime aimant en lieu si haut,
Bien que mon sort me mette au rang des miserables.
Des miserables ? non, mais au rang des heureux.
» Un homme ne pourrait (sans se voir amoureux)
» Cognoistre par le mal que valent les liesses :
Non, je ne voudrais pas pour l’or de l’univers
N’avoir souffert les maux, qu’en aimant j’ay soufferts
Pour l’attente d’un bien qui vaut mille tristesses.
Comment au departir adieu pourroy-je dire,
Duquel le souvenir tant seulement me pâme ?
Adieu ma chere vie, adieu ma seconde ame,
Adieu mon cher soucy, par qui seul je souspire :
Adieu le bel objet de mon plaisant martire,
Adieu bel œil divin qui m’englace et m’enflame,
Adieu ma douce glace, adieu ma douce flame,
Adieu par qui je vis et par qui je respire :
Adieu belle, humble, honneste, et gentille maistresse,
Adieu les doux liens où vous m’avez tenu
Maintenant en travail, maintenant en liesse :
Il est temps de partir, le jour en est venu :
Le besoin seulement, non le desir me presse.
Mais avant je vous prie et vous conjure en lieu
De moy, prendre mon cœur, tenez, je le vous laisse :
Gardez-le, baisez moy, maistresse, et puis adieu.
Quand je vous voy ma gentille maistresse,
Je deviens fol, sourd, muet, et sans ame :
Dedans mon sein mon pauvre cœur se pâme,
Entre-surpris de joye et de tristesse.
Mon poil au chef se frissonne et se dresse :
De glace froide une fiévre m’enflame ;
Je perds le sens, quand je vous voy, ma dame,
Et quand à vous pour parler je m’adresse.
Mon œil craint plus les vostres, qu’un enfant
Ne craint la verge, ou la fille sa mere,
Et toutefois vous ne m’estes severe,
Sinon au poinct que l’honneur vous defend.
Mais c’est assez, puis que de ma misere
La guerison d’autre part ne depend.
Si quelque amoureux passe en Anjou par Bourgueil,
Voye un pin qui s’esleve au dessus du village,
Et là, sur le sommet de son pointu fueillage,
Voirra ma liberté triomphe d’un bel œil,
Qu’Amour victorieux, qui se plaist de mon dueil,
Appendit pour trofée, et pour servil hommage :
Afin qu’à tous passans elle fust tesmoignage
Que l’amoureuse vie est un plaisant cercueil.
Je ne pouvois trouver plante plus estimée
Pour pendre ma despouille, en qui fut transformée
La jeune peau d’Atys desur le mont Idé.
Mais entre Atys et moy il y a difference,
C’est qu’il fut amoureux d’un visage ridé,
Et moy d’une beauté qui ne sort que d’enfance.
CHANSON
Ma maistresse est toute angelette,
Ma toute rose nouvellette,
Toute mon gracieux orgueil,
Toute ma petite brunette,
Toute ma douce mignonnette,
Toute mon cœur, tout mon œil :
Toute ma Muse, ma Charite,
Toute le gain de mon merite,
Toute mon tout, toute mon rien,
Toute ma maistresse Marie,
Toute ma douce tromperie,
Toute mon mal, toute mon bien :
Toute fiel, toute ma sucrée,
Toute ma jeune Cytherée,
Toute ma joye, et ma langueur,
Toute ma petite Angevine,
Ma toute simple, et toute fine,
Toute mon ame, et tout mon cœur.
Encore un envieux me nie
Que je ne dois aimer m’amie.
Mais quoy ? si ce sot envieux
Disoit que mes yeux je n’aimasse,
Voudriez- vous bien que je laissasse
Pour un sot à n’aimer mes yeux ?
Je ne veulx plus que chanter de tristesse,
Car autrement chanter je ne pourrois,
Veu que je suis absent de ma maistresse:
Si je chantois autrement, je mourrois.
Pour ne mourir il fault donc que je chante
En chantz piteux ma plaintive langueur,
Pour le despart de ma maistresse absente,
Qui de mon sein me déroba le cueur.
Déjà l'Esté, et Cerez la bledtiere,
Ayant son front enceint de son present,
A ramené sa moisson nourriciere
Depuis le temps que mort je suis absent
De ses beaux yeux, dont la lumiere belle
Seule pourroit garison me donner,
Et si j'estois là bas en la nacelle
Me pourroit faire en vie retourner.
Mais ma raison est si bien corrompue
Par une faulce imagination
Que nuict et jour je la porte en la veue,
Et sans la voir j'en ay la vision.
Comme celuy qui contemple les nues
Pense adviser mile formes là sus
D'hommes, d'oyseaux, de chimeres cornues,
Et ne voit rien, car ses yeux sont deceuz:
Et comme cil qui d'une aleine forte,
En haute mer, à puissance de bras
Tire la rame, il pense qu'ell'soit torte
Rompue en l'eau, toutesfois ne l'est pas:
Ainsi je voy d'une veüe trompée
Celle qui m'a tout le sens depravé,
Qui dans mes yeux, et dans l'âme frappée
Par force m'a son portrait engravé,
Et soit que j'erre au plus hault des montaignes,
Ou dans un boys, loing de gens et de bruit,
Soit dans des prez; ou parmi les campagnes,
Tousjours à l'oeil ce beau portrait me suit.
Si j'apperçoy quelque champ qui blondoie
D'espicz frisez au travers des sillons,
Je pense veoir ses beaux cheveux de soye
Refrisotez en mile crespillons.
Si j'apperçoy quelque table carrée
D'yvoire, ou jaspe applany proprement,
Je pense veoir la voulte mesurée
De son beau front egallé plenement.
Si le Croissant au premier moys j'advise,
Je pense veoir son sourcy ressemblant
A l'arc d'un Turc, qui la sagette a mise
Dedans la coche, et menace le blanc.
Quand à mes yeux les estoilles drillantes
Viennent la nuict en temps calme s'offrir,
Je pense veoir ses prunelles ardentes,
Que je ne puis ny füyr ny souffrir.
Quand j'apperçoy la rose sur l'espine,
Je pense veoir de ses levres le tainct,
Mais la beauté de l'une au soir decline,
L'autre beauté jamais ne se destainct.
Quand j'apperçoy des fleurs dans une prée
S'épanouir au lever du Soleil,
Je pense veoir de sa joüe pourprée
Et de son sein le beau lustre vermeil.
Si j'apperçoy quelque chesne sauvage
Qui jusqu'au ciel esleve ses rameaux,
Je pense veoir en luy son beau corsage,
Ses pieds, sa greve, et ses coudes jumeaux.
Si j'entendz bruire une fontaine clere,
Je pense ouyr sa voix dessus le bord,
Qui, se plaignant de ma triste misere,
M'apelle à soy pour me donner confort.
Voila comment pour estre fantastique
En cent façons ses beaultez j'apperçoy,
Et m'esjouys d'estre melancolique
Pour recevoir tant de formes en moy...
Amour vrayement est une maladie,
Les medecins la scavent bien juger,
L'appellant mal, fureur de fantasie
Qui ne se peult par herbes soulager.
J'aymerois mieux la fiebvre dans mes venes,
Ou quelque peste, ou quelqu'autre douleur,
Que de souffrir tant d'amoureuses peines,
Qui sans tüer me consomment le cueur.
Or'va, chanson, dans les mains de ma sainte,
Mon angelette, et luy racompte aussi
Que ce n'est point tromperie ny fainte
De tout cela que j'ay descrit icy.
Mais ce bel œil qui me fait langoureux,
Le sçait, le voit, et si ne le veut croire.
Dequoy me sert que mon mal soit notoire
Quand à mon dam son œil trop rigoureux,
Par ne sçay quel desastre malheureux
Voit bien ma playe, et si la prend à gloire ?
C’est un grand mal ! que pour cent fois jurer,
Cent fois promettre, et cent fois asseurer
Qu’autre jamais n’aura sus moy puissance,
Qu’elle s’esbat de me voir en langueur :
Et plus de moy je lui donne asseurance,
Moins me veut croire, et m’appelle un moqueur.
Hyer au soir que je pris maugré toy
Un doux baiser assis de sur ta couche,
Sans y penser, je laissay dans ta bouche
Mon âme, las! qui s'enfuit de moy.
Me voyant prest sur l'heure de mourir,
Et que mon ame amuzée à te suivre
Ne revenoit mon corps faire revivre,
Je t'envoiay mon cœur pour la querir.
Mais mon cœur pris de ton oeil blandissant
Ayma trop mieux estre chez toy, ma dame,
Que retourner: et non plus qu'à mon ame
Ne luy chaloit de mon corps perissant.
Et si je n'eusse en te baisant ravy
Du feu d'Amour quelque chaleur ardente,
Qui depuis seule (en lieu de l'ame absente
Et de mon cœur) de vie m'a servy,
Voulant hyer mon torment apaiser,
Par qui sans ame et sans cœur je demeure,
Je fusse mort entre tes bras, à l'heure
Que maugré toy je te pris un baiser.
Plus tu connois que je brusle pour toy,
Plus tu me fuis cruelle :
Plus tu connois que je vis en esmoy,
Et plus tu m’es rebelle.
Te laisseray-je ? helas je suis trop tien,
Mais je beniray l’heure
De mon trespas : au-moins s’il te plaist bien
Qu’en te servant je meure.
Hé Dieu que je porte d’envie
Aux felicitez de ta vie,
Alouette, qui de l’amour
Caquettes dés le poinct du jour,
Secouant la douce rosée
En l’air, dont tu es arrosée.
Davant que Phqsbus soit levé
Tu enleves ton corps lavé
Pour l’essuyer pres de la nue,
Tremoussant d’une aile menue ;
Et te sourdant à petits bons,
Tu dis en l’air de si doux sons
Composez de ta tirelire,
Qu’il n’est Amant qui ne desire
Comme toy devenir oiseau
Pour desgoiser un chant si beau :
Puis quand tu t’es bien eslevée,
Tu tombes comme une fusée
Qu’une jeune pucelle au soir
De sa quenouille laisse choir,
Quand au fouyer elle sommeille,
Frappant son sein de son oreille :
Ou bien quand en filant le jour
Voit celuy qui luy fait l’amour,
Venir pres d’elle à l’impourveiie,
De honte elle abaisse la veiie,
Et son tors fuseau delié
Loin de sa main roule à son pié.
Ainsi tu roules mon Alouette,
Ma doucelette mignonnette,
Alouette, que j’aime mieux
Que tous oiseaux qui sont aux Cieux.
Tu vis sans offenser personne,
Ton bec innocent ne moisonne
Le froment, comme ces oiseaux
Qui font aux hommes mille maux,
Soit que le bled rongent en herbe,
Ou soit qu’ils l’egrenent en gerbe :
Mais tu vis par les sillons verts,
De petits fourmis et de vers :
Ou d’une mousche, ou d’une achée
Tu portes aux tiens la bechée,
Ou d’une chenille qui sort
Des fueilles, quand l’Hyver est mort.
Et pource, à grand tort les Poètes
Ont mal feint, que vous Alouètes
Avez vostre pere hay
Jadis jusqu’à l’avoir trahy :
Couppant de sa teste Royale
La blonde perruque fatale,
Dans laquelle un crin d’or portoit
En qui toute sa force estoit.
Ouvrit en deux de ses ruades,
Tellement que luy seul tourna
En fuite l’Indois, et donna
A Bachus qui fuyoit, la gloire,
Et le butin de la victoire.
Lors Bachus, en lieu du bien-fait
Que les Freslons luy avoient fait,
Leur ordonna pour recompance
D’avoir à tout jamais puissance
Sur les vignes, et de manger
Les raisins prests à vendanger,
Et boire du moust dans la tonne
Impuniment lors que l’Autonne
Amasse des coutaux voisins
Dedans le pressoiier les raisins,
Et que le vin nouveau s’escoule
Du pied du gâcheur qui le foule.
Or vivez bien-heureux Freslons,
Tousjours de moy voz aiguillons
Et de Belleau soient loin à l’heure
Que la vendange sera meure :
Et rien ne murmurez sinon
Par l’air que de Belleau le nom,
Nom, qui seroit beaucoup plus digne
D’estre dit par la voix d’un Cygne.
Te tairas tu, Gay babillard ?
Tu entreromps le chant mignard
De ce Linot, qui se degoise,
Qui fait l’amour dans ce buisson,
Et d’une plaisante chanson
Sa jeune femelle apprivoise.
Tu cries encore, vilain.
Va-t’en, tu as le gousier plein
D’un chant qui predit les orages :
Que ne vient icy l’Esprevier !
On t’orroit bien plus hault crier
Le jargon de mille langages.
Va-ten donc tes petits couver,
Ou bien afin de leur trouver
Je ne sçay quoy pour leur bechée :
Pendant que tu m’es importun,
Puisse arriver icy quelqu’un
Qui te derobe ta nichée.
O ma belle maistresse, à tout le moins prenez
De moy vostre servant ce Rossignol en cage,
Il est mon prisonnier, et je vis en servage
Sous vous, qui sans mercy en prison me tenez :
Allez donc, Rossignol, en sa chambre, et sonnez
Mon dueil à son oreille avec vostre ramage,
Et s’il vous est possible émouvez son courage
A me faire mercy puis vous en revenez :
Non non, ne venez point, que feriez vous chez moy ?
Sans aucun reconfort, vous languiriez d’esmoy,
» Un prisonnier ne peut un autre secourir.
Je n’ay pas Rossignol sur vostre bien envie,
Seulement je me hay et me plains de ma vie
Qui languist en prison, et si n’y peut mourir.
Je suis un Demi-dieu, quand assis vis à vis
De toy, mon cher soucy, j’escoute les devis,
Devis entre-rompuz d’un gracieux sou-rire,
Sou-ris, qui me retient le cœur emprisonné :
Car en voyant tes yeux, je me pasme estonné,
Et de mes pauvres flancs un seul mot je ne tire.
Ma langue s’engourdist, un petit feu me court
Fretillant sous la peau : je suis muet et sourd,
Un voile sommeillant dessus mes yeux demeure :
Mon sang devient glacé, le courage me faut.
Mon esprit s’evapore, et alors peu s’en faut
Que sans ame à tes pieds estendu je ne meure.
Si je t’assauls, Amour, Dieu qui m’est trop cognu !
Pour neant en ton camp je feray des alarmes :
Tu es un vieil routier, et bien appris aux armes,
Et moy jeune guerrier, mal appris, et tout nu.
Si je suis devant toy, je ne sçaurois aller
En lieu que je ne sois devancé de ton aile :
Si je veux me cacher, l’amoureuse estincelle
Qui reluist en mon cœur, me viendra déceler.
Si je veux m’embarquer, tu es fils de la mer,
Si je m’enleve au ciel, ton pouvoir y commande,
Si je tombe aux enfers, ta puissance y est grande :
Ainsi maistre de tout, force m’est de t’aimer.
Or je t’aimeray donq, bien qu’envis de mon cœur,
Si c’est quelque amitié que d’aimer par contrainte :
» Toutefois (comme on dit) on voit souvent la crainte
» S’accompagner d’amour, et l’amour de la peur.
Mon fils, si tu sçavois ce qu’on dira de toy,
Tu ne voudrais jamais desloger de chez moy,
Enclos en mon estude : et ne voudrais te faire
Salir ny fueilleter aux mains du populaire.
Quand tu seras party, sans jamais retourner,
Estranger loin de moy te faudra sejourner :
» Car ainsi que le vent sans retourner s’en-vole,
» Sans espoir de retour s’eschappe la parole.
Or tu es ma parole, à qui de nuict et jour
J’ay conté les propos que m’enseignoit Amour,
Pour les mettre en ces vers qu’en lumiere tu portes,
Crochetant, maugré moy, de mon bufet les portes,
Pauvret ! qui ne sçais pas que nos peuples se font
Plus subtilz par le nez que le Rhinoceront.
Donc, avant que tenter le hazard du naufrage,
Voy du port la tempeste, et demeure au rivage :
« Trop tard on se repent, quand on s’est embarqué.
Tu seras assez tost des mesdisans mocqué
D’yeux, et de haussebecs, et d’un branler de teste.
» Sage est celuy qui croit à qui bien l’admonneste.
Tu sçais (mon cher enfant) que je ne te voudrois
Ny tromper ny mocquer : laschement je faudrois,
Comme un Tygre engendré de farouche nature,
Si je voulois trahir ma propre geniture.
Car tel que je te voy, n’agueres je te fis,
Et je ne t’aime moins qu’un pere aime son fils.
Quoy ? tu veux donc partir : et tant plus je te cuide
Retenir au logis, plus tu hausses la bride.
Va donc, puis qu’il te plaist : mais je te suppliray
De respondre à chascun ce que je te diray,
Afin que toy (mon fils) gardes bien en l’absence
De moy le pere tien, l’honneur et l’innocence.
Si quelque dame honneste et gentille de cœur
(Qui aura l’inconstance et le change en horreur)
Me vient, en te Usant, d’un gros sourcil reprendre
Dequoy je ne devois oublier ma Cassandre,
Qui la premiere au cœur le trait d’amour me mist,
Et que le bon Petrarque un tel peché ne fist,
Qui fut trente et un ans amoureux de sa dame,
Sans qu’un[e] autre jamais luy peust eschauffer l’ame :
Respons luy, je te pri’, que Petrarque sur moy
N’avoit authorité de me donner sa loy,
Ny à ceux qui viendroient apres luy, pour les faire
Si long temps amoureux sans leur lien desfaire.
Luymesme ne fut tel : car à voir son escrit
Il estoit esveillé d’un trop gentil esprit
Pour estre sot trente ans, abusant sa jeunesse,
Et sa Muse, au giron d’une vieille maistresse :
Ou bien il jouyssoit de sa Laurette, ou bien
Il estoit un grand fat d’aimer sans avoir rien.
Ce que je ne puis croire, aussi n’est-il croyable :
Non, il en jouyssoit : puis l’a faite admirable,
» Chaste, divine, saincte : aussi l’amoureux doit
» Celebrer la beauté dont plaisir il reçoit :
» Car celuy, qui la blasme apres la jouyssance,
» N’est homme, mais d’un Tygre il a prins sa naissance.
Quand quelque jeune fille est au commencement
Cruelle, dure, fiere à son premier amant,
Constant il faut attendre : il peut estre qu’une heure
Viendra, sans y penser, qui la rendra meilleure.
Mais quand elle devient voire de jour en jour
Plus dure et plus rebelle, et plus rude en amour,
On s’en doit esloigner, sans se rompre la teste
A vouloir adoucir une si sotte beste.
Je suis de tel advis : me blasme de cecy,
Ou louë qui voudra, je le conseille ainsi.
Les femmes bien souvent sont cause que nous sommes
Volages et legers, amadoûans les hommes
D’un espoir enchanteur, les tenans quelquefois
Par une douce ruse un an, ou deux, ou trois,
Dans les liens d’Amour sans aucune allegeance :
Ce-pendant un valet en aura jouyssance,
Ou bien quelque badin ce bien emportera,
Et sa faulx dans le bled secrettement mettra.
Et si ne laisseront, je parle des rusées,
Qui ont au train d’amour leurs jeunesses usées
(C’est bien le plus grand mal qu’un homme puisse avoir
De servir quelque vieille accorte à decevoir)
D’enjoindre des travaux qui sont insupportables,
Des services cruels, des tasches miserables :
Car sans avoir egard à la simple amitié
De leurs pauvres servans, cruelles n’ont pitié,
Non plus que fiers Tyrans en arrogance braves
Des captifs enchaisnez à l’aviron esclaves.
Il faut vendre son bien, il faut faire presens
De chaisnes, de carquans, de diamans luisans :
Il faut donner la Perle, et l’habit magnifique,
Il faut entretenir la table, et la musique,
Il faut prendre querelle, il faut les supporter :
Certes j’aimerois mieux dessus le dos porter
La hotte, pour curer les estables d’Augée,
Que me voir serviteur d’une dame rusée.
» La mer est bien à craindre, aussi est bien le feu,
» Et le Ciel quand il est de tonnerres esmeu.
» Mais trop plus est à craindre une femme clergesse,
» Sçavante en l’art d’amour, quand elle est tromperesse :
» Par mille inventions mille maux elle fait,
» Et d’autantqu’elleestfemme,etd’autantqu’ellesçait.
Quiconque fut le Dieu, qui la meit en lumiere,
Il fut premier autheur d’une grande misere.
Il falloit par presens consacrez aux autels
Acheter noz enfans des grands Dieux immortels,
Et non user sa vie avec ce mal aimable,
Les femmes, passion de l’homme miserable,
Miserable et chetif, d’autant qu’il est vassal,
Durant le temps qu’il vit, d’un si fier animal.
Mais je vous pri’, voyez comme par fines ruses
Elles sçavent trouver mille feintes excuses,
Apres qu’ell’ ont failly ! voyez Helene apres
Qu’Ilion fut bruslé de la flame des Grecs,
Comme elle amadoua d’une douce blandice
Son badin de mary, qui pardonna son vice,
Et qui plus que devant de ses yeux fut espris,
Qui scintilloient encor les amours de Paris.
Que dirons nous d’Ulysse ? encores qu’une trope
De jeunes poursuyvans aimassent Penélope,
Devorans tout son bien, si est-ce qu’il brusloit
D’embrasser son espouse, et jamais ne vouloit
Devenir immortel avec Circe la belle,
Pour ne revoir jamais Penelope, laquelle
Pleurant luy rescrivoit de son fascheux sejour,
Pendant qu’en son absence elle faisoit l’amour :
(Si bien que le Dieu Pan de ses jeux print naissance,
D’elle et de ses muguets la commune semence)
Envoyant tout expres, pour sa commodité,
Son fils chercher Ulysse en Sparte la cité.
» Voila comment la femme avec ses ruses donte
» L’homme, de qui l’esprit toute beste surmonte.
Quand on peult par hazard heureusement choisir
Quelque belle maistresse, et l’avoir à plaisir,
Soit de haut ou bas lieu, pourveu qu’elle soit fille
Humble, courtoise, honneste, amoureuse et gentille,
Sans fard, sans tromperie, et qui sans mauvaitié
Garde de tout son cœur une simple amitié,
Aimant trop mieux cent fois à la mort estre mise,
Que de rompre sa foy quand elle l’a promise :
Il la faut honorer tant qu’on sera vivant,
Comme rare joyau qu’on treuve peu souvent.
» Celuy certainement merite sur la teste
» Le feu le plus ardent d’une horrible tempeste,
» Qui trompe une pucelle : et mesmement alors
» Qu’elle se donne à nous, et de cœur et de cors.
N’est-ce pas un grand bien quand on fait un voyage.
De rencontrer quelcun qui d’un pareil courage
Veut nous accompagner, et comme nous passer
Les torrens, les rochers fascheux à traverser ?
Aussi n’est-ce un grand bien de trouver une amie,
Qui nous ayde à passer ceste chetive vie,
Qui, sans estre fardée, ou pleine de rigueur,
Traite fidelement de son amy le cœur ?
Dy leur, si de fortune une belle Cassandre
Vers moy se fust monstrée un peu courtoise et tendre,
Et pleine de pitié, eust cherché de guarir
Le mal dont ses beaux yeux dix ans m’ont fait mourir,
Non seulement du corps, mais sans plus d’une œillade
Eust voulu soulager mon pauvre cœur malade,
Je ne l’eusse laissée, et m’en soit à tesmoin
Ce jeune enfant aislé qui des amours a soin.
Mais voyant que tousjours elle marchoit plus fiere,
Je desliay du tout mon amitié premiere,
Pour en aimer une autre en ce pays d’Anjou,
Où maintenant Amour me detient sous le j ou :
Laquelle tout soudain je quitteray, si elle
M’est, comme fut Cassandre, orgueilleuse et rebelle,
Pour en chercher une autre, afin de voir un jour
De pareille amitié recompenser m’amour,
Sentant l’affection d’un[e] autre dans moymesme :
» Car un homme est bien sot d’aimer si on ne l’aime.
Or si quelqu’un apres me vient blasmer, dequoy
Je ne suis plus si grave en mes vers que j’estoy
A mon commencement, quand l’honneur Pindarique
Enfloit empoulément ma bouche magnifique :
Dy luy que les amours ne se souspirent pas
D’un vers hautement grave, ains d’un beau stile bas,
Populaire et plaisant, ainsi qu’a fait Tibulle,
L’ingenieux Ovide, et le docte Catulle.
Le fils de Venus hait ces ostentations :
Il suffist qu’on luy chante au vray ses passions
Sans enflure ny fard, d’un mignard et doux stile,
Coulant d’un petit bruit, comme une eau qui distile.
Ceux qui font autrement, ils font un mauvais tour
A la simple Venus, et à son fils Amour.
S’il advient quelque jour que d’une voix hardie
J’anime l’eschafaut par une tragedie
Sentencieuse et grave, alors je feray voir
Combien peuvent les nerfs de mon petit sçavoir.
Et si quelque furie en mes vers je rencontre,
Hardy j’opposeray mes Muses alencontre :
Et feray resonner d’un haut et grave son
(Pour avoir part au bouc) la tragique tançon.
Mais ores que d’Amour les passions je pousse,
Humble je veux user d’une Muse plus douce.
Non, non, ’je ne veux pas que pour ce livre icy
J’entre dans une escolle, ou qu’un regent aussy
Me lise pour parade : il suffit si m’amie
Le touche de la main dont elle tient ma vie.
Car je suis satisfait, si elle prend à gré
Ce labeur que je vouë à ses pieds consacré,
Et à celles qui sont de nature amiables,
Et qui jusqu’à la mort ne sont point variables.