Nouvelles diverses/18 octobre 1896

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NOUVELLES DIVERSES


ÉTRANGER

De notre correspondant de Belgique (15 octobre). — Les débuts de Mlle Jane Harding, tour à tour annoncés, retardés, puis renvoyés aux calendes grecques, ont eu lieu tout à coup samedi dernier dans la Traviata. Soirée sensationnelle, qui avait attiré à la Monnaie un public brillant pris dans tous les mondes. La belle débutante a déployé un luxe de toilettes et de bijoux qui a pleinement confirmé ce qu’on en avait dit par avance. Quant à la cantatrice et à la comédienne, tout ce qu’on en peut dire c’est que sa jolie petite voix et son entière bonne volonté ont paru peut-être insuffisantes pour une scène comme celle de la Monnaie. Cette curieuse soirée s’est d’ailleurs passée sans encombre : mais elle n’a pas eu et n’aura vraisemblablement pas de lendemain. On se demande cependant ce que va devenir Phryné ? M. Saint-Saëns arrivera prochainement à Bruxelles : le concert populaire du 25 courant sera consacré à ses œuvres, et il doit s’occuper aussi des partitions que la Monnaie va monter de lui, la Princesse Jaune, son ballet inédit, et cette Phryné aussi, disait-on, réservée à Mlle Harding : on attend sa décision. Plus heureuse, certes, a été la reprise de Roméo et Juliette avec Mme Landouzy et M. Imbart de la Tour. Mme Landouzy ne cache pas son vif désir d’élargir son cadre d’interprétation et d’aborder certains rôles de demi-caractère. Elle a tant de talent qu’elle peut se permettre bien des choses et les réussir, malgré tout, par quelque côté. C’est ainsi qu’elle nous a donné déjà une Manon charmante. Sous les traits de Juliette, elle n’a pas été moins gracieuse ; la poésie rêveuse et douce de Gounod l’a servie à souhait : sans forcer la note dramatique, elle a eu de l’émotion par la simplicité, la pureté et la justesse de l’expression. À côté d’elle, M. Imbart de la Tour, qui décidément a conquis les faveurs du public bruxellois, a mis dans le rôle de Roméo beaucoup de chaleur, quelquefois même un peu trop, et a partagé le très vif succès de sa gentille partenaire. L’ensemble de cette reprise de Roméo et Juliette a été des plus satisfaisants. Il en a été de même pour la reprise du Rêve, qui l’a suivie de près.

Le Théâtre-Lyrique flamand d’Anvers a représenté, samedi dernier l’œuvre inédite de M. Jan Blockx, Herbergprincess (Princesse d’auberge), que je vous avais annoncée naguère. Ç’a été une véritable solennité, comme on n’en voit qu’en pays flamand, avec discours, ovations, palmes et embrassades : l’enthousiasme des peuples du Midi n’a rien de comparable à l’enthousiasme anversois quand il s’y met. Je me hâte d’ajouter que le succès remporté par l’opéra de M. Jan Blockx a été largement mérité. Le livret de M. de Tière est des plus simples, même un peu naïf : il s’agit de l’éternel combat, entre l’amour pur et l’amour vénal, entre le bien et le mal : un jeune musicien, Merlin, abandonne sa fiancée pour une princesse de cabaret, rusée et fascinatrice : la fiancée essaie en vain de reconquérir son amant, et le drame se termine, par une scène de meurtre d’où il appert qu’en ce monde, la vertu est rarement récompensée, mais le crime toujours puni. Sur ce sujet, prêtant à des épisodes populaires et réalistes, plein de mouvement, et en somme très musical, le compositeur a écrit une partition franche d’allures, nourrie de thèmes originaux, et, avec cela, travaillée d’une façon intéressante, par l’emploi de « thèmes » caractéristiques qui ajoutent à la couleur de l’œuvre sans l’alourdir cependant. Cela procède de Wagner, mais est bien personnel à l’auteur, reconnaissable dans son inspiration mélodique très abondante, sinon toujours très raffinée. On a dit de M. Jan Blockx que c’est le Teniers de la musique ; la comparaison est juste ; il a la corde populaire et il la fait vibrer avec habileté et avec éclat. Il y a notamment, au deuxième acte, une grande scène pittoresque de kermesse, avec carillon, danses et chants, d’une animation étourdissante. Il est à peu près certain que le public, bruxellois sera convié à apprécier bientôt la Princesse d’auberge de MM. de Tière et Blockx, l’ouvrage étant dès à présent traduit en français et prêt à être représenté.

L. S.

— De notre correspondant de Londres (15 octobre) : L’orchestre Colonne a débuté ici de la façon la plus heureuse. Le public a montré dans la manifestation de son contentement une chaleur presque continentale, et la presse s’est mise en frais de qualificatifs louangeurs pour rendre hommage à l’éminent chef d’orchestre français et à ses musiciens. Le programme du premier concert débutait par la Jubel ouverture, de Weber, dont le choix était justifié par le God save the Quen qui la termine. Venait ensuite la symphonie de la Reformation, de Mendelssohn, dont l’exécution si nette et si lumineuse a été une révélation pour le public d’ici. Deux fragments du ballet d’Hérodiade, « les Gauloises » et « les Phéniciennes, » ont provoqué de bruyantes acclamations, et l’air de Salomé du même opéra a été rendu par Mlle Pregi de façon à lui valoir une ovation. Les fragments de la Damnation de Faust, — parmi lesquels les deux airs de Marguerite, chantés par Mlle Pregi — ont été aux nues, comme bien on pense. La berceuse de Jocelyn, jouée sur le violoncelle par M. Baretti, et un fragment des Impressions d’Italie, de M. Charpentier, complétaient le programme. — Le second concert a eu lieu hier soir. L’enthousiasme y a été encore plus grand qu’au premier. On a acclamé la Symphonie fantastique, acclamé Sous les tilleuls, de M. Massenet, et le ballet d’Ascanio, et les Scènes d’enfants de Schumann, orchestrées par Godard : enfin tout. Un jeune pianiste anglais d’un talent hors ligne, M. Mark Hambourg, a exécuté dans la perfection un concerto de Schütt, très exubérant d’inspiration.

Léon Schlesinger.

— Le Trovatore de Milan écrit ce qui suit, dans le style plaisantin qui lui est habituel : « La Navarraise et la Vivandière continuent, dans leurs campements respectifs, à remporter au Théâtre-Lyrique de splendides victoires. La Navarraise, spécialement, a conquis non seulement le cœur d’Araquil, mais le public tout entier. La de Nuovina triomphe sur toute la ligne et occupe les avant-postes… dans les sympathies des juges du camp. L’état-major est toujours superbement commandé par M. Dufriche.

— L’empereur d’Autriche vient de conférer à Carl Goldmark la croix de l’ordre de Léopold, qui autorise le titulaire à demander ses titres de noblesse héréditaire. Les journaux de Vienne, en publiant cette nouvelle, adressent des compliments très flatteurs au célèbre compositeur, dont la simplicité et la modestie égalent le mérite.

— Nous avons publié récemment la nouvelle qu’à l’occasion du mariage du duc d’Orléans avec l’archiduchesse Marie-Dorothée, le théâtre du château de Schœnbrunn serait rouvert, et plusieurs de nos confrères parisiens nous ont emprunté cette nouvelle. Ajoutons que d’après nos derniers renseignements, l’empereur François-Joseph n’a pas approuvé le programme de cette représentation de gala, et que le proverbe : Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée a été rayé. On jouera à sa place, le Piano de Berthe, la gentille comédie de Théodore Barrière, toujours en français, avec Mme de Hohenfels et le ténor van Dyck, et la charmante opérette d’Offenbach, Monsieur et Madame Denis, avec Mme Renard en travesti et Mlle Mark.

— Une lettre intéressante que M. Félix Draesecke publie dans un journal de Dresde, nous apprend que M. Richard Wagner a conçu l’idée de son orchestre invisible à Paris. Pendant son premier séjour chez nous, de 1839 à 1842, il fréquentait beaucoup les concerts du Conservatoire. Un jour, il était arrivé un peu tard, et on l’avait fait attendre dans un endroit où une paroi en bois, qui n’allait pas jusqu’au plafond de la salle, le séparait de celle-ci. Tout en attendant la fin du morceau en exécution, Wagner remarquait que l’effet de l’orchestre invisible pour lui était splendide, et que le son avait une unité, un fondu qu’il ne possédait pas quand on entendait cet orchestre dans la salle même. C’est dans ce moment que Wagner se proposa d’arriver un jour à un effet pareil, et qu’il conçut l’idée de construire un théâtre où il pourrait réaliser cette réforme de l’orchestre.

— On se moque de la statuomanie qui sévit actuellement en France ; mais il paraît qu’en Allemagne on n’est pas moins disposé à statufier les célébrités locales. Il est même arrivé dernièrement qu’on a érigé à Ruhla un monument au compositeur peu connu Lux, dans la supposition qu’il était l’auteur d’une mélodie populaire de Thuringe : Ah ! comment est-ce possible alors !… Un monument pour une seule mélodie, c’était déjà beaucoup. Mais voici qu’on vient d’apprendre que la mélodie en question a pour auteur le célèbre compositeur Kücken. Que va-t-on faire de la statue de Lux, qui devient vraiment luxueuse ?

— Depuis le 1er  octobre le théâtre du peuple, à Munich, donne des représentations d’opéra populaire. Les prix des places sont tellement insignifiants que même les ouvriers peuvent devenir des habitués de l’Opéra. Le répertoire laisse encore à désirer — on n’a trouvé rien de mieux jusqu’ici que des vieilleries italiennes telles que Lucie de Lammermoor et Norma — mais la distribution est assez bonne et l’orchestre convenable.

— Un opéra inédit intitulé Mataswintha, paroles imitées de Félix Dahn, musique de M. Xavier Scharwenka, a été joué avec succès au théâtre grand-ducal de Weimar.

— Explications complémentaires au sujet de notre note de dimanche dernier sur le manuscrit inconnu de Wagner découvert à Zurich : M. Hegar, le chef d’orchestre de cette ville, avait, en 1878, organisé une fête musicale à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire des trois grands concerts, que le maître donna jadis en cette ville, et Wagner lui avait fait adresser par son éditeur de Paris, un certain nombre de parties d’orchestre manuscrites. Au revers de ces feuilles, se trouvaient des fragments musicaux écrits de la main même de Wagner. M. Hegar n’y avait pas d’abord attaché grande importance ; il s’est avisé cette année de les examiner et il est arrivé à reconstituer toute une œuvre symphonique qui porte ce titre : Deuxième ouverture de concert, et dont l’instrumentation n’est pas complètement achevée. On avait tout d’abord espéré qu’il s’agissait d’une des neuf compositions que Wagner, antérieurement à Rienzi, a écrites sur le Faust de Goethe, et dont six seulement figurent dans les archives de Bayreuth. Vérification faite, le manuscrit retrouvé n’est pas inédit : c’est l’esquisse de l’ouverture en sol majeur qui fut jouée en 1832, à Leipzig, en 1873, à Bayreuth et en 1877 à Berlin.

— De Varsovie, première dépêche : « Enthousiasme Lakmé, Regin a Pacini, protagoniste admirable. A du bisser deux morceaux entre ovations et fleurs. » Deuxième dépêche : «  Grand succès Mignon. Protagoniste Monti-Baldini. Plusieurs bis, ovations infinies. »

— Un opéra nouveau intitulé Parmi les Cosaques, musique de M. Elling, vient d’être joué avec beaucoup de succès au théâtre de Christiania.

PARIS ET DÉPARTEMENTS

Le ministre de l’instruction publique et des beaux-arts a réuni, lundi dernier, pour la première fois, le conseil supérieur d’enseignement du Conservatoire, récemment institué. Il a rappelé le but de cette organisation nouvelle, comparant le conseil nouveau — toutes proportions gardées — au conseil supérieur de l’instruction publique. M. Henry Roujon, directeur des beaux-arts, a ajouté quelques mots pour exposer le but de la première réunion. Le conseil supérieur a alors procédé à une élection pour désigner à l’agrément du ministre un professeur de déclamation en remplacement de M. Delaunay, qui a pris sa retraite. Sur 12 membres qui composent le conseil, 11 ont pris part au vote (M. Jules Lemaître était absent). M. Le Bargy, au premier tour, a réuni 10 voix et M. Purd’hon 1. Ce dernier avait d’ailleurs retiré depuis quelques jours sa candidature. Comme, aux termes du décret ministériel, le conseil doit désigner au choix du ministre deux candidats au moins, trois au plus, on a procédé à deux autres scrutins. Au deuxième scrutin — pour le second rang — M. Baillet a eu 7 voix, M. Saint-Germain, 3 voix, M. Prud’hon 1 voix. Puis, par six voix sur onze, le conseil a décidé qu’il n’y avait pas lieu de désigner un troisième candidat. Quatre voix sont allées à M. Prud’hon et une à Mme Favart.

Deux jours après, mercredi, avait lieu une nouvelle réunion du conseil, présidée cette fois par M. Roujon, directeur des beaux-arts, pour procéder aux choix des candidats à proposer aux ministre en vue des vacances qui se sont produites dans diverses classes musicales du Conservatoire. Par suite d’erreur dans les convocations, plusieurs membres de ce conseil, M. Camille Saint-Saëns, entre autres, se sont rendus directement au Conservatoire, rue du Faubourg-Poissonnière, alors que le lieu de réunion était rue de Valois, qu’ils ont dû gagner fort désappointés. La séance s’est donc trouvée retardée de quelques minutes, par suite de l’absence des retardataires. Étaient présents : MM. Roujon, président, Des Chapelles, Ernest Reyer, Massenet, Camille Saint-Saëns, Théodore Dubois, Paladilhe, Lenepveu, Ch.-M. Widor, Victorin Joncières, Jules Delsart, Taffanel, Alphonse Duvernoy, Émile Réty et Saint-Yves-Bax. La séance s’est prolongée jusqu’à près de quatre heures et demie et n’a pas laissé que d’être laborieuse. Ont été proposés au choix du ministre :

Classe de composition. — Chaire vacante par suite de la démission de M. Théodore Dubois, nommé directeur du Conservatoire :

En première ligne, M. Ch.-M. Widor.

En seconde ligne, ex aequo, et par ordre alphabétique, MM. Henri Maréchal et Samuel Rousseau.

Classe de composition. — Chaire vacante par suite de la démission de M. Massenet :

En première ligne, ex aequo et par ordre alphabétique, MM. Gabriel Fauré et Charles Lefebvre.

En seconde ligne, M. Paul Vidal.

Classe d’accompagnement. — Chaire vacante par suite du décès de M. Delahaye :

En première ligne, M. Paul Vidal.

En seconde ligne, ex aequo et par ordre alphabétique, MM. Gabriel Pierné et Piffaretti.

Classe de violon. — Chaire vacante par suite du décès de M. Garcin :

En première ligne, M. Rémy.

En seconde ligne, M. Desjardins.

En troisième ligne, M. Hayot.

Classe de solfège pour les chanteurs. — En première ligne, M. de Martini.

En seconde ligne, ex aequo, MM. Auzende et Cuinache.

On sait que pour la nomination des professeurs aux chaires vacantes, le ministre n’est nullement tenu de nommer le premier des candidats présentés. Il peut indistinctement choisir dans la liste qui lui est offerte, sans s’en référer à l’ordre hiérarchique créé par les élections.

— L’Académie des beaux-arts, dans sa dernière séance, a décidé que le prix Estrade-Delcros, de la valeur de 8.000 francs, qui ne devra, en aucun cas, être partagé, aura pour objet de récompenser une œuvre appartenant soit aux arts du dessin (peinture, sculpture, architecture, gravure en taille-douce, gravure en médailles), soit à l’art de la composition musicale. Cette œuvre devra avoir été produite dans les cinq dernières années et jugée par l’Académie particulièrement digne d’être signalée au public. Le prix Estrade-Delcros sera décerné pour la première fois en 1899 et ne pourra être attribué qu’à un artiste « français » et n’appartenant pas à l’Académie des beaux-arts. Le comte Henri Delaborde, secrétaire perpétuel, a ensuite donné communication à ses confrères de la très intéressante notice sur la vie et les œuvres d’Ambroise Thomas qu’il se propose de lire à la séance publique annuelle de l’Académie des beaux-arts. Cette séance aura lieu, comme nous l’avons déjà annoncé, le samedi 31 octobre prochain.

— Un décret autorise l’Association des artistes dramatiques à accepter le legs universel qui lui a été fait par Mlle Pilloy dite Alice Ozi, ancienne artiste des Variétés, réserve faite des legs particuliers énumérés ci-dessous. Les arrérages seront exclusivement employés, suivant un règlement spécial qui sera ultérieurement arrêté et au nom de Mlle Alice Ozi, à donner aux fils orphelins des artistes dramatiques et musiciens faisant partie de l’Association, et principalement aux orphelins nés dans les départements de la Seine et de Seine-et-Oise, état, éducation, secours, jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de se suffire. En outre, sont approuvés plusieurs legs faits par Mlle Alice Ozi, entre autres 50.000 francs à l’Association des Artistes musiciens et 10.000 francs à l’Orphelinat des arts.

— Pour l’inauguration du monument au grand peintre Antoine Watteau, qui va avoir lieu dans le jardin du Luxembourg, M. Gustave Charpentier vient d’écrire une cantate qui sera exécutée en même temps que sera dit un poème de M. Émile Blémont en l’honneur du maître à qui l’on doit tant d’œuvres exquises.

— Le monument élevé à la mémoire de Gustave Nadaud a été inauguré dimanche dernier à Roubaix. Ce monument se trouve à l’entrée du jardin Barbieux. Il se compose d’une stèle ou pyramide quadrangulaire tronquée, qui est surmontée du buste de Nadaud en marbre blanc. En avant, deux pilastres supportant des figures allégoriques sont reliés au pylône par une sorte de balustrade pleine en hémicycle. Dans cette balustrade, comme dans le socle, sont incrustés des bas-reliefs en bronze. Enfin, sur la face interne de la stèle, une Renommée, également en bronze, les ailes éployées, prend son essor pour offrir au chansonnier sa fleur préférée, la rose. C’est la rose d’ailleurs qui domine dans l’ornementation du monument, du style Louis xvi. C’est M. Cordonnier, sculpteur lillois, qui a modelé le buste de Nadaud, ainsi que les bas-reliefs et les motifs principaux. Les détails de l’ornementation ont été exécutés sous la direction de M. Poulain. Le chapiteau du pylône est formé par des attributs de la musique. À la base de la pyramide, l’inscription « À Nadaud » est gravée en lettres d’or au-dessous d’une lyre qui sert de point d’appui à la Renommée. Sur la face extérieure, un charmant motif, le Nid abandonné, surmonté d’une partition de musique, a été sculpté dans la pierre. L’architecte de ce monument est un Roubaisien, M. Lefebvre.

— Jeudi dernier, à l’Opéra, on a répété pour la première fois, à l’orchestre le Don Juan, de Mozart, dont la reprise est officiellement fixée au lundi 20 octobre. Tous les artistes étaient présents, même les artistes à qui les rôles ont été distribués en double. Cette première répétition, avec tous les chœurs et la danse, a très bien marché.

— À l’Opéra-Comique, pour le même Don Juan, on ne travaille pas moins chaleureusement, bien qu’on ne soit pas encore fixé exactement sur la distribution même de l’ouvrage. C’est ainsi qu’il est très sérieusement question de donner le rôle de Zerline… à Mlle Delna. Il ne faut pas oublier que la grande Alboni a interprété, elle aussi, ce gracieux personnage, et que c’est un précédent glorieux qui peut être suffisant pour justifier la distribution du rôle à la jeune pensionnaire de M. Carvalho, encore que les oreilles françaises ne soient habituées à y percevoir que des sons menus et les yeux à y contempler que des grâces mignonnes.

— Aujourd’hui dimanche, au cirque des Champs-Élysées, concert Lamoureux, dont voici le programme :

Symphonie pastorale (Beethoven) ; Rédemption, symphonie, introduction de la deuxième partie (César Franck) ; Chansons de Miarka, poèmes de Jean Richepin, musique d’Alexandre George, chantées par Mlle Jenny Passama ; Capriccio espagnol (Rimsky-Korsakow) ; Pur dicesti, ariette composée vers 1700 (A. Lotti), chantée par Mlle Jenny Passama ; la Jeunesse d’Hercule (Saint-Saëns) ; Ouverture des Maîtres Chanteurs (Wagner).

— C’est dimanche prochain, 25 octobre, que les concerts du Châtelet feront leur réouverture sous la direction de M. Colonne. Ce premier concert sera un festival de musique française, dont voici le programme :

Georges Bizet (1838-1875), ouverture de Patrie. — Hector Berlioz (1803-1869), symphonie fantastique. César Franck (1822-1890), Psyché, poème symphonique pour orchestre et chœurs. — Édouard Lalo (vers 1830-1892), Divertissement. — Benjamin Godard (1849-1895), berceuse de Jocelyn ; violoncelle : M. Baretti. — Léo Delibes (1836-1891), le Roi s’amuse (airs de danse dans le style ancien). — Charles Gounod (1818-1893), Hymne à sainte Cécile (par tous les instruments à cordes). — Ernest Guiraud (1837-1892), Carnaval (finale de la première suite d’orchestre).

— Voici comment l’excellent critique musical de la Gironde, M. Paul Lavigne, s’exprime au sujet de la belle reprise de la Navarraise, qu’on vient de jouer au grand théâtre de Bordeaux : « On a repris hier soir, au Grand-Théâtre, l’ « épisode lyrique » émouvant, en deux actes, de MM. J. Claretie et H. Cain, si remarquablement mis en musique par M. Massenet. Selon notre habitude, que nous croyons bonne, nous n’établirons aucune espèce de comparaison entre Mme de Nuovina, l’Anita d’antan au Grand-Théâtre, et Mme Georgette Leblanc, la créatrice du rôle au Théâtre-Royal de la Monnaie de Bruxelles. Toutes les deux sont très remarquables dans ds genres différents. Mais, à coup sûr, on ne peut pas être meilleure que Mme Georgette Leblanc dans le rôle de la Navarraise, qu’elle chante et joue en artiste incomparable ; ce qu’elle y dépense de naturel, de spontanéité, d’énergie et de nerfs est incroyable. Ici, je renonce à analyser un talent si remarquable, si exceptionnel, et surtout si personnel. Ne regardant pas à déployer tous ses efforts, toute son impétuosité et toutes ses forces, Mme Leblanc atteint les effets les plus pathétique. Le spectateur est haletant devant un pareil tempérament de grande artiste. Nous n’entrons pas dans les détails, nous en aurions pour deux colonnes. Nous ne donnons que l’impression générale, très résumée mais très fidèle. Tout Bordeaux voudra voir et applaudir Mme Georgette Leblanc dans cet ouvrage, d’autant que les autres interprètes, électrisés par elle, sont tous plus que très satisfaisants. M. Sentein brûle les planches. On ne reconnaîtrait guère, dans Araquil, l’Arnold de l’autre jour ; M. Ansaldi, avec sa belle voix, joue, s’anime, court, vole ; il est transfiguré. M. Cazeneuve, M. Bédué, sans oublier M. Dekeghel, artiste dans l’âme, doivent être cités avec éloges. M. Haring conduit cette musique endiablée en chef d’orchestre rompu à toutes les innovations musicales de notre admirable Massenet. La symphonie entre les deux tableaux a été extrêmement goûtée et non moins applaudie. En somme, succès éclatant, dont le principal honneur revient à Mme Georgette Leblanc. En résumé, nous avons eu hier soir une représentation tout exceptionnelle, et qui aura, j’en suis persuadé, les plus heureuses conséquences sur l’état actuel de notre Grand-Théâtre. Mme Leblanc et M. Rieux sont deux sujets qui, à des points de vue totalement différents, vont attirer la foule ! Mireille et la Navarraise vont faire salle comble, et combien de fois ?… Pendant que, comme lendemains, on aura les représentations des autres ténors, sans se montrer le moins du monde flatteurs de l’administration, les amateurs peuvent dire que voilà, décidément, un bon et beau commencement d’année théâtrale. ».

— Avis aux compositeurs en quête d’un bon livret. MM. Jules Barbier et Paul de Choudens viennent de publier, à la librairie Calmann-Lévy, une Clarisse Harlowe qu’ils ont parachevée depuis quelques temps, et qui contient tous les éléments de pathétique, de couleur et de pittoresque que peut désirer un musicien moderne.

Mme Yveling RamBaud a repris chez elle, 10, place Bréda, ses cours et ses leçons de chant, de diction et de déclamation dramatique.

NÉCROLOGIE

J. GARCIN

C’est avec un sentiment de chagrin véritable que j’enregistre ici la mort de mon vieil ami Jules Garcin, que nous avons conduit mardi dernier à sa dernière demeure. Ce dénouement d’une longue et douloureuse maladie était depuis trop longtemps prévu pour qu’il pût étonner beaucoup, mais il n’en laissera pas moins de bien sincères regrets à tous ceux qui ont connu ce galant homme, cet excellent artiste que, chose rare, son talent et sa modestie n’avaient pas empêché d’atteindre une situation brillante. Artiste de cœur et fort instruit, esprit élevé et distingué, Garcin valait mieux encore que cette situation, qui pour lui s’était fait attendre quelque peu. Professeur au Conservatoire, chef d’orchestre de la Société des concerts, il était, avec son abord que la timidité rendait d’apparence un peu froide, plein de chaleur de cœur et accessible à tous les enthousiasmes, et je me rappelle l’appui très efficace et plein de désintéressement qu’il me donna, à moi qui jadis avait été un peu son élève, lorsque je m’occupai, pendant près de dix ans, de l’érection à Givet de la statue de Méhul, que nous avons pu enfin inaugurer en 1892.

Garcin, qui appartenait à une famille de comédiens de province, la famille des Garcin et des Chéri (il était le cousin de Rose Chéri, morte si jeune, de Victor Chéri, qui s’est pendu il y a quelques années, et de la pauvre Anna Chéri, Mme Lesueur, qui est folle depuis quinze ans), était né à Bourges le 11 juillet 1830. Après avoir obtenu au Conservatoire un second et un premier prix de solfège, il devint un des plus brillants élèves d’Alard et se vit décerner un accessit de violon en 1848, le second prix en 1851 et le premier prix en 1853. Il fut aussi élève de Bazin pour l’harmonie et d’Adolphe Adam pour la composition. Violoniste fort distingué, il entra par concours à l’orchestre de l’Opéra, où il devint plus tard violon-solo et troisième chef, et il fit entendre, dans une séance de la Société des concerts, un concerto de sa composition, qui était une œuvre vraiment remarquable. Il dut cependant renoncer d’assez bonne heure à se produire en public, parce qu’il était atteint de cette petite infirmité qu’on appelle la crampe des violonistes. Cela, toutefois, ne pouvait l’empêcher de faire de bons élèves, et il l’a prouvé dans la classe dont il avait été nommé titulaire en 1875. Lors de la retraite de M. Deldevez, il prit sa succession comme premier chef d’orchestre de la Société des concerts, dont il sut maintenir fidèlement les brillantes traditions. Il dut se retirer lui-même il y a deux ans, atteint déjà de la maladie qui lui causait une sorte de tremblement convulsif et qui lui enlevait toute confiance en lui-même. Il est mort le 10 de ce mois, en pleine connaissance de lui-même, en quelque sorte épuisé par un mal implacable. Huit jours auparavant, il écrivait les dédicaces de quatre morceaux qu’il venait de publier. L’assistance nombreuse et recueillie qui s’est rendue à ses funérailles a donné la mesure des regrets que l’excellent Garcin a laissé derrière lui.

Au cimetière, M. Théodore Dubois, directeur du Conservatoire, a prononcé une allocution touchante, et a rappelé en termes émus les services que Garcin avait rendus, comme professeur, à l’école dont il avait été l’un des plus brillants élèves. « Si je parle, a dit M. Dubois, de celui que nous pleurons comme professeur, il me suffira de rappeler les succès que ses élèves ont constamment obtenus aux concours, et l’amour qu’ils avaient pour leur maître. Il était bon, dévoué et passionné pour sa classe. Pendant plus de vingt ans, il a donné à son enseignement du Conservatoire le meilleur de sa vie, de son activité, de son intelligence, malgré les cruelles souffrances qu’il ressentait depuis plusieurs années déjà et qu’il supportait avec une résignation touchante ». L’hommage était légitime, et il n’aurait pu être rendu mieux et avec plus d’autorité que ne l’a fait M. Théodore Dubois.

A. P.

— Nous avons le regret d’annoncer aussi la mort d’une femme charmante, qui jouit pendant vingt ans de toute la sympathie du public parisien, Mme Gaveaux-Sabatier, bien connue naguère, à l’époque de la grande vogue de la romance, comme interprète aimable et élégante des chants gracieux de Masini, de Paul Henrion, d’Étienne Arnaud, de Mme Loïsa Puget, de Mme Victoria Arago. Mme Gaveaux-Sabatier, la grâce en personne, donnait, par son exécution intelligente et fine, à ces petits poèmes une saveur particulière, et contribuait très efficacement aux succès qu’ils obtenaient dans le monde et dans les concerts. Depuis longtemps cette femme aimable avait fait ses adieux au public et s’était consacrée à l’enseignement d’un art qu’elle connaissait bien pour l’avoir bien pratiqué. Elle est morte âgée de 76 ans.

— On annonce la mort de Johan G. Conradi, musicien norwégien qui s’est éteint à Christiania à l’âge de 76 ans. Il a composé plusieurs mélodies, de la musique de scène pour plusieurs drames, et a aussi publié une notice historique sur la musique et les musiciens de la Norwège.


Henri Heugel, directeur-gérant.