Nouvelles lettres intimes (Renan)/71

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MONSIEUR ERNEST RENAN
par M. Daremberg, rue d’Enfer, 53.


Varsovie, 15 avril 1850.

Mieux, mieux, mon Ernest !… Je ne sais comment te le dire assez vite pour calmer les inquiétudes cruelles que mes dernières lettres ont dû t’inspirer. Le temps s’est mis au beau, le soleil brille, les boursouflements de ma gorge ont beaucoup diminué, tout enfin me permet de croire que je suis en voie de guérison, que je serai pour cette fois rétablie lorsque ces lignes passeront sous tes regards. Oh ! que je me reproche maintenant de t’avoir adressé mes lettres précédentes, de t’avoir tourmenté de mes souffrances ! mais il y a eu deux semaines [où] ce mal prenait un caractère si alarmant que je ne pouvais plus, ce me semble, t’en faire un mystère. Mon Ernest bien-aimé, tranquillise-toi, je t’en conjure ; n’interromps point tes affaires, achève ta mission, retourne à Paris, nous nous entendrons ensuite sur ce qui me concerne  ; du moment que je suis mieux, je puis rester jusqu’au mois d’août sans le moindre danger. Pour cette fois, le mal est vaincu  ; je ne saurais trop le redire, cher et bon ami. Le larynx se dégage, je respire librement, et quoiqu’il me reste encore quelque peine à parler, ce qui me reste n’est rien comparativement a ce que j’ai souffert. O mon bon frère, cesse de t’alarmer, je t’en supplie ! Si tu pouvais comprendre combien m’est pénible l’idée de te savoir par moi et pour moi dans la peine  ! — Reprends ton repos d’esprit : je crois me sentir sauvée, et le médecin partage la même conviction. Il m’a permis aujourd’hui d’ouvrir ma fenêtre pour respirer l’air extérieur, et je t’assure que c’est immense d’après l’état où j’étais il y a dix jours seulement. — Encore une fois, sois tranquille, mon frère chéri, termine en paix ta mission, et après ton retour à Paris, nous parlerons du mien. — A toi, mon bien-aimé, à toi de toutes les forces de mon âme,

H. R.