Nouvelles poésies (Van Hasselt)/Préface

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Nouvelles PoésiesBruylant et Cie (p. i-iv).



PRÉFACE.





En tête d’un recueil que l’auteur publiait il y a cinq ans, il disait ceci :

« — À quoi, demandera-t-on, rime ce volume de poésies, surtout dans les temps où nous vivons, et dans le pays où nous sommes ? »

Un peu plus loin il ajoutait :

« Pourquoi ne pas l’avouer ? L’auteur a pris un certain plaisir à jeter ce livre dans la poussière du champ clos où se démène notre chamaillis soi-disant politique. Il s’est souvenu qu’étant enfant il s’amusait parfois à faire rouler des cailloux dans les eaux de la Meuse. Ses cailloux que sont-ils devenus ? Que deviendra son livre ? Deux questions qui n’en font qu’une et auxquelles il répondra par ce seul mot :

— Qu’importe ? »

Il pourrait des mêmes paroles faire la préface du nouveau volume qu’il abandonne aujourd’hui aux hasards de la publicité. Et peut-être serait-il en droit d’appliquer quelques tons plus noirs au tableau qu’il traçait alors des conditions déplorables qui sont faites à toute œuvre conçue en dehors des passions courantes et des divisions intestines auxquelles nous sommes si fatalement livrés. Peut-être aussi pourrait-il y ajouter quelques mots concernant l’influence délétère qu’exercent sur l’art d’écrire les jurys auxquels sont périodiquement confiés les intérêts de notre littérature, et qui doivent nécessairement, en plus d’une circonstance, faire fléchir ces intérêts sous des intérêts de personne ou de parti, outre que, par la majorité des membres dont ils se composent, ils sont radicalement incapables de juger une question d’art ou de forme littéraire. Mais à quoi bon ?

D’ailleurs, quand le trouble est dans les cœurs et dans les esprits ; quand la foule est en proie à des agitations de toute nature ; quand, pour deux hommes qui songent à se faire du lendemain une éponge pour laver les fautes de la veille, il en est quatre qui ne pensent qu’à s’en faire un balai pour pousser dans la rue les bonnes actions dont leur passé pourrait se faire honneur ; quand le sens moral diminue à mesure que les mauvais instincts se développent ; quand chacun dévore, comme un prodigue, l’austère capital de vertu que les ancêtres ont formé ; en un mot, quand la voix de la raison elle-même ne trouve plus à se faire entendre au milieu du tumulte des partis, — que voulez-vous que le poëte aille chercher dans cette cohue fiévreuse et désordonnée, en supposant que l’auteur de ce livre ait le moindre titre à la qualification suprême de poëte ?

Est-ce à dire cependant qu’il n’ait qu’à se croiser les bras et à regarder faire ?

Non. Il ne lui appartient pas plus de rester impassible au milieu de la lutte, que de se confiner obstinément dans sa retraite et d’adorer l’écho, selon la poétique expression de Pythagore. Il faut que par moments il revienne à la solitude et qu’il interroge, au profit de tous, cette pieuse et sainte conseillère. Il faut aussi que par moments il reparaisse au bord de l’arène où le combat est engagé et qu’il y laisse tomber quelque parole de paix et de charité.

Si l’auteur ne craignait de paraître attacher trop d’importance à ce qu’il écrit, il dirait qu’une partie des morceaux qui composent son volume sont, dans sa pensée, des paroles de cette nature. Puisse çà et là un cœur droit et ami de son pays les accepter comme telles !

Une autre partie de ses compositions lyriques sont de simples traductions d’impressions personnelles et de souvenirs, qui n’ont de valeur que pour l’auteur lui-même et pour quelques amis dont l’affection lui est chère.

À la suite de ces petits poëmes, il produit deux fragments inédits, — l’un, d’une épopée dans laquelle il s’est proposé d’exposer le développement graduel de la doctrine du Christ et la manifestation de l’esprit du Sauveur dans les grands événements de l’histoire, à travers lesquels le monde actuel s’est formé pour préparer le monde à venir ; — l’autre, d’un poëme dramatique où il a essayé de caractériser la civilisation mi-partie de christianisme et de paganisme scandinave, qui se maintint jusque vers le milieu du XVIe siècle dans les régions les plus reculées du nord de l’Écosse.

Enfin, une série d’études rhythmiques, qu’il ne présente que comme de simples essais, terminent son volume. Elles sont spécialement appliquées à de petits sujets lyriques, chansons populaires et autres, recueillies à droite et à gauche. Peut-être l’auteur aurait-il dû joindre aux morceaux qui composent cette catégorie particulière une théorie des diverses coupes de vers et de l’accentuation telles qu’il les comprend dans la poésie lyrique proprement dite. Mais il confesse sincèrement que le loisir nécessaire pour l’élaboration d’une théorie semblable lui a manqué jusqu’à présent. Aussi bien elle est déjà établie en partie par M. Henri Boscaven dans son Manuel de versification, livre qui abonde en aperçus aussi justes qu’ingénieux. D’ailleurs, nous pouvons espérer qu’elle occupera quelque jour le savant directeur du Conservatoire royal de Bruxelles, lui que ses études spéciales ont rendu maître de cette partie de l’art, encore si peu explorée, comme il l’est de l’art musical tout entier.

Et maintenant que ce livre aille, s’il se peut, à son adresse, c’est-à-dire à ceux qui croient, à ceux qui espèrent, et surtout à ceux qui aiment ; car la charité contient tout.

A. V. H.

Bruxelles, 14 décembre 1857.