Où est-il ?

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OÙ EST-IL ?




I

Les pelouses des cieux où chantent les étoiles,
Paisibles, s’endormaient aux genoux de la nuit,
Le crépuscule humide épandait ses longs voiles
Sur le front des forêts qui pleuraient leur ennui :
J’étais au pied d’un mont et les rumeurs des villes
M’apportaient les sanglots des discordes civiles ;
Alors il s’éleva
Au fond de ma poitrine un dégoût invincible,

Et je criai deux fois vers le ciel impassible :
Jéhovah ! Jéhovah !

Mais rien ne répondit à ma voix déchirante
Que le vent qui passait dans la nuée errante.
II
Je me mis à gravir les flancs de la montagne
Pour le chercher plus haut que notre sol amer.
Les deux mains sur son front que le désespoir gagne,
Au loin l’humanité pleurait comme la mer.
Les sapins dont l’orage échevèle les cimes
S’agitaient sourdement au-dessus des abîmes,
Et ma voix s’éleva
Au milieu des torrents qui creusaient les ravines,
Et je criai deux fois plus haut que les lavines :
Jéhovah ! Jéhovah !

Mais rien ne répondit à ma voix déchirante
Que le vent qui passait dans la nuée errante.

III
Je montai plus encor jusqu’aux déserts arides
Où l’air devient si froid qu’il étouffe la fleur,
Où le front blanc du mont ouvre ses larges rides,
De l’âge du vieux monde antique receleur ;
Tout nageait à mes pieds dans des vapeurs diffuses,
Les formes au-dessus devenaient moins confuses,
Et ma voix s’éleva
Au milieu des rochers mornes et solitaires,
Je criai de nouveau de toutes mes artères :
Jéhovah ! Jéhovah !

Mais rien ne répondit à ma voix déchirante
Que le vent qui passait dans la nuée errante.
IV
Et je montais toujours. Des souffrances humaines
À peine les sanglots atteignaient-ils à moi,

Des derniers glaciers je foulais le domaine,
Je me sentais pâlir sous un étrange émoi.
J’entendais par moments, dans l’éloignement vague,
De la mer sociale encor houler la vague,
Et ma voix s’éleva
Sur ces pics inconnus que n’atteint pas l’orage ;
Je criai de nouveau dans un spasme de rage :
Jéhovah ! Jéhovah !

Mais rien ne répondit à ma voix déchirante
Que le vent qui passait dans la nuée errante.
V
L’infini, l’infini, calme, incommensurable !
Les cieux se déroulant sans bornes ni milieu !
Le monde sous mes pieds est comme un grain de sable !
Mon gosier desséché semble aspirer du feu ;
Tout dort autour de moi sur le lit du silence ;
La lampe d’or des nuits dans l’éther se balance. —
Et ma voix s’éleva

Sur ce sol vierge encor de l’humain anathème,
J’essayai de crier dans un effort suprême :
Jéhovah ! Jéhovah !

Mais rien ne répondit à ma voix déchirante
Que le vent qui passait dans la nuée errante.
VI
Épuisé, je tombai sur la neige muette,
Je sentais dans mon cœur se figer tout mon sang ;
Un poids vague et pesant s’affaissait sur ma tête ;
Mes lèvres haletaient sous mon souffle impuissant ;
Mais recueillant en moi ma croyance stoïque,
Je fis pour me lever un effort héroïque,
Et ma voix acheva
Dans un râle fébrile un dernier cri d’angoisse,
Et je murmurai comme un mourant que l’on froisse :
Jéhovah ! Jéhovah !

Un long éclat de rire en la nuée errante
Seul répondit alors à ma voix déchirante.