Obermann/XXXIX

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Obermann (1804 - 2e éd, 1833)
Charpentier (p. 148).

LETTRE XXXIX.

Lyon, 11 mai, VI.

Ce que peut avoir de séduisant la multitude de rapports qui lient chaque individu à son espèce et à l’univers, cette attente expansive que donne à un cœur jeune tout un monde à expérimenter, ce dehors inconnu et fantastique, ce prestige est décoloré, fugitif, évanoui. Ce monde terrestre offert à l’action de mon être est devenu aride et nu : j’y cherchais la vie de l’âme, il ne la contient pas.

J’ai vu la vallée doucement éclairée dans l’ombre, sous le voile humide, charme vaporeux du matin ; elle était belle. Je l’ai vue changer et se flétrir : l’astre qui consume a passé sur elle ; il l’a embrasée, il l’a fatiguée de lumière ; il l’a laissée sèche, vieillie et d’une stérilité pénible à voir. Ainsi s’est levé lentement, ainsi s’est dissipé le voile heureux de nos jours. Il n’y a plus de ces demi-ténèbres, de ces espaces cachés qui plaisent tant à pénétrer. Il n’y a plus de clartés douteuses où se puissent reposer mes yeux. Tout est aride et fatigant, comme le sable qui brûle sous le ciel de Sahara ; toutes les choses de la vie, dépouillées de ce revêtement, présentent, dans une vérité rebutante, le savant et triste mécanisme de leur squelette découvert. Leurs mouvements continus, nécessaires, irrésistibles, m’entraînent sans m’intéresser, et m’agitent sans me faire vivre.

Voilà plusieurs années que le mal menace, se prépare, se décide, se fixe. Si le malheur, du moins, ne vient pas rompre cet uniforme ennui, il faudra que tout cela finisse.