Observations sur la division des Sciences du chancelier Bacon

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Observations sur la division des Sciences du chancelier Bacon
Œuvres complètes de D’AlembertBelinI (p. 110-np).

OBSERVATIONS

SUR LA DIVISION DES SCIENCES

DU CHANCELIER BACON.

I. Nous avons avoué en plusieurs endroits du Prospectus, que nous avions l’obligation principale de notre arbre encyclopédique au chancelier Bacon. L’éloge qu’on a lu de ce grand homme dans le prospectus, paraît même avoir contribué à faire connaître à plusieurs personnes les ouvrages du philosophe anglais. Ainsi, après un aveu aussi formel, il ne doit être permis ni de nous accuser de plagiat, ni de chercher à nous en faire soupçonner.

II. Cet aveu n’empêche pas néanmoins qu’il n’y ait un très-grand nombre de choses, surtout dans la branche philosophique, que nous ne devons nullement à Bacon : il est facile au lecteur d’en juger. Mais pour apercevoir le rapport et la différence des deux arbres, il ne faut pas seulement examiner si on y a parlé des mêmes choses, il faut voir si la disposition est la même. Tous les arbres encyclopédiques se ressemblent nécessairement par la matière ; l’ordre seul et l’arrangement des branches peuvent les distinguer. On trouve à peu près les mêmes noms des sciences dans l’arbre de Chambers et dans le nôtre. Rien n’est cependant plus différent.

III. Il ne s’agit point ici des raisons que nous avons eues de suivre un autre ordre que Bacon. Nous en avons exposé quelques unes ; il serait trop long de détailler les autres, surtout dans une matière d’où l’arbitraire ne saurait être tout-à-fait exclu. Quoi qu’il en soit, c’est aux philosophes, c’est-à-dire, à un très-petit nombre de gens, à nous juger sur ce point.

IV. Quelques divisions, comme celles des mathématiques en pures et en mixtes, qui nous sont communes avec Bacon, se trouvent partout, et sont par conséquent à tout le monde. Notre division de la médecine est de Boerhaave ; on en a averti dans le prospectus.

V. Enfin, comme nous avons fait quelques changemens à l’arbre du prospectus, ceux qui voudront comparer cet arbre du prospectus avec celui de Bacon, doivent avoir égard à ces changemens.

VI. Voilà les principes d’où il faut partir pour faire le parallèle des deux arbres avec un peu d’équité et de philosophie.

SYSTÈME GÉNÉRAL

De la connaissance humaine, suivant le chancelier Bacon.

Division générale de la science humaine, en histoire, poésie et philosophie, selon les trois facultés de l’entendement, mémoire, imagination, raison.

Bacon observe que cette division peut aussi s’appliquer à la théologie. On avait suivi dans un endroit du prospectus cette dernière idée : mais on l’a abandonnée depuis, parce qu’elle a paru plus ingénieuse que solide.

I. Division de l’histoire en naturelle et civile.

L’histoire naturelle se divise en histoire des productions de la nature, histoire des écarts de la nature, histoire des emplois de la nature ou des arts.

Seconde division de l’histoire naturelle tirée de sa fin et de son usage, en histoire proprement dite et histoire raisonnée.

Division des productions de la nature, en histoire des choses célestes, des météores, de l’air, de la terre et de la mer, des élémens, des espèces particulières d’individus.

Division de l’histoire civile, en ecclésiastique, en littéraire et en civile proprement dite.

Première division de l’histoire civile proprement dite, en mémoires, antiquités et histoire complète.

Division de l’histoire complète, en chroniques, vies et relations.

Division de l’histoire des temps, en générale et en particulière.

Autre division de l’histoire des temps, en annales et journaux.

Seconde division de l’histoire civile, en pure et en mixte.

Division de l’histoire ecclésiastique, en histoire ecclésiastique particulière, histoire des prophéties, qui contient la prophétie et l’accomplissement, et histoire de ce que Bacon appelle Nemesis, ou la Providence, c’est-à-dire, de l’accord qui se remarque quelquefois entre la volonté révélée de Dieu et sa volonté secrète.

Division de la partie de l’histoire qui roule sur les dits notables des hommes, en lettres et apophthegmes.

II. Division de la poésie, en narrative, dramatique et parabolique.

III. Division générale de la science, en théologie sacrée et philosophie.

Division de la philosophie, en science de Dieu, science de la nature, science de l’homme.

Philosophie première ou science des axiomes, qui s’étend à toutes les branches de la philosophie. Autre branche de cette philosophie première, qui traite des qualités transcendantes des êtres, peu, beaucoup ; semblable, différent ; être, non être, etc.

Science des anges et des esprits, suite de la science de Dieu, ou théologie naturelle.

Division de la science de la nature ou philosophie naturelle, en spéculative et pratique.

Division de la science spéculative de la nature en physique particulière et métaphysique ; la première ayant pour objet la cause efficiente et la manière ; et la métaphysique, la cause finale et la forme.

Division de la physique, en science des principes des choses, science de la formation des choses, ou du monde, et science de la variété des choses.

Division de la science de la variété des choses, en science des concerts, et science des abstraits.

Division de la science des concerts dans la même branche que l’histoire naturelle.

Division de la science des abstraits, en science des propriétés particulières des différens corps, comme densité, légèreté, pesanteur, élasticité, mollesse, etc., et science des mouvemens dont le chancelier Bacon fait une énumération assez longue conformément aux idées des scholastiques.

Branches de la philosophie spéculative, qui consistent dans les problèmes naturels, et les sentimens des anciens philosophes.

Division de la métaphysique en science des formes, et science des causes finales.

Division de la science pratique de la nature, en mécanique et magie naturelle.

Branches de la science pratique de la nature, qui consistent dans le dénombrement des richesses humaines, naturelles on artificielles dont les hommes jouissent et dont ils ont joui, et le catalogue des polycrestes.

Branche considérable de la philosophie naturelle, tant spéculative que pratique, appelée mathématiques. Division des mathématiques en pures et en mixtes. Division des mathématiques pures, en géométrie et arithmétique. Division des mathématiques mixtes, en perspective, musique, astronomie, cosmographie, architecture, science des machines, et quelques autres.

Division de la science de l’homme, en science de l’homme proprement dite, et science civile.

Division de la science de l’homme en science du corps humain, et science de l’âme humaine.

Division de la science du corps humain en médecine, cosmétique, athlétique, et science des plaisirs des sens.

Division de la médecine en trois parties : art de conserver la santé, art de guérir les maladies, art de prolonger la vie, peinture, musique, etc. Branche de la science des plaisirs.

Division de la science de l’âme en science du souffle divin, d’où est sortie l’âme raisonnable, et science de l’âme irrationnelle, qui nous est commune avec les brutes, et qui est produite du limon de la terre.

Autre division de la science de l’âme en science de la substance de l’âme, science de ses facultés, et science de l’usage et de l’objet de ses facultés : de cette dernière résultent la divination naturelle et artificielle, etc.

Division des facultés de l’âme sensible, en mouvement et sentiment.

Division de la science de l’usage et de l’objet des facultés de l’âme, en logique et morale.

Division de la logique en art d’inventer, de juger, de retenir et de communiquer.

Division de l’art d’inventer, en invention des sciences ou des arts, et invention des argumens.

Division de l’art de juger, en jugement par induction, et jugement par syllogisme.

Division de l’art du syllogisme, en analyse et principes pour démêler facilement le vrai du faux.

Science de l’analogie, branche de l’art de juger.

Division de l’art de retenir, en science de ce qui peut aider la mémoire, et science de la mémoire même.

Division de la science de la mémoire, en prénotion et emblème.

Division de la science de communiquer, en science de l’instrument du discours, science de la méthode du discours, et science des ornemens du discours, ou rhétorique.

Division de la science de l’instrument du discours, en science générale des signes et en grammaire, qui se divise en science du langage et science de l’écriture.

Division de la science des signes, en hiéroglyphes et gestes, et en caractères réels.

Seconde division de la grammaire, en littéraire et philosophique.

Art de la versification et prosodie, branches de la science du langage.

Art de déchiffrer, branche de l’art d’écrire.

Critique et Pédagogie, branches de l’art de communiquer.

Division de la morale, en science de l’objet que l’âme doit se proposer, c’est-à-dire du bien moral, et science de la culture de l’âme. L’auteur fait à ce sujet beaucoup de divisions qu’il est inutile de rapporter.

Division de la science civile, en science de la conversation, science des affaires, et science de l’état. Nous en omettons les divisions.

L’auteur finit par quelques réflexions sur l’usage de la théologie sacrée, qu’il ne divise en aucune branche.

Voilà dans son ordre naturel, et sans démembrement ni mutilation, l’arbre du chancelier Bacon. On voit que l’article de la logique est celui où nous l’avons le plus suivi, encore avons-nous cru devoir y faire plusieurs changemens. Au reste, nous le répétons, c’est aux philosophes à nous juger sur ces changemens que nous avons faits, nos autres lecteurs prendront sans doute peu de part à cette question, qu’il était pourtant nécessaire d’éclaircir ; et ils ne se souviendront que de l’aveu formel que nous avons fait dans le prospectus, d’avoir l’obligation principale de notre arbre au chancelier Bacon ; aveu qui doit nous concilier tout juge impartial et désintéressé.



ENC SYSTEME FIGURE