Océan vers/À Gaspard de Pons

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IX

À GASPARD DE PONS.

Mai 1821


Comment pourrais-je, je te prie,
Répondre à tes vers gracieux,
Mais gâtés par la flatterie ?
La docte fontaine est tarie,
Phébus est sourd, Pégase est vieux,
Et ne monte plus guère aux cieux
Que pour chercher son écurie.

Va donc, au gré de tes désirs,
Poursuis ; donne ta vie aux Grâces,
Consacre aux Muses tes loisirs ;
Chante l’Hymen et ses disgrâces,
Chante l’Amour et ses plaisirs.
Suis sur tes poétiques ailes
Le doux Parny, l’heureux Bertin,
Mais sois plus gai que tes modèles.
Les Muses ne sont point cruelles,
Ton triomphe au Pinde est certain ;
Car on prétend dans les ruelles
Qu’un poëte un peu libertin
Est bien vu chez les Neuf Pucelles.


Moi, sans m’en soucier, j’attends
La mort, ou précoce, ou tardive ;
J’ignore, éphémère convive,
S’il faudra fuir avant le temps
Ce vaste banquet où j’arrive ;
Qu’importe d’ailleurs que je suive
Chatterton mort à son printemps,
Qui s’en alla sur l’autre rive
Faire des vers à dix-huit ans ?
Que le dieu des Arts me délivre
De ce corps formé pour souffrir ;
Ta Muse, ami, me fera vivre,
Si la mienne me fait mourir.