Octobre en fleur/1/029

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Maison d’éditions et d’impressions Anct AD. Hoste, S. A. (p. 41-42).

XIX.

MÉPRIS.


Si mon cœur pleure encor ne souris pas d’orgueil,
Car ce n’est pas toi que je pleure.
C’est de mon propre amour que je porte le deuil,
Car ton amour ne fut qu’un leurre.

Tu m’as prise et brisée, amer et violent,
Comme un jouet qu’un enfant casse.
Et j’ai souffert comme une esclave au cœur tremblant
Qui s’en va, dédaignée et lasse.

Et j’ai longtemps encore aimé le souvenir
De nos heures d’amour lointaines.
Car l’avenir muré m’y faisait revenir,
Comme à la fraîcheur des fontaines.

Mais de ces troubles eaux les sanglotants baisers
Se lèvent comme des fantômes
Et mes brûlants désirs, encore inapaisés,
Ne savent où cueillir les baumes.


Ô toi qui pris mon cœur pour le martyriser
Et pour le rejeter dans l’ombre,
Je dois te mépriser pour si bien maîtriser
La rancœur où mon amour sombre.

Oh ! si je pleure encor, les yeux clos dans la main
Et si plus rien ne me console,
Ni la brise du soir au baiser presque humain,
Ni l’oiseau qui chante et s’envole,

Ni l’ombre et les soupirs de la fraîche forêt,
Ni les blés d’or, ni la bruyère,
Ni le nuage blanc qui plane et disparaît,
Ni les flots bleus de la rivière,

C’est que tu m’as tout pris, pour le jeter au feu
De ta luxure : amour, jeunesse,
Bonheur et qu’il me faut un miracle de Dieu
Pour que mon cœur brûlé renaisse.