Ode à Lebrun

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ODE
À
LEBRUN.



À NIORT,
DE L’IMPRIMERIE D’É. DÉPIERRIS AÎNÉ.

AN XI. — 1803.


ODE
À
LEBRUN ;
Par Fortunée B. BRIQUET,
De la Société des Belles-Lettres, de Paris.
PARIS,
Chez Ch. Pougens, Imprim.-Libr., quai Voltaire,
no. 10.

ODE
À
LEBRUN.

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« Au temple des neuf Sœurs accourez vous inscrire,
» Vous, qui que vous soyez, dont le cœur noble aspire
» À l’immortalité.
» Votre mémoire ici sera toujours vivante ;
» Et rien n’affaiblira la splendeur éclatante
» D’un règne illimité.

» Dans les champs renommés que l’Alphée environne,
» À côté des vainqueurs, sous la même couronne,
» Pindare s’est placé.
» Héritier de son nom, dans la France étonnée,
» Lebrun mérite aussi d’avoir la destinée
» Du Chantre de Dircé.


» La beauté, les honneurs, l’amour et l’opulence,
» D’un brillant avenir bercent votre indolence :
» Quelle est donc votre erreur !
» Ah ! si vous dédaignez nos largesses divines,
» Le temps, autour de vous, sèmera des ruines :
» Vous pâlirez d’horreur.

» Au temple des neuf Sœurs accourez vous inscrire,
» Vous, qui que vous soyez, dont le cœur noble aspire
» À l’immortalité.
» Votre mémoire ici sera toujours vivante,
» Et rien n’affaiblira la splendeur éclatante
» D’un règne illimité ».

Gardez, Muses, gardez votre douce promesse :
Que puis-je faire, hélas ! des faveurs du Permesse,
Au siècle des flatteurs ?
Irais-je encore, irais-je, esclave volontaire,
Profaner vos bienfaits, en suivant la bannière
Des calomniateurs ?


Voyez ces écrivains dont la plume avilie,
Par un stupide orgueil lâchement s’humilie
Pour honorer les Grands.
De leurs éloges vains la vérité se venge :
Voyez-les dégoûter, même de la louange,
Ceux qui vivent d’encens.

Est-ce donc à l’esclave à louer le grand homme ?
Les superbes lauriers des héros qu’on renomme,
Sont flétris par ses mains.
Quand Apelle est vivant, qu’ose-t-il entreprendre ?
La Gloire a réservé le portrait d’Alexandre
À des pinceaux divins.

Vous, que la Liberté proclame ses poètes,
Commencez vos concerts, augustes interprètes
De ses austères lois.
En vous lisant, un jour les nations sauvages
Trouveront consacrés, dans vos sublimes pages,
Leurs devoirs et leurs droits…

 

Je n’ai point entendu votre heureuse harmonie :
Que tardez-vous encor ? craignez-vous de l’envie
Les cris audacieux ?
Non, le bourdonnement d’un insecte timide
N’arrêtera jamais l’aigle en son vol rapide
S’élançant vers les cieux.

Quand la gloire des arts est à son apogée,
Faut-il, pour vous soustraire au destin d’Androgée,
Enfouir vos talens ?
À la voix d’Apollon, montrez plus de courage ;
De votre ruche, allez, chassez malgré leur rage,
Les frelons dévorans.

Contempteur du génie, orgueilleux sybarite,
Son triomphe t’afflige, et dans ton cœur excite
Un coupable transport.
Souviens-toi que le bronze où vivoit Théagène[1],
Par la haine ébranlé, retomba sur la haine,
Et lui donna la mort.

 

Ne soyons point ingrats, honorons les grands hommes :
Leur génie agrandit, dans le siècle où nous sommes,
L’éclat du nom français.
Dans la postérité nous vivrons de leur gloire.
Acquittons notre dette, et qu’un jour leur mémoire
Atteste nos bienfaits.

J’ai bu dans votre coupe, ô Filles d’Aonie,
Et du luth enchanteur du Dieu de l’harmonie
J’ai tiré quelques sons.
Ô toi, dont ma patrie admire les ouvrages,
Chantre immortel, Lebrun, reçois pour mes hommages
Le fruit de tes leçons.


FIN
  1. Anacharsis, édit. in-8o. tom. 3, pag. 490.