Odes (Horace, Séguier)/IV/9 - À Lollius

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Odes et Épodes et Chants séculaires
Traduction par M. le Comte de Séguier.
A. Quantin (p. 158-160).


IX

À LOLLIUS


Ami, ne crois pas que jamais ils périssent,
Ces rythmes venus d’un fils persévérant
      De l’Aufide au sonore courant,
   Pour qu’aux accords de la lyre ils s’unissent.

Si le grand Homère en haut de l’Hélicon
Trône le premier, Alcée et Stésichore,
      Et Pindare et Simonide encore,
   Graves et fiers, ont aussi leur renom.

Ce qu’Anacréon traça d’odes charmantes,
Le temps le respecte ; un perdurable écho
      Nous redit les soupirs que Sapho
   A modulés sur ses cordes aimantes.


Hélène n’est point la seule qui brûla
D’un feu criminel, pour une chevelure
      Bien peignée, une fine tournure,
   Un train royal, des habits de gala ;

Teucer n’arma seul d’une flèche empennée
L’arc cydonien ; plus d’un peuple investit
      Ilion ; maint guerrier combattit,
   Avant Sthénèle, avant Idoménée,

D’épiques combats ; d’autres fougueux Hectors,
D’autres généreux et braves Déiphobes,
      Pour sauver enfants et dames probes,
   Aux coups mortels dévouèrent leurs corps.

Mille vaillants chefs devancèrent Atride
Ici-bas ; mais tous, sans regrets et sans bruit,
      Sont couchés dans l’éternelle nuit :
   Il leur manqua la voix d’un Parnasside.

Du lâche au tombeau le héros ignoré
Diffère très peu. Moi donc, sur cette terre,
      Ton grand nom, je ne veux pas le taire,
   Ô Lollius, et point ne souffrirai

Qu’un oubli jaloux impunément efface
Tes nombreux travaux. Esprit toujours prudent,
      Esprit droit, le sort te secondant
   Ou se montrant sous une hostile face,

Vengeur des méfaits de la cupidité,
Insensible à l’or, tyrannique chimère,
      On te voit consul, non éphémère,
   Mais chaque fois que, juge accrédité,


Tu vas préférant l’honnête au profitable,
Et que, rejetant, l’œil fier, de vils présents,
      À travers un ramas d’opposants
   Ton zèle obtient la tête du coupable.

Le titre d’heureux n’appartient nullement
À l’homme enrichi ; ce titre est le partage
      Du mortel qui sait user en sage
   Des biens chez lui tombés du firmament ;

Qui sait endurer la misère insipide,
Qui plus que la mort craint la honte du mal :
      Celui-là pour son pays natal
   Et ses amis mourra, l’âme intrépide.