Odes (Horace, Séguier)/IV/8 - À Censorinus

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Odes et Épodes et Chants séculaires
Traduction par M. le Comte de Séguier.
A. Quantin (p. 157-158).


VIII

À CENSORINUS


Censorinus, je donnerais gaîment
À mes amis des bronzes, des porphyres ;
Je donnerais ces trépieds, vieux paiement
Des exploits grecs et de mes dons, les pires
Ne t’écherraient, si j’avais sous ma main
Ces œuvres d’art, où Scopas et Parrhase
Font respirer, peint ou droit sur sa base,
Tantôt un dieu, tantôt un être humain.
Mais je suis pauvre, et tes goûts, ta fortune,
D’objets de luxe ont peuplé tes lambris.
L’ode te plaît : je puis t’en offrir une,
Et des bons vers te redire le prix.
Les mentions des marbres populaires,
Ressuscitant un brave général
Après sa mort, les retraites célères,
L’écrasement de l’impie Annibal,
Carthage même en proie à l’incendie,
Tout parle moins pour le renom certain
De son vainqueur, Scipion l’Africain,
Que les accents de l’aigle de Rudie.
Si le poète est muet, la vertu
Perd son loyer. Fils de Mars, de Sylvie,
Qu’un dur silence eût plané sur ta vie,
Malgré ta Rome, hélas ! où serais-tu ?

C’est par l’esprit, la faveur, les données
Des luths puissants qu’au Styx ne tombant pas
Éaque siège aux îles fortunées.
La Muse venge un héros du trépas,
L’emporte au ciel. Ainsi l’ardent Hercule
Goûte sa part des célestes festins
Et les Gémeaux, astres des noirs matins,
Sauvent les nefs que la vague bouscule.
Ainsi Bacchus, orné de pampres verts,
Entend là-haut les vœux par l’homme offerts.