Odelettes (Banville)/Dédicace

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OdelettesAlphonse Lemerre (p. 99-100).
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À SAINTE-BEUVE


Cher Maître,



Vous avez retrouvé la France des rimeurs d’odelettes, et c’est vous qui nous avez appris à lire dans Ronsard. Quand vous avez pratiqué votre critique, vous avez fondu les plus rares suavités du sentiment personnel dans une forme travaillée de main d’ouvrier, et qui touche d’un côté à Callimaque, de l’autre côté à Belleau. C’est à cause de cela que je vous dédie ces quelques pages. Votre œuvre entière, n’est-ce pas l’odelette du dix-neuvième siècle ? Volupté, ce roman de toutes les âmes, ce n’est au fond que l’odelette d’un cœur à trois cœurs. Les Consolations, cette Vie Nouvelle d’à présent, c’est l’odelette d’un seul Dante à vingt Virgiles plus ou moins authentiques. Port-Royal, c’est l’odelette d’un quasi-sceptique à une hérésie ! Les Critiques et Portraits, les Portraits de femmes, les Causeries du lundi, c’est la série des odelettes du critique-poëte à cet ami Protée qui s’appelle le monde !

Si l’on m’accusait pour avoir repris quelques mètres passés de mode, pour avoir tâché d’innover là où vous et vos pairs semblez avoir épuisé les audaces légitimes, ne trouverais-je pas en vous, cher maître, un défenseur naturel ? Les Pensées de Joseph Delorme m’ont enseigné mes théories, les Notes et Sonnets qui sont à la suite des Pensées d’août m’ont donné le type de mes formules.

Vous l’avez dit excellemment, soyons les derniers de notre ordre, les derniers des délicats. C’est justice que je vous rapporte ces grappes folles de ma vendange, à vous qui m’avez signalé Chanaan.


Théodore de Banville.


Avril 1856.