Odes (Horace, Mondot)/Texte entier

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Traduction par Jacques Mondot.
Poncelet (p. 1-12).

LE PREMIER LIVRE
des Odes de Q.Horace
FI. traduit du Latin, en
vers François.

À SON MECENE.

Que chacun ſuit ſa fantaſie, &
qu’il prend plaiſir aux vers
Liriques.

ode I.

Mon Mœcene, du ſacré Tige
Yſſu des Roys, qui pour veſtige,
De leur nom, t’ont fait glorieux,
Rejetõ de la viue plãte
Des Étruſques, cil que ie chante,
Et d’où s’eſcoule tout mon mieux.

C’eſt à pluſieurs la vraye ſource
De leur bonheur auoir la cource,
Parmy l’Olimpe ſablonneux :
Et après d’vne aiſle legere
(Ayant animé la pouſſiere)
S’aller loger au rang des Dieux.

Si la fameuſe troupe ordonne
Des Quirins la triple couronne,
(Ombrageant le front de laurier)
De celuy, qui fendant la terre,
Vne riche moiſſon enſerre
Au plus profond de ſon grenier.


Et ſi le fer de ſa charrue,
Contre Ceres ſouvent ſe rue,
Deſireux du gain de ſon fruit :
Il n’eſt beſoin changer de voye,
Pour la conqueſte d’autre proye,
Ains ſuivre celle qui le ſuit.

Il n’eſt beſoin que la richeſſe
De ce Roy de Pergame, opreſſe
Son cœur, ny ſon affection :
Ny qu’il ſ’ẽferme au creux de l’onde,
De Mirthoé la mer profonde,
Paſle de crainte, & paſſion.

Le Marchand, redoutant l’orage,
Qui haleine ſur le rivage,
Et qui fait rouler à grands bonds
Les flots, & les ondes d’Ægee :
Souſpire ſa terre eſtrangee,
Et l’eſloignement de ſon fonds.

Et bien que l’horreur de l’orage,
Luy apreſte ja ſon naufrage :
Voyant tout autour boüillonner,
Courageux, & hardi, fait teſte
Aux vents, à la fiere tempeſte,
Et ne ceſſe de ſillonner.

Les vns dés leur ieuneſſe priſent
Le vin, & les jeux qu’ils eſliſent,
Pour donner tréve à leurs deſirs :
Maintenant ſous vn verd ombrage,
Tantoſt ſur le bord d’vn rivage
Ils s’en vont cueillir leurs plaiſirs.

Pluſieurs ſe plaiſent des armees
Suiuir les troupes animees,
À leurs meres pleines d’horreur
Au ſon du Cleron qui enflame

De deſir, & d’enuie l’Ame,
Et de hardieſſe leur cœur.

Le chaſſeur ſous le Ciel qui glace,
Oubliant la beauté, la grace,
De ſa douce moitié : touſiours
Attend que la beſte ſauuage
Se vienne rendre en ſon cordage,
Entrelaſſé de mille tours.

Le beau lierre que ie porte
Sur le front, luit en telle ſorte,
Qu’il me rẽd tout sẽblable aux dieux :
Les Nimphes des eaux, le bocage,
La troupe des Faunes ſauuage
Me retire des communs lieux.

Si la fluſte, que l’on admire
D’Euterpe, ou la plaiſante Lire
De Polimnie, eſpand ſon miel,
Mecene, ſi par toy i’ay place
Entre les Liriques : leur trace
Ie pourſuiuray iuſques au Ciel.

À AVGVSTE CÉSAR.


Comme les Dieux ſe ſont courroucez contre les Romains pour la
mort de Ceſar, le ſeul eſpoir de l’Empire Romain.


ODE II.



IA long temps la terre griſonne
Du frimats, de greſle
Et du froid,
Des traicts enyurez que lon void
De fureur, la ville s’eſtonne.

De Iupin iadis le tonnerre,
De Pyrrh’ à la creation,
Feit trembler toute nation,
Le Ciel, le Feu, l’Air & la terre.

Lors que le Berger de Neptune,
Prothee, menoit ſes Taureaux
Paiſtre ſur les herbus coupeaux
Des monts, plus voiſins de la Lune,

Et que les poiſſons de leurs aiſles
(Fendans les flots qui s’eſlançoyent)
Sur les Cheureaux déia tiſſoyent
Leur nid, au lieu des colombelles.


Nous auons veu hors du riuage
Des Étruſques, flotter les eaux,
Qui du Roy, l’image à morceaux
Et l’Autel de Veſta, rauage.

Car c’eſt le Tibre qui ſe vante
De vouloir prendre la raiſon,
De l’Illienne trahiſon,
Quoy que Iupin ſ’en meſcontente.

Ce pendant la forte ieuneſſe
Entendra les mutins aſſauts,
Les combats, les faits martiaux,
Des Perſes, pour vaincre la preſſe.

À ce malheur qui ia deffie
L’Empire Romain, de ſi prez :
Lequel des dieux (comme plus prez)
Faudra-il (helas ! ) que lon crie ?

Quelle priere ou ſacrifice
Des Vierges, les filles des Cieux,
Quel accord doux & gracieux
Nous fera voir Veſta propice ?

À qui des Dieux le plus à craindre
Donra-il la legation

Pour trouuer l’expiation
Du malheur qui tãt no’ foit pleindre.

Nous te prions ô ſaint Augure !
Apolon, nous tendre la main,
Pour briſer le dard inhumain
Sa fureur, ſa fiere pointure.

Ou bien toy riante Éricyne,
Ceinte d Amour, d atraits de ieux,
Ou toy Mars, qui voys tes nepueux,
Autheur de la race Quirine.

Qu’vn trait de vos yeux ſe deſbande
Sur nous, las ! comme vn clair rayon,
Puis qu’il faut prendre vn morion,
Pour chaſſer des Mores la bande.

Si la guerre longtemps ſeiourne,
Animés d’vn cry noſtre voix,
Noſtre dos chargé d’vn harnois,
Faites puis, que la paix retourne.

Toy, Auguſte que mon vers nomme
En terre, deſcendu des Cieux,
Qui veux que chacun en ces lieux
De Ceſar, vengeur te renomme.

Laiſſe du Ciel la voute encore.
Et comme elle fera ſes tours,
Faits alors renaiſtre tes iours,
Viuant ça bas, où l’on t’adore.


Prends icy, les fruits de ta Gloire :
Les triomphes qu’à tes Autels
On ſacre, rendant immortels
Ton nom, ton los, & ta memoire.

Ta voye ayant au Ciel repriſe,
Faits qu’on te nomme Prince humain,
Accort, puiſſant, de qui la main,
De ces Indois, l’audace briſe.


Sur la navigation de Virgile allant en Athenes

ODE III.

PVis qu’au vouloir de l’orage,
Et des flots qu’on void retords
En cent plis : tu mets ton corps
Deſſus le marin riuage

Ie prie celle qui nouë
Ceſte eau, la belle Cipris
Et le Pere au menton gris
Éole guider ta prouë.

Ie ſuplie auſſi d’Heleine
Les freres aſtres iumeaux
Te conduire ſur les eaux.
Hors de naufrage & de peine.

Et toy Nauire qui flottes
Et qui vas fonde eſcumer
Et fendre deſſus la mer
De Triton les vielles coſtes.

Soigneux ie te pry’regarde
De rendre gay ſur le bor d
D’où iay ma vie & ma mort,
Maro, que tu prends en garde.


Cil auoit diamantine
L’ame, & d’vn rocher le cœur,
Qui fut premier le vainqueur
Par rames de la marine.

Quel dard de celle qui coupe
Noz ans, noz iours au milieu
A craint ce grand demi-Dieu
Des monſtres voyant la troupe.

Nager horrible ſur l’onde
Et regardant de ſon œil
Remply & enflé d’orgueil
Les monts la fierté du monde ?

En vain Dieu voulut la terre
Dc l’Ocean ſeparer
Si l’homme choiſit la mer
Et dans ſes vagues s’enſerre.

On ne craint aucun martire
Pour enſuivre vn fol deſir,
Au mal nous prenons plaiſir
Où la volupté nous tire.

Ainſi à la race humaine
Ayant offert le brandon,
Et le feu du Ciel pour don,
Promethé porta ſa peine.


Aprés que ceſte eſtincelle
Fut rauie hors de ſon lieu,
Iupin le plus puiſſant Dieu
Puniſt la troupe nouuelle.

Le Ciel lors ſon ire enuoye
Pour ſe vanger de nos maux
À mille diuers troupeaux
D’ennuys, ils nous miſt en proye.

Et la mort qui ne ſommeille,
Nous guettant, double ſes pas :
Pour nous fermer au treſpas
Son dard cruel elle eſueille.

Quand Dedale voulut fendre
Ce Ciel, d’vn ſuperbe vol,
Comme temeraire & fol
Des Dieux l’ire il peut apprendre.

Le trauail d HercuI’, l’audace
De ſon cœur, print les enfers :
 Rien n’eſt en ceſt vniuers
 Que l’homme mortel ne braſſe.

 L’homme toutes choſes dompte,
 Seul en prenant ſes eſbats
 Par folie, du plus bas
 Au plus hault des cieux il monte.

 Mais quoy ? las ! chetiue poudre
 Nous faiſons par nos mesfaits
 (De nos malheurs les attraits)
 Sur nous s eſlancer la foudre.

À P. SESTE

Exortation à viure au mõde ioyeuſement
puis que le printemps
aproche & qu’il nous
faut mourir.


ODE IIII.



De nous I’hyuer ſe depart
Comme d’vn benin regard
xxxxxxxÀ ce iour
xxxxxxxFait son tour
Le Printemps gracieux
Plaiſant & delicieux
xxxxxxxDont on meyne
xxxxxxxHors l’arene
xxxxxxxDes bateaux
xxxxxxxLes monceaux
xxxxxxxSur les eaux.

Hors l’estable le troupeau
Fait (reprenant le coupeau
xxxxxxxDes hauts monts)
xxxxxxxMille bonds :
Le laboureur vieillard
Esclaue au foyer cagnard
xxxxxxxQui ſommeille
xxxxxxxSe reueille
xxxxxxxEn criant
xxxxxxxL’Oriant
xxxxxxxVa riant,

Les champs, les prés, leur esmail,
Plus riche que le corail
xxxxxxxDu gel franc
xxxxxxxN’est plus blanc,
Au pasle œil de la nuit
Venus les Nimphes conduit.

xxxxxxxLes deuance
xxxxxxxÀ la dance
xxxxxxxEt brauant
xxxxxxxLeur corps gent
xxxxxxxVa mouuant

Ce pendant qu’en ſon manoir
Des Ciclopes le Dieu noir
xxxxxxxVulcan fait
xxxxxxxVn tiers trait
Or de ioye ondoyant
Vn beau Mirthe verdoyant,
xxxxxxxChacun porte
xxxxxxxD’vne ſorte
xxxxxxxPour rondeau.
xxxxxxxLe chapeau
xxxxxxxDe fleurs beau.

Parmy l’ombrage mouſſu
Ou ſur le tertre boſſu
xxxxxxxIl nous faut
xxxxxxxD’vn ton hault
Friſer mille chanſons
Au Dieu Faune en cent façons
xxxxxxxQu’on luy offre
xxxxxxxPour ſon offre
xxxxxxxLe Cheureau
xxxxxxxOu la peau
xxxxxxxD’vn aigneau

Le trait de la bleſme mort
Qui nous pourſuit & nous mord
xxxxxxxMeſcontant,
xxxxxxxNous attend.
Et tous d’vn meſme pas
Nous fait rouler au treſpas :
xxxxxxxLa mort dompte
xxxxxxxEt ſurmonte
xxxxxxxToutes gens
xxxxxxxEt les ans
xxxxxxxDes plus grands.

Le ſommaire de nos iours
Qui va finiſſant ſon cours

xxxxxxxNe promet
xxxxxxxNy permet
Qu’on puisse conceuoir
De maint âge vn doux espoir,
xxxxxxxLa nuict pasle
xxxxxxxNous deualle
xxxxxxxPlein d’orgueil
xxxxxxxEt de dueil
xxxxxxxAu cercueil.

[illisible]

        Ne promet
        Ny permet
Qu’on puisse conceuoir
De maint âge vn doux espoir,
        La nuict pasle
        Nous deualle
        Plein d’orgueil
        Et de dueil
        Au cercueil.
  Souz les antres de Pluton
Estant enclos le bouton
        Sans couleur,
        De la fleur
D’vne ieune saison,
En ceste triste maison
        L’estincelle
        Plus cruelle
        De l’Amant
        Languissant
        Va mourant.


À   P Y R R H A.
Que ceux là sont miserables, qui la
courtisent & luy font l’amour.

ODE V.

Qvel beau ietõ de mille odeurs sacrees
Tiré iadis de la race des Dieux
Aux lieux plus cois des antres gracieux
Vient assaillir vos beautés diaprees ?


Pirrha qui eſt pour qui la blonde treſſe
De vos cheueux pl° beaux qu’vn creſpe d’or
D’vn fil doré les enlaſſés encor
Pour de ſon cœur vous rendre domptereſſe ?

Combien de foys pourra il voir changee
Ta volonté qui te trompe & ſeduit,
Ta loyauté combien de fois la nuit
D’vn pleur cuiſant voudra rẽdre vengee ?

Combien de fois las ! verra il l’orage
Sifflant, bruyant, tout contraire a ſes vœux,
Quand quelquefois ton amour dangereux
Se veſtira d’vne poignante rage ?

Bien que ton œil, ton regard, & ta bouche,
Et la beauté qui te fait tant aymer
À ſon coſté ſoudain vienne allumer
Vn nouueau feu, ne te voyãt farouche

Et d’vn eſpoir te conceuant contẽte
De luy, ſans plus qui ſeul te veut ſeruir
Pour ton Amour iuſtement deſſervir
Le tout il met ſur toy de ſon attente.

Mais de te voir ſon œil inſatiable
N’ayant encor la falace éprouué
Du traiſtre archer (de ſes traits abreuué)
Dit : las amour que tu es variable.

L’aſtre qui luit ſur nous ny la Fortune
Ne peult d’enhault plus grands maux decocher
Deſſus celluy qui ne peult arracher
Son cœur du tien à tromper trop cõmune.


I’ay de Neptun’conſacré dans le Temple
De cẽt couleurs vn pourtrait cõpaſſé,
 Qui monſtre au vif le naufrage tracé
De mes Amours, qu’encor’chacun cõtemple.

À VIPSANE AGRIPE.


Qu’il ne peut s’amuſer à chanter
ſes faits héroïques, & qu’il eſt
ſeulement propre à chanter les
Cantiques, & la force d’Amour.


ODE VI.



D’un vers heroé, l’eſcrivain
Varius, fera dans l’erain
Ta force viure, & tes batailles :
Ceſt oyſellet, ſur ſon rameau,
Ton nom rauira du Tombeau,
Et du plus noir de ſes entrailles.

D’un fredon il deſgoiſera
Ta vaillance, lors qu’il fera
Par tout retentir tes Gens d’armes
De mille accords doux & parfaits :
Il chantera leurs braues faits
Finis au branſler de tes armes.

Puis, qu’Agripe, arreſté ie ſuis
Dans le rets d’Amour, ie ne puis
Éterniſer (veincu) ta gloire,
De Pelidee, ce n’eſt à nous
Ourdir le feu ny ſon courroux,
Ceſt ouvrage eſt au grec Homere.

Mon vers n’eſt encore ſi fol
Que de cuider dire le vol
D’Vliſſe, ſur les fieres ondes,
Ny de Pelope la maiſon
Enyuree de trahiſon,

Ces choses me sont trop profondes.

Ces entreprises ne me font
Que de honte couurir le front,
Et mon ame paslir de crainte,
La Muse defend à mes vœux
Que d’vn suget si glorieux
Par moy la grandeur ne soit peinte.

Car qui pourroit vn grand Dieu Mars.
Chargé d’vn harnois, aux hazards,
De la guerre éprouué, descrire ?
Qui diroit le noir Merion
Perdu dans le camp d’Ilion
De Tydide, l’audace, ou l’ire

Ie tonne les riches banquets
Du vin, ie dis les beaux souhaits
Dont rougit l’argentine coupe,
Ie chante le feu, le brandon,
Et laflesche de Cupidon
Le Dieu de l’amoureuse Troupe.


À NUMAT PLANQVE


ODE VII.



QVi voudra, suiuant la fureur,
Dont Apollô, enfle son cœur,
Lou’ra la Cité Rhodienne,
Et son bruit semé sur les bords
Plus lointains, par diuers accords,
Ou bien la ville Lesbienne.

Ou d’Éphese les sacrez lieux,
Où Diane amusa ses yeux,
Acceptant les riches ofrandes,
Que la main des superbes Roys
Luy ont offert par tant de fois,
Tesmoings de leurs hautesses grãdes.

Ou bien de Corinthe les murs,
Seul rampart des assaux futurs,
Que de deux eaux le gouffre embrasse
Qu’il sacre à l’immortalité
Thebes où la diuinité
De Baccus, qui là print sa place.

Qu’il seme l’honneur de Delphos,
Du beau fils consacré au los
Du Dieu lupin & de Latone,
Qu’il publie le beau valon
Phocidien, où Apolon
Les Oracles du Ciel entonne.

Qu’il louë le bocage verd
Tempe Thessalien, couuert
De cent & cent couleurs difformes,
La ieunesse des arbrisseaux,
Qui s’enyurent sur les ruisseaux
Pour s’esgaller au sein des ormes.

Plusieurs ne cerchent autre cas
Que de la deesse Pallas

Entonner d’vn mettre la ville
D’Athene, & le fertil rameau
D’vn Olivier, plaisant & beau,
L’honneur de sa tresse gentille.

Les autres redoutans le nom
Et la puissance de Iunon,
Du Ciel, de la terre emperiere,
S’inuitent de Micene au clos
Ou bien prés la cité d"Argos,
Pour franchir leur cource premiere.

Le Sparte bien que patiant,
Ny Larisse ne me meut tant,
Que fait le bruit qui se reueille
Sur la perruque aux nœuds retords,
Comme vn Zephire enfle les bords
D’vne eau, qui pipe mon oreille.

Ou d’Anion le prompt ruisseau
En l’air haussé, qui d’vn coupeau
Esclatant, fait naistre sa cource,
Ou que mes sens sont assaillis
Des plaisirs d’vn herbu taillis
Boyuant quelque argentine source.

Comme quand Éole repaist
Du frein, les vents, & l’air se taist,
Clair void-on du Ciel le visage.
Il faut ainsi d’vn cœur ioyeux
Apres vn Nectar gracieux
Sur tes maux gaigner l’aduantage.

Soit que ton œil mille estendarts
Voye ondoyer en mille parts,
Tristes messagers d’vne guerre,
Ou le meilleur de tes souhaits
De l’heur iouissant d’vne paix,
Au clos de ta maison t’enserre.

Car Teucre prõpt d’vn pied fuyard
Tremblant au furieux regard
De son pere, changea de place
De sa bouche, laissant couler
À ses amis vn doux parler
D’vn beau rondeau ceignit sa face.

Disant, ou le Sort nous verrons
Nous conduire, là nous yrons
Foulans du pied la mesme voye
Mon feu, mon cœur, mes compagnõs
En cuidant perdre nous gaignons
Souuent vne plus riche proye.

Armons nous donq d’vne fierté,
Rendons nostre esprit indomté
Par vn dard aislé de constance,
Tant que sur vous Teucre sera
Maistre & seigneur : Il vous fera
Redouter, & vostre puissance.

Car Apolon n’a dit en vain
 (Ce que ie tiens pour trop certain)
Qu’vne grand ville on verra naistre
De moy ailleurs, qu’on nommera,
Salamine qui lors fera
Sa grandeur par tout recongnoistre.

Chassés d’vn Nectar precieux
Tout semblable à celuy des Dieux,
Des soucis la troupe meurtriere,
Cueillissés d’un oisif seiour
Le doux miel, nous viendrons vn iour
Derechef reuoir nostre terre.


à lydie.


Il reprend & se mocque de Sibaris
qui luy faict l’amour.

ODE VIII.



LAs ! dy moy ma belle Lydie
Par tous les Dieux ie te suplie,
Qui fait ainsi tant eslancer
À tes yeux d’amoureuses flesches
Tant de dards, de douces flamesches
Sibaris voulant offencer ?

Las ! que ne permets-tu, mignarde,
Qu’à son fait plus sage il regarde,
Qu’il ne s’arme d’vn luisant fer,
Qu’il n’aille encor, brauant, s’esbatre,
Et le sablon de son pied batre,
Et le trait de ses ans prouuer ?

Que n’arreste-il la puissance
Par le frein d’vn poulain de France
Qui va la terre poudroyant ?
Pourquoy craint-il les iaunes ondes
Du Tybre, & les eaux vagabondes,
Que n’est-il son bord costoyant.

Qui l’esmeut à prendre la fuite
Lors qu’il faut monstrer à la luite
Quel est le tendon & le nerf
De son bras, qu’est-ce qu’il ne dresse
De sa dextre main la rudesse
Plus-tost qu’estre d’Amour le serf ?

De Thetis la Nimphe argentine
Deesse de l’onde marine
Le filz d’Achille n’a ton veu
Pour fuir les assaux de Troye
Que des Grecs l’audace foudroye
D"vn habit feminin vestu ?


à thaliarche.


Qu’il luy faut suivre ses plaisirs
au temps d’Hyuer.


ODE IX.




TV vois du mont Sabinien
Le sommet chenu de froidure,
La forest ia plus ne soustien
Son rameau peint d’vne verdure.

Le fleuue que l’on oit gronder
Contre vn rocher suiuant sa trace,
Est contraint les pas retarder
De ses sillons changés en glace.

Prends ton harnois contre les vents
Entassant au feu mille buches :
D’vn vin gardé depuis quatre ans
Remplis mille nouuelles cruches.

Des dieux laisse le reste en main,
Laisse faire à leur prouidence,
L’orgueil d’vn fort orage est vain,
Rien sans leur conseil il n’offence.


De nous leurs rayons sont auprès,
En voyans tour ils font ensemble
Qujaux bois ne flestrit le Ciprés
Et que du vent l'orme ne tremble.

Ton cœur ne soit blesme & trãcy:
De l'aduenir ne te soucie,
Si la fortune veut icy
Augmenter les iours de ta vie.

Reçois tout cõme vn dõ des dieux,
Comme du Ciel vne largesse,
Suy l'amour,au bal gracieux
Faits luyre ta braue ieunesse.

Et tandis qu'vn fils crespe-d'or
Iaunit le plus bas de ta face,
Et que le dard cruel encor
Ta flame ne rechange en glace.

Car comme de nos ans s'enfuit
(Cõme vne ombre qui ne seiournej
La saison, soubz la pasle nuit
Partie, iamais ne retourne.

Ores choisis tes passetemps
Parmy quelque verte campagne,
Les deuis amoureux reprens
Auant que tes yeux la nuit baigne.

De ta maistresse l'oeil pillard
Souz vn ry couuert de feintise
Caresse, & du doigt fretillard
L'anneau luy desrober aduise.


À L’HONNEVR DE
Mercure.


ODE X.




Mercure des dieux la faconde
Le Nepueu d’Atlas, qui du monde
Barbare, rude & sans raison
Armé de ta sage conduite
Ses mœurs dressant en douce luite
As formé sa ieune saison.

De ma fureur suiuant la flamme
Qui me rauit & brusle l’Ame,
Et qui fait bouillonner mon cœur
Ie veux sacrer à tes hautesses
Mille Poësies charmeresses,
Et mille autels à ton honneur.

Ie veux raconter à la bande
De nos nepueux, qui ia desbande
Son trait de nos ans enuieux,
Ie diray que ceux soubz qui tramble
Le grand Olimpe tous ensemble
T’ont mis au rang des plus grands Dieux.

Qu’au talon. ilz t’ont mis vne aisle
Te choisissant ccmme fidelle
Secretaire de leurs secrets,
Que pour eterniser ta gloire
Tu as fait parler vn yuoire
Lanimant par tes mots sacrez.

Bien qu’Apolon fut en colere
Contre toy pour la perte amere
De ses bœufs : apres luy auoir
Encor par jeu rauy sa trousse
S’en rist & plus ne se courrouce
Donnant loüange à ton sçauoir.

Ainsi comme les rangs d’Atride
Priam suivant ton pas pour guide

Par toy celé vint eſpier
Les feux Theſſaliens, les armes,
Les bataillons des Grecs gensd’armes
Et pour Hector Achil’prier.

Tu es encor celuy qui meines
Les diuins eſprits par les plaines,
Francs du trauail laborieux,
Et bref comme ton Caducee
Fait toute Mane treſpaſſee
Deſcendre aux enfers tenebreux.


A LEVCONE.


Qu’il n’eſt bon tant recercher les
choſes advenir, & qu’il eſt meilleur
viure ioyeuſement de iour
en iour.


ODE XI.




LEucone que veux-tu ſçauoir
Ce qu’il n’eſt loiſible d’apprendre
Quelle fin nous deuons auoir
Des iours fuitifs qui nous font rẽdre.

    Laiſſe les nombres odieux
Des Babilons, qui par nature
Des ans ſont par trop curieux,
Ce n’eſt que noſtre ſepulture.

    Soit que noſtre œil des nouueautez.
Du Printemps, cent plaiſirs rapporte,
Soit qu’auant que voir ſes beautez
La mort au cercueil nous emporte.

    Que noz ans fuyars & noz iours
Franchiſſans leur cource poudreuſe,
Voiſent rouler de mille tours
Aux enfers la pierre odieuſe.


    Mon Leucone il eſt de beſoin
Qu’vn peu ton eſprit l’on inſtruiſe :
Du futur éuite le ſoin,
Et tienſ ton ame en ſa franchiſe.

    Suy ton plaiſir, ayme les jeux,
Verſe du vin à plaine coupe,
Puis que de ſon dard rigoureux
La mort le fil de noz ans coupe.

Cueillis doucement la clairté
Qu’à l’aube du iour tu voys naiſtre,
Puis que la fleur d’vn autre Eſté
Perſonne ne ſe peut promettre.


A AVGVSTE.


Ayãt loüé pluſieurs princes heroés,

Il chante la louange

d’Auguſte.


ODE XII.




CLion des Muſes la plus braue
À qui rends-tu ores eſclaue
Ta fluſte au bruit non enroüé,
Le chant qu’aux reſponds de ta lire
Tu fais ſi doucement redire,
À qui des Dieux l’as-tu voüé ?

Qui enfle ton flageol humide
Sur le mont voiſin de Phocide
Ou ſur le feſte Hémonien,
Ou de Pinde l’oſte des nues
Sur les hauteſſes recognues
De l’œil voiſin Arcadien ?

D’où les forests les plus espesses,
Suiuant les douceurs piperesses
D’Orphée, vindrent droit au son,
Tous arbres forçans leurs racines,
Et mesmes les vagues marines
Vindrent escouter sa chanson.

Mais que faut-il que i’entrelasse
Sur mon Luth, premier que la race,
Le los, l’honneur, & la maison
De Iupin, temperant le monde,
Les Dieux hautains, la terre, & l’onde,
Les ans, les iours, & leur saison ?

Il n’y eut oncq riẽ qui peust estre
Digne d’au sainct temple paroistre
Du ciel, passant toutes grandeurs,
Encor son large sein qui voûte,
N’eft riẽ prés ce Dieu qu’on redoute,
Duquel Pallas prend les honneurs.

L’aigu de ma voix yra fendre
L’air, ô Dieu Baccus pour espandre
Tes lierres rouges vineux,
Et toy divine chasseresse
De t’accoller mon vers ne cesse,
Ny de louer ton art heureux.

le veux tonner le braue AIcide,
Et les feux qui l’onde homicide
Apaisent, rasants les sillons,
Iumeaux, de Lede & qui secourent
Ceux qui les plains de Neptun’courẽt
Agitez de cent tourbillons.

Qui font que les eaux s’entrefrapẽt
Quand aus pieds des rochers s’atrapẽt
Ne permetants la nue errer

Que les vents font franchir carriere,
Qui brident la vague meurdriere,
L’orage & les flots de la mer.

Pendant que mon oreille escoute
Mes nerfs parlans, ie suis en doute
Quel ie dois mettre sur mon ton
Apres les Dieux : celuy qui Rome
Bastist, ou Pompile, ou qu’on nomme
Tarquin, ou bien le grand Caton.

Ou cil qui ayant la paupiere
Hors des yeux, voyant la lumiere
Du monde, parust aux enfers,
Ie veux dire Émile propice
À la Patrie, ou de Fabrice,
La force aux accents de mes vers.

Ie n’oubliray la teste noire
Curye, que la dent d’yuoire
N’a point touché, ny de l’espieu
L’adresse, & la maniere vtile
Aux assaux. Et quant à Camille
D’vn homme i’en feray vn Dieu.

Ainsi qu’au choir de la rosee
Sur le ieune arbrisseau posee
Il croist peu à peu hautement,
Ainsi reçoit ta renommee
Marcel, par ma plume animee
De iour en iour accroissement.


Cesar monstrant sa claire face,
En splendeur les Astres il passe,
Les Astres du grand ciel voûté,
D’autant que Phebe en face plaine
La nuict par la celeste plaine,
Les surmonte de sa clairté.

Pere saint qui sur nous regardes,
Qui de tous encombres nous gardes,
Et qui nous distiles ton miel,
Fais ie te pry’ que sa main forte
Le rond de ce Globe elle porte,
Tant que tu regneras au ciel.

Soit que de l’ennemie audace,
Qui du plus loing la mort nous brasse
Il rompe les desseins cruels,
Soit qu’ayant esteint l’estincelle
De quelque autre troupe rebelle,
Il soit digne de mille autels,

Il ne fera non,iamais faute
De confesser ta main plus haute
Faisant hommage à tes grandeurs
Tu auras le Ciel, le Tonnerre
Et luy gouvernera la terre
Ayants vous deux mesmes honneurs.

À LYDIE SA
MAIStresse.

Il se plaint de ce que Theleph est
plus aymé de sa Dame que luy.


ODE XIII.




Ma Lydie où ie tiens encloses
Mes volontez & mes desirs,
Lors que tu semes tant de roses
Au col, l’objet de tes plaisirs
Las, Amour, ie me sens épris
D’vn feu qui brusle mes esprits.

L’ame s’en-vole & me delaisse
Iaune, pasmé, mort à demy
De l’onde qui sort la largesse
De mes yeux dit mon ennemy :
Tesmoins certain du desconfort
Plus cruel qu’vn traicl de la mort.

Quand ie vois ton gentil corsage
Estre alaidy, par vn courrous :
Et que Teleph’sentant la rage
Des amans (dont ie suis ialous)
Son amour venant amuser
Graue tes leures d’vn baiser.

D’vn baiser qui n’est agreable,
Qui n’est plaisant ny gracieux,
Croy moy, il est trop variable,
Il te trompe mocquant tes yeux,
Garde que ses propos aislez
Ne t’enferment dans ses filets.

Heureux trois fois, heureux encore
Qui gardent entier le lien
De l’amour que tant on honore
Sans le rompre ou briser en rien
Attendant que leur dernier iour
Donne la fin à leur amour.

À L’HONNEVR DE
Brutte.

ODE XIIII.


ONauire, vn cruel orage
Prend ia sa desmarche sur toy
La vague battant le riuage
T’aporte vn nouuel esmoy,
Que fais tu ? d’vn courage fort
Prompt iette tes anchres au port.

Voy comme l’Antenne souspire
Et le mast sanglotte son mal,
Le vent mutiné le martire
De Thetis au large portal,
Voy les flots tout à l’enuiron
Pour assaillir ton auiron.


Si de quelque puissant cordage
À ce danger il n’a secours
Des monts esleuez par l’orage
Sera conduit par cent destours
On ne peut des ia plus ramer
Parmy le courroux de la mer.

Le drapeau enflé qui l’air coupe
Est ia tout rompu de trauail,
Et les Dieux, gardes de la poupe :
Abandonnent le gouuernail :
Le pin encor’ à son besoin
Ne peut aprocher le bord loin.

Le Nautonier, blesme de crainte
Des flotz, presque ia deuoré,
Ne s’ asseure à l’image peinte
Dont son tableau est decoré :
Là soit donc logé ton souhait
N’estre de tels vents le joüet.

Quãd ie pouuois, heureux, ensuiure
Ma liberté, mille tourmens
Me venoient saisir : Ores viure
Il faut en mille pensemens,
Poursuiuy d’vn mordant desir
De te revoir à ton plaisir.



Le presage de Neree, Dieu de la
mer fut la ruine de
Troye.


ODE XV.


LEs vents voyant Pâris
Guider son beau Soleil,
Enuieux & marrys
S’enyurent de sommeil.

La mer calme se taist
En rompant ses esbats,
Neree se repaist
Dans les Troyens combats.

Combien de maux, helas !
Faudra-il lors souffrir.
Qu’vn tranchant coutelas
A toy viendra s’offrir.

Comme le Grec viendra
Assaillir Illion,
Pâris lors deuiendra
En rien ton vnion.

Pallas déia te met
(Ie le voy) son harnois,
Son char, son feu, l’armet,
Son rondache, & son bois.


Presomptueux estant
De Venus caressé
Tu ne seras pourtant
Par ses traictz deIaissé.

Delaissé ne seras
Pour viure à ton plaisir
D’vn torment tu mourras
Qui ia te vient saisir.

À Dieu les doux attraitz
De l’amour nourrissons,
À Dieu les sainctz pourtraitz
Seuls suiets à mes fons.

En vous quittant, ie dois
Sur les Grecz bataillons
Chargé d’vn braue harnois
Rompre mes eguillons.

C’est d’Aiax que ie veux
Suivre d’vn fer pointu
L’arrogance, & les vœux
De sa haute vertu.

Mais quoy ? las ! trop tardif
Pour atteindre à ce point
Il te fera captif
Dans ses mains mal apoint.

Le flottant ennemy
Ne vois-tu ondoyer
Qui te vient, à demy
Forcené, foudroyer.

Teücre vaillant & preux
Pour ta force esbranler
Va d’vn cueur genereux
Ses troupes assembler.

Regardant sur le front
Tu verras Merion
Entre tous ceux qui ont
Le cresté morion.

Tydide ayant son cueur
Enragé de despit
Rechaufant sa fureur
Veut te veoir desconflt.

Comme vn cerf fugitif
Au regard affamé
Du Loup : ainsi craintif
Tu seras, & pasmé.

Pasmé lors tu seras :
Voyant de ta fierté
L’orgueil, tu changeras
Alors ta fermeté.

Paris, tu n’auois pas,
Au souhait de tes yeux
Ouuert, (trois fois, helas)
Ses propos ennuyeux.

Allumé de courroux
Achille vn iour viendra,
Des Troyens, par ses coups
Qui ta gloire esteindra.


À sa maistresse la priant l’excuser
des iniures qu’il luy a faites.

ODE XVI.


MA douceur, fîlle qui surpasses
Les riches beautez, & les graces
Et de ta mere, & de Cypris
Quand feras tu taire ma muse,
Qui en te reprenant amuse
Sa voix, son vers, & ses escrits ?

I’ay eu long temps l’ame captiue
D’vne flamme de feu, si viue
Qu’elle surpassoit d’Apollon,
La collere chaude-flambante,
Ou la fureur d’vn Corybante
Tant auois ie le cœur fellon.