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Odes (Horace, Séguier)/III/29 - À Mécène

La bibliothèque libre.
Odes et Épodes et Chants séculaires
Traduction par M. le Comte de Séguier.
A. Quantin (p. 135-137).


XXIX

À MÉCÈNE


Noble descendant des princes de Toscane,
Je garde à ta soif un cade vierge et vieux,
      Ô Mécène, et j’ai pour tes cheveux
   Fleurs de rosier, essence de balane,

Depuis bien longtemps. Accours, plus de retard !
Lorgne moins Tibur aux ondes cristallines,
      Le

versant d’Ésule et les collines
   De Télégon, parricide bâtard.

Laisse une abondance, assez fastidieuse,
Et ton beau palais qui touche au firmament ;
      Oui, de Rome abandonne un moment
   Les cris, le luxe et la fumée heureuse.

Aux grands quelquefois plaît la variété :
Un repas frugal sous un modeste lare,
      Sans tapis ni dais de pourpre rare,
   Souvent déride un visage attristé.

Déjà l’astre clair du père d’Andromède
Rallume ses feux ; ainsi que Procyon
      Déjà mord l’étoile du Lion,
   Et le soleil de chaleurs nous excède.

Déjà le pasteur, avec son troupeau las,
Cherche l’eau, sous l’ombre et les bosquets sauvages
      De Sylvain ; tous muets, les rivages
   Des vents légers regrettent les ébats.

Mais toi, cependant, le bien public t’excite ;
Tu crains pour la ville, en tes labeurs accrus
      Ce que Bactre, autrefois à Cyrus,
   Complote, unie au Sère, au fougueux Scythe.

Un dieu prudemment dérobe à tous les yeux,
Sous un voile épais, l’avenir et ses chances ;
      Il se rit du mortel dont les transes
   Passent le but. Songe à régler au mieux

L’utile présent : le reste coule et passe
À l’instar du fleuve, en paix tantôt marchant,
      Au milieu d’un uniforme champ,
   Vers l’onde étrusque, et tantôt, rude masse,


Roulant pêle-mêle arbres, maisons, troupeaux,
Rochers éboulés, — aux clameurs des montagnes,
      Aux clameurs des forêts leurs compagnes,
   Quand un déluge arrache à leur repos

Les flots assoupis. Celui-là vit son maître
Et content, qui peut se dire chaque soir :
      « J’ai vécu ! Que demain d’un ciel noir
   Zeus nous recouvre, ou qu’il fasse renaître

Un soleil brillant, il ne rendra pas vain
Le passé réel ; et jamais son empire
      Ne saurait ni changer ni détruire
   Ce qu’une fois l’heure emporta soudain. »

Joyeuse toujours de sa tâche inhumaine,
Tenace à jouer son jeu plus qu’insolent,
      La Fortune, aveuglée, aveuglant,
   D’un seuil à l’autre au hasard se promène

L’atteins-je ? à merveille. Avec célérité
S’enfuit-elle ailleurs ? ses dons, je les résigne ;
      Je m’enferme en une vertu digne,
   Ne demandant qu’honnête pauvreté.

Que d’autres, au choc des tempêtes d’Afrique
Dont mugit leur mât, s’abaissent à des vœux
      Indécents, offrant l’aumône aux dieux,
   Pour que l’Egée, en son sein colérique,

N’engouffre leur charge et de Cypre et de Tyr :
Moi, de tout malheur, sur ma barque à deux rames,
      Un vent tiède, et vos propices flammes,
   Divins Gémeaux, viennent me garantir.