Odes (Horace, Séguier)/IV/4 - Éloge de Drusus

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Odes et Épodes et Chants séculaires
Traduction par M. le Comte de Séguier.
A. Quantin (p. 147-150).


IV

ÉLOGE DE DRUSUS


Tel que cet oiseau, ministre du tonnerre,
Nommé par Jovis le chef du peuple ailé
      Pour avoir, d’une fidèle serre,
   Mis Ganymède au séjour étoilé :

D’abord sa jeunesse et sa vigueur native
L’arrachant du nid, aigle inhabile encor,
      Au printemps, son aile appréhensive
   Apprit d’Éole, en un premier essor,

Les routes de l’air ; bientôt de mille ouailles
Un superbe élan le rendit la terreur

Et l’amour du sang et des batailles
   Lui fit braver les dragons en fureur ;

Ou tel qu’un lion, de la fauve mamelle
À peine sevré, surprend le daim joyeux
      Qui, roulé parmi l’herbe nouvelle
   Offre à sa dent un début précieux ;

Tel, apparaissant sous les Alpes rhétiques,
Drusus attaqua les Vindéliciens,
      Fiers porteurs de ces haches scythiques
   Dont l’Amazone usait aux jours anciens.

Qui leur conseilla cette arme ? Je l’ignore ;
Savoir toute chose à l’homme est refusé :
      Mais leur ost, maître au loin hier encore,
   Par un bras vierge enfin pulvérisé,

Sentit ce que peut une sève robuste
Une âme nourrie en d’immortels girons,
      Ce que peut du paternel Auguste
   L’exemple saint sur les jeunes Nérons.

Les forts sont issus des forts, des héroïques.
Du feu de leur père héritent le taureau,
      Le coursier ; l’aigle, de mœurs belliques,
   N’engendre pas le faible tourtereau.

Mais la discipline accroît la force innée ;
D’austères leçons vigorisent l’esprit

Une fois leur base éliminée,
   Le meilleur fond aisément se flétrit.

Que ne dois-tu pas aux Nérons, chère Rome ?
Témoin le Métaure, Asdrubal dérouté,
      Et ce jour, d’un radieux symptôme,
   Du sol latin chassant l’obscurité ;

Première faveur de Mars à l’Italie,
Depuis qu’en nos champs galopait l’Africain,
      Comme aux bois un rapide incendie,
   Comme sur mer des tempêtes sans frein.

La romaine gent de victoire en victoire
Marcha désormais ; ses temples, dévastés
      Par les chocs de sa rivale noire,
   Virent leurs dieux rétablis et fêtés.

« Ô cerfs, que des loups l’ongle barbare opprime,
Dit finalement le perfide Annibal,
      Nous bravons ceux qu’un triomphe opime
   Serait de fuir jusqu’au rempart natal.

« D’Ilion brûlé cette race bannie,
Longtemps le jouet des flots tyrrhéniens,
      Débarqua dans toute l’Ausonie
   Ses déités, ses fils et ses doyens.

« C’est le chêne altier qu’aux forêts de l’Algide
De ses longs rameaux le fer va dépouillant :
      Il

se fait, sous la bipenne avide,
   Un cœur plus dur, un front plus verdoyant.

« D’Hercule trompant la massue indignée,
L’Hydre était moins prompte à renaître au soleil ;
      La Colchide et Thèbe — Echionée
   N’eurent jamais de prodige pareil.

« Submergez ce peuple, il sort plus beau de l’onde ;
Battez-le, son glaive aussitôt primera,
      Et sa gloire, éblouissant le monde
   Aux chants guerriers de thème servira.

« Je n’enverrai plus au sénat de Carthage
D’orgueilleux courriers. Mon frère descendu
      Chez les morts, notre antique avantage,
   L’espoir du nom, tout est perdu, perdu ! »

Rien n’est impossible aux bras puissants des Claude
Jupiter lui-même assiste ces héros
      Au péril, leurs savantes méthodes
   En font toujours la fleur des généraux.