Odes et Ballades/Le Cauchemar

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Odes et BalladesOllendorf24 (p. 249-250).
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ODE SEPTIÈME.

LE CAUCHEMAR.


Ægri somnia
Horace.


Oh ! j’ai fait un songe !… Il est au-dessus des facultés de l’homme de dire ce qu’était mon songe… L’œil de l’homme n’a jamais vu, l’oreille de l’homme n’a jamais ouï, la main de l’homme ne peut jamais tâter, ni ses sens concevoir, ni sa langue exprimer en paroles ce qu’était mon rêve.
Shakespeare.


Il… soulève sa tête énorme, et rit.
Ch. Nodier. Smarra.


Sur mon sein haletant, sur ma tête inclinée,
Écoute, cette nuit il est venu s’asseoir ;
Posant sa main de plomb sur mon âme enchaînée,
Dans l’ombre il la montrait, comme une fleur fanée,
Aux spectres qui naissent le soir.

Ce monstre aux éléments prend vingt formes nouvelles :
Tantôt d’une eau dormante il lève son front bleu ;
Tantôt son rire éclate en rouges étincelles ;
Deux éclairs sont ses yeux, deux flammes sont ses ailes ;
Il vole sur un lac de feu !

Comme d’impurs miroirs des ténèbres mouvantes
Répètent son image en cercle autour de lui ;
Son front confus se perd dans des vapeurs vivantes ;
Il remplit le sommeil de vagues épouvantes,
Et laisse à l’âme un long ennui.


Vierge ! ton doux repos n’a point de noir mensonge.
La nuit d’un pas léger court sur ton front vermeil.
Jamais jusqu’à ton cœur un rêve affreux ne plonge ;
Et quand ton âme au ciel s’envole dans un songe,
Un ange garde ton sommeil.


Avril 1822.