Odes et Ballades/Le Sacre de Charles X

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Odes et BalladesOllendorf24 (p. 145-151).


ODE QUATRIÈME.

LE SACRE DE CHARLES X.


Os superbum conticescat,
Simplex fides acquiscat
Dei magisterio.


Que l’orgueil se taise, que la simple foi contemple l’exercice du pouvoir de Dieu.
Prose. — Prières du sacre.


I

 
L’orgueil depuis trente ans est l’erreur de la terre.
C’est lui qui sous les droits étouffa le devoir ;
C’est lui qui dépouilla de son divin mystère
Le sanctuaire du pouvoir.
L’orgueil enfanta seul nos fureurs téméraires,
Et ces lois dont tant de nos frères
Ont subi l’arrêt criminel,
Et ces règnes sanglants, et ces hideuses fêtes,
Où, sur un échafaud se proclamant prophètes,
Des bourreaux créaient l’Éternel !

En vain, pour dissiper cette ingrate folie,
Les leçons du Seigneur sur nous ont éclaté ;
Dans les faits merveilleux que notre siècle oublie,
En vain Dieu s’est manifesté ;
En vain un conquérant, aux ailes enflammées,
A rempli du bruit des armées
Le monde en ses fers engourdi ;
Des peuples obstinés l’aveuglement vulgaire

N’a point vu quelle main poussait ses chars de guerre
Du septentrion au midi !

II



Qui jamais de Clovis surpassa l’insolence,
Peuples ? dans son orgueil il plaçait son appui.
Ne mettant que le monde et lui dans la balance,
Il crut qu’elle penchait sous lui.
Il bravait de vingt rois les armes épuisées ;
Des nations s’étaient brisées
Sur ce Sicambre audacieux ;
Sur la terre à ses yeux rien n’était redoutable ;
Il fallut, pour courber cette tête indomptable,
Qu’une colombe vînt des cieux !

Peuples ! au même autel elle est redescendue !
Elle vient, échappée aux profanations,
Comme elle a de Clovis fléchi l’âme éperdue,
Vaincre l’orgueil des nations.
Que le siècle à son tour comme un roi s’humilie.
De la voix qui réconcilie
L’oracle est enfin entendu ;
La royauté, longtemps veuve de ses couronnes,
De la chaîne d’airain qui lie au ciel les trônes
A retrouvé l’anneau perdu.

III



Naguère on avait vu les tyrans populaires,
Attaquant le passé comme un vieil ennemi,
Poursuivre, sous l’abri des marbres séculaires,
Le trésor gardé par Remy.

Du pontife endormi profanant le front pâle,
De sa tunique épiscopale
Ils déchirèrent les lambeaux ;
Car ils bravaient la mort dans sa majesté sainte ;
Et les vieillards souvent s’écriaient, pleins de crainte :
— Que leur ont donc fait les tombeaux ?

Mais, trompant des vautours la fureur criminelle,
Dieu garda sa colombe au lys abandonné.
Elle va sur un roi poser encor son aile :
Ce bonheur à Charle est donné !
Charles sera sacré suivant l’ancien usage,
Comme Salomon, le roi sage,
Qui goûta les célestes mets,
Quand Sadoch et Nathan d’un baume l’arrosèrent,
Et, s’approchant de lui, sur le front le baisèrent,
En disant : Qu’il vive à jamais !

IV



Le vieux pays des francs, parmi ses métropoles,
Compte une église illustre, où venaient tous nos rois,
De ce pas triomphant dont tremblent les deux pôles,
S’humilier devant la croix.
Le peuple en racontait cent prodiges antiques :
Ce temple a des voûtes gothiques,
Dont les saints aimaient les détours ;
Un séraphin veillait à ses portes fermées ;
Et les anges du ciel, quand passaient leurs armées,
Plantaient leurs drapeaux sur ses tours !

C’est là que pour la fête on dresse des trophées.
L’or, la moire et l’azur parent les noirs piliers,
Comme un de ces palais où voltigeaient les fées,
Dans les rêves des chevaliers.

D’un trône et d’un autel les splendeurs s’y répondent ;
Des festons de flambeaux confondent
Leurs rayons purs dans le saint lieu ;
Le lys royal s’enlace aux arches tutélaires ;
Le soleil, à travers les vitraux circulaires,
Mêle aux fleurs des roses de feu.

V



Voici que le cortège à pas égaux s’avance.
Le pontife aux guerriers demande Charles Dix.
L’autel de Reims revoit l’oriflamme de France
Retrouvée aux murs de Cadix.
Les cloches dans les airs tonnent ; le canon gronde ;
Devant l’aîné des rois du monde
Tout un peuple tombe à genoux ;
Mille cris de triomphe en sons confus se brisent ;
Puis le roi se prosterne, et les évêques disent :
— « Seigneur, ayez pitié de nous !

« Celui qui vient en pompe à l’autel du Dieu juste,
C’est l’héritier nouveau du vieux droit de Clovis,
Le chef des douze pairs, que son appel auguste
Convoque en ces sacrés parvis.
« Ses preux, quand de sa voix leur oreille est frappée,
Touchent le pommeau de l’épée,
Et l’ennemi pâlit d’effroi ;
Lorsque ses légions rentrent après la guerre,
Leur marche pacifique ébranle encor la terre :
Ô Dieu ! prenez pitié du roi !

Car vous êtes plus grand que la grandeur des hommes !
Nous vous louons, Seigneur, nous vous confessons Dieu !
Vous nous placez au faîte, et dès que nous y sommes,
À la vie il faut dire adieu !

Vous êtes Sabaoth, le Dieu de la victoire !
Les chérubins, remplis de gloire,
Vous ont proclamé Saint trois fois ;
Dans votre éternité le temps se précipite ;
Vous tenez dans vos mains le monde qui palpite
Comme un passereau sous nos doigts ! »

VI



Le roi dit : « Nous jurons, comme ont juré nos pères,
De rendre à nos sujets paix, amour, équité ;
D’aimer, aux mauvais jours comme en des temps prospères,
La charte de leur liberté.
Nous vivrons dans la foi par nos aïeux chérie.
Des ordres de chevalerie
Nous suivrons le chemin étroit.
Pour sauver l’opprimé nos pas seront agiles.
Ainsi nous le jurons sur les saints Évangiles.
Que Dieu soit en aide au bon droit ! »

Montjoie et Saint-Denis ! — Voilà que Clovis même
Se lève pour l’entendre ; et les deux saints guerriers,
Charlemagne et Louis, portant pour diadème
Une auréole de lauriers ;
Et Charles Sept, guidé par Jeanne encor ravie ;
Et François Premier, dont Pavie
Trouva l’armure sans défaut ;
Et du dernier martyr l’héroïque fantôme,
Ce roi, deux fois sacré pour un double royaume,
À l’autel et sur l’échafaud !

Devant ces grands témoins de la grandeur française,
Le saint chrême de Charle a rajeuni les droits.
Il reçoit, sans faiblir, cette couronne où pèse
La gloire de soixante rois.

L’archevêque bénit l’épée héréditaire,
Et le sceptre, et la main austère
Dont nul signe n’est démenti ;
Puis il plonge à leur tour dans le divin calice
Ces gants, qu’un roi jamais n’a jetés dans la lice,
Sans qu’un monde n’en ait retenti !

VII



Entre, ô peuple ! — Sonnez, clairons, tambours, fanfare !
Le prince est sur le trône ; il est grand et sacré !
Sur la foule ondoyante il brille comme un phare
Des flots d’une mer entouré.
Mille chantres des airs, du peuple heureuse image,
Mêlant leur voix et leur plumage,
Croisent leur vol sous les arceaux ;
Car les francs, nos aïeux, croyaient voir dans la nue
Planer la Liberté, leur mère bien connue,
Sur l’aile errante des oiseaux.

Le voilà prêtre et roi ! — De ce titre sublime
Puisque le double éclat sur sa couronne a lui,
Il faut qu’il sacrifie. Où donc est la victime ? —
La victime, c’est encor lui !
Ah ! pour les rois français qu’un sceptre est formidable !
Ils guident ce peuple indomptable,
Qui des peuples règle l’essor ;
Le monde entier gravite et penche sur leur trône ;
Mais aussi l’indigent, que cherche leur aumône,
Compte leurs jours comme un trésor !


VIII

PRIÈRE.



Ô Dieu ! garde à jamais ce roi qu’un peuple adore !
Romps de ses ennemis les flèches et les dards,
Qu’ils viennent du couchant, qu’ils viennent de l’aurore,
Sur des coursiers ou sur des chars !
Charles, comme au Sina, t’a pu voir face à face !
Du moins qu’un long bonheur efface
Ses bien longues adversités.
Qu’ici-bas des élus il ait l’habit de fête.
Prête à son front royal deux rayons de ta tête ;
Mets deux anges à ses côtés !


Reims, mai-juin 1825.