Odes et Poèmes (Laprade)/Les Corybanthes

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Alphonse Lemerre, éditeur (Œuvres poétiques de Victor de Lapradep. 141-143).

II

LES CORYBANTES

ODE

STROPHE


Emportez le fils de Cybèle
Sur l’Ida, dans un antre vert ;
Cachez sa royauté nouvelle
Dans le sein fécond du désert !
Dépouillez vite, ô Corybantes,
La pourpre des robes tombantes,

Dansez sur un mode effréné !
Que la terre de sang rougie
Trompe par une sainte orgie
Les yeux de l’Olympe étonné !
Tambours, cymbales et cantiques,
Étouffez sous vos bruits mystiques
Le cri du dieu qui nous est né !


ANTISTROPHE.

Assis sous un ciel taciturne,
La mort et l’ennui sur le front,
Là-haut, veille le noir Saturne,
Dans la peur de ceux qui naîtront.
Sa vieillesse au trône obstinée
Croit éluder la destinée
Qui nous promet un roi plus doux ;
Aveugle en sa faim parricide,
Il fait, auprès d’un berceau vide,
Crier dans ses dents les cailloux ;
Et sur chaque mère féconde,
Sur chaque enfant qui vient au monde,
Il darde un œil sombre et jaloux.


ÉPODE

Or, dans les profondeurs secrètes
Pour le nourrisson immortel,
Les Dactyles et les Curètes
Vont, cherchant la moelle et le miel ;
D’espoir et d’effroi tout ensemble,
Autour d’eux, la nature tremble,

L’onde écume, l’air est en feu ;
Mais sur la terre épouvantée,
Souriant au lait d’Amalthée,
Grandit l’enfant qui sera dieu !