Œuvres de Camille Desmoulins/Tome I/Notice sur Camille Desmoulins

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NOTICE


SUR CAMILLE DESMOULINS[1]


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I



Camille naquit le 2 mars 1760 à Guise (Aisne), au sein de cette province qui vit s’élever les premières communes, la patrie des hommes hardis, hommes d’action ou de pensée, Pierre l’Ermite et Calvin, les Guise, les Saint-Simon, Gondorcet… la colérique Picardie[2]. M. Desmoulins père était lieutenant général au bailliage de Guise ; son modique revenu suffisait à peine pour soutenir sa nombreuse famille, et l’éducation de Camille fût restée fort incomplète, si son parent, M. Viefville Desessarts, depuis député aux états généraux, n’avait obtenu pour lui une bourse au collège Louis-le-Grand. Camille y fit de brillantes études, en compagnie d’un autre boursier entretenu par le collège d’Arras, Maximilien Robespierre. Quoique de caractères fort opposés, l’un vif et étourdi, l’autre déjà grave et réservé, ils se lièrent d’amitié : Camille rappelle souvent dans ses écrits les enthousiasmes naïfs de leur pauvre et studieuse jeunesse : tous d’eux, passionnés pour l’antiquité, fondaient déjà en idée une république à l’image de Rome et d’Athènes. Lui-même le rappelait plus tard : « Les premiers républicains qui parurent en 1789 étaient des jeunes gens, qui, nourris de la lecture de Cicéron dans les collèges, s’y étaient passionnés pour la liberté. On nous élevait dans les écoles de Rome et d’Athènes et dans la fierté de la république, pour vivre dans l’abjection de la monarchie et sous le règne des Claude et des Vitellius ; gouvernement insensé, qui croyait que nous pourrions nous passionner pour les pères de la patrie, du Capitole, sans prendre en horreur les mangeurs d’hommes de Versailles, et admirer le passé sans condamner le présent, ulteriora mirari, prœsentia secuturos[3]. »

Ce passage est caractéristique. L’admiration de Camille pour les grands écrivains de l’antiquité fut toujours pour quelque chose dans ses opinions politiques.

Il eut le bonheur de trouver au collège un homme excellent qui s’intéressa à lui : l’abbé Bérardier, principal du collège, aimait Camille comme un fils. Celui-ci s’en souvint toujours ; et, plus tard, c’est par M. Bérardier qu’il voulut être marié. L’administration du collège Louis-le-Grand avait une coutume vraiment libérale : quand un jeune homme pauvre s’était distingué pendant ses études, avant de le lancer dans le monde, elle lui accordait une gratification[4]. Il est à croire que Camille avait reçu un bienfait de ce genre. En quittant le collège, il voulut faire ses adieux en vers à ses anciens maîtres ; il adressa une Epître à MM. les administrateurs du collège Louis-le-Grand. Aux yeux des collectionneurs, cette pièce doit avoir un grand mérite ; elle est fort rare. Elle n’en a d’autres à nos yeux que de témoigner de la reconnaissance et du bon cœur de Camille : elle est écrite en vers très plats. Il y remercie avec effusion ses protecteurs et surtout le bon Bérardier, et déclare, à grand renfort de périphrases mythologiques, qu’il va faire son stage et qu’il renonce à la poésie. Ses vers démontrent surabondamment que ce dernier parti était fort sage ; et ceux qu’il publia depuis, tous très faibles, prouvent qu’il aurait bien fait de persister dans cette résolution[5]. On trouve à peine dans cette pièce deux ou trois vers bien tournés :


Un vers est toujours mal, quand il peut être mieux.


On y rencontre aussi force souvenirs enthousiastes de Rome et d’Athènes, et même une imitation de Rousseau, un éloge de Voltaire ; où les avait-il lus ? au collège ?

Comme il l’annonce dans cette épître, il entra bientôt au barreau, mais sans espérance d’y réussir : il bégayait un peu. Ce défaut l’éloigna toujours de la tribune et en fit un écrivain. Il fut cependant orateur une fois et dans une circonstance solennelle, le 12 juillet 1789.

Depuis l’ouverture des état généraux, l’enthousiasme de Camille était devenu une sorte de fièvre, qui se peint naïvement dans ses lettres à son père : sans cesse il est sur le chemin de Versailles, assiste aux séances, applaudit Mirabeau[6] : il voit Target et les députés du Dauphiné et de la Bretagne, qui le connaissent tous comme un patriote et qui ont pour lui des attentions qui le flattent. »


« Le plaisir que j’ai d’entendre les plans admirables de nos zélés citoyens, au club et dans certains cafés, m’entraîne. — Mon très cher père, vous ne vous faites pas une idée de la joie que me donne notre régénération. C’est une belle chose que la liberté, puisque Caton se déchirait les entrailles plutôt que d’avoir un maître. Mais, hélas ! je voudrais bien me régénérer moi-même, et je me trouve toujours les mêmes faiblesses, le dirai-je ? les mêmes vices. Ce n’est pas celui du moins de ne pas aimer mon père, à qui je souhaite les plus longs jours et toutes sortes de prospérités. »

(Correspondance, t. II, p. 79.)

Le 12 juillet au matin, c’est encore un jeune homme inconnu, sans autorité, sauf argent, ayant grand’peine à faire imprimer son premier pamphlet, la France libre : trois heures, il appartient à l’histoire, et sois nom restera attaché au souvenir de la première explosion révolutionnaire, la prise de la Bastille.

Laissons-lui raconter cette scène si connue ; elle n’a plus d’intérêt que racontée par lui, dans une lettre à son père (16 juillet).


« Que la face des choses est changée depuis trois jours ! Dimanche, tout Paris était con » sterne du renvoi de M. Necker ; j’avais beau échauffer les esprits, personne ne prenait les armes. Je vais sur les trois heures au Palais-Royal ; je gémissais, au milieu d’un groupe, sur notre lâcheté à tous, lorsque trois jeunes gens passent, se tenant par la main et criant : Aux armes ! Je me joins à eux ; on voit mon zèle, on m’entoure, on me presse de monter sur une table : dans la minute, j’ai autour de moi six mille personnes. « Citoyens, dis-je alors, vous savez que la nation avait demandé que Necker lui fût conservé, qu’on lui élevât un monument, et on l’a chassé ! Peut-on vous braver plus insolemment ? Après ce coup, ils vont tout oser, et, pour cette nuit, ils méditent, ils disposent peut-être une Saint-Barthélémy pour les patriotes. » J’étouffais d’une multitude d’idées qui m’assiégeaient ; je parlais sans ordre : « Aux armes ! ai-je dit, aux armes ! Prenons tous des cocardes vertes, couleur de l’espérance. » Je me rappelle que je finissais par ces mots : « L’infâme police est ici ! Eh bien ! qu’elle me regarde ! qu’elle m’observe bien ! Oui, c’est moi qui appelle mes frères à la liberté. » Et levant un pistolet : « Du moins ils ne me prendront pas en vie, et je saurai mourir glorieusement ; il ne peut plus m’arriver qu’un malheur, c’est celui de voir la France devenir esclave. » Alors je descendis : on m’embrassait, on m’étouffait de caresses. — Mon ami, me disait chacun, nous allons vous faire une garde, nous ne vous abandonnerons pas, nous irons où vous voudrez. — Je dis que je ne voulais point avoir de commandement, que je ne voulais qu’être soldat de la patrie. Je pris un ruban vert, et je l’attachai à mon chapeau le premier. Avec quelle rapidité gagna l’incendie ! »

(T. II, page 91.)

On sait le reste ; le lendemain lundi, on s’arme ; le surlendemain, la Bastille est emportée[7], et la révolution est lancée.

De ce jour Desmoulins est un homme public et sa renommée s’accroît, en quelques jours, par la publication de son premier et retentissant pamphlet, la France libre. Le voilà jeté sur la pente irrésistible, et que d’angoisses, de calomnies, de découragements il doit rencontrer sur cette route, qu’il parcourra en cinq années, et au bout de laquelle il trouvera la gloire et l’échafaud !

Ce sera son honneur et sa bonne fortune de dater sa renommée du jour même qui fut la première étape de notre révolution. Désormais, quoi qu’il arrive, son nom ne peut plus périr : aussi avec quel naïf épanchement d’amour-propre il multipliera dans tous ses écrits le récit de la scène du Palais-Royal ! Ce sera pour lui, ce que furent pour Cicéron ses journées glorieuses contre Catilina : il y reviendra sans cesse, et jusqu’à satiété. La journée du 12 juillet et le succès de la France libre, ses premiers triomphes, son premier succès au moment où la haine et l'envie ne sont pas encore éveillées, voilà les deux souvenirs chers au cœur du pauvre Camille, les deux gloires qui, pour quelque temps, lui tourneront un peu la tête, et lui feront écrire modestement à son père ; « Une grande partie de la capitale me nomme parmi les principaux auteurs de la révolution. Beaucoup même vont jusqu'à dire que j'en suis l'auteur[8]. » Il n'en était que l'occasion, ou, si l'on veut, le coup de tocsin.

Camille semble avoir eu toujours une préférence marquée pour la France libre, son premier-né : ce n'est pourtant pas son chef-d'œuvre, et ce qu'il a écrit depuis est bien supérieur à ce pamphlet, éloquent et spirituel, mais souvent incohérent et décousu, et d'opinions assez indécises : c'est le bégayement d'un rare esprit, un long réquisitoire contre l'ancien régime, la noblesse, le clergé, la royauté : ce qu'il y a de plus net, c'est une profession de foi, assez hardie en 1789 : « Nous n'étions peut-être pas, écrivait-il [9]« plus tard, dix républicains en 1789 [10], » et voici cependant ce qu’on lit dans la France libre :

« Il est chez les peuples les plus asservis des âmes républicaines. Il reste encore des hommes en qui l’amour de la liberté triomphe de toutes les institutions politiques. En vain elles ont conspiré à étouffer ce sentiment généreux ; il vit caché au fond de leurs cœurs, prêt à en sortir à la première étincelle pour éclater et enflammer tous les esprits. J’éprouve au dedans de moi un sentiment impérieux qui m’entraîne vers la liberté avec une force irrésistible ; et il faut bien que ce sentiment soit inné, puisque, malgré les préjugés de l’éducation, les mensonges des orateurs et des poètes, les éloges éternels de la monarchie dans la bouche des prêtres, des publicistes, et dans tous nos livres, ils ne m’ont jamais appris que la détester [11]. » Nous n'insistons pas davantage sur la France libre : nous nous arrêterons un peu plus sur un pamphlet beaucoup plus remarquable, qui le suivit à quelques jours de dis* tance, et qui a contribué, par son titre, à jeter de tristes soupçons sur la mémoire du pauvre Camille.

Discours de la Lanterne aux Parisiens : voilà en effet un titre bien lugubre. Il a un avantage et un inconvénient : — il est un appât pour la curiosité du public, il éveille l'attention ; — il prête aux calomnies de toute espèce, et dispense les ennemis de lire l'ouvrage même ; on le juge sur son étiquette.

La Lanterne, mot sinistre en effet, en juillet 89 ! C'était à la Lanterne de la Grève que Berthier et Foulon avaient été pendus.

C'est cette Lanterne qui est supposée adresser une harangue au peuple de Paris.

« Desmoulins, dit M. Michelet, renouvelle avec une verve intarissable la vieille plaisan-

arrêter l'auteur de la France libre. Cet outrage sans doute est dicté par un patriotisme exalté, par une imagination ardente ; mais le comité de la police en aurait-il moins fait un acte de violence et d'oppression ? Ce citoyen est un de ceux qui, dans les mémorables journées des 12, 13 et 14 juillet, ont rendu de grands services à la patrie ; un acte de violence ne troublerait-il pas plus la tranquillité publique que la publication de son ouvrage, en faisant passer dans tous les cœurs une juste indignation contre une autorité qu'il faut faire aimer ? » (Révolutions de Paris, n° IX.) terie qui remplit tout le moyen âge sur la potence, la corde, les pendus, etc. Ce supplice hideux, atroce, qui rend l'agonie risible, était le texte ordinaire des contes les plus joyeux, l'amusement du populaire, l'inspiration de la basoche. »

Oui, M. Michelet a raison, cet horrible supplice a eu toujours le privilège d'égayer nos bons aïeux l : cela est triste à dire, incompréhensible ; pourtant rien n'est plus vrai. Et ce n'est pas seulement le moyen âge que la pendaison réjouissait si fort : Mob'ère, Regnard, Lesage, nos comiques, nos chansonniers, trouvent là une matière inépuisable de plaisanteries. Elles ne roulent, dira-t-on, le plus souvent que sur des fictions... — Supposez un

i Les royalistes ne s'en faisaient pas faute ; on trouve les vers suivants, dans les Actes des Jpôtres, au sujet de la nomination de Robespierre au tribunal de Versailles :

« Monsieur le député d'Arras,
Versailles vous offre un refuge ;
De peur d'être jugé là-bas,
Ici constituez-vous juge.
Juger vaut mieux qu'être pendu...
Je le crois bien, mon bon apôtre ;
Mais différé n'est pas perdu,
Et l'un n'empêchera pas l'autre.

Arnault, qui n'était certes ni un fanatique, ni un homme cruel, nous apprend lui-même, dans ses Souvenirs, qu'il était l'auteur de ces vers, et il ne semble pas embarrassé de cet aveu. moment qu'un auteur moderne se permit des gentillesses analogues, elles seraient repoussées avec horreur et dégoût. Cette différence seine suffit pour mesurer le progrès que l'humanité a fait depuis la Révolution. D'ailleurs, le ton ne change pas, quand il s'agit d'événements réels : lisez Madame de Sévigné, cette femme si douce et si sensible ; que dites-vous de ces légèretés sur les atroces exécutions qui désolent la Bretagne !

« Dans l'état où sont les choses, il ne faut pas de remèdes anodins... On dit que nos mutins demandent pardon ; je crois qu on leur pardonnera, moyennant quelques pendus... Nous avons trouvé ce matin deux gros vilains pendus à des arbres sur le grand chemin : nous n'avons pas compris pourquoi des pendus ; car le bel-air des grands cnemins, il me semble que ce sont des roués : nous avons été occupés à deviner cette nouveauté ; ils faisaient une fort vilaine mine, et j'ai juré que je vous le manderais... Avant-hier on roua un violon qui avait commencé la danse et la pillerie du papier timbré ; il a été écartelé après sa mort, et ses quatre quartiers exposés auxquatre coins de la ville. On a pris soixante bourgeois : on commence demain à pendre. Cette province est un bel exemple pour les autres, et surtout de respecter les gouverneurs et les gouvernantes, de ne point leur dire d'injures 1, et de ne point jeter des pierres

  • Voici ce qu'on punissait ainsi, toujours selon Ma » dans leur jardin... Nos soldats s'amusent à voler ; ils mirent l'autre jour un petit enfant à la broche. Vous me parlez bien olaisamment de nos misères (c'est à sa fille qu'elle s'adresse) ; nous ne sommes plus si roués : un en huit jours, seulement pour entretenir la justice, il est vrai que la penderie me paraît maintenant un rafraîchissement... Les mutins se sont sauvés il y a longtemps : ainsi les bons pâtiront pour les méchants ; mais je trouve tout fort bon, pourvu que les quatre mille hommes de guerre, qui sont à Rennes, ne m'empêchent pas de me promener dans mes bois, qui sont d'une hauteur et d'une beauté merveilleuse, etc. (Année 1675.)

Ce n'est pas ici le lieu d'examiner si Foulon et Berthier étaient coupables ; quel que fût leur crime, Desmoulins n'en est pas moins inexcusable d'avoir mêlé ce sinistre souvenir à un pamphlet d'une gaieté aussi entraînante : en admettant même que la peine de mort soit jamais légitime, il convient d'en parler toujours avec tristesse, tout au moins avec gravité.

Mais à cela se réduisent tous ses torts. M. Michelet me semble les avoir bien exagé-

dame de Sévigné, témoin fort impartial, comme on le Toit : • M. de Chaulnes n'oublie pas les injures qu'on lui a dites, dont la plus douce et la plus familière était gros cochon, sans compter les pierres dans sa maison et dans son jardin, et des menaces dont il parait que Dieu seul empêchait l'exécution ; c'est cela qu'on va punir. » rés, quand il dit que Camille renouvelle avec une verve intarissable la vieille plaisanterie sur les pendus, etc. C'est le tort d'avoir fait parler l'instrument même d'un horrible supplice, c'est le titre, c'est le cadre de ce pamphlet, que l'on doit blâmer ; mais voilà tout : on y trouve même, au milieu de beaucoup de bonnes choses, des conseils de modération. La Lanterne « y déclare qu'elle veut reprendre sa paisible lumière et ses fonctions inoffensives. » L'épigraphe du livre est celleci : Qui maie agit, odit lucem. Elle blâme l'exécution dont elle a été l'instrument :

« Je n'aime pas une justice trop expéditive ; vous savez que j'ai donné des preuves de mécontentement lors de l'ascension de Foulon et de Berthier : j'ai cassé deux fois le fatal lacet. J'étais bien convaincue de la trahison et des méfaits de ces deux coquins ; mais le menuisier mettait trop de précipitation dans l'affaire. J'aurais voulu un interrogatoire et révélation de nombre de faits. Au heu de constater ces faits, aveugles Parisiens, peutêtre aurez-vous laissé dépérir les preuves de la conspiration tramée contre vous ; et tandis qu'elle n'a prêté son ministère qu'à la justice et à la patrie qui le demandaient, vous déshonorez la Lanterne/ Ma gloire passera, et je resterai souillée de meurtres dans la mémoire des siècles. »

Ne voit-on pas là des conseils excellents, donnés sous une forme qui nous révolte sans doute aujourd'hui, mais qui seule était capable alors de les faire accepter dans l'état de fureur et de défiance où étaient tous les esprits i Nous avons condamné en toute rigueur l'idée première de ce pamphlet ; et cependant, ce tftre même et ces violences de langage n'étaient peut-être que le passeport indispensable de toute pensée de modération... Triste situation que celle où l'on est obligé d'être cruel dans son langage, pour acheter le droit de prêcher le respect de l'humanité.

On doit croire que les hommes les moins sanguinaires de l'Assemblée nationale en jugeaient ainsi, quand on voit MM. de Montmorency, de Castellane, l'abbé Sieyès, et surtout Target et Mirabeau, donner leur approbation sans réserve au Discours de la Lanterne.

Mais, dit-on, Camille a pris lui-même le titre de procureur général de la lanterne. — • Il ne l'a pas pris, il l'accepte pour un moment dans les premiers numéros des Révolutions de France ; il accepte, par une forfanterie blâmable, un titre que l'on trouvait plus plaisant qu'odieux : mais bientôt il déclare qu'il a donné sa démission de cette charge, qui, du reste, n'avait coûté la vie à personne. On rencontre plusieurs fois, il est vrai, dans les Révolutions de France, la menace suivante Gare la lanterne, Monsieur Maury 1[12] ! Mais il faut tenir compte de l’irritation extrême des esprits ; il faut se souvenir que cet échange de menaces était le langage habituel de tous les partis, que les journaux royalistes 2[13], en fait de violences et de provocations [14]sanguinaires, allaient beaucoup plus loin. Et enfin on comprend à quels excès la colère peut emporter les âmes les moins sanguinaires, quand on lit la phrase suivante dans une lettre d’une femme qu’on n’accusera pas d’avoir été cruelle, Madame Roland :

« Les écrivains patriotes devraient dénoncer nommément les membres corrompus qui, par leur hypocrisie, leurs manœuvres, trahissent le vœu, compromettent les intérêts de leurs commettants… Mais Brissot parait dormir ; Loustalot est mort, et nous avons pleuré sa perte avec amertume ; Desmoulins aurait bien sujet de reprendre sa charge de procureur général de la Lanterne 1[15]. » Maintenant oubliez le titre ; lisez le discours, et dites si vous avez jamais lu pamphlet plus vif, plus coloré, plus entraînant.

Le nom de Desmoulins était bientôt devenu populaire ; Mirabeau le caressait, et cherchait à se l'attacher : Camille, dans la première ivresse de sa gloire, était un peu étourdi, et avait grand'peine à résister au tentateur. Lui-même, dans une lettre à son père, nous apprend à quelles séductions sa nature sensuelle était exposée chez Mirabeau :


« Depuis huit jours je suis à Versailles chez Mirabeau ; nous sommes devenus de grands amis, au moins m'appelle-t-ii son cher ami. A chaque instant il me prend les mains, il me donne des coups de poing ; il va ensuite à l'Assemblée, reprend sa dignité en entrant dans le vestibule, et fait des merveilles ; après quoi il revient dîner avec une excellente compagnie et parfois sa maîtresse, et nous buvons d'excellents vins. Je sens que sa table trop délicate et trop chargée me corrompt. Ses vins de Bordeaux et son marasquin ont leur prix, que je cherche vainement à me dissimuler, et j'ai toutes les peines du monde à reprendre ensuite mon austérité républicaine et à détester les aristocrates, dont le crime est de tenir à ces excellents dîners. Je prépare des motions, et Mirabeau appelle cela m'initier aux grandes affaires. Il semble que je devrais me trouver heureux, en me rappelant ma position à Guise, de me voir deverrs le commensal et l'ami de Mirabeau, brûlé par le parlement de Toulouse l, et avec la réputation d'excellent citoyen et de bon écrivain. Ma Lanterne fait a présent la même sensation que la France libre... cela ne m'empêche pas de n'être point très heureux. Dans un moment je trouve la vie une chose délicieuse, et le moment d'après je la trouve presque insupportable, et cela, dix fois par jour. »

Tel il se montre dans ce passage, tel il fut toute sa vie. Ses amis, qu'ils se nomment Mirabeau, Robespierre ou Danton, le traitent tous comme un bon garçon, léger de caractère, sans grande consistance, mais vif et spirituel, et digne d'être caressé pour son talent, dont on peut tirer grand parti. On lui pardonne ses étourderies, même celles qui mériteraient un autre nom : « Adieu, bon fils, » lui écrit Mirabeau après leurs premières brouilles ; « vous méritez qu'on vous aime malgré vos fougueux écarts. » Plus tard, Robespierre le protégera aux Jacobins avec une bienveillance un peu hautaine. Ses correspondants même, dans leurs rapports publics avec lui, et plus tard ses collègues à la Convention, prennent peu à peu l'habitude de l'appeler par son prénom, Camille : on le re-

1 La France libre avait été condamnée au feu ; Camille adresse à ce sujet ses remerciments bien sincères au parlement de Toulouse, en tête de la Lanterne. garde volontiers comme un enfant. En effet, c'est toujours le bon camarade du collège Louis-le-Grand, ardent au plaisir ; puis, remis à l'étude, écrivant, écrivant toujours, à tort, à travers, sans se préoccuper beaucoup des écarts de sa plume, s'interrompant parfois au miiieu d'un sujet grave pour griffonner quelque caricature sur la marge de son cabier : bêlas ! pourquoi faut-U qu'on y retrouve trop souvent la classique effigie de Pierrot pendu ! sans cela, on pourrait l'aimer sans réserve : on a besoin de songer à l'apostolat d'humanité qui remplit les derniers mois de son existence, pour lui pardonner ces cruelles étourderies.

II

Encouragé par le succès de ses deux premiers opuscules, Desmoulins entreprit bientôt de fonder le journal qui consolida sa réputation : le premier numéro des Révolutions de France et de Brabant parut le 28 novembre

89 1 .

  • Voici un extrait du prospectus goguenard qu'il fit distribuer, et qui indique l'esprit et le mode de publication du journal.

t Ce journal paraîtra tous les samedis : chaque numéro sera divisé en trois sections : i ro section, France. — 2 e section, Brabant, et les autres royaumes, qui, arborant la cocarde et demandant une assemblée nationale, mériteront uae place dans ce journal. — 3 e section, afin de reculer A ce moment, la France était dans une situation singulière ; après les premiers enthousiasmes était venu déjà le temps des craintes et des déceptions : la grande majorité de l'assemblée était constitutionnelle, en grande défiance delà cour et du roi, et pourtant le conservant par respect pour la Constitution.

H est à croire que ceux des constituants qui devinrent plus tard les plus fermes et les plus énergiques révolutionnaires travaillaient alors de bonne foi à l'œuvre de la Constitution ; c'était comme un dernier essai qu'ils voulaient faire, une expérience dont la duplicité du malheureux Louis XVI et même l'affaire de

le plus possible les frontières de notre empire censoriaL, sous le titre de variétés, ce paragraphe embrassera tout ce qui pourra intéresser mes chers concitoyens, et les désennuyer cet hiver au coin de leur feu. Je m'attends aux malédictions des aristocrates ; je les vois étendus négligemment dans leurs fauteuils, se lever en fureur et saisir

les pincettes : « Maudit auteur, si tu étais là » Mais je

me souviens de ce que dit mon cher Cicéron : subeundœ sunt bonis inimicitiœ : subeanturl... » • Nous n'avons rien négligé pour nous procurer des nouvelles fraîches et sûres, et tenir à nos souscripteurs la promesse de notre épigraphe : Quid novi ? Le prix de notre abonnement est de 10 livres i5 sols pour Paris, et de 7 livres 10 sols, pour la province, pour trois mois, franc de port pour tout le royaume. » Quelquefois au journal est jointe une caricature assez faible : il faut remarquer que les caricatures sont presque toujours moins républicaines que le texte. Le graveur dépendait, non de Desmoulins, mais du libraire-éditeur, sur lequel, dit-il, Lafayelte avait une grande influence. Varennes ne réussirent pas à les dégoûter complètement. Tout au plus, dans un moment d'impatience contre les royalistes incorrigibles, s' écriaient-ils comme Mirabeau : « S'ils ne sont pas sages, je les... mets en république ! » C'était pour eux plutôt une menace qu'une espérance. Rien dans les paroles mêmes de celui qui savait le mieux où il voulait aller, rien, dans les discours de Robespierre, ne prouve qu'en 90 il rêvât le renversement de la monarcbie.

Quatre hommes seulement se prononcent nettement pour la République, et bien avant son arrivée : Condorcet et Brissot, au nom de la philosophie ; Camille Desmoulins, par la même raison sans doute, mais un peu aussi par une sorte d'enthousiasme tout littéraire, échauffé par les souvenirs de l'antiquité ; enfin l'abbé Fauche t, par une interprétation nouvelle du christianisme, qui mêlait YEvanyile au contrat social et prétendait concilier le catholicisme et la démocratie.

Ces quatre hommes, partis de points si éloignés, les quatre évangélistes de la République future, se retrouveront plus tard réunis par la proscription, au pied même de l'échafaud.

Le plus jeune d'entre eux se lance en avant dès le début, non sans avoir comme le pressentiment de sa triste destinée, et, quand il répond par un refus aux provocations continuelles que lui adressent le s champions de la royauté *, il s'écrie :

« Je me sens la force de mourir sur un écha » aud avec un sentiment de plaisir, et en disant comme lord Lowat : Dulce et décorum est pro patria mori. Je mourrais avec honneur, assassiné par Sanson (le bourreau), mais l'être par le spadassin qui me provoque, c'est mourir piqué par la tarentule. Qu'on m'accuse de lâcheté, si l'on veut. Si avoir dédaigné le rendez-vous d'un assassin, avec qui je n'ai rien à démêler, c'est, comme ce Lacédémonien, avoir fui aux Thermopyles, la bataille de Platée est proche, où je saurai me justifier ! Je crains bien que malheureusement le temps ne soit pas loin où les occasions de

i II y eut pendant quelque temps comme une croisade des royalistes contre les députés révolutionnaires : Lametii et Barnave eurent la sottise d'accepter les cartels que leur envoyèrent le duc de Castries et Cazalés ; le premier fut blesse d'un coup d'épée ; le second atteignit Cazalés d'une balle au front. On sait avec quel dédain Mirabeau accueillait ces cartels : « Très bien, disail-il un jour en recevant une provocation de ce genre ; mais je ne puis vous satisfaire avant la fin de la session. Je ne manquerai pas de vous inscrire comme les autres, mais je vous préviens qu'il y en a déjà quatre-vingt-quatre, qui doivent passer avant vous. » Cela devint si fort, qu'un jeune homme, alors simple officier, depuis général, Boyer, non moins bretteur que ces Messieurs, mais très dévoué à la révolution, fit publier dans les journaux du temps une note ainsi conçue : « Considérant que la personne des représentants est inviolable, etc., M. Boyer prévient qu'il prendra pour lui tous les duels que MM. les royalistes croiront devoir offrir à MM. les représentants. • périr, plus glorieusement et plus utilement, ne nous manqueront pas. »

En effet, il ne se trompait pas, les occasions bientôt se présentèrent, et c’était bien à Sanson que sa tête était réservée.

Cette République, qui devait le dévorer, il l’appelle de tous ses vœux dès le premier numéro des Révolutions de Brabant :

« Ne vous y trompez pas, le problème des grandes républiques est résolu. Le bon sens du manœuvre et du journalier m’étonne tous les jours de plus en plus ; le faubourg SaintAntoine croit en sagesse, nous marchons à grands pas vers la république. Déjà les démocrates sont le plus grand nombre : mais ils aiment trop leur patrie pour la livrer aux horreurs d’une guerre civile ; attendez quelques années, et la raison triomphera sans effusion de 6ang. »

C’est cette espérance constante, qui établit une sorte d’unité au milieu des variations apparentes et des mobilités de jugement de Camille Desmoulins : sur ce point, et cela est essentiel, il ne change pas ; on aperçoit même, dès le début, le germe île la scission terrible qui s’établira plus tard entre Desmoulins, et la partie Spartiate de la Montagne. La République, que rêva toujours Desmoulins, est une société libre, embellie parles arts, les fêtes et les plaisirs Voici un passage, où il réfute avec sa verve accoutumée les théories lacé démoniennes de Mably :

« La science de ce législateur (Lycurgue) n’a consisté qu’à imposer des privations à ses concitoyens ; l’art est de ne rien retrancher aux hommes du petit nombre de leurs jouissances, mais d’en prévenir l’abus. Le beau mérite qu’avait Lycurgue d’ôter la cupidité aux Lacédémoniens avec sa monnaie de cuivre, dont mille francs, aujourd’hui si légers dans un billet de caisse, remplissaient la maison jusqu’au toit ! Le beau mérite de leur inspirer la frugalité, avec son fromage et sa sauce détestable ; de guérir les maris de la jalousie, en mettant le cocuage en honneur ; de guérir de l’ambition, avec sa table d’hôte à dix sous par repas ! Mably trouve tout cela admirable ; mais c’est détruire la passion de l’amour avec un rasoir, et en vérité il n’y a pas là de quoi se récrier sur l’invention ! Lycurgue est un médecin qui vous tient en santé avec la diète et l’eau. Mais quelle pire maladie qu’un tel régime, et la diète et l’eau éternellement ? *^ ne m’étonne plus, disait un Sybarite £ai venait de passer vingt-quatre heures à acédémone, et qui faisait bien vite remettre les chevaux à sa voiture pour continuer ses voyages, je ne m’étonne plus du courage de ces gens-là. Qui diable craindrait la mort dans ce pays et ne s’empresserait de se faire tuer bien vite pour être délivré d’une telle vie ? — Lycurgue avait rendu ses Lacédémoniens égaux, comme la tempête rend égaux ceux qui ont fait naufrage. C’est ainsi qu’ Omar a rendu les musulmans aussi savants les uns que les autres, en brûlant la bibliothèque d'Alexandrie. Ce n'est point cette égalité-là que nous envions. La politique, l'art de gouverner les hommes qui n'est que celui de les rendre heureux, ne consiste-t-il pas plutôt à faire tourner au profit de la liberté les arts, ces dons du ciel, pour enchanter le rêve de la vie ? Ce n'est ni son théâtre, ni son luxe, ni ses hôtels, ni ses jardins, ni ses statues, ni son commerce florissant et ses richesses, qui ont perdu Athènes : c'est sa cruauté dans ses victoires, ses exactions sur les villes d'Asie, sa hauteur et son mépris pour les alliés, sa prévention aveugle, son délire pour des chefs sans expérience et des idoles d'un jour, son ingratitude pour ses libérateurs, sa fureur de dominer et d être non-seulement la métropole, mais le tyran de la Grèce. Dans un temps où il n'y avait ni imprimerie, ni journaux, ni liberté indéfinie d'écriro, les lumières et la philosophie firent à Athènes l'effet des lois somptuaires, des lois agraires, des lois si austères et du carême éternel de Lacédémone *. »

H ne faudrait pas croire cependant que si Camille rêve une république toute athénienne, embellie par le luxe, les arts et l'industrie, il veuille établir la prédominance des classes qui possèdent ces éléments, indispensables, selon lui, de la félicité publique ; une républi-

» 30. que bourgeoise n'est pas son idéal. Quand l'Assemblée nationale décrète que, pour être citoyen actif, il faudra payer le marc d'argent rien n'égale la colère de JDesmoulins : « Ce décret vient de constituer la France en gouvernement aristocratique, et c'est la plus grande victoire que les mauvais citoyens aient remportée à l'Assemblée nationale. Pour faire sentir toute l'absurdité de ce décret, il suffit de dire que Jean-Jacques Rousseau, Corneille, Mably, n'auraient pas été éligibles. » Quant aux prêtres qui font partie de l'assemblée, comment ont-ils pu voter ce décret ? « Ne voyez-vous pas que Jésus-Clirist n'aurait pas été éligible, vous prêtres d'un Dieu prolétaire, et qui n'était pas même citoyen actif ? Respectez donc la pauvreté qu'il a ennoblie. Mais que voulez-vous dire avec ce mot de citoyen actif tant répété ? Les citoyens actifs, ce sont ceux qui ont pris la Pastille ; ce sont ceux qui défrichent les champs ; etc. » Il est certain pourtant que, grâce à ses goûts si raffinés et à son talent littéraire, il n'est pas aussi populaire qu'il voudrait l'être. Par la nature même de son esprit, il s'adresse surtout à ceux qui ont eu la chance de recevoir une éducation lettrée. Cette circonstance expliquerait pourquoi son journal, lu et fort goûté sans doute, a trouvé dans quelques journaux contemporains une concurrence avec laquelle il ne pouvait lutter ; je ne parle pas des énergumènes de toute nuance, qui, par l'imprévu de leurs violences, savaient piquer la curiosité publique : mais les Révolutions de Paris, rédigées par Loustalot avec une gravité éloquente, privées néanmoins de cette couleur fortement littéraire du journal de Desmoulins, comptèrent jusqu'à deux cent mille lecteurs 1 . En effet, pour apprécier Loustalot, il suffisait d'être patriote, de savoir lire et d'avoir du bon sens ; ces conditions ne suffisent pas pour goûter Desmoulins. Et, pour n'indiquer qu'un des côtés de son talent, qui ne pouvait être saisi par tout le monde, voyez ces continuelles allusions à l'histoire ancienne et moderne, et ces citations latines si fréquentes de Cicéron et de Tacite, ses deux grandes admirations. Sans doute il les traduit le plus souvent, et, avec un rare bonheur ; il donne à ses traductions le langage de 90 ; il distribue plaisamment les personnages de l'antiquité

  • Desmoulins se vante quelque part d'avoir déjà deux bataillons d'abonnés ; quel que soit le chiffre qu'indique eette eipression un peu vague, cela est bien loin du succès des Révolutions de Paris. Ajoutons qu'il est impossible de surprendre dans son journal le moindre signe de jalousie contre ses confrères. Le journalisme alors était chose sérieuse, œuvre de conviction, d'ambition, si l'on veut, mais non d'intérêt : on ne se querellait guère, entre journaux, que quand il y avait différence réelle d'opinion, et non rivalité de commerce. — C'est Camille Desmoulins qui prononça aux Jacobins l'éloge funèbre de Loustalot (voir cet éloge, Révoluti*r*s dr, France et de Brabant, n° 45). dans les différentes parties et les diverses fonctions des gouvernements modernes : le patriarche Joseph est surintendant des finances du roi Pharaon, et honore son ministère par d'heureuses réformes ; Catilina est du côté droit. Quant aux jacobins Cicéron et Caton, Camille ne les présente jamais à ses chers Gordeliers qu'en carmagnole et avec la cocarde nationale. Mais qui ne sent que ces anachronismes volontaires, ces travestissements, souvent.si comiques, perdent presque toute leur valeur pour celui qui n'a pas l'habitude de contempler les citoyens de la vieille Rome dans la majesté solennelle de leur tenue sénatoriale ? C'est ce contraste qui fait rire, et c'est cela même que ne saisira pas le lecteur illettré.

Ce n'est pas que Camille n'ait bonne envie de se faire tout à tous ; ce n'est pas qu'il ait dans l'esprit un aristocratique dédain pour ceux qui n'ont pas fait comme lui leurs classes au collège Louis-le-Grand. Comme Courrier, le langage du peuple l'enchante, et l'admiration que le vigneron de la Chavonnière professe pour le parler des paysans de la Touraine 1, Camille l'éprouve pour l'esprit libre et facile, le bon sens des ouvriers de Paris. Mais qui ne voit que chez l'un et

1 Paul-Louis Courrier préface de sa traduction d'Hérodote. chez l'autre, c'est encore là une délicatesse littéraire, un raffinement, une aversion de savants pour le style convenu des cours et des académies ? Je veux bien croire que les opinions politiques des deux écrivains ont un peu influé en ce point sur leur goût ; mais il est évident que l'emploi du langage populaire, très naturel chez Desmoulins, un peu forcé chez Courrier, piquera et réveillera bien plus un esprit blasé et fatigué des prétendues convenances littéraires, que ceux-là même qui retrouvent là leur langage habituel, et par conséquent y font peu d'attention. Le ton paysan de Courrier était plutôt destiné à chai mer ses amis de Paris que ceux de la Chavonnière : l'odeur du foin et les déjeuners de pain bis sont choses ravissantes pour les gens de la ville ; on est charmé d'être paysan une fois pai hasard ; quant aux vrais paysans, il est à croire qu'ils apprécient beaucoup moins le charme de tout cela.

Un des côtés du talent de Desmoulins qui plaît malheureusement à tout le monde, surtout en France, c'est l'invective directe, la personnalité railleuse. En général il ne se perd guère dans les discussions théoriques ; l'escrime vive, agile, toujours prête à la riposte, la polémique personnelle, c'est là qu'il triomphe ; et nous devons le confesser, trop souvent la prévention l'aveugle, la médisance de\ient calomnie. De là aussi, par une

I. — C. DESMODL1NS. 9 conséquence naturelle, tandis que ses dogmes politiques restent invariables, ses opinions sur les hommes varient singulièrement. L'écrivain qui a des principes bien arrêtés, s'il se tient dans les théories générales, risque peu de se contredire ; pour celui qui s'occupe des hommes plus que des théories, les contradictions sont inévitables, surtout dans les temps d'agitations publiques. Les révolutions usent bien vite les hommes : la plupart n'ont qu'une certaine somme d'énergie et de dévoùment, qu'ils ont bientôt dépensée. L'attrait du repos, l'enivrement du pouvoir, souvent la corruption, ontpromptement raison de ces activités si résolues, qu'au moral comme au physique la lutte de chaque jour finit par épuiser. Tel qui commença avec toute la candeur de l'enthousiasme le plus sincère, finit dans les turpitudes de la rouerie politique. D'autres s'arrêtent en route éteints et fatigués. Il y a là, je crois, la source de plus d'une injustice historique : on néglige de distinguer deux périodes dans la vie de ces hommes ; l'épuisement ou l'avilissement de leur caractère à la fin de leur carrière, fait naître des doutes immérités sur la sincérité de leurs premières ardeurs : la fin de leur vie calomnie leurs commencements.

Ces revirements, si soudains, si fréquents, chez les hommes qui ont marqué dans l'histoire de notre révolution, ces changements, effet de la trahison chez quelques-uns, de la lassitude et de l'effroi chez le plus grand nombre, expliquent bien suffisamment ces variations, que l'on a souvent signalées dans les jugements de Camille sur ses contemporains.

Il faut remarquer aussi qu'au début de la lutte et avant la victoire, le côté gauche présente une certaine unité apparente dans son ardeur contre la cour, et qu'il est fort difficile d'apercevoir une notable différence d'opinions entre Lameth et Robespierre, Barnave et Mirabeau. Aussi Camille adresse-t-il indistinctement à tous les opposants des éloges l, qu'il retirera plus tard aux constitutionnels, pour les réserver aux républicains.

L'homme sur lequel il s'est le plus contredit, est Mirabeau : est-ce que Mirabeau ne s'est pas contredit lui-même ? Est-ce que l'orateur équivoque des derniers mois ressemble au tribun de 1789 ?

Au reste, ces divers jugements sur Mirabeau sont curieux à lire ; en voici quelques échantillons :

Mirabeau est d'abord pour lui, saint Mira-

i « Continuez de vous succéder tous à celte tribune, ô vous, nos généreux défenseurs ! Tribuns éloquents, Raynal, Sieyés, Chapelier, Target, Mounier, Rabaud, Barnave, Volney, et toi surtout Mirabeau, excellent citoyen, qui toute ta vie n'as cessé de signaler ta haine contre le despotisme, et as contribué plus oue personne à nous affranchir. » (La France libre.) beau, le divin Mirabeau : la canonisation ne lui coûte rien.

Bientôt il reprochera à son cher Mirabeau, qui a si bien mérité de la nation et à qui il semble que le nom de Démosthène devrait suffire de tenir encore à un misérable titre et de signer toujours le comte de Mirabeau ; mais il n'en est pas moins le grand Mirabeau, qu'on doit désigner ainsi pour le distinguer de son gros ivrogne de frère, le royaliste ; — ne pas confondre Mirabeau-Tonnerre et Mira beau- Tonnea u !

Puis, pendant longtemps, il en parle seulement en passant, et semble éviter de se prononcer sur son compte, sans doute par respect pour une ancienne amitié.

Mais bientôt le saint, le très saint Mira" beau se rangeant plus décidément du côté de la cour : « La motion Mirabeau', dit Des » moulins, est contradictoire, hétérodoxe, « caco-politico-ministérielle. Il faut que j'aime « grandement l'auteur pour ne pas lui donner « d'autres épithètes. »

Enfin, dès le numéro suivant, il n'a plus de ménagements, et raconte avec un plaisir amer la scène d'humiliation que Larneth et Duporfe tirent subir à Mirabeau aux Jacobins. Ce n'est plus que Machiavel-Mirabeau.

Tout à coup, la mort de Mirabeau semble

i Il s'agissait de donner aux membres de la famille royal la permission de quitter la France. arrêter Camille dans son passage de l'amitié à la haine. Il semble alors que, pour un moment, il retrouve son ancien enthousiasme pour le grand orateur :

« Mirabeau se meurt... Mirabeau est mort ! De quelle immense proie la mort lient de se saisir ! J'éprouve en ce moment le même choc d'idées, de sentiments, qui me fit demeurer sans mouvement et sans voix devant cette tête pleine de systèmes quand j'obtins qu'on me levât le voile qui la couvrait, et que j'y cherchais encore son secret, que le silence de la mort no gardait pas mieux que la vie... Cette tête semblait vivre encore, et avait conservé tout son caractère ; c'était un sommeil, et ce qui me frappa au delà de toute expression, telle on peint la sérénité du sommeil du juste ou du sage. Jamais je n'oublierai cette tète glacée, et la situation déchirante où sa vue me jeta. Mirabeau est mort en odeur de patriotisme. »

Dès le numéro suivant, le ton change, et l'admiration affectueuse fait place à un étonnement douloureux, mêlé de soupçons.

« Lorsqu'on m'eut levé ie drap mortuaire, à la vue d'un homme que j'avais idolâtré, j'avoue que je n'ai pas senti venir une larme, et que je l'ai regardé d'un œil aussi sec que Cicéron regardait le corps de César percé de vingt- trois coups. Je contemplais ce superbe magasin d'idées, démeublé par la mort : je souffrais de ne pouvoir donner des larmes à un homme, et qui avait un si beau aénie, et qui avait rendu de si éclatants services à sa patrie, et qui voulait que je fusse son ami. Je pensais à cette réponse de Mirabeau mourant à Socrate mourant, à sa réfutation du long entretien de Socrate sur l'immortalité par ce seul mot : DORMIR. Je considérais son sommeil, et ne pouvant m'ôter de l'idée ses grands projets contre l'affermissement de notre liberté, et jetant les yeux sur l'ensemble de ses deux dernières années, sur le passé et sur l'avenir, à son dernier mot, à cette profession de matérialisme et d'atbéisme, je répondais aussi par ce seul mot : TU MEURS. — La douleur du peuple l'a jugé moins sévèrement, etc. »

Enfin, le testament de Mirabeau est ouvert et dévoile la vénalité du grand tribun : dès lors il n'est plus pour Camille que JudasMirabeau.

On voit assez par cet exemple que les contradictions de Camille sont moins inexplicables qu'on le suppose quelquefois.

o On ferait, dit M. Michelet, un livre des variations du pauvre Camille. » Malgré l'autorité de l'illustre écrivain, je persiste à croire qu'elles sont beaucoup moins réelles qu'il le croit • ses principes ne varient pas, et c'est l'essentiel. C'est déjà quelque chose, à une époque où le dogmatisme le plus froid, même celui de Robespierre, hésite en présence des événements. Mais il a varié sur les hommes ? Oui ; mais les hommes eux-mêmes n'ont-ils pas varié ? Mirabeau, Lameth, Duport, Barnave, Lafayette, tous n'ont-ils pas oscillé sans cesse, selon l'inspiration du moment et l'irrésistible influence des événements ? Camille, toujours sincère, a dit, à chaque phase de leur existence politique, son mot sur leur conduite du moment, louange ou blâme, peu importe. Si ces prétendues contradictions ne se trouvaient pas dans ses écrits, je douterais davantage de son extrême bonne foi : louer ou blâmer toujours suppose un parti pris d'avance, et rien n'est plus contraire à la vérité.

Au reste, cette accusation de mobilité extrême lui était adressée par ses contemporains, et lui-même y a répondu dans le n° 69 des Révolutions de France :

« Je ne suis ni aux Lameth, ni à Bamave, ni aux Jacobins, je suis à la patrie. Il n'y a quePéthion et Robespierre que j'aie loués constamment, parce que tout homme de bonne foi conviendra qu'ils ont toujours été irréprochables. J'ai pris avec Mirabeau, tantôt la trompette, et tantôt le fouet : c'est le privilège d'une maîtresse, qu'on ne puisse l'aimer ni la haïr à demi, mais on ne peut pas en conclure que j'aie jamais varié ; car ce n'est pas la girouette qui change, c'est le vent. »

Camille a raison, il y a deux hommes sur lesquels son admiration ne faiblit jamais jusqu'en 1792 : Péthion et Robespierre l ; il y en a bien un troisième sur lequel il ne varie pas non plus, Louis-Philippe d'Orléans, alors duc de Chartres, depuis roi des Français*. "Voici quelques passages où il est question de ce prince, ils ont aujourd'hui un intérêt de curiosité :

Une estampe jointe au n° 29 représente M. le ci-devant duc de Chartres venant saigner un malade à V Hôtel-Dieu.

Desmoulins blâme gaiement le graveur d'avoir choisi cette circonstance, dans la vie de M. de Chartres, comme la plus digne d'être représentée.

« Ne semblerait-il pas que Y excellent Jacobin, M. de Chartres, visât à i'honneur d'être

i Robespierre ne semble pas répondre très chaudement à l'affeclion de Camille : il y a dans le n° 30 une lettre de lui, fort sèehe et très pc » amicale, où il dément un mot que lui avait prêté Camille : celui-ci se. plaint doucement du ton rogue de celte lettre.

î Desmoiilms a été expose à l'accusation d'être vendu à la famille d'Orléans : on sait que c'était la calomnie banale, celle que se renvoyaieuJ plus tard tous les partis. On a dit, sans preuve aucune, que Philippe-Egalité avait fait cadeau à Camille d'un riche mobilier lors de son mariage. Dans le n" 33, Camille se défend d'avoir d né avec son collègue aux Jacobins, M. de Chartres ; il déclare que le fait est faux et qu'il n'aimerait pas il se trouver à table avec des princes, pas même avec M. Capet l'aine (Louis XVI) ; ce qui ne l'empêche pas de rendre justice aux sentiments républicains du fils de M. Philippe-Capet. canonisé ? Qu'on offre aux souscripteurs a'un journal chrétien un saint Labre soignant les malades, c'est la place ; mais si j'avais eu à offrir le portrait de M. de Chartres à mes abonnés, j'aurais imité le tableau du jeune législateur des chrétiens s'escrimant à douze ans dans le temple, et j'aurais peint la désolation de sa mère, quand elle le trouve au milieu des Jacobins, comme Jésus au milieu des docteurs » (n° 64).

13 n batadlon de la garde nationale doit élire un commandant : l'un des candidats est M. de Chartres.

« Ah ! si le district avait le bon esprit de choisir ce jeune républicain 1, à qui il ne manque que d'être connu, le seul des ci-devant princes sur lequel les patriotes puissent faire fond, le seul qui puisse partager l'affection des vétérans, qui ne peut jamais être un Octave, et qui en a bien moins encore la pensée. »

Desmoulins, sans bassesse d'ailleurs, n'a que des louanges pour les d'Orléans 8 . Dans une seule occasion, il leur dit des vérités assez dures, et voici à quel sujet. En 1721, Louis XV avait marié une princesse d'Orléans, lui constituant une dot d'un peu plus

1 Janvier 1791.

  • Plus tard, il changea à leur égard. « J'ai dénoncé d'Orléans le premier, » dira-t-il dans son procès. de quatre millions. Le trésor public, alors obéré, ne put payer le capital, et servit exactement la rente. En 1790, dans un moment de détresse pour la France, les d'Orléans réclament le capital de cette dot, font agir leur- amis Desmoulins les tance vertement, leur démontre que cette pension est tout aussi bien supprimée, par décret de l'Assemblée, que toutes les autres du livre rouge ; qu'ils n'y ont nul droit, et que d'ailleurs, pour l'obtenir, ils ont employé des manœuvres peu dignes. Il ajoute, en terminant, que ses sentiments pour cette maison sont bien connus ; mais que, si les d'Orléans, pour prix des services rendus à la Révolution, veulent une récompense moins vaine que les applaudissements qu'ils ont reçus, ils doivent s'y prendre avec un peu plus de franchise, et implorer comme un don ce qu'ils réclament comme une dette. « Que le peuple fran » çais soit libéral et qu'il accorde avec gran » deur ; mais qu'on lui demande avec dignité, « et sans employer ces voies basses pour dé » tourner l'argent des citoyens et saigner le « trésor public dans les souterrains d'un co » mité » (n° 64).

III

Les Révolutions de France et de Brabant, dont le premier numéro avait paru le 28 novembre 1789, cessèrent de paraître le 25 juillet 1791.

Dans cet intervalle, rempli de tant de colères et d'enthousiasmes, agité par ces passions politiques, dont les joies fiévreuses épuisent l'âme tout aussi bien que les douleurs, Camille avait trouvé le bonheur et le calme domestique dans son union, longtemps rêvée, avec Lucile Duplessis, fille d'un premier commis des finances. Laissons-le raconter lui-même les détails de son mariage, dans une lettre à son père :

« Aujourd'hui, Il décembre (1790), je me vois au comble de mes vœux. Le bonheur pour moi s'est fait longtemps attendre, mais enfin il est arrivé, et je suis heureux autant

Ïi'on peut l'être sur la terre. Cette charmante ucile dont je vous ai tant parlé, que j'aime depuis huit ans, enfin ses parents me la donnent, et elle ne refuse pas. Tout à l'heure sa mère vient de m'apprendre cette nouvelle en pleurant de joie... Quand sa mère me l'a eu donnée, il n'y a qu'un moment, elle m'a conduit dans sa chambre ; j e me jette aux genoux de Lucile ; surpris de l'entendre rire, je lève les yeux, les siens n'était pas en meilleur état que les miens ; elle était tout en larmes, elle pleurait abondamment, et cependant elle riait encore. Jamais je n'ai vu de spectacle aussi ravissant. »

Et Camille ajoute, songeant à l'envie que son bonheur va soulever contre lui parmi ses chers compatriotes de Picardie :

« De grâce, n'allez pas faire sonner cela trop haut... N'attirez pas la haine de nos envieux par ces nouvelles, et, comme moi, renfermez votre joie dans votre cœur, ou épanchez-la tout au plus dans le sein de ma chère mère, de mes frères et sœurs . Je suis maintenant en état de venir à votre secours, et c'est là une grande partie de ma joie... »

Etcomme le consentement de M. Desmoulins tarde à venir, Camille s'en plaint doucement à son père dans une autre lettre, et lui demande avec anxiété s'il aurait opposé à son mariage un veto absolu ou un veto suspensif. Mais ce consentement arriva bientôt, et le mariage fut célébré avant la fin du mois. Camille voulut être marié par son ancien principal au collège Louis-le-Grand, l'abbé Bérardier. Celui-ci était devenu membre de l'Assemblée nationale . et s'était toujours montré fort opposé aux opinions de Camille, surtout à ses opinions religieuses. Il voulut profiter de ce passage où il est pas aisé d'échapper aux gens d'église, pour exiger de son ancien élève de ne plus toucher à l'arche sainte : Camille raconte ainsi dans son journal cet espèce de guet-apens j

« Vous ne devineriez jamais que le serment le plus sacré de la vie, sauf la religion du serment civique, j'ai voulu le prêter entra les mains d'un aristocrate fieffé et d'une des colonne ? du cul-de-sac '. Mais aristocratie à part, je ne connais aucun ministre des autels

F lus respectable que M. Bérardier, député de Assemblée nationale, sous les yeux ou plutôt dans le setn de qui j'ai été élevé. Je lui devais, dans les jours de la prospérité, cette marque de mon souvenir des jours de l'affliction. Mais j'ai pris de fortes précautions contre les pièces de l'aristocratie, et je ne suis pas allé à l'autel sans m'être muni de contrepoison. Pethion, Robespierre, Si'lery, Mercier, Brissot, c'est tout dire, m'honoraient de leur présence et avaient bien voulu me servir de témoins*. Ils vous attesteront eux-mêmes que l'Eglise ne pouvait mieux prendre son

1 On appelait ainsi ce qu'on a nommé depuis la plaine, le centre, h ventre.

s Plus tard il rappelle ce fait à la tribune des Jacobins ; on lui avait reproché l'émotion extraordinaire qu'il avait fait paraître en entendant la condamnation des Girondins (on l'avait vu fonare en larmes, et il s'était presque évanoui) : >< A l'égard du mouvement de sensibilité que j'ai fait paraître lors du jugement des vingt-deux, je déclare que ceux qui me font ce reproche étaient loin île se trouver dans la même position que moi. Je chéris la République ; e l'ai toujours servie ; mais je me suis trompé sur beaucoup d'hommes tels que Mirabeau, les Lameth, etc., que je croyais de vrais défenseurs du peuple, et qui néanmoins ont fini par trahir ses intérêts. Une fatalité bien marquée a voulu que des soixante personnes qui ont siiine moa contrat de mariage, il ne me reste que deux amis, Robespierre et Danton ; tous les autres sont émigrés ou guillotinés. De ce nombre étaient sept d'entre les vingtdeux !... » temps pour m'envelopper dans les filets de saint Pierre Le bon Bârardier, avant de prononcer les trois mots latins, les seuls que je lui demandais, fit un discours des plus touchants. C'était me faire trop d'honneur, que d'employer l'obsécration pour que j'écarte de mon journal tout ce qui ne tenait pas au civil et était étranger au patriotisme ; il me demanda en grâce la même déclaration que vient de faire l'Assemblée nationale, que je ne toucherais point au spirituel ; c'était gêner un peu la liberté des opinions religieuses, et porter atteinte à la déclaration des droits : mais, que faire ? je n'étais point venu là pour dire non. C'est ainsi que je me trouvai pris et engagé par serment de retrancher de mes numéros 1 article théologie. Sans avoir approfondi la question, je me doute bien que ce serment, accessoire au principal, n'est pas d'obligation aussi étroite que l'autre ; dans peu je pourrai mettre cette question à l'ordre au jour, dans mon conseil de conscience. »

D paraît que son conseil de conscience ne tarda pas à le défier de ce serment si contraire à ses habitudes ; car dans le numéro 59, où se trouve ce récit, Camille se permet force plaisanteries très voltairiennes : quant à l'autre serment, le principal, il semble l'avoir gardé avec une fidélité, que lui rendaient facile d'ailleurs la beauté ' de Lucile Desmoulins, les

  • Camille, lui, était assez laid. Dans sa lettre à Dillon, il raconte une conversation qu'il eut avec un de ses collègues grâces de son esprit et la fermeté de son caractère.

Madame Roland, cette femme énergique, n'est pas l'idéal de la femme du patriote. Elle est de celles qui anéantissent leur mari ; Lucile au contraire, douce, aimante, toujours prompte à calmer les patriotiques douleurs de son mari, lui laissera le soin de régler luimême sa vie publique ; sa place est près du foyer. C'est là qu'après les tragiques épreuves, Camille viendra toujours chercher la paix, près de sa femme et de son petit Horace ; c'est là qu'il trouvera toujours une amie dévouée et compatissante, qui pansera ses blessures, sans tenter jamais de lui faire déserter le poste où son devoir l'appelle : haute et généreuse tendresse, qui met, avant toute chose, l'honneur de l'être aimé ! Un seul moment, Lucile paraîtradans la vie publique ; ce sera pour sauver Camille prêt à périr, et, ne pouvant le sauver, pour le suivre à l'échafaud.

C'est là, ce semble, le moment heureux de la vie de ce jeune homme ; il le croit, il le dit, il le répète... et peu de temps après commencent pour lui les rudes épreuves et la mêlée sanglante.

de la Convention, et où il se Tait dire par son interlocuteur : « Fous n'êtes pas un joli garçon. — Tant s'en faut ! » répond-il modestement, et, à en juger par se3 portraits, il est à croire que, s'il ne se flattait pas, il se rendait au moins justice. Déjà le massacre du Champ de Mars a frappé Camille dans ses espérances : les patriotes sont inquiétés, poursuivis ; la publication de son journal est brusquement arrêtée : il se désole, il désespère..., et quand bientôt le 10 août semblera combler ses espérances, alors plus de repos, plus de trêve, plus de halte pour le patriote haletant, que dans la prison du Luxembourg, au pied même de l'échafaud : mais là encore ce sera la pensée de sa femme, de son petit enfant, le souvenir de ces joies intimes et si vite ravies, qui consoleront et désoleront, tout à la fois, sa dernière heure. Ses lèvres s'appliquaient sur une mèche des cheveux de Lucile, au moment où il livrait sa tête au bourreau.

Malgré son insouciance et sa gaieté, souvent de sinistres pressentiments viennent traverser son âme : dans un des premiers numéros des Révolutions de France, Camille publie une lettre écrite à son père, qui s'effrayait pour lui de ses dangers et des haines auxquelles il s'exposait :

« La contemplation de cette belle Révolution m'est si douce, que ces dangers même, dont vous me parlez, ne sauraient me distraire. J'ai souvent fait la même supposition que vous ; j'ai même été menacé hier dans un lieu public, en présence de nombre de personnes. Une femme du peuple qui feignait d'être ivre, est venue s'y placer à côté de moi ; elle a tiré de son sein un papier oi était un nom qu'elle croyait pour moi fort redoutable, et, après quelques propos de halles, m'a dit de bien prendre garde ait, Luxembourg. Maii je ne crains ni le Luxembourg, ni les Tuileries Quand on me parle des dangers queje cours et qu'il m'arrive d'y réfléchir, je regarde ce que nous étions et ce que nous sommes, et je me dis à cette vue :

« A présent de la mort l'amertume est passée

« Tant de gens vendent leur vie aux rois pour cinq sous ! ne ferai-je rien pour l'amour de ma patrie, de la vérité, de la justice ? Je m'adresse ce vers qu'Achille dit à un soldat dans Homère :

• Et Patrocle est bien mort, qui valait mieux que moi. »

Peut-être le pauvre jeune homme, dans sa prison du Luxembourg, se rappela ces prophétiques paroles ; peut-être cette hideuse femme, qui jetait à son oreille ces mystérieuses menaces, se retrouva-t-elle parmi ces furies qui l'insultèrent sur son passage, quand il allait à l'échafaud.

III

Depuis le 17 juillet 1791, c'est-à-dire depuis l'échauffourée sanglante dont le Champ de Mars fut le théâtre, Camille Desmoulins ne fit paraître qu'un numéro de son journal signé de lui (25 juillet). Il y fait ses adieux au public, et se retire découragé 1 . C'était, du reste, la disposition générale, et en cette occasion, comme toujours, Camille Desmoulins ne faisait guère que refléter le sentiment public. Ce qui le rend si sympathique et si attrayant malgré tout, c'est que de tous les hommes de la Révolution, c'est lui peut-être qui personnifie le mieux les qualités et les défauts habituels du peuple, surtout ceux du peuple de Paris. Il en a les enthousiasmes naïfs et les espérances illimitées, puis les brusques découragements. Mais sous cette mobilité apparente, sous ces contradictions qui étonnent et qui déroutent, la même pensée vit, persiste et ne tarde guère à reparaître. C'est ce qui arriva pour l'opinion publique et pour Camille lui-même, après une torpeur de quelques mois s .

i Quelques autres numéros des Révolutions de France et de Brabant paraissent encore, sans signature et sang indication d'imprimeur. Il est difficile d'y reconnaître la main de Camille.

2 A propos de cette journée et de la réaction violente qui s'ensuivit, Madame Roland écrit ceci, où l'on verra que son jugement sur les individus n'a pas moins varié que celui de Camille, ou, pour mieux dire, celui de presque tous les contemporains : « Encore un peu, et vous entendrez dire que le courage de Robespierre à défendre le§ droits du peuple était payé par les puissances étrangères ; L'Assemblée constituante venait de se retirer : ellea\ait terminé la Constitution, l'avait fait jurer au roi, et lasse, déconsidérée, elle cédait la place à une assemblée nouvelle, composée d'hommes presque tous obscurs, et dont il était difficile alors de soupçonner et les tendances et les talents. C'était l'inconnu, et cette incertitude même augmentait le malaise universel. Ecartés de l'assemblée législative par la disposition qui les déclarait non rééligibles, la plupart des constituants, qui avaient agité l'opinion en sens divers, allaient prendre place dans les deux clubs des Feuillants et des Jacobins. Ceux-ci avaient pour eux l'ancienneté et le prestige des talents qui avaient paru à leur tribune, à commencer par Mirabeau. Us affichaient alors, avec une sévérité de tenue et une roideur qui resta dans leurs habitudes, un respect plus ou moins sincère pour la Constitution. Aussi, quand

ie veux dire que cela se débitera comme un fait constant, car cela se dit déjà. Ce n'est pas assurément que je compare l'énergie de ce digne homme aux excès qu'on peut reprocher à Marat ; mais il me semble qu'on se dispose à les juger dans le même esprit et avec la même injustice. Les victimes paraissent devoir être telles : Danton, hai par Lafayette, lui est sacrifié oar les Lameth ; ceux-ci exigent en retour Brissot, qu'ils délestent, parce qu'il les a démasqués, et Lafayette le leur abandonne -. avant tout, Robespierre est sacrifié à la cour par la faction dominante, qui se la concilie, et abandonné par les jaloux de tous les wrtis. » (Correspondance.) nous voyons Camille reparaître, et c'est par un discouis prononcé à la tribune des Jacobins l, on est frappé d'un changement qui ne se borne pas seulement au ton et au stjle de l'écrivain, mais qui semble d'abord s'étendre à ses idées mêmes. Ce n'est plus cette gaieté turbulente, effrénée, ces élans souvent désordonnés, cette verve toujours entraînante, même en ses plus grands écarts. C'est quelque chose de posé, de suivi, de mesuré même jusque dans la violence. Il débute par quelques réflexions assez inattendues sur le peu d'initiative de la nation, à qui on a cherché « à persuader qu'elle avait voulu être libre, pour lui faire chérir la liberté comme son ouvrage, » tandis, qu'en réalité, elle y songeait peu, et jamais n'eût entrepris la Révolution si elle n'avait été entraînée par un petit nombre de patriotes et servie surtout par les fautes de ses ennemis ; notons que Camille avait toujours dit le contraire, mais les contradictions ne l'embarrassent guère ; sa confiance avait baissé. « Partout beaucoup sont affranchis par peu ; mais l'art du législateur qui veut maintenir cet affranchissement, est d'intéresser la multitude à maintenir 1 ouvrage du petit nombre. C'est la marche que suivit l'As->

  • 2i octobre 1791. Discours sur la situation politique de la nation, à l'ouverture de la seconde session de l'Assemblée nationale, prononcé à la Société des Amis de la Constitution. semblée nationale, tant qu'elle fut environnée de dangers. Voyez, comme après l'insurrection du 14 juillet, ces représentants, depuis si avares envers la nation, s'empresseront de l'intéresser à la Révolution par les prodigalités de la nuit du 4 août, et d'épuiser en un moment leur corne d'abondance sur toute l'éten due de l'empire. De ce moment, la contre-ré volution devint impossible. » Malheureusement les constituants ont failli à leur tâche, et l'oraison funèbre de cette assemblée est faite en des termes où nous retrouvons en passant le ton habituel de Camille :

« L'Assemblée nationale ( e 1789, si pure à sa source et en sortant de dessous terre, puis corrompue dans la capitale, enfin si fangeuse et en si mauvaise odeur au moment où elle allait rentrer dans le sein de la nation et se perdre parmi le peuple français, vient de finir comme la rivière des Gobelins, qui, après avoir traversé les immondices de Paris, n'est plus qu'un égoùt, comme on sait, en arrivant à la Seine, au-dessous de la gare. »

La comparaison n'est pas flatteuse. Néanmoins Camille proteste de son respect pour la Constitution que cette assemblée a faite à la France ; mais ce qui diminue singulièrement la valeur de cette adhésion, c'est la conviction, nettement exprimée par lui, que cette Constitution n'est pas née viable, et les preuves dont il appuie son opinion : « En même temps que, comme citoyen, Vadhère à cette Constitution, comme politique, je ne crains pas d'en assigner le terme pro chain. Je pense qu'elle est composée d'éléments si destructeurs l'un de l'autre, qu'on peut la comparer à une montagne de glace qui serait assise sur le cratère d'un volcan : c est une nécessité que le brasier fasse fondre et se dissiper en fumée les glaces, ou que les glaces éteignent le brasier. Ce n'est point là protester contre la Constitution. »

Cela y ressemble fort cependant, et Camille ne manque pas d'énumérer toutes les impossibilités de cette Constitution composée d'éléments discordants, trop monarchique et trop républicaine tout à la fois : l'assemblée législative, aussi bien que le roi, allait se charger de justifier ces critiques. Mais ce qui est moins juste, et où nous retrouvons malheureusement une des plus mauvaises dispositions de Camille et, il faut bien le dire, de son temps, c'est l'idée que toutes ces impossibilités ont été voulues, préméditées ; que ceux qui ont fait la Constitution, n'ont eu d'autre but que de la rendre impraticable, afin de ramener le rétablissement de l'ancien régime : accusation vraiment absurde, car s'il y a quelque chose de prouvé au monde, c'est la sincérité des principaux constituants, leur attachement à leur œuvre, leur confiance naïve qu'ils ont poussée jusqu'au plus inexplicable aveuglement. Par exemple, parmi les auteurs de ce plan machiavélique, Camille cite Lafayette : or, de quelque façon que l'on juge et les idées et là conduite du général, ce que 2' avenir au moins devait mettre hors de doute, c'était la persistance de celui dont Napoléon disait un jour dans son conseil d'Etat : « Tout le monde, en France, est corrigé ; il n'y a qu'un seul homme qui ne le soit pas, Lafayette ! Il n'a jamais reculé d'une ligne. Vous le voyez tranquille ? Eh bien ! je vous dis, moi, qu'il est tout prêt à recommencer. »

L'Assemblée législative ne devait pas tarder, d'ailleurs, à donner satisfaction à quelquesunes des idées qui tenaient le plus au cœur de Camille. A l'occasion des décrets sur les émigrés et sur les prêtres insermentés, et du veto que le roi avait opposé à ces mesures, Camille vint dans la séance du 1 1 décembre présenter une adresse qu'il pria l'un des secrétaires de l'Assemblée, l'abbé Fauchet, de lire, attendu « qu'il se défiait de sa voix ; » il en était évidemment le rédacteur, car on l'y retrouve tout entier. En voici le début :

« Dignes représentants, les applaudissements sont la liste civile du peuple. Ne repoussez donc point la juste récompense qui vous est décernée par le peuple. Entendez des louanges courtes, comme vous avez entendu plus d'une fois une longue satire. Recueillir les éloges des bons citoyens et les injures des mauvais, pour une assemblée na » tionale c'est avoir réuni tous les suffrages. »

Et Camille ajoute, avec une mansuétude apparente qui ne donne que plus de force à ses paroles :

« Nous ne devons nous plaindre ni de la Constitution qui a accordé le veto, parce que nous serons toujours respectueusement soumis à la Constitution, ni du roi qui en use, parce que nous nous souvenons de la maxime d'un grand politique, excellent juge en cette matière, de Machiavel, qui dit ces mots bien remarquables, et quel' Assemblée constituante aurait dû méditer profondément : « Si pour « rendre un peuple libre il fallait renoncer à « la souveraineté, celui qui en aurait été re » vêtu mériterait quelque excuse, et la nation « serait trop injuste, trop cruelle de trouver « mauvais qu'il s'opposât constamment à la « volonté générale, parce qu'il est difficile et « contre nature de tomber volontairement de « si haut. »

« Dans ce sens, l'inviolabilité du roi est infiniment juste. Et pénétrés de cette vérité, prenant exemple de Dieu même, « dont les « commandements ne sont point impossi » blés, •> nous n'exigerons jamais du ci-devant souverain un amour impossible de la souveraineté nationale, et nous ne trouvons point mauvais qu'il oppose son veto, précisément aux meilleurs décrets. »

Pour être sous-entendue, la conclusion da tout ceci n'était pas difficile à tirer. En attendant la déchéance qu'on ne devait pas tarder à demander comme le seul moyen de mettre fin à une lutte interminable, Camille exerçait sa profession d'avocat, et c'est comme tel qu'il s'attira une violente attaque du Patriote français, journal de Brissot ; ce fut là le premier signal d'une lutte qui ne devait se terminer qu'à la proscription des Girondins, au 31 mai 1793. C'est à ce titre que cette querelle, toute personnelle d'abord, doit nous arrêter uu instant.

La lutte, entre quelques-uns de ceux qui devaient figuror plus tard dans les groupes de la Gironde et de la Montagne, commençait déjà avant le 10 août aux Jacobins, et, chose bien remarquable, ce fut sur des points où les futurs Girondins paraîtront peut-être à quelques lecteurs plus révolutionnaires que les futurs Montagnards. C'est ainsi que Robespierre avait eu à défendre son déisme contre l'athéisme quelque peu intolérant de Guadet ; une querelle plus générale avait éclaté à l'occasion de la question de la guerre, à laquelle Robespierre s'opposait, et que prêchait Brissot comme le signal de l'affranchissement des peuples. Camille soutenait les mêmes opinions que son ancien camarade de collège, lorsqu'une accusation portée contre lui, par un autre futur Girondin, Girey-Dupré, dans le journal même de Brissot, mit Camille hors de lui, et lui dicta le violent et célèbre pamphlet : « Brissot démasqué. »

On va voir quelle petite cause provoqua une explosion si terrible.

Une espèce de consultation, signée Ca~ mille Desmoulins, homme de loi, et affichée selon l'usage d'alors, contestait, au point de vue de la légalité, le droit que le tribunal de police correctionnelle s'était arrogé d'envoyer à Bicêtre et à la Salpêtrière deux individus, le sieur Dithurbide et la dame Beffroy, condamnés à quelques mois de prison en application de la loi sur le-s maisons de jeu. « On montrera l'innocence des accusés, » dit Camille Desmoulins : mais, ce qu'il déclare contraire à la loi, c'est, « attendu qu'il y a appel et offre de caution, » d'avoir envoyé les accusés dans une maison de force, et non dans une maison d'arrêt, pour attendre le second jugement. Il termine par quelques réflexions sur l'injustice qu'il y aurait à assimiler par un jugement infamant le vice et le crime, le jeu et le vol. Tout cela n'a rien qui semble devoir trop échauffer les têtes.

Mais à ce propos, le Patriote français publie un article violent, dont Camille cite un extrait en tête de sa réponse : on déclare, en termes insultants, que le placard, dont il a sali les murailles, contient une scandaleuse apologie des jeux de hasard (ce qui est un pur mensonge 1 ), et l'on ajoute : « Cet homme ne se dit donc patriote que pour calomnier le patriotisme ? »

Il faut convenir qu'il y avait là de quoi exaspérer un homme plus patient que Camille Desmoulins. Mais jusqu'à quel point était-il juste de rendre Brissot responsable d'un article inséré dans son journal ? Ceci est une autre question. "Voici comment Camille s'explique à ce sujet : « Il ne vous sert de rien de dire que la diatribe n'est pas de vous, qu'elle est avouée et signée Girey-Dwprè. Le maître est responsable des délits du domestique, et le régent de ceux qui sont sous sa férule. Il est commode à un journaliste de prendre ainsi M. Girey en croupe, pour couvrir son dos. Mais je saute à la bride, parce que c'est vous qui la tenez, et qui m'avez lâché cette ruade. Il y a longtemps que j'ai remarqué cette malveillance pour moi. » Et il se disculpe d'abord, ce qui n'était pas difficile, puis joint à cette défense quelques réflexions fort sages sur la nécessité de ne pas appliquer des peines draconiennes et des mesures inquisitoriales à des délits que réprouve la morale, mais que la loi ne veut atteindre que « dans le cas de flagrant délit. » Une sévérité plus grande serait impolitique dans un temps de corrup-

  • On peut lire la consultation de Camille à la suite du Brissot démasqué. tion, où l'on ameuterait ainsi contre la liberté, non-seulement ses ennemis naturels, mais aussi les vices égoïstes et indifférents. Or, ces vices abondent ; « Paris n'est guère moins corrompu que Rome au temps de Jugurtha ; cette vérité est incontestable, puisqu'un des plus grands symptômes de corruption, c'est lorsqu'il ne s'élève point de grands caractères, lorsque toutes les âmes sont nivelées, sans physionomie, et comme des pièces de monnaie effacées par le frottement. Or tel est Paris, aussi stérile aujourd'hui que Rome était alors féconde en grands caractères ; ce qui est très heureux ; car on peut se promettre un dénoûment moins sanglant de nos discordes que celui des discordes de Marius et de S y lia. »

Etrange et honorable illusion, en février 1792 ! Le malheureux ne se doutait pas en écrivant cette brochure qu'il préparait d'avance un texte d'accusation mortelle contre Brissot et les brissotins ; il ne se doutait pas non plus qu'un jour la même indulgence pour le vice lui serait reprochée à lui et à Danton par un autre, et deviendrait leur arrêt de mort... En attendant, c'est Brissot qui réclame « la régénération des mœurs. » Camille, accusé, l'accuse à son tour, et chercheà démontrer que le rôle de puritain convient peu à Brissot. Il lui rappelle les fâcheuses imputations dont sa probité jadis a été atteinte ; mais sans insister beaucoup sur ce point. Puis, passant à la vie politique de Brissot, il l'accuse nettement de trahison. Malheureusement ici, il né prouve rien, et parmi ces reproches, s'il y en a d'assez fondés, il y en a qui sont tout à l'ait absurdes et mal placés surtout sous la plume de Camille Desmoulins. Où il a raison, c'est quand il reproche à Brissot cette fureur belliqueuse qui lui ferait déclarer la guerre à l'Europe entière, cette manie d'affranchir le genre humain, quand la liberté n'a pas encore pris solidement racine en France ; un passage vaut la peine d'être cité :

« C'est un beau sentiment, et digne d'un Las-Casas, d'embrasser tout le genre humain dans ses affections ; c'est une grande idée, et digne d'un Alexandre en philanthropie, de vouloir affranchir à la fois tous les peuples et toutes les castes ; mais ce vœu ne peut être que le second, dans un révolutionnaire politique, et non aventurier, qui médite non pour « a gloire, ce qui frappe l'imagination, mais poir le bonheur de ses concitoyens, ce qui act faisable ; qui reporte ses regards sur les siècles passés, qui considère que la liberté a été le partage de bien peu de peuples ; que, dans ce petit nombre, chez la plupart, elle n'a fait que poser le pied et fuir pour jamais, qu'elle a semblé jusqu'ici se complaire sur des rochers et dans de petits Etats, et qui la voit s'établir à ses côtés, au milieu de vingt-cinq millions d'hommes, et dans un climat si beau que la France. Certes, le premier, l'unique vœu d'abord, de ce citoyen doit être de l'y retenir et de l'y fixer avant tout, et non de travailler à grossir sans cesse le nombre de ses ennemis. »

Mais où Camille a tort, c'est quand il voit dans cette manie libératrice de Brissot, un projet perfide, pour compromettre les résultats acquis de la Révolution. Où il a tort, c'est quand il reproche à Brissot, toujours accusé de la même intention machiavélique, d'avoir marqué trop de zèle pour la cause des nègres, « au lieu d'ajourner à des temps plus calmes les questions d'Etat des hommes de couleur et des noirs. » Et il l'accuse d'être ainsi B la cause des sanglantes agitations des colo- l nies. Où il devient décidément révoltant, c'est I quand il fait un crime à Brissot d'avoir été ; le promoteur de la pétition du Champ de ^ Mars, et la cause volontaire du massacre, h, Camille, qui a peu de mémoire, oublie ici r i que, dans son dernier numéro des Révolu- 1 : iions, il avait dit : « Brissot rédige une péti-C tion constitutionnelle, irréprochable, dignei i de la majesté du peuple... » Et il se trouve^ quelques mois après que cette pétition étaitli un acte de trahison formel et un odieux guet-M apens 1 !

s Dans le procès des dantonistes l'acte d'accusation reMais, ce qui passe tout, dans la bouche de Camille, c'est le reproche adressé à Brissot, d'avoir compromis (toujours à dessein), la cause de la liberté en se disant républicain :

« Etait-ce d'une bonne politique, lorsque la France avait été décrétée une monarchie, lorsque le nom de république effarouchait les neuf dixièmes de la nation, lorsque ceux qui passaient pour les plus fougueux démocrates, Loustalot, Robespierre, Carra, Fréron, Danton, moi, Marat lui-même, s'étaient interdit de prononcer ce mot ; était-il d'une bonne politique, à vous, Brissot, d'affecter de vous parer du nom de républicain, de timbrer toutes vos feuilles de ce mot : République, de faire croire que telle était l'opinion des Jacobins, et d'autoriser les calomnies et la haine de tous ses ennemis. »

De sorte que, ce serait lui, Camille, et les Jacobins ou Cordeliers aux noms colorés cités par lui, qui seraient les modérés, les prudents, les gens asservis à la Constitution ; et ce serait Brissot, qui serait l'exagéré, l'énergumène, ï enragé ? Il est vrai que, selon lui, Brissot parla a pour but de servir Lafayette. Mais ce qui est très vrai, c'est qu'alors Brissot était, relativementauxautres révolutionnaires,

prochera à Danton d'avoir été payé par la cour pour provoquer cette pétition : toujours les mêmes calomnies servant à divers usages. (Voir le n° 18 du Bulletin du tribunal révolutionnaire.) beaucoup moins modéré sur une. foule de points 1 . C'est une preuve de plus pour qui étudie d'un peu près cette époque, que les situations y ont été toujours plus compliquées qu'on ne le croit à distance, que les individus et les groupes y ont infiniment moins d'unité qu'on le suppose, qu'il est bien hasardeux de leur appliquer la même et invariable épithète, et qu'enfin les classifications absolues, fort raisonnables en histoire naturelle, sont le plus souvent un trompe-l'œil dans l'histoire de la Révolution.

Ce qui est assez singulier, après cette sortie si violente contre Brissot, c'est que Camille ne s'occupe de lui qu'incidemment dans le journal qu'il publia deux mois plus tard, laTribune des patriotes ; il est vrai que ce journal n'eut que quatre numéros, et n'a pas d'ailleurs ^rn caractère très marqué. La préoccupation d'alors pour Camille, c'est Lafayette ; il voit en lui une profondeur d'ambition, qu'aujourd'hui on ne lui impute guère ; voici le passage •

« Dans ma manière de voir (et jusqu'ici je ne me suis guère trompé ; on peut remarquer que j'ai toujours eu un ou six mois d'avance sur l'opinion publique) ; dans ma manière de

i On sait quels sentiments il avait professé antérieure ment sur la propriété, dans un ouvrage publié quelque » années avant la Révolution. voir, on vient d'embarquer la nation dans une guerre aussi interminable pour la liberté par les victoires, que par la défaite des généraux. Je vois Lafayette sourire à sa devise : Cur non ? Pourquoi pas ? Depuis le premier acte, il s'est arrangé pour se trouver, au dernier, Monk ou Cromwell, selon les circonstances. Comme Dieu, il sera du côté des gros bataillons. Or, il n'est pas difficile de voir que la Constitution ne peut manquer de périr dans le cboc de la guerre, et que ce qui en sera brisé le premier, c'est la monarchie. Adieu les royalistes et les monarchistes ! Je suis de bonne foi, j'ai opiné contre la guerre, parce que je n'aime pas à acheter avec des flots de sang ce qu'on pouvait avoir sans coup-férir. Mais puisqu'ils ont voulu la guerre, je ne prends point assez grand intérêt à la monarchie pour me désoler de son renversement, Ïiourvu que sous les ruines de la Constitution a liberté reste debout. La confession de l'évêque Fauchet, que notre cher et féal Chabot nous a révélée dans la dernière séance des Jacobins prouve que bien des gens voient comme moi et que déjà Lafayette a fait sonder sur le protectorat l'élite des patriotes au Comité de surveillance. Il était trop fin pour le demander pour lui-même ; c'est le subalterne Narbonne qui a été mis en avant, et qui, par un sourire gracieux a fait pressentir dans une conférence à Madame C..., que le protectorat n'était pas de refus, le cas échéant, comme il résulte des pièces produites aux Jacobins. C'est une séance bien curieuse, bien instructive que celle des lundi

i. — c. DESÏIOUUNS. 3 et mercredi à la Société. Fréron en rendra compte. Moi je reviens à Lafayette. Je crois voir que pour suivre sa haute destinée et pousser sa fortune, il a quitté le sentier du royalisme, et c'est par la grande route du patriotisme qu'il monte maintenant. Il fait annoncer partout que sa tente sera toujours à la tête du camp, que les officiers y trouveront toujours un couvert, mais à une table de Fabricius, qu'au-dessus flottera un drapeau immense aux trois couleurs. Il aura beau faire, dans cette couleur rouge, au-dessus de sa tente, les gens de bien, les vrais patriotes verront toujours le sang de Nancy et du Champ de Mars.

« J'ai laissé entrevoir quel dénoûment j'augure de la guerre. Je ne doute pas que la victoire ne demeure à la liberté ; mais combien elle va coûter cher ! Je pense que Lafayette n'effacera jamais assez de ses habits la tache du sang du peuple pour monter au protectorat ; cependant ceux qui ont fait la Révolution non pour l'agrandissement et la domination de quelques-uns, mais pour le bonheur et la liberté de tous, ne peuvent être sans inquiétudes, s'ils pèsent les considérations suivantes. Lafayette était bien {missantil y a un an, puisqu'un jour Voidel, e président du Comité des recherches, se disculpant du reproche de pusillanimité, avouait qu'à l'époque du 21 juin, il avait signé, sur la déposition de plus de cinquante témoins, l'ordre d'arrêter Bailly et Lafayette ; mais que cet ordre était demeure sans effet, tous les membres des deux Comités des rapports et des recherches, étant ou tremblants ou complices.

« On a vu qu'il avait eu l'habileté incroyable de persuader à trois partis, les royalistes, les monarchiens et les républicains, qu'il était leur chef.

« Une des plus fortes preuves, à mon sens, de cette habileté, c'est que ces hommes que nous avons vus si puissants, parleur popularité, ce Charles Lameth, dont le peuple vengeait une égratignure par les cassations de l'hôtel de Castries ; ce Duport, cet Alexandre Lameth qui avaient le génie des conjurations, et qui terrassèrent Mirabeau, le 28 février, à la tribune des Jacobins, ce Barnave, qui par sa faconde le vainquit souvent dans l'Assemblée nationale, tous ces perfides et ingrats déserteurs de la cause du

{>euple, tous ces ci-devant chefs du parti de a liberté, depuis qu'ils ont passé dans le parti de Lafayette, sont descendus au rôle de ses agents très subalternes, et il n'a pas même daigné faire des lieutenants de ces tribuns factieux. Tel est l'ascendant de ce génie ambitieux et qui ne souffrira point de rivaux.

« 11 a la première qualité d'un chef de parti, celle de Sylla et de Pompée, d'être ami fidèle et généreux ; de ne garder pour lui que le premier rang et de faire ce partage entre ses créatures, qu'elles travailleraient à sa gloire, et que lui travaillerait à leur fortune et à leur autorité.

« On sait bien que c'est lui qui a fait tous les députés de Paris, et dans les assemblées électorales, les filets même de l'exclusion tendus par tout un parti, se sont ouverts pour tous ceux de son parti qui avaient bien mérité de Lafayette, tels que Brissot, Condorcet, Fauehet. C'est qu'il n'a jamais distingué de quelle opinion on était, pourvu qu'on fût de ses partisans.

« Au contraire, je défie qu'on me montre un seul de ses ennemis déclarés qui soit arrivé au plus petit emploi. Il a placé, ou plutôt porté dans le ministère, le département, lamunicipalité, le corps diplomatique, l'assemblée nationale, ou l'armée tous ses aides de camp, ses amis, ses écrivains à gages, même ses mouchards, ses juges et ses coupe -jarrets.

« Voyez comme il est libéral envers Brissot, et cet échange de services entre eux ; comme à son tour il prête tout son crédit et sa puissance à Brissot qui lui a prêté son nom, dans les Jacobins, et a fait qu'on n'y appelle que les Brissotins (nom moins odieux et moins alarmant ;, ceux dont le véritable nom est Fayettiens. C'est à Brissot qu'il a remis la feuille des bénéfices. C'est lui qui fait la liste de Dumouriez, de Roland, de Charrières, c'est sur sa présentation qu'on nomme aux légations et à tous les emplois. Il faut avouer que cet intendant politique de Lafayette, s'acquitte fidèlement de son économat. Car parmi les nombreuses promotions qui viennent de se faire aux Jacobins, je ne crois pas qu'il y en ait eu une seule pour quelqu'un qui ne tienne pas à Lafayette. Il n'y a pas jusqu'aux places de président, de vice-président ou secrétaire des Jacobins, dont Brissot ou son parti ne fassent une recompense et une amorce ; en s'appliquant ainsi à faire les affaires de tous ceux qui font les siennes, comment Lafayette, depuis bientôt quatre ans, qu'il est à la tète de la Révolution, ne se serait-il pas fait un parti puissant ?

« Aussi l'a-t-on appelé très bien le "Warwick des ministres. C'est par lui que les nouveaux ont été nommés, et c'est pour lui qu'ils ont été nommés. lis ont été nommés pour faire la guerre, et ils ont fait la guerre pour l'élever à la dictature. Dernièrement il était à Paris, maçonnant dans l'assemblée nationale une coalition redoutable, formée des membres les plus opposés, Brissot et Beugnot, Jaucourt et Guaclet, Ramond et Yergnïaud, Dumas et Condorcet, Gensonné et Faucbet, Lacroix et Pastoret.

« La coalition n'a pas trouvé de lieu plus propre à tenir ses séances et qui éloignât mieux tous les soupçons que l'hôtel de la mairie. On a su éconduire et écarter de chez Péthion les patriotes dont la présence et la perspicacité étaient importune. On a persuadé à Péthion que Lafayette. et Narbonne étaient les plus fermes soutiens du parti populaire, et on le lui a si bien persuadé, qu'un jour que je lui disais à la maison commune : Il me semble que Lafayette et Narbonne veulent se mettre à la tête des Jacobins ; il m'a répondu d'un air où j'ai lu la surprise de me voir rencontrer sijuste : « Mais oui, je les crois avec « nous, sinon par patriotisme, au moins par « intérêt. »

« Toujours est-il sûr que Lafayette a une très grande influence aux Jacobins. Il domine dans l'Assemblée nationale par la coalition Le Conseil n'est composé que de ses créatures, excepté peut-être Grave, le ministre de la guerre. Il garnit toutes les places de ses suppôts. Cromwell en un mot après la victoire de Worcester, le conquérant de l'Irlande ou de l'Ecosse, ne disposait pas plus exclusivement des emplois civils et militaires, en faveur de ses partisans, que Lafayette et sa faction, et cependant la guerre est à peine commencée.

Et puis quels sont ces nouveaux parvenus ? Brissot nous disait hier aux Jacobins, qu'enfin le conseil du roi était patriote, qu'il ne nommait plus que des patriotes. On fait sonner bien haut que tout le ministère est jacobin, comme si tous les plus dangereux ennemis de la liberté n'étaient pas sortis des Jacobins. La société, dans ses bons mouvements, a déjà jeté deux écumes, celle de 89 et celle des Feuillants, et elle est à la veille d'en jeter une troisième. En attendant, je ne demande pas mieux que de juger le ministère par ses œuvres ; mais que peuvent augurer de favorable les gens de bien en voyant les nouvelles promotions ? Qu'on me montre un bon choix un peu important qu'aient fait les ministres quand le moins mauvais est Noël (rédacteur de la Chronique, c'est tout dire). Quels patriotes que Bonne-Carrère et Villars, renvoyés ensemble des Jacobins, et que le patriote Dumouriez vient de nommer ensemble ! Tel est directeur général des affaires étrangères qui faisait un métier si infâme que la pruderie de la langue ne permet pas de le nommer ; et tel est envoyé en ambassade comme un excellent patriote, avec qui un pa< triote Poserait pas diner sans avoir du Mi » thridate. Quand on réfléchit que ces chois sont de la main de Brissot et de la coalition, et de l' arrière-main de Lafayette !

« D'après ces faits, malgré la fastueuse dédicace de l'ouvrage de Payne à M. Lafayette comme au plus zélé partisan de la République, je m'effraye de penser que ce fameux décret, qui interdisait aux membres du Corps législatif toute place militaire, à la nomination médiate ou immédiate du pouvoir exécutif ; décret en vertu duquel M. Bureaux de Puzy, nommé aide de camp de Lukner, a été déclaré, pendant sa présidence même, irrééligible, n'ait pas eu d autre effet que celui de la fameuse ordonnance de Self-Benying ou du renoncement à soi-même, par laquelle les communes exclurent des emplois civils et militaires tous les membres du long parlement, et qui n'aboutit qu'à dépouiller de leurs emplois tous les rivaux de Gromwell, tous ceux qui lui faisaient ombrage, tandis que lui seul continua d'être employé comme lieutenant général de l'armée.

« Je m'effraye de ce phénomène, d'un homme assez habile pour tromper trois factions ennemies ; assez maître de ses passions pour {>ouvoir se réconcilier avec tout, excepté avec a probité et le patriotisme ; d'un homme au milieu des culbutes successives de tous ses rivaux d'ambition, voyant les ministres et les législatures, et les pouvoirs constitués passer tour à tour, lui seul restant debout, s'élevant de degrés en degrés, tirant toujours un parti unique des disgrâces populaires pour monter en laveur à la cour, et des disgrâces de la cour pour s'accréditer dans le parti populaire ; nommé général par le roi, quand Paris le refusait pour maire, et aujourd'hui que le roi bien instruit chasse de sa présence Narbonne, son complice, à la veille d'être nommé généralissime, du moins désigné pour tel par les républicains les plus déclarés.

« Mais le ciel nous préserve de la république de Lafayette ! Ce motrépublique que Gromwell avait continuellement à la bouche ne m'en impose plus. J'ouvre l'histoire de la révolution d'Angleterre, depuis 1640 jusqu'à 1658. Je vois que les principaux événements qui se reproduisent aujourd'hui sont une répétition de ceux d'alors. Et comme alors le résultat le vingt batailles et de cent mille morts fut l'expulsion du sénat, l'exil et la fuite des meilleurs citoyens, le règne des baïonnettes, et dans le gouvernement cette seule différence qu'en 1640 c'était la domination de plusieurs sous le nom d'un seul, et qu'en i 1653 ce fut la domination d'un seul sous le nom de plusieurs : en comparant les deux révolutions, je suis bien moins rassuré par leur dissemblance qu'effrayé de leurs rapprochements. Il est bien naturel aux bons citoyens de chercher à prévenir les mêmes résultats. Et déjà, quoique la guerre ne fût pas encore déclarée, quoique Lafayette ne soit I pas encore rentré dans Paris sur un char de il triomphe, lorsque le conseil général de la ; ; commune a voulu, sur la pétition d'une mul- h titude de citoyens et de sections, délibérer si on laisserait subsister son ouste, le buste d'un homme vivant, n'a-t-on pas vu le colonel d'Ermigny et une poignée de soldats mettre ] e poing sous le nez à un magistrat en fonctions, crier au substitut de la commune qui requérait la levée de la séance, hue, hue, factieux, va -t'en ? Etrange renversement d'idées de cette soldatesque insultant et menaçant le magistrat sur son siège et appelant celui-ci factieux et perturbateur ! N'a-t-on pas vu alors les frères bleus essayer le 19 avril sur la municipalité de Paris ce que les frères rouges de Cromwell exécutèrent le 20 avril 1653 sur le long parlement ? »

Nous citerons encore un passage assez curieux, parce qu'il fait pressentir l'attitude que prendront plus tard Camille et Robespierre devant Clootz, Chaumette et autres apôtres de la déesse Raison :

« Je crains bien que le jacobin Manuel n'ait fait une grande faute en provoquant la mesure contre la procession de la Fête-Dieu *. Mon cher Manuel, les rois sont mûrs, mais

1 II semble pourtant que l'année suivante, en 1793, ces processions avaient lieu encore, car on lit dans Montjove, témoin non suspect (Histoire de la conjuration de Robespierre, édition de l'an IV, chez Maret, maison Egalité, p. 109), que le 30 mai 1793 : « pendant une cérémonie religieuse, que les catholiques faisaient extérieurement dans le quartier de Paris appelé de l'isle (l'Ile Saint-Louis'), des gens du parti de Robespierre s'écrièrent . « Il faut t mettre en état d'arrestation tous ceux qui suivent la prole bon Dieu ne l'est pas encore (notez que je dis le bon Dieu et non pas Dieu, ce qui est fort différent) 1 . Si j'avais été membre du comité municipal, j'aurais combattu cette mesure avec autant de chaleur qu'eût pu faire wn margïîïïàeT. Far *a rcusoB contraire, notre directoire feuillant n'a pas manqué d'adhérer cette fois à l'arrêté municipal. Je sais bien Îu'à Paris les inconvénients sont moindres. ie soleil de la philosophie a mûri les têtes. Mais à Paris même, comme dans les départements, le réquisitoire du patriote Manuel a le grand inconvénient de soulever contre la Constitution les prêtres constitutionnels, qui nous ont rendu de si grands services, qui ne

{>euvent voir dans un semblable arrêté que e plus sinistre présage pour leur marmite ;

t cession. » La crainte que l'effet ne suivît la menace jeta l'épouvante parmi ceux que cet acte de religion avait réunis. » L'auteur ne dit pas que la menace ait été suivie d'effet, ce qui prouve qu'il n'y eut rien de semblable. Tout ce qu'il faut en conclure, c'est qu'en 1793 même, une procession avait pu se produire extérieurement. C'est un fait peu connu, et peu en rapport avec tout ce qu'on raconte des persécutions religieuses de cette époque.

i Camille fut toujours déiste convaincu ; il dit dans le Discours de la Lanterne, et il a répété ailleurs : « Il est une religion de tous les siècles et de tous les pays, une religion qui n'appartient pas à certain peuple, à certains climats comme le christianisme, mais une religion qui est répandue chez tous les peuples, une religion innée. C'est celle qu'ont conservée dans sa pureté les hommes éclairés et les sages... Sa foi est de croire en Dieu ; sa charité, d'aimer les hommes comme des frères ; son espérance est celle d'une autre vie. Cette religion ne procurera jamais des extases comme celle de sainte Thé et c'est toujours par le renversement des mar> mites que s'opèrent les révolutions et les contre-révolutions 1 ! »

IV

Le 10 août a renversé le trône. Danton devient ministre, et Camille entre avec lui au ministère de la justice, en qualité de secrétaire. Tous deux ne tardèrent pas à en sortir, pour entrer à la Convention nationale.

Sauf son discours cruel et violent dans le

rèse ou de saint Ignace, qui transpirait d'amour diviu, et en était trempé, au point de changer trois fois de chemise à une messe de minuit. Mais... cette foi n'est pas donnée à tous, et il est juste que l'Assemblée nationale s'occupe des intérêts de tout le monde. Si le peuple a be soin d'une religion, le philosophe, l'homme sensible et honnête, en ont plus besoin encore. Voyez quels efforts ont fait Platon, Cicéron, Jean-Jacques, pour nous persuader l'immortalité. « Nous sommes en France un million • de théistes, » observait, il y a vingt-cinq ans le patriarche de Ferney ; depuis, ce nombre s'est accru jusqu'à l'infini, et très probablement le théisme deviendra peu à peu la religion catholique, c'est-à-dire universelle. » Dans ses derniers écrits, non destinés au public, et où l'on doit voir sa pensée sincère, dans sa lettre à sa femme, il dit : « Malgré mon supplice, je crois qu'il y a un Dieu ! mon sang effacera mes fautes, les faiblesses de l'humanité ; et ce que j'ai eu de bon, mes vertus, mon amour de la liberté, Dieu le récompensera. Je te reverrai un jour, ô Lucile !... »

1 La Tribune, qui devait paraître tous les samedis (en trois feuilles in-8°), s'arrêta après son quatrième numéro. Les articles de fond sont signés de Camille ; le titre portait procès de Louis XVI, Camille y marque peu ; il ne parle guère (il bégayait, et avait la poitrine assez faible) ; à Legendre qui lui reprochait son silence, il répond, dans sa Lettre à Pillon : « Mais, mon cher Legendre, tout le monde n'a pas tes poumons. — Si vous n'avez pas des poumons, lui répond sévèrement Legendre, il fallait le dire au peuple, qui aurait donné vos dix-huit francs à un homme qui en eût. — Sans doute, Legendre, il faut des parleurs dans une assemblée, et après l'achèvement de la Constitution, nous

qu'il avait Fréron pour collaborateur, et le prospectus annonçait qu'ils avaient un moment pensé adjoindre à leur escadre le brûlot Marat, — oui, Marat en personne, mais ils espéraient le déflogistiquer tant soit peu. Marat leur avait répondu avec dédain :

« L'aigle va toujours seul, et le dindon fait troupe. »

Au reste, même au temps des Révolutions de France, Camille s'était toujours flatté de déflogistiquer Marat. Dans une circonstance singulière, Camille prétend même y avoir réussi. Juste dans le numéro qui suivit celui où il regrettait qu'on n'eût pas pendu Necker et Saint-Priest, Camille, avec sa mobilité naturelle, fait la guerre à Marat sur sa fameuse phrase tant de fois citée : « Cinq ou six cents têtes abattues vous auraient assuré repos, liberté et bonheur ; » (cela avait été publié dans un écrit intitulé : C'est fait de nous) et voici ce qu'il raconte d'une entrevue qu'il eut alors avec Y Ami du peuple :

« Monsieur Marat, lui dis-je en secouant la tète... cinq ou sixcents têtes abattues l vous m'avouerez que cela est trop fort. Vous êtes le dramaturge des journalistes : les Danaïdes, les Barmécides ne sont rien en comparaison de vos avons été trop heureux de trouver dans la présidence de Thuriot, le prodige d'un robinet si intarissable de paroles, pour répondre aux comphments des quarante-huit sections ; mais où en serions- nous s'il y avait dans l'Assemblée sept cents robinets semblables ? » S'd ne parla pas, il écrivit ; et dans deux circonstances décisives : la première contre les Girondins ; la seconde, en composant le Vieux Cordelier. La lutte entre la Gironde et la Montagne

tragédies. Vous égorgez tous les personnages de la pièce et jusqu'au souffleur : vous ignorez donc que le tragique outré devient froid ? Vous m'allez dire que cinq ou six cents têtes ne sont rien, quand il est question de sauver vingtsix millions d'hommes, que Durozoy, dans la Gazette de Paris, crie tous les jours aux ci-devant nobles : « Liguez » vous, prenez les casques, les cuissards, les épées rouil » lées de vos ancêtres, égorgez toute la nation ; » qu'on ne peut tout au plus vous considérer que comme le Durozoy des patriotes, et que la Gazette de Paris est encore bien plus altérée de sang que V Ami du Peuple. J'en conviens, et je ne vous en improuve pas moins. Monsieur Marat, ne voulez-vous aussi combattre celui que vous appelez Sylla que comme Marius ? Cinq ou six cents têtes abattues !... C'est vraiment une proscription... Pour moi, vous savez qu'il y a longtemps que j'ai donné ma démission de procureur général delà Lanterne ; je pense que cette grande charge, comme la dictature, ne doit durer qu'un jour et quelquefoisqu'une heure. » M. Marat me laissa pérorer, et me réfuta eusuite d'un seul mot : « Je désavoue l'écrit : « Cen est fait de hocs. » — Alors ne voulant point lui céder en laconisme, je terminai ma mercuriale, comme ua procureur sa requête : « Et vous ferez bien. » (N° 37, 1790.) se poursuit depuis plusieurs mois. Au milieu de cette querelle, où tout semble permis, en fait d'accusations hasardées et d'imputations également absurdes, chacun des deux partis se renvoyant exactement les mêmes calomnies, — le projet de détruire la République, d'être la faction d'Orléans, les complices de Dumouriez, et, pour couronner le tout, des traîtres vendus à Pitt, — au milieu, dis-je, de cette assourdissante clameur, s'élève la voix : de Camille Desmoulins, qui les domine, et les dépasse par l'audace des conjectures transformées en certitudes. U histoire des Brissotins, publiée sous ce titre : Fragments de l'histoire secrète de la Révolution paraît et consomme la ruine des Girondins. En voici le début :

« On dut porter envie à ceux qui venaient d'être députés à la Convention. Y eut-il jamais une plus belle mission ? une plus favorable occasion de gloire ? L'héritier de 65 despotes, le Jupiter des rois, Louis XVI prisonnier de la nation et amené devant le glaive vengeur de la justice ; les ruines de tant de palais et de châteaux et les décombres delà monarchie tout entière, matériaux immenses devant nouspour bâtir la constitution ; quatre-vingt-dix mille Prussiens ou Autrichiens arrêtés par dix-sept mille Français ; la nation tout entière debout pour les exterminer ; le ciel s'alliantà nos armes et auxiliaire de nos canonniers par la dyssenterie ; le roi de Prusse, réduit à moins de quarante mille hommes effectifs, poursuivi et enveloppé par une armée victorieuse de cent dix mille hommes ; la Belgique, la Hollande, la Savoie, l'Angleterre, l'Irlande, une grande

Sartie de l'Allemagne, s'avancant au-devant e la liberté, et faisant publiquement des voeux pour nos succès : tel était l'état des choses à l'ouverture de la Convention. La république française à créer, l'Europe à désorganiser, peut-être à purger de ses tyrans par l'éruption des principes volcaniques de l'égalité ; Paris moins un département que la ville hospitalière et commune de tous les citoyens des départements, dont elle est mêlée et dont se compose sa population ; Paris qui ne subsistait que de la monarchie et qui avait fait la République, à soutenir, en le plaçant entre les Bouches du Rhin et les Bouches du Rhône, en y appelant le commerce maritime par un canal et un port ; la liberté, la démocratie à venger de ses calomniateurs par ia prospérité de la France, par ses lois, ses arts, ton commerce, son industrie affranchie de toutes les entraves et prenant un essor qui étonnât l'Angleterre, en un mot, par l'exemple du bonheur public ; enfin le peuple qui, jusqu'à nos jours, n'avait été compté pour rien, le peuple que Platon lui-même, dans sa république, tout imaginaire qu'elle fût, avait dévoué à la servitude, à rétablir dans ses droits primitifs eta rappeler à l'égalité ; telle était la vocation sublime des députés de la Convention. Quelle âme froide et rétrécie pouvait ne pas s'échauffer et s'agrandir en contemplant ces hautes destinées ?

  1. Camille Desmoulins, nature tout expansive, s’est peint et a raconté sa vie dans ses ouvrages. Nous multiplierons dans cette notice les extraits de ses écrits, surtout de ceux qui ne font point partie de la présente collection. Nous n’insisterons pas sur la partie de sa biographie qui appartient à l’histoire générale de la Révolution : le Vieux Cordelier d’ailleurs raconte la lutte suprême de Camille, et le récit de ses dernières épreuves se trouve dans ses lettre » à sa femme. (Tome II de cette édition, p. 129.)
  2. M. Michelet
  3. Histoire secrète de la Révolution, p. 11.
  4. Voici une décision assez curieuse, extraite du recueil des délibérations du collège Louis-le-Grand, p. 211 :
    « Du 19 janvier 1781.
    « Sur le compte rendu par M. le principal des talents éminents du sieur de Robespierre, boursier du collège d’Arras, lequel est sur le point de terminer son cours d’étude, de sa bonne conduite pendant douze années, et de ses succès dans le cours de ses classes, tant aux distributions des prix de l’Université qu’aux examens de philosophie et de droit :
    « Le bureau a unanimement accordé audit sieur de Robespierre une gratification de la somme de six cents livres, laquelle lui sera payée par M. le grand-maître des deniers du collège d’Arras, et ladite somme sera allouée à M. le grand-maitre dans son compte en rapportant expédition de la présente délibération, et la quittance dudit sieur de Robespierre. »
  5. On trouve quelques vers de lui dans son journal des Révolutions de France et de Brabant, entre autres une épître à Linguet sur sa sortie de la Bastille.
  6. Voici comment il rapporte la réponse tant contestée de Mirabeau à M. de Brézé : « Le roi peut nous faire égorger ; dites-lui que nous attendons tous la mort ; mais qu’il n’espère pas nous séparer que nous n’ayons fait la constitution. » Cela est bien loin de la phrase consacrée. Desmoulins assistait à la séance.
  7. Cet enthousiasme ne se borna pas à la France ; voici ce que raconte M. de Ségur alors à Saint-Pétersbourg :
    « Quoique la Bastille ne fût assurément menaçante pour personne à Saint-Pétersbourg, je ne saurais exprimer l’enthousiasme qu’excitèrent parmi les négociants, les marchands, les bourgeois et quelques jeunes gens d’une classe plus élevée, la chute de cette prison d’Etat, et le premier triomphe d’une liberté orageuse. Français, Russes, Anglais, Danois, Allemands, Hollandais, tous, dans les rues, se félicitaient, s’embrassaient, comme si on les eût délivrés d’une chaîne trop lourde qui pesait sur eux. » (Ségur, Mémoires.)
  8. Comme circonstance atténuante à ce délire d'amour-propre, il est juste d'ajouter que, s'il s'élève beaucoup trop haut dans cette lettre, c'est que ses compatriotes de Guise et ses amis avaient voulu le rabaisser, selon l'usage, en apprenant sa soudaine renommée, et que M. Desmoulins père, effrayé par leurs criailleries, les avait transmises à Camille, qui cherche à le rassurer. Plus tard, dans le procès des dantoniens. Camille s'écriera : « J'ai ouvert la
  9. Révolution et ma mort va la fermer. » — (Ceci est extrait des notes prises par l’un des jurés, Topino-Lebrun : M, Robinet, l’auteur du Mémoire sur Danton, les a copiées aux Archives de la Préfecture de police, et veut bien me les communiquer.)
  10. Plusieurs avaient déjà reculé, d’Espréménil entre autres, qui, dès 1788, s’écriait qu’il fallait débourbonnailler la France.
  11. Ce passage et quelques autres avaient tout naturellement éveillé l’attention de la police, et Desmoulins fut inquiété. Le rédacteur même des Révolutions de Paris, l’énergique Loustalot, semble trouver qu’il allait trop loin ; voici en quels termes il prend la défense de Camille : « Le bruit a couru mal à propos que le comité avait fait
  12. 1 Le parti clérical n’était pas sur ce point en reste de violence avec ses adversaires. Dans un pamphlet, intitulé Dictionnaire laconique ou Etrennes aux démagogues, on trouve ceci, à l’article Foin : « On a mis du foin dans les bouches de Foulon et de Berthier, dont on a promené les têtes dans Paris. On devrait bien faire le même traitement aux infâmes qui osent porter une main sacrilége sur les biens du clergé et les apanages de la noblesse, après avoir fait brûler à petit feu ces maudites sangsues de nos propriétés individuelles. »
  13. 2 Comme nous ne voulons pas dissimuler les excès de Camille Desmoulins, pas plus que ses services, nous sommes obligés de citer un odieux passage, que nous trouvons plus tard, dans le n° XXXVI des Révolutions : il s’agit de Necker et de Saint-Priest, qu’il accuse de trahison, et qu’il voudrait voir juger (par les tribunaux réguliers, il est vrai : et, dans sa haine contre ces deux ministres, il va jusqu’à dire : « Leurs squelettes desséchés auraient été une grande leçon aux aristocrates, et les oscillations salutaires de ce double pendule ministériel auraient remonté la machine détraquée de la Constitution. » Il sent si bien ce qu’il y a d’affreux dans cette gentillesse, qu’il s’en excuse aussitôt par l’exemple de Cicéron, déclarant à Pison et à Gabinius, en plein sénat, qu’il aurait une joie bien vive de les voir tous deux suspendus au gibet, etc. — Mettons en regard de cette phrase de Camille celle-ci, que nous empruntons au journal royaliste de Rivarol : « Il faudrait livrer un Charles Lameth, un Barnave, un Duport, un Robespierre, un évèque d’Autun, un Mirabeau l’aîné, un Chapelier, un Dubois-Crancé, qui insultent toute l’armée, pour en faire la justice la plus sévère, et se re-
  14. repaître du spectacle de les voir tous subir le même sort que nous faisons subir aux crapauds dans la campagne, en les accrochant au bout d’une perche sur les ruines de la Bastille, pour les faire mourir à petit feu. » (Actes des Apôtres, n° 85.) On voit que si odieux que puisse être le passage de Camille il est loin d’être aussi révoltant. — Dans le numéro suivant, Camille rétracte son accusation contre Necker, puis retracte sa rétractation. (Necker était accusé, fort injustement, de favoriser les accapareurs.) — Camille n’avait pas mis son nom à son second pamphlet. Il semble d’ailleurs ne pas songer aux reproches que nous lui faisons ici, et que ses contemporains ne lui faisaient guère : il s’inquiète seulement de la valeur littéraire de ce nouvel opuscule, et le croit inférieur à la France libre : « L’ouvrage de la Lanterne ne vaut pas l’autre et m’aurait fait déchoir dans l’opinion, si j’y avais mis mon nom. Cependant j’en ai entendu dire du bien, et si le libraire ne me trompe pas, personne n’en dit du mal. » (Lettre à son père, p. toi, t. II.)
  15. 1 Correspondance de Madame Roland, septembre 1790.