On peut toujours ajouter un rayon au soleil Fin

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« Se donner à la vie d’un enfant »

Par le Pr Jean-François Mattéi

Professur de pédiatrie et de génétique médicale, membre du Conseil d’Ethique, député des Bouches-du-Rhône, auteur de Enfant d’ici, enfant d’ailleurs. L’adoption sans frontières, rapport à Monsieur le Premier ministre sur l’adoption (Documentation Française, avril 1995), et de L’enfant oublié ou les folies génétiques, éditions Albin Michel, 1994

Que pensez-vous du témoignage de Pierre et Marie-Christine Frappé ?

Ils nous donnent un très beau témoignage sur la générosité que l’on peut apporter en offrant son amour à un enfant. C’est aussi un bel exemple de mélange des cultures ! Mais pour moi, leur histoire est un contre-exemple : il y a tant de familles qui ont du mal à adopter un seul enfant !

Comment expliquez-vous que tant de canidats à l’adoption partent adopter à l’étranger ?

C’est vrai que sur les 4 200 enfants adoptés en moyenne chaque année, 2 700 viennent d’un pays étranger. La plupart des couples désirent un nourrisson de type européen. Si leur demande est déçue, ils se trouvent devant deux solutions : soit adopter un enfant plus âgé, ou plus typé, soit partir adopter un nourrisson à l’étranger.

Il faut savoir qu’en France, seuls 6 à 700 nourrissons sont adoptables chaque année. En effet, il y a de moins en moins d’enfants qui naissent sans êttre désirés. Il faut toutefois supprimer une idée fausse, répandue dans l’opinion, qui est de dire que la France n’offre pas suffisamment d’enfants adoptables. Fin 1992, près de 13 500 familles étaient agrées pour adopter. Sur les 4 100 pupilles de l’État (enfants adoptables en France), 1 355 seulement étaient placés en vue d’une adoption. Ce qui veut dire que plus de 2 700 enfants restaient en attente de parents. Mais il s’agit surtout d’enfants agés de plus de sept ans, appartenant à une fratrie ; ou d’enfants un peu typés ; ou encore, il s’agit parfois de maladie ou de handicapés… Ces enfants-là ne correspondent pas aux critères généralement demandés.


En moyenne, quel délai faut-il pour adopter en France ?

Pour adopter un bébé, il faut attendre trois à quatre ans. Mais pour l’adoption d’un enfant plus grand, les délais sont considérablement raccourcis. L’adoption peut parfois se faire en quelques semaines !

Auparavant, il faudra avoir obtenu l’agrément, délivré par l’Aide Sociale à l’Enfance. Son délai maximum d’obtention est en principe de neuf mois, mais il arrive que ce délai soit dépassé. L’agrément est également nécessaire pour adopter à l’étranger. Aujourd’hui encore, les couples qui désirent adopter doivent être mariés depuis au moins cinq ans ou être agés d’au moins trente ans (article 343 du Code Civil). Dans le rapport que j’ai remis au Premier Ministre le 8 février 1995, je demande que cet article soit modifié selon ces termes : « L’adoption peut être demandée par deux époux non séparés de corps, mariés depuis plus de deux ans ou âgés l’un et l’autre de plus de vingt-huit ans. »


Les démarches nécessaires pour obtenir l’agrément sont très contraignantes…

C’est vrai, mais pour ma part, je suis favorable à cette procédure, et je pense qu’elle doit durer neuf mois. C’est l’occasion de mûrir un projet, de cheminer un peu, et de mieux réaliser quel engagement on est en train de prendre. Il faut faire très attention : dans le processus d’adoption, il y a le cœur et la raison. Il faut que les deux éléments soient là pour que l’adoption réussisse. Un simple élan du cœur ne suffit pas !

L’agrément n’est pas là pour dire à telle ou telle personne qu’elle fera un bon parent. Il s’agit de savoir si l’enfant peut être élevé dans de bonnes conditions. Cette procédure n’a rien de discriminatoire : le taux de refus n’atteint pas les 10 %.


Est-il nécessaire à un couple d’être marié pour adopter ?

Pour une adoption conjointe, oui. Parce que nous considérons qu’il n’est pas logique de vouloir nouer des liens communs et définitifs avec un enfant sans avoir noué les mêmes liens entre l’homme et la femme. Un couple uni : pour moi, c’est la meilleure chose que des parents puissent offrir à un enfant.


Pour adopter dans d’autres pays, cette condition n’est pas toujours nécessaire. En fait, les législations varient énormément d’un pays à l’autre, voire d’une année à l’autre.

C’est vrai. Je parle, dans mon rapport, d’adoption à « géographie variable ». Les pays s’ouvrent et se ferment à l’adoption en fonction de leur histoire, des événements qui les marquent. Certains pays reconnaissent qu’ils ne sont pas capables de prendre en charge leurs enfants et acceptent de les confier à des étrangers. Mais c’est toujours un déchirement de devoir reconnaître devant la communauté internationale qu’on est pas capable d’assumer l’éducation de ses propres enfants.

Par ailleurs, quand des pays sont soupçonnés par exemple de trafics d’enfants, comme la Roumanie et, récemment, le Vietnam, ils réagissent aussitôt en durcissant les conditions d’adoption, ou en fermant leurs frontières. C’est normal que les pays aient des exigences quant à la garantie de la bonne intégration de l’enfant, quant à sa qualité de vie.

C’est l’un des buts de la convention de La Haye, rédigée en 1993 par une soixantaine de pays.[1]


Est-ce qu’adopter un enfant est à la portée de tout le monde ?

Je n’en suis pas certain. Dans ce type de demande, il y a toujours ambivalence entre générosité et égoïsme. Je ne suis pas sûr qu’entre la notion du don de soi et l’envie de recevoir, ce soit le don de soi qui l’emporte. L’adoption est un acte d’amour très exigeant.

Car si concevoir un enfant, c’est donner la vie à un enfant, adopter c’est se donner à la vie d’un enfant. La nuance est essentielle.

  1. Cette convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption doit encore être ratifiée, notamment par la France.