Opuscules humoristiques (Wailly)/Lettre à une très-jeune personne

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Traduction par Léon de Wailly.
Opuscules humoristiquesPoulet-Malassis et De Broise (p. 125-140).


LETTRE
À UNE TRÈS-JEUNE PERSONNE
SUR SON MARIAGE[1]


Madame,


À présent que vous voilà délivrée du sot tracas des visites à recevoir et à rendre à l’occasion de votre mariage, vous commencez un genre de vie où vous aurez grand besoin de conseils pour vous empêcher de tomber dans les nombreuses erreurs, prétentions et extravagances, auxquelles votre sexe est sujet. J’ai toujours eu la plus grande amitié pour votre père et votre mère ; et la personne qu’ils ont choisie pour votre mari est, depuis quelques années, mon favori particulier. Il y a longtemps que je désirais votre union, parce que j’espérais que grâce à vos bonnes dispositions, et en suivant les conseils de sages amis, vous pourriez, avec le temps, vous rendre digne de lui. Vos parents ont eu raison en ceci qu’ils ne vous ont pas beaucoup produite dans le monde, ce qui vous a épargné maint faux pas que d’autres ont fait, et que vous avez moins d’impressions mauvaises à effacer ; mais ils ont eu le tort, comme c’est généralement le cas, de trop négliger la culture de votre esprit, sans laquelle il est impossible d’acquérir ou de conserver l’amitié et l’estime d’un homme sensé, qui se lasse bientôt de jouer le rôle d’amant et de traiter sa femme comme une maîtresse, mais a besoin d’une compagne raisonnable et d’une véritable amie dans toutes les phases de la vie. Il faut donc prendre à tâche de vous rendre propre à cet office, effort que je ne cesserai de diriger tant que je vous en jugerai digne, en vous indiquant comment vous devez agir, et ce que vous devez éviter.

Et gardez-vous de dédaigner ou de négliger mes instructions, d’où dépendra non-seulement la figure que vous ferez dans le monde, mais votre véritable bonheur, aussi bien que celui de l’homme qui doit vous être le plus cher.

Je dois donc vous recommander, en premier lieu, d’être très-lente à quitter votre modeste tenue de jeune fille : d’ordinaire les jeunes femmes ne sont pas plus tôt mariées quelques semaines, qu’elles prennent un air hardi et un ton déluré, comme si elles voulaient signifier à toutes les compagnies qu’elles ne sont plus filles, et par conséquent que tout leur maintien, avant d’avoir un mari, n’était qu’une contenance et une contrainte qu’elles s’imposaient ; tandis que si on recueillait les voix des gens sensés, une très-grande majorité, je suppose, serait en faveur de ces dames qui, après être entrées dans cet état, aiment mieux redoubler de modestie et de réserve.

Je dois également vous prémunir fortement contre toute espèce de démonstration de tendresse envers votre mari devant n’importe quels témoins, même devant vos plus proches parents, ou vos propres femmes de chambre. Ces manières sont si excessivement odieuses et dégoûtantes pour tous ceux qui ont du savoir-vivre ou du bon sens, qu’ils leur assignent deux motifs fort peu aimables : l’un est une grossière hypocrisie, et l’autre a un trop vilain nom pour le prononcer. S’il est quelque différence à faire, votre mari est le dernier de la compagnie, soit chez vous, soit chez les autres, et tout individu présent a plus de droits à toutes vos marques de civilité et de distinction. Cachez votre estime et votre amour dans votre sein, et réservez vos mines et vos paroles affectueuses pour les heures de tête-à-tête, qui sont si nombreuses chaque jour qu’elles suffiront parfaitement à une passion aussi exaltée qu’on en ait jamais décrit dans un roman français.

Pendant que je suis sur ce chapitre, je vous conseillerai pareillement de ne point imiter ces dames qui affectent tant d’inquiétude quand leurs maris sont dehors ; qui tressaillent à chaque coup qu’on frappe à la porte, et sonnent incessamment pour dire aux domestiques d’aller ouvrir à leur maître ; qui ne mangeront pas une bouchée à dîner ou à souper, si le mari n’est pas rentré, et qui le reçoivent à son retour avec un tel mélange de gronderies et de tendresses, en lui demandant où il a été, qu’une poissarde de Billingsgate serait une compagne plus facile et plus agréable.

De la même pâte sont ces femmes qui, lorsque leur mari est en voyage, veulent avoir une lettre à chaque poste, sous peine de pâmoison et d’attaque de nerfs, et qu’il fixe le jour précis de son retour, sans faire aucunement la part des affaires, de la maladie, des accidents ou du temps ; tout ce que j’en peux dire d’après mes propres observations, c’est que les dames qui font le plus d’embarras en pareille occasion, auraient grassement payé un messager pour leur apporter la nouvelle que leur mari s’est cassé le cou en route.

Vous serez peut-être offensée quand je vous engagerai à rabattre un peu de cette violente passion pour les beaux habits, qui prédomine si fort dans votre sexe. Il est un peu dur que le nôtre, pour qui vous les portez, ne soit pas admis à donner son avis. Je puis prendre sur moi de vous assurer que nous consentirions à un rabais de quatre livres sterling par aune sur un brocard, si les dames voulaient bien compenser la différence par un redoublement de propreté et de soins sur leurs personnes. Car la partie satirique du genre humain veut à toute force se mettre en tête qu’il n’est pas impossible d’être richement mise et très-sale ; et qu’il est plus d’une dame incapable de mener de front la toilette et la propreté. Je me contenterai d’ajouter, sur un sujet si délicat, ce qu’un plaisant disait d’une sotte femme de qualité : que rien ne la pouvait rendre supportable que de lui couper la tête : car les oreilles étaient offensées par sa langue, et le nez par ses cheveux et ses dents.

Je suis tout à fait en peine de vous conseiller sur le choix de votre compagnie, qui est pourtant un point d’aussi grande importance que pas un dans votre vie. Si vous avez en général pour connaissances des dames qui soient vos égales ou vos supérieures, pourvu qu’elles n’aient rien de ce qu’on appelle une mauvaise réputation, vous vous croyez en sûreté, et cette compagnie, dans le langage du monde, passera pour bonne. Tandis que, je crains qu’il ne vous soit difficile de choisir une seule connaissance parmi les femmes de cette ville, de qui vous ne soyez en danger manifeste de contracter quelque prétention, affectation, vanité, folie ou vice. Votre seule voie de salut, dans votre commerce avec elles, est une ferme résolution de prendre dans votre pratique et dans votre conduite le contre-pied de tout ce qu’elles disent ou font ; et je tiens ceci pour une bonne règle générale et qui souffre fort peu d’exceptions. Par exemple, dans les recettes qu’elles donnent d’habitude aux jeunes mariées pour mener leurs maris ; les divers traits qu’elles citent d’elles-mêmes à cet égard, les proposant à votre imitation ; le mal qu’elles disent des autres personnes de leur sexe qui agissent différemment ; leurs instructions sur la manière de remporter la victoire dans toute discussion ou querelle que vous pouvez avoir avec votre mari ; les artifices par lesquels vous pouvez découvrir et exploiter son côté faible ; quand vous devez procéder par flatterie et insinuation, quand l’attendrir par vos larmes, et quand le mener haut la main ; dans ces cas, et dans mille autres, il sera prudent de retenir dans votre mémoire autant de leurs leçons que vous pourrez, et de vous déterminer alors à faire le contraire d’elles toutes.

J’espère que votre mari interposera son autorité pour limiter le nombre de vos visites : une demi-douzaine d’imbéciles est, en bonne conscience, autant que vous pouvez demander, et il sera suffisant pour vous de les voir deux fois par an, car je crois que la mode n’exige pas qu’on fasse des visites à ses amis.

Je vous engage à avoir plutôt chez vous une compagnie d’hommes que de femmes. À dire vrai, je n’ai jamais connu une femme passable qui aimât son propre sexe. Je conviens que lorsque les deux sexes sont mêlés et bien choisis, il peut y avoir échange de civilité et de bon vouloir, ce qui, avec une certaine dose de bon sens, peut rendre la conversation ou tout espèce d’amusement agréable. Mais une réunion de femmes est une véritable école d’impertinence et de médisance, et pires elles sont, mieux cela vaut.

Que vos connaissances, en fait d’hommes, soient du choix de votre mari, et ne les prenez pas sur la recommandation de vos compagnes ; parce qu’elles vous affubleront certainement de quelque fat, et il vous en coûtera du temps et de la peine avant de pouvoir être en état de distinguer un fat d’un homme de sens.

N’admettez jamais une femme de chambre favorite dans votre conseil de cabinet, pour vous entretenir d’histoires des dames qu’elle servait précédemment, de leurs divertissements et de leurs toilettes ; pour faire des insinuations sur la grande fortune que vous avez apportée, et le peu qu’on vous laisse gaspiller ; pour en appeler de votre mari à elle, et vous en rapporter à son jugement, parce que vous êtes sûre qu’il sera toujours en votre faveur ; pour recevoir et renvoyer les domestiques d’après son suffrage ou son approbation ; pour vous engager, par ses insinuations, dans des mésintelligences avec vos meilleurs amis ; pour présenter toutes choses sous de fausses couleurs, et pour être l’émissaire commun de la médisance.

Mais la grande affaire de votre vie sera de gagner et de conserver l’amitié et l’estime de votre mari. Vous avez épousé un homme bien élevé, instruit, d’un excellent esprit, et d’un goût sûr. Il est vrai, et cela est heureux pour vous, que ces qualités sont ornées d’une grande modestie, d’une très-aimable douceur de caractère, et d’une disposition peu ordinaire à la sobriété et à la vertu ; mais ni son bon caractère, ni sa vertu ne lui permettront de vous estimer contrairement à son jugement ; et quoiqu’il ne soit pas capable de vous traiter mal, cependant vous deviendriez pour lui, avec le temps, une chose indifférente, et peut-être méprisable, à moins que vous ne puissiez suppléer à la perte de votre jeunesse et de la beauté par des qualités plus durables. Vous avez fort peu d’années à être jeune et jolie aux yeux du monde ; et aussi peu de mois à l’être aux yeux d’un mari qui n’est point un sot, car j’espère que vous ne rêvez point encore aux charmes et aux ravissements que le mariage a toujours eu et aura toujours pour mission de faire cesser subitement. D’ailleurs, votre union a été une affaire de prudence et de bonne amitié, sans aucun mélange de cette ridicule passion qui n’existe que dans les pièces de théâtre et dans les romans.

Vous devez donc faire tous vos efforts pour acquérir les avantages que votre mari prise le plus chez les autres, et pour lesquels on l’estime le plus lui-même. Vous devez améliorer votre esprit en suivant exactement le système d’étude que je dirigerai ou approuverai. Vous devez vous procurer une collection d’histoires et de voyages que je vous recommanderai, et passer plusieurs heures par jour à les lire, et à en faire des extraits, si vous avez la mémoire faible. Vous devez tâcher de vous lier avec des personnes instruites et intelligentes, dont la conversation vous apprenne à réformer votre goût et votre jugement ; et quand vous serez parvenue à comprendre et à goûter le bon sens des autres, vous arriverez avec le temps à penser sainement vous-même, et à devenir une raisonnable et agréable compagne. Ceci doit inspirer pour vous à votre mari un amour et une estime vraiment raisonnés, que la vieillesse ne diminuera point. Il aura égard à votre jugement et à votre opinion dans des affaires de la plus grande conséquence ; vous serez en état de vous entretenir l’un l’autre sans qu’un tiers vienne à votre aide en trouvant un sujet de conversation. Ce que vous aurez gagné comme esprit lui rendra votre personne même plus agréable ; et quand vous serez seule, votre temps ne vous pèsera point faute de quelque frivole amusement.

Quelque peu de cas que je fasse de la généralité de votre sexe, cela m’a quelquefois fait de la peine de voir la maîtresse de la maison forcée de se retirer immédiatement après dîner, et cela dans des familles où l’on ne boit pas beaucoup, comme si c’était une maxime établie que les femmes sont incapables de toute conversation. Dans une chambre où les deux sexes se réunissent, si les hommes discourent sur quelque sujet général, les femmes ne pensent jamais que ce soit leur affaire de prendre part à ce qui se passe, mais, faisant bande à part, s’entretiennent ensemble du prix et du choix de la dentelle et de la soie, des toilettes qu’elles aiment ou désapprouvent à l’église ou à la comédie. Et quand vous êtes entre vous, avec quel naturel, après les premiers compliments, vous portez vos mains sur les barbes, les manchettes et les robes les unes des autres ; comme si toute l’affaire de votre vie et l’intérêt du monde entier dépendait de la coupe ou de la couleur de vos vêtements. De même que les théologiens disent que certaines gens prennent plus de peine pour être damnés qu’il ne leur en coûterait pour être sauvés, ainsi votre sexe emploie plus de réflexion, de mémoire et d’application pour être extravagant qu’il ne lui en faudrait pour être sensé et utile. Quand je songe à cela, je ne puis croire que vous soyez des créatures humaines, et autre chose qu’une espèce d’un degré à peine au-dessus du singe, qui a plus de ruses divertissantes qu’aucunes de vous, est un animal moins malfaisant et moins coûteux, pourrait avec le temps être un critique passable en fait de velours et de brocard, qui, pour ce que j’en sais, lui iraient tout aussi bien.

Je voudrais vous voir regarder la toilette comme une folie nécessaire, ainsi qu’ont fait toutes les grandes dames que j’ai jamais connues ; je ne désire pas que vous alliez à l’encontre de la mode, mais que vous la suiviez la dernière et le moins possible. J’espère que votre mise sera d’un degré au-dessous de celle que vous permet votre fortune, et je vous souhaite d’avoir au fond du cœur un parfait dédain pour toutes les distinctions que peut vous valoir une plus belle jupe ; attendu qu’elle ne vous fera pas plus riche, plus jolie, plus jeune, meilleure de caractère, plus vertueuse ou plus sensée, que si elle pendait à un clou.

Si vous êtes en compagnie d’hommes instruits, quoiqu’il leur arrive de parler d’arts et de sciences qui ne sont point à votre portée, vous retirerez plus d’avantages de les écouter, que de toutes les sottises et niaiseries de votre sexe ; mais s’ils sont gens de savoir-vivre autant que de savoir, ils s’engageront rarement dans une conversation que vous ne deviez pas écouter, et où vous ne deviez pas avec le temps avoir part. S’ils parlent des mœurs et coutumes des divers royaumes de l’Europe, de voyages dans des contrées lointaines, de l’état de votre propre pays, ou des grands hommes et grandes actions de la Grèce et de Rome ; s’ils donnent leur opinion sur des écrivains anglais ou français soit en vers, soit en prose, ou sur la nature et les limites de la vertu et du vice, c’est une honte pour une dame anglaise de ne point goûter de tels entretiens, de ne pas en profiter et s’efforcer, en lisant et s’instruisant, de prendre part à ces recréations, plutôt que de se détourner, comme c’est l’usage, et de se consulter avec sa voisine au sujet d’une nouvelle cargaison d’éventails.

Il est un peu cruel de ne pouvoir obtenir d’une fille de gentleman sur mille qu’elle lise ou entende sa propre langue, ou qu’elle soit juge des livres les plus aisés qui y sont écrits, comme peut s’en convaincre quiconque aura la patience de les écouter, lorsqu’elles sont disposées à massacrer une pièce de théâtre ou un roman, où le moindre mot qui s’écarte de l’ordinaire est sûr de les déconcerter ; et cela n’a rien d’étonnant, lorsqu’on ne leur apprend pas même à lire dans leur enfance, et qu’elles ne peuvent pas y arriver dans tout le cours de leur vie. Je vous engage donc à lire à haute voix, plus ou moins, chaque jour à votre mari, s’il veut vous le permettre, ou à tout autre de vos amis (mais pas à une femme) qui soit en état de vous redresser ; et quant à lire tout bas, vous pourrez l’apprendre avec le temps en faisant des extraits des livres que vous lirez.

Je sais fort bien que les femmes qu’on appelle communément instruites ont perdu toute espèce de crédit par leur impertinent bavardage et par leur suffisance ; mais à cela le remède est facile, si vous considérez une bonne fois qu’après toute la peine que vous pouvez prendre vous n’arriverez jamais, en fait de savoir, à la perfection d’un écolier. Si je vous conseille de lire, c’est seulement pour améliorer votre bon sens, qui ne manquera jamais de gagner à la retenue. C’est une mauvaise méthode et un mauvais choix de livres qui font que ces savantes dames sont devenues pires pour avoir lu ; j’aurai donc soin de vous mieux diriger, tâche à laquelle je ne me crois pas impropre, attendu que j’ai passé plus de temps et eu plus de facilités que bien d’autres à observer et découvrir de quelle source proviennent les diverses folies des femmes.

Remarquez, je vous prie, quelles créatures insignifiantes c’est que le commun des dames quand elles en ont fini avec la jeunesse et la beauté ; combien elles paraissent méprisables aux hommes, et plus méprisables encore à la partie jeune de leur propre sexe ; et qu’elles n’ont pas d’autres ressources que de passer leurs après-midi en visites où elles ne sont jamais agréables, et leurs soirées aux cartes, entre elles ; tandis que la première portion du jour se consume en fiel et en envie, ou en vains efforts pour réparer à force d’art et de toilette les ruines du temps. Tandis que j’ai connu des dames de soixante ans, auxquelles tout ce qu’il y a de poli à la cour et à la ville adressait ses hommages, sans autre but que de jouir du plaisir de leur conversation.

Je ne connais pas de qualité aimable dans un homme, qui ne le soit également dans une femme ; je n’en excepte pas même la modestie et la douceur de caractère. Je ne connais pas non plus de vice ou de folie qui ne soit également détestable dans tous deux. Il est, à la vérité, une infirmité que l’on vous permet généralement, je veux parler de la poltronnerie ; cependant il semblerait y avoir quelque chose de fort capricieux aux femmes, lorsqu’elles professent leur admiration pour un colonel ou un capitaine, à cause de sa valeur, de s’imaginer que ce soit chez elles une qualité fort gracieuse et fort élégante d’avoir peur de leur ombre ; de crier en bateau par le temps le plus calme, ou dans une voiture au repos dans l’enceinte des courses ; de fuir une vache à cent pas de distance ; de tomber en pâmoison à la vue d’une araignée, d’un perce-oreille ou d’une grenouille. Du moins, si la poltronnerie est un signe de cruauté (comme on l’accorde généralement), j’ai peine à penser que ce soit une qualité assez désirable pour qu’on croie devoir y ajouter l’affectation.

Et comme les mêmes vertus siéent également aux deux sexes, il n’est pas une qualité par laquelle les femmes tâchent de se distinguer des hommes qui ne les rende pires, excepté celle de la réserve, qui toutefois, à la façon dont vous vous y prenez en général, n’est rien qu’affectation ou hypocrisie. Car de même que vous ne pouvez trop réprimer ceux de notre sexe qui se permettent d’inconvenantes libertés devant vous, ainsi vous devez être tout-à-fait sans contrainte en compagnie de personnes méritantes, lorsque vous avez une suffisante expérience de leur retenue.

Jamais il ne manque dans cette ville de femmes hardies, vantardes et bavardes, dont les talents passent auprès des fats pour de l’esprit et de la gaieté ; leur grand mérite consiste en grossières et choquantes expressions, et dans ce qu’elles appellent mettre leur homme à terre. Si quelqu’un de leur compagnie se trouve avoir une tache sur sa naissance ou sur sa personne, s’il est arrivé à sa famille ou à lui-même quelque malheur dont il soit honteux, elles seront sûres d’y faire des allusions transparentes sans aucune provocation. Je vous recommande de vous lier avec une prostituée plutôt qu’avec de pareilles mégères. J’ai souvent pensé qu’aucun homme n’est obligé de tenir de telles créatures pour des femmes, et qu’il peut les traiter comme d’insolents drôles qui en ont pris le costume, et qu’on devrait en dépouiller et chasser à coups de pieds.

J’ajouterai une seule chose, quoiqu’elle ne soit guère à sa place, qui est de désirer que vous appreniez à apprécier et à estimer votre mari pour les bonnes qualités qu’il possède réellement et à ne pas vous en figurer d’autres en lui qu’il n’a certainement pas. Car, bien que cela passe généralement pour une marque d’amour, cela n’est dans le fait qu’affectation et faux jugement. Il est vrai qu’il lui manque si peu de qualités que vous ne courez pas grand risque de vous tromper de ce côté ; mais mon avertissement est provoqué par une dame de votre connaissance, mariée à une personne de grand mérite, qu’elle a pourtant toujours le malheur de vanter pour les perfections auxquelles il peut le moins prétendre.

Je ne puis vous donner aucun avis sur l’article de la dépense ; je pense seulement qu’il faut que vous connaissiez bien le chiffre du revenu de votre mari et que vous calculiez assez bien pour rester en deçà dans votre part de gestion ; que vous ne vous rangiez pas parmi les femmes politiques qui croient avoir gagné un grand point, quand à force de tourmenter leurs maris elles les ont décidés à leur acheter un nouvel équipage, une coiffure de dentelle, ou une belle jupe, sans considérer un moment quel long mémoire il reste à payer au boucher.

Je vous recommande de garder cette lettre dans votre cabinet, et d’examiner souvent avec impartialité votre conduite d’après elle ; et là-dessus Dieu vous bénisse, et fasse de vous un bel exemple pour votre sexe, et une perpétuelle consolation pour votre mari et votre père.


Je suis, avec beaucoup de sincérité et d’affection,

Madame,
Votre très-fidèle ami, et humble serviteur.
  1. Mistress Pilkington prétend que cette lettre fut écrite à l’occasion du mariage de lady Betty Moore avec M. George Rochfort. Mais M. Faulkner, qui est une meilleure autorité, la suppose adressée à mistress John Rochford, fille du docteur Staunton.