Ornithologie du Canada, 1ère partie/Le Pic de Maria

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Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 120-123).

LE PIC DE MARIA.[1]
(Maria’s Woodpecker.)


Audubon parle d’une autre espèce de Pic, dont il se procura un couple à Toronto et qu’il appela le Pic de Maria. Huppe écarlate sur la tête — plumage noir et blanc. Comme nous ne croyons pas qu’il existe dans l’est de cette province, nous n’en parlerons pas davantage.

Longueur totale, 9 2l12 ; longueur de l’aile, 4 10l12.

Ovide nous fournit dans son livre des Métamorphoses, un des plus beaux présents que nous ait fait l’antiquité, une charmante tradition qui se rattache à l’histoire des Pics.

« Picus, fils de Saturne, régnait dans l’Ausonie ; la beauté de son âme égalait celle de son visage ; il n’avait pas encore atteint sa vingtième année, et déjà il attirait les regards des Dryades nées sur les monts Latins ; ces divinités qui présidaient aux fontaines s’efforcèrent de lui plaire ; les Naïades du Tibre, celles qui habitent les ondes du Numique, de l’Anio paisible, du Nar impétueux, de l’Almo qui termine son cours si près de sa source, du Farfarus aux frais ombrages et des lacs bocagers consacrés à Diane, lui adressaient d’amoureuses prières ; il dédaigna leurs feux, et n’aima que la fille de Janus au double front, que Vénilie avait mise au jour sur le mont Palatin. Quand cette vierge eut atteint l’âge de l’hyménée, elle fut donnée pour épouse à Picus. Douée d’une beauté merveilleuse et d’une voix plus merveilleuse encore, elle avait reçu le nom de Canente : son chant faisait mouvoir les arbres et les rochers, adoucissait les bêtes féroces, retardait le cours des fleuves, et arrêtait les oiseaux dans leur vol rapide.

« Un jour qu’elle s’exerçait à des modulations harmonieuses, son époux était allé poursuivre les Sangliers dans les forêts de Laurente ; il pressait les flancs d’un cheval fougueux, sa main était armée de deux javelots ; un manteau de pourpre attaché par une agrafe d’or couvrait ses épaules. Dans ces mêmes forêts était venue Circé, la fille du soleil, qui cherchait loin de son domaine, des plantes nouvelles pour ses enchantements. Cachée par le feuillage, la magicienne a vu le jeune chasseur, elle sent s’amollir son âme et les plantes malfaisantes tomber de ses mains. Bientôt, remise de son trouble et cédant à sa passion soudaine, elle veut se montrer à Picus et lui déclarer son amour, mais le prince s’éloigne sur son coursier rapide, avec les gardes qui l’entourent. “Fusses-tu porté sur l’aile des vents, tu ne m’échapperas pas, dit-elle, si mes herbes ont conservé leur vertu, et si je puis encore me fier à mon art.” Elle dit, et crée le fantôme d’un sanglier qu’elle fait passer devant les yeux du chasseur, et qui va s’enfoncer dans le plus épais du bois, au milieu d’un taillis où ne peut pénétrer un cavalier ; aussitôt Picus, abusé par cette apparence, s’élance de son cheval écumant, et s’engage à la poursuite de la proie imaginaire dans les détours de la vaste forêt. Circé commence alors ses conjurations ; elle invoque dans un langage mystérieux, des divinités inconnues aux mortels ; elle prononce les paroles magiques qui obscurcissent le visage de la lune, et enveloppent de nuages le front de son père. Ses noirs enchantements troublent la sérénité du ciel, de sombres vapeurs s’exhalent de la terre ; les compagnons du prince s’égarent au milieu des ténèbres et cherchent en vain leur maître. La magicienne paraît en ce moment devant lui. “Sois, lui dit-elle, le gendre du soleil dont les regards embrassent l’univers, et ne dédaigne pas l’amour de Circé.” Le jeune homme repousse les prières de sa redoutable amante. “Qui que tu sois, lui dit-il, je ne puis être à toi, une autre me possède, je la chérirai jusqu’à la mort, et tant que les dieux me la conserveront, un amour adultère ne rompra pas les nœuds qui m’attachent à Canente.” La fille du soleil redouble ses ardentes supplications, Picus reste insensible : “Ton orgueil sera puni, s’écria-t-elle, tu ne reverras pas Canente, et tu vas savoir ce que peut une femme amoureuse et outragée, quand cette femme amoureuse et outragée s’appelle Circé.” Alors elle se tourna deux fois vers l’Orient, deux fois vers l’Occident, toucha trois fois de sa baguette le malheureux chasseur, et récita trois vers magiques. Picus prend la fuite, et s’étonne de courir avec une vitesse surnaturelle ; son corps se couvre de plumes, et il se voit avec indignation devenu un oiseau, nouvel hôte des forêts du Latium ; il frappe d’un bec irrité le dur tronc des chênes, et parcourt les longs rameaux en déchirant leur écorce ; son plumage a conservé la pourpre et l’or[2] de son manteau, et du beau Picus, il ne reste que le nom....

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« Le soleil était descendu aux rivages de l’Ibérie, et Canente attendait en vain son époux. Ses serviteurs et ses sujets se dispersent dans les bois, et le cherchent à la lueur des flambeaux. Son épouse s’arrache les cheveux et fait retentir l’air de ses gémissements. Bientôt elle sort de son palais et parcourt éperdue les campagnes latines. Pendant six jours et six nuits, on la vit errer au hasard à travers les montagnes et les vallées, oubliant le sommeil et la nourriture. Le dernier jour, elle reposa ses membres exténués sur le frais rivage du Tibre ; là, par des chants plaintifs, elle exhalait ses douleurs, et, comme le cygne mourant qui chante ses funérailles, sa voix expirante formait encore des sons mélodieux. Enfin son corps se fondit en eau, et se dissipa en vapeur légère. Les muses ont voulu perpétuer la mémoire de cette épouse infortunée, et le lieu de sa mort porte encore aujourd’hui le nom de Canente. »


  1. Picus Martinae. — Audubon.
  2. Ce Pauvre Picus paraît avoir été métamorphosé en Pivart (Pic doré). — (Note de l’auteur.)