Pédagogie sportive/II/VI

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Les Éditions G. Crès et Cie (p. 115-123).

Organisation sportive.

Les questions relatives à l’organisation sportive se ramènent à quatre rubriques distinctes ; d’abord ce qui concerne les groupements ; le sport a besoin de s’appuyer sur des groupements ; c’est une utopie que de se le figurer vivant d’une vie purement individuelle. À ces groupements — aussi bien qu’à l’individu d’ailleurs — il faut des terrains et des locaux pour s’exercer. D’autre part l’émulation qui naît forcément et de laquelle on ne pourrait se passer provoque des concours et, en vue de ces concours, des règlements s’imposent…

Groupements sportifs.

La forme en est extrêmement variée. Si l’on considère leur durée ou leur périodicité, on peut distinguer les groupements permanents (comme le sont la plupart des sociétés) de ceux qui sont simplement temporaires ou encore intermittents. Le type des groupements temporaires, c’est le camp de sport qui surgit tout agencé, dure un temps déterminé et disparaît. Que si le camp est annuel et que le comité organisateur subsiste d’une année à l’autre, c’est bien un groupement intermittent : formule encore peu coutumière mais qui répond trop aux besoins actuels pour ne pas se répandre fatalement et dans tous les domaines. Elle s’affirme d’ailleurs çà et là par des succès probants. C’est le principe de l’intermittence qui sert de base à l’organisation militaire suisse si ingénieuse et pratique ; c’est à lui qu’il faudra recourir lorsque l’on voudra créer des universités ouvrières à la fois actives et économiques. L’intermittence sera le grand levier de la société égalitaire et les sports en bénéficieront tout particulièrement. En attendant le groupement permanent domine.

Si l’on tient compte des rapports des groupements sportifs entre eux, ils apparaissent libres ou syndiqués, selon qu’ils acceptent ou non d’aliéner une partie de leur liberté au profit du sur-groupe qui s’appelle une fédération. Nous traversons en ce moment une véritable crise de fédéromanie. Tout le monde veut se fédérer. Il y a beaucoup de bon dans le principe fédératif ; pourtant ce n’est pas une panacée et il n’est pas certain que, finalement, le sport en tire les grands avantages que ses adeptes paraissent en attendre.

Par rapport aux pouvoirs publics, les groupements sportifs sont indépendants ou subventionnés. Si la chose se fait discrètement rien à objecter, mais si les luttes politiques et religieuses pénètrent par là au sein des sports, il en résulte beaucoup de mal. Cela s’est vu[1] et aussi l’exploitation du sport par l’intérêt électoral.

Enfin une dernière distinction (et non la moins intéressante) oppose le groupement de participation au groupement d’encouragement, le type mixte étant toutefois le plus répandu de nos jours. Et par là il ne faut pas entendre la présence des membres honoraires dont les cotisations sont nécessaires au groupement, mais la présence de membres dits actifs et qui n’agissent pas. Il y a toujours là un danger, c’est que le groupement ne se resserre autour d’une poignée de champions éventuels vers lesquels tout l’effort convergera, les autres adhérents étant plus ou moins complètement laissés de côté. D’autre part, le type dans lequel tous agissent est difficile à constituer et plus encore à faire vivre. L’Alpine Club d’Angleterre, les « Audax »… sont basés sur la nécessité pour le candidat qui veut y entrer d’avoir fait ses preuves sportives. Il faut bien le dire, c’est la formule idéale vers laquelle on devrait tendre et que peut-être la diffusion des goûts sportifs permettra plus tard de populariser.

Terrains et locaux.

Nous avons déjà abordé ce sujet dans la partie historique de ces études. Nous aurons à y revenir à propos de l’art sportif. La concentration des sports dans le monde moderne a donné naissance d’une part au Stade olympique, de l’autre à l’Athletic Club à l’américaine, tous deux groupant bon nombre de sports mais non point tous. La forme du stade antique s’est trouvée condamnée, après la restauration de celui d’Athènes, en raison des tournants imposés aux coureurs et trop courts pour les vitesses auxquelles les pistes perfectionnées permettent aujourd’hui d’atteindre. Les stades construits depuis 1896 sont en réalité des arènes soit à ellipses complètes, soit à courbes interrompues, comme à Bukarest ou à Paris (stade Pershing). À Londres (ive Olympiade, 1908) une piscine se trouva encastrée dans le stade, en bordure intérieure des pistes cyclistes et de courses à pied qui en faisaient le tour tandis qu’aux deux extrémités de l’énorme enceinte, des plate-formes avaient été installées pour la lutte. Par un ingénieux dispositif, le plongeoir s’élevait mécaniquement du fond de la piscine et s’y repliait après les plongeons, de façon à laisser la vue s’étendre des tribunes sur tout le stade sans aucune gêne. Le stade de Londres était prévu pour près de 80.000 spectateurs. Celui de Stockholm, plus restreint, ne pouvait comporter de piscine. À Berlin, le stade construit en vue de la vie Olympiade, qui ne fut pas célébrée, présentait une vaste encoche dans laquelle se trouvait la piscine entourée de gradins. À Stockholm, le terrain central utilisé pour le foot-ball et la gymnastique fut aménagé de façon à pouvoir servir ensuite aux sports équestres. À Anvers, pour les Jeux de la viie Olympiade (1920), on adopta la même disposition. En somme il apparaît que presque tous les sports olympiques pourraient avoir lieu dans l’enceinte du stade hormis l’aviron pour lequel cette enceinte transformée en bassin se trouverait encore trop petite — et les escrimes qui demandent à être suivies de près et pour lesquelles elle resterait toujours trop grande.

L’Athletic Club américain est susceptible d’un moindre éclectisme. Ayant comme annexes des salles d’escrime, de boxe, un jeu de paume, une piscine[2]… sa principale originalité a consisté dans l’installation à mi-hauteur du hall de gymnastique d’une galerie circulaire portant une piste de courses plates, élastique et à virages relevés, qui permet l’entraînement des coureurs dans des conditions relativement satisfaisantes. Les halls de gymnastique comprenaient autrefois une partie planchéiée et, au centre, un vaste espace rempli de sciure de bois. Les hygiénistes en poursuivirent la disparition qui n’eut guère été possible sans la campagne parallèle menée contre les agrès et notamment le trapèze volant. Le sol des gymnases est devenu un parquet ciré où d’épais tapis paillassons placés sous les quelques engins qui subsistent sont destinés à amortir la retombée du gymnaste.

Nous ne dirons rien ici des terrains ou bâtiments spéciaux à certains jeux : lawn-tennis, longue et courte paume, etc., et mentionnerons seulement les « squares sportifs », terrains municipaux ouverts à tout venant, dont il a déjà été question ci-dessus.

Concours.

Inutile de revenir sur ce que nous avons dit concernant la nécessité du concours et l’absurdité d’en vouloir supprimer le principe. Bornons-nous à classer les différentes formes de concours et à indiquer comment se présentent deux questions connexes, de haute importance : celle de la publicité et celle des prix. On distingue les concours d’après les conditions de départ : si certains concurrents reçoivent un avantage sous forme de points ou d’avance sur le terrain (ainsi que cela se pratique par exemple en courses à pied ou au tennis) le concours est dit handicap. Rien de meilleur pour aider à l’entraînement. Mais outre que certains sports ne le comportent pas, les règles d’après lesquelles le handicap est établi sont toujours malaisées à fixer. Quant aux championnats, ils sont dits mondiaux, nationaux ou régionaux, selon que sont admis à y participer les représentants de tous les pays, d’un seul pays ou d’une région d’un pays. La qualification de champion du monde est pratiquement vaine par la raison qu’il n’existe point de réunions — même les Jeux Olympiques — où toutes les nations se trouvent représentées par leurs meilleurs hommes ; à peine pourrait-on y tendre pour un championnat national dans un pays de dimensions restreintes. Mais le titre de champion réjouit à ce point la vanité qu’on a multiplié les occasions de s’en affubler en créant des championnats locaux dans la moindre ville d’eaux. Ces créations ont apporté à la publicité un renfort déplorable et singulièrement aggravé la néfaste influence des prix.

Toutes ces notions sont en fonction les unes des autres. Plus il existe de championnats locaux, plus le journal s’escrime pour les mettre en lumière et plus l’enjeu matériel du concours augmente de valeur et acquiert d’importance aux yeux du concurrent. La médaille ou la coupe portant un nom et une date tendent à se muer en objets utilitaires, dépourvus d’individualité et propres à rentrer aisément dans le commerce, si même le remboursement n’en est pas d’avance facilité au gagnant.

Les remèdes à ces maux sont de diverses sortes mais le principal, le seul vraiment efficace, consisterait à substituer de plus en plus le concours de défi au championnat. Le « défi » met aux prises annuellement deux villes, deux universités, deux écoles, deux clubs[3]… Il s’agit d’une rencontre dont les conditions sont fixes et dont l’enjeu est un objet d’art sur le socle duquel les vainqueurs successifs inscrivent leur victoire. À tous égards, pour le public comme pour le concurrent, du point de vue technique comme du point de vue moral, cette forme d’émulation est infiniment supérieure à toute autre. Le principe en a dominé les sports du moyen âge qui, de ce chef, ont eu beaucoup moins que ceux de l’antiquité ou des temps modernes à compter avec les soucis professionnels et mercantiles.

Règlements.

Si les règlements sportifs ne visaient que l’organisation et la tenue des concours, ils ne donneraient guère lieu à querelles et à conflits, mais ils visent principalement la qualification des concurrents et de là sort tout le dommage. Il faut en effet distinguer l’amateur du professionnel, les séparer, protéger le premier contre le second. C’est là une nécessité primordiale à laquelle le sport ne peut se soustraire sous peine de déclin rapide. Du principe amateuriste découlent de grandes difficultés mais on ne peut s’en passer car il est en quelque manière le garde-barrière de ce que les Américains appellent justement « clean sport ». Or qui doit-on considérer comme professionnel… Le bon sens répond : celui qui tire du sport un profit pécuniaire direct ou indirect. Par malheur, ce point de départ si simple est obscurci par des considérations d’ordre différent. La faute en est à l’Angleterre qui a adopté jadis une définition de l’amateur peu raisonnable et dont les conséquences ont été empirant avec la diffusion des sports.

Cette définition établit qu’on cesse d’être amateur : 1o  en touchant un prix en espèces ; 2o  en se mesurant avec un professionnel ; 3o  en recevant un salaire comme professeur ou moniteur d’exercices physiques ; 4o  en prenant part à des concours ouverts à tous venants (all comers). Ces termes sont indéfendables au point de vue tant de la logique qu’ils offensent que de la liberté humaine dont ils font bon marché[4]. On peut décréter qu’on considérera comme professionnel un homme qui se sera mesuré avec un professionnel ou qui aura pris part à un concours public ; cela ne fait pas qu’il le soit. On l’exclut, voilà tout. Là est le germe de toutes les tyrannies syndicalistes qui se sont manifestées depuis vingt-cinq ans dans les milieux sportifs. La confusion entre le professeur et le professionnel renvoyés dos à dos est de moindre conséquence ; cependant elle a été fâcheuse à bien des égards ; et elle n’est pas juste. Quant à la source unique du professionnalisme que la définition dénonce (avoir touché un prix en espèces), elle laisse de côté tous ceux qui reçoivent des indemnités du club dont ils font triompher les couleurs ou de la localité à laquelle leur victoire fait de la réclame, qui sont fournis gratuitement d’instruments ou d’habillements sportifs par les maisons dont ils consentent à patronner les produits, qui reçoivent une part inavouée du bénéfice des entrées sur le terrain (gate money) ou de l’argent provenant des paris… la liste est nombreuse des déguisements sous lesquels le faux amateur (parfois beaucoup moins sportif que tel professionnel) force l’entrée des concours qui devraient lui être interdits.

Lorsque l’on aura refait de fond en comble cette législation de l’amateurisme[5], un très grand nombre de problèmes sans lien apparent avec cette question perdront de leur complexité. Les règlements sportifs s’accorderont facilement d’un pays à l’autre, les tendances tyranniques de certaines fédérations s’atténueront et il ne sera plus possible à des dirigeants étrangers au sport de se servir du groupement sportif comme d’un tremplin propre à assurer la satisfaction de leurs ambitions personnelles.

  1. Voir la Revue Olympique (avril 1907 et septembre 1911).
  2. Il possède souvent hors la ville une annexe pour les courses à pied, l’aviron ou même le polo et tend alors à grouper des adhérents de tous les sports.
  3. Par exemple, en aviron, le match Oxford-Cambridge ou bien la course Paris-Francfort dont la guerre a interrompu la série.
  4. Les Anglais sont souvent mus en sport par des préoccupations de castes. C’est ainsi que les principaux clubs d’aviron, en Angleterre, en sont encore à refuser la qualité d’amateur à tout travailleur manuel.
  5. On va trop souvent répétant qu’une telle réforme est impossible. Dans aucun pays on ne s’y est encore attelé sérieusement et l’état de choses actuel se trouve maintenu par ceux qui y ont intérêt et qui répandent cette légende.