Pédagogie sportive/Texte entier

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Les Éditions G. Crès et Cie (p. 7-154).

PRÉAMBULE


Le sport est le culte volontaire et habituel de l’exercice musculaire intensif appuyé sur le désir du progrès et pouvant aller jusqu’au risque.

Donc cinq notions : initiative, persévérance, intensité, recherche du perfectionnement, mépris du danger éventuel. Ces cinq notions sont essentielles et fondamentales.

En découlent trois conséquences :

1o Le sport n’est pas naturel à l’homme : il est en contradiction formelle avec la loi animale du « moindre effort ». Il ne suffit donc pas de lui fournir des facilités matérielles pour qu’il se développe ou se maintienne ; des incitants basés sur la passion ou le calcul lui sont nécessaires. Il convient d’interroger l’histoire afin de recueillir sur ce point les données de l’expérience.

2o Le caractère sportif est susceptible de se superposer à tout exercice musculaire comme aussi de lui faire défaut. On peut pratiquer le cerceau d’une façon sportive et l’aviron d’une façon non sportive. Il n’y a donc pas lieu de distinguer entre certains exercices qualifiés : sports et d’autres auxquels ce qualificatif serait refusé. D’où il suit que la technique sportive embrasse tout le domaine de l’exercice physique sportivement pratiqué, qu’il s’agisse de gymnastique, d’escrime, d’équitation, de foot-ball etc.

3o Le sport faisant appel à la contrainte sur soi-même, au sang-froid, à l’observation… relève de la psychologie autant que de la physiologie et peut réagir sur l’entendement, le caractère et la conscience. Il est donc un agent de perfectionnement moral et social.

Tel est l’ensemble des sujets que comprend la pédagogie sportive.

PREMIÈRE PARTIE

HISTOIRE DES EXERCICES SPORTIFS

À trois reprises seulement dans le cours des siècles historiques, le sport a joué un rôle considérable dans l’ensemble de la civilisation, conquérant le nombre et s’imposant à l’attention générale : dans l’antiquité par le gymnase grec ; au moyen-âge par la Chevalerie ; dans les temps modernes par la rénovation issue de l’effort réfléchi de Ling, de Jahn, de Thomas Arnold… En dehors de ces trois périodes, le sport n’a été que la distraction préférée d’un petit nombre d’instinctifs ou le corollaire obligé de certaines professions ; les éducateurs qui l’ont alors recommandé au point de vue pédagogique n’ont pas été écoutés.

ANTIQUITÉ

Naissance des incitants sportifs.

D’après Confucius, il y a six « arts libéraux » qui sont : la musique, le cérémonial, l’arithmétique, la calligraphie, l’escrime et « l’art de conduire un char ». Donc pas de gymnastique encore. L’escrime donne satisfaction à l’instinct combatif, mais il ne paraît pas que cet instinct ait suffi à la propager en Extrême-Orient. À remarquer que la première escrime naturelle n’a pu être celle du poing qui demande une contrainte et un assouplissement artificiels préalables. Il était plus naturel à l’homme primitif de s’emparer d’un bâton ou même de lutter simplement corps à corps ou encore de chercher à frapper par le jet d’une pierre. Les escrimes d’Extrême-Orient sont demeurées des spectacles et n’ont donné naissance à aucune institution pédagogique sauf — plus tard, au Japon — le jiu-jitsu.

Dans l’Inde comme en Égypte nous trouvons trace de certains jeux qui nous mettent en présence de l’instinct de jeu[1]. Cet instinct est d’ordre animal ; de jeunes animaux jouent. Même en y ajoutant l’observation de règles conventionnelles, le jeu parmi les humains ne devient pas sportif par lui-même ; il ne conduit pas l’effort au delà du plaisir. Pour qu’il en soit ainsi, il faut une éducation sportive préalable. La chasse a eu manifestement une origine utilitaire. Il a dû en être de même de la navigation. D’ailleurs le monde antique ne construisait point d’embarcations et ne possédait guère de cours d’eau propices au sport de l’aviron.

Avec la pratique de l’équitation, nous touchons à l’orgueil de la vie qui est un incitant sportif. Comme l’a écrit plaisamment de nos jours un américain, le cheval donne à son cavalier « la sensation d’avoir quatre jambes ». Il lui communique la griserie de la vitesse. Or cela est de tous les temps. L’équitation antique s’était grandement développée chez les Perses[2]. Un auteur ancien décrit le dédain avec lequel le jeune Perse dès qu’il a touché un cheval, considère ceux qui vont à pied.

Enfin il faut faire entrer en ligne de compte l’entraînement militaire. Ces peuples ont eu de puissantes armées. Assyriens, Égyptiens, Perses ont connu la valeur de l’exercice musculaire commandé et en ont fait l’application. Nous pouvons par le relevé des étapes indiquées sur les monuments des Égyptiens comme ayant été franchies par leurs soldats en un temps donné, apprécier l’endurance de ceux-ci[3].

D’autre part la médecine, même embryonnaire, n’a pu méconnaître la portée de l’exercice énergique au point de vue de la santé. Ainsi se sont manifestés de bonne heure la plupart des « incitants » à la pratique des sports. En aucun pays pourtant, nous ne trouvons trace d’une véritable conception pédagogique sportive ; rien n’annonce ni ne prépare à cet égard les nouveautés qu’introduira le génie hellénique.

La religion de l’athlétisme.

En Grèce, la recherche de la beauté du corps apparaît très tôt comme un objet digne des efforts de l’homme en même temps que comme un moyen d’honorer les dieux. « Il n’est pas de plus grande gloire pour un homme, dira un héros de l’Odyssée, que d’exercer ses pieds et ses mains ». La société dépeinte dans l’Iliade est déjà fortement sportive : luttes, courses à pied, lancers… compétitions solennelles en vue desquelles chacun s’entraîne et qu’entoure un appareil religieux : la religion de l’athlétisme est née[4].

Elle aura bientôt ses cérémonies périodiques et ses temples pour le culte quotidien. Les cérémonies, ce seront les grands Jeux : Jeux Pythiques, Isthmiques, Néméens et les plus illustres de tous, les Jeux Olympiques. Les temples, ce seront les gymnases, foyers de vie municipale assemblant adolescents, adultes, vieillards autour de cette préoccupation d’exalter la vie de l’humanité qui est à la base de tout l’hellénisme et se reflète si nettement dans sa conception d’un au-delà crépusculaire où domine le regret du séjour terrestre.

Le gymnase grec.

Gymnase vient de gumnos qui veut dire nu ; pourtant les athlètes portaient des caleçons. Pausanias cite un coureur qui perdit la course parce que son caleçon s’était détaché. Au terme gymnase, Vitruve, Celse et Pline l’Ancien préfèrent celui de palestre (de palé lutte). Quant au terme athlète, il a pour origine athlos qui signifie récompense, ce qui indique bien l’idée fondamentale de concours et d’émulation.

Le gymnase était un vaste ensemble de constructions et d’espaces découverts, enchevêtrés et généralement reliés par des portiques. Salles d’escrime, salles d’hydrothérapie, salles de paume, salles de conférences, promenoirs, promenades, terrains de concours, le gymnase contenait tout cela et dans de larges proportions. Sparte eut, dit-on, les plus parfaits, avec cette originalité que les femmes y furent admises au même titre que les hommes. Tel n’était pas le cas dans les autres cités. Les gymnases d’Athènes, le Lycée, l’Académie, la Canopus, le Cynosarges (ce dernier fréquenté par des gens du peuple, les bâtards, les étrangers et les affranchis) furent célèbres, de même que le Cranion à Corinthe. Platon enseigna à l’Académie et Aristote au Lycée. Il va de soi que, dans les petites villes, le gymnase était organisé sur un plan modeste et simplifié. Le personnel des grands gymnases comprenait d’ordinaire : le gymnasiarque ou directeur général, l’agonistarque ou directeur des concours publics, le gymnaste ou professeur avec son moniteur ou pœdotribe, etc. Un médecin était attaché à l’établissement.

L’enseignement englobait la gymnastique (courses, sauts, lancers, grimpers, travail des haltères), l’escrime, la lutte, le pancrace et le pugilat ; enfin en manière d’annexes, la sphéristique et l’orchestique.

Les coureurs antiques arrivaient à de belles performances. Avant la bataille de Marathon, Athènes envoya demander du secours à Sparte le coureur Phidippide qui, dit-on, accomplit le trajet en deux jours. Antyllas cite trois sortes de courses : en avant, en arrière, en cercle. Il semble que la course ait cessé par la suite d’être un sport aristocratique : de même les sauts sur lesquels nous avons peu de données. Les lancements du javelot et du disque (ce dernier surtout) qui mettaient en valeur la grâce et la beauté des athlètes et provoquaient les applaudissements de la foule étaient fort prisés de ceux qui y réussissaient. La corde lisse semble avoir été d’usage fréquent. Les haltères étaient de formes variées mais ils ne paraissent pas avoir ressemblé aux nôtres ; c’étaient en général de grosses boules rondes munies d’anses ou bien des masses oblongues avec un creux où passer la main ; on faisait aussi usage de pierres. Les haltères (de allomaï, sauter ?) s’employaient pour accélérer le saut. Aristote et Théophraste prétendent que l’aide qu’y trouvait le sauteur était considérable. Vérification faite, cela ne pourrait se soutenir que s’il s’agit d’haltères très légers et de sauts à pieds joints.

L’escrime antique a toujours été handicapée par l’absence du masque à treillis. La veste et même le fleuret auraient peut-être pu être suppléés mais non le masque auquel il ne semble pas qu’on ait songé. On distinguait la Sciamachia (littéralement : escrime contre une ombre, et la Monomachia escrime contre un adversaire vivant) ; la première se faisait dans le vide ou contre un obstacle tel qu’un pieu planté en terre ; la seconde avec des armes de bois se composait le plus souvent de simples feintes.

La lutte ressemblait beaucoup à celle que pratiquent les modernes : lutte debout dans laquelle il fallait que l’un des lutteurs eût trois fois perdu pied ou mis un genou en terre pour être déclaré vaincu — lutte à terre qui rappelait notre style libre plutôt que notre style dit gréco-romain et se poursuivait souvent jusqu’à ce que le vaincu eût demandé grâce.

Le pugilat était une boxe anglaise à poings nus ou peut-être revêtus d’une enveloppe amortissante bien qu’à cet égard l’incertitude règne[5]. L’Iliade décrit un combat de boxe au cours des jeux célébrés pour les funérailles de Patrocle ; un autre récit bien plus détaillé existe dans l’Énéide (ve livre) ; on y retrouve nombre de passes de la boxe actuelle, notamment l’esquive.

La question du ceste a été très discutée. Le ceste, lourde courroie en cuir garnie de lamelles de plomb et enroulée autour du poing et de l’avant-bras, devait rendre le combat ainsi livré non seulement sanglant mais meurtrier. De tels combats étaient certainement assez rares comme le furent les prize-fights en Angleterre au xixe siècle. Il convient de remarquer de plus que le poing ainsi alourdi perdait toute aptitude aux coups directs rapides ; le jeu devait consister surtout à rechercher le coup de massue de préparation lente et par conséquent plus aisé à éviter, mais terrible évidemment dès qu’il atteignait son but.

Il y avait encore le pancrace, combinaison de lutte et de boxe où les coups de pied, — autorisés, — devaient très probablement servir, comme dans la boxe française moderne, à tenir l’adversaire à distance. Tous ces sports sans doute étaient brutaux. Pourtant nous voyons des médecins illustres comme Gallien et Hippocrate recommander le pancrace et Platon en faire grand cas, l’admettant même pour les femmes tandis que Properce affirme que les jeunes lacédémoniennes s’adonnaient régulièrement au pugilat. Il faut bien admettre dès lors que, pratiqués en combat par des spécialistes[6], ils ne l’étaient qu’en leçon ou en « assaut réglementé » par le grand nombre de leurs adeptes. N’oublions pas que le « punching ball » fut connu des Grecs. C’était un gros ballon (corycos) rempli de graines ou de sable selon la force de ceux auxquels il servait d’engin d’entraînement ou d’exercice.

Dans beaucoup de sports grecs sinon dans tous apparaît la préoccupation d’accroître la difficulté tandis que les modernes cherchent à faciliter à l’athlète son effort ; nous pensons par là rendre le geste plus parfait ; eux pensaient le rendre plus énergique : piste de sable pour les coureurs au lieu de piste cendrée, sandales doublées de plomb pour courir ou sauter au lieu de chaussures ultra-légères et ainsi de suite. Un de nos boxeurs qui pratiquerait le ceste compromettrait sa forme et la rapière allemande tend à rendre inapte au fleuret. Toutefois on peut se demander si la théorie des « impedimenta » ne contient pas une part d’exactitude et si elle ne serait pas susceptible d’applications heureuses, même de nos jours.

La sphéristique des Grecs comprenait tous les jeux de balle : ils étaient légion. La dimension de la balle et les règles du jeu se différenciaient indéfiniment sauf en ce qui concerne la raquette qui ne semble pas avoir été employée dans l’antiquité. Les jeux de balle n’étaient pas tous traditionnels ; les professeurs s’ingéniaient à en inventer de nouveaux pour satisfaire leur clientèle ou bien ils retouchaient et perfectionnaient les jeux en usage. La vogue de ces jeux fut intense mais surtout parmi les enfants et les personnes d’âge mûr ainsi que l’atteste ce vers de Martial : « Folle decet pueros ludere, folle senes. » Les jeunes gens dédaignaient au contraire un sport qu’ils ne trouvaient pas assez athlétique.

Quant à l’orchestique, c’était l’ensemble des danses mais ce mot n’avait pas alors le même sens qu’aujourd’hui. Aristote définit la danse « l’art de traduire par une gesticulation variée et rythmée les caractères, les passions et les actes des humains ». La rythmique de Jaques Dalcroze peut en donner une idée probablement assez exacte.

Tel était, en résumé, l’enseignement donné dans les gymnases.

Les Jeux Olympiques.

Il est probable que la création des Jeux Olympiques fut due aux Pisates, premiers possesseurs de la vallée de l’Alphée. Mais les Olympiades ne commencèrent à compter que du jour où Iphitos, roi d’Élis, conclut avec Lycurgue la convention établissant autour des Jeux une « trêve sacrée »[7]. Dès lors la ville d’Élis reçut la direction des concours et l’Élide devint territoire neutre et inviolable. La première Olympiade date de l’an 776 avant J.-C. Pendant près de douze siècles, elles furent célébrées avec une régularité que ne troublèrent guère les événements les plus graves. Au moment où se livrait le combat des Thermopyles, les Grecs se trouvaient assemblés à Olympie. Cependant il advint parfois que des contestations surgirent. Ce fut le cas pour la 8e Olympiade (748 av. J.-C.) dont les Pisates reprirent la direction aux Éléens ; lors de la 104e (364 av. J.-C.) la trêve sacrée fut même rompue.

Le programme, au début, ne comportait presque que la course à pied en vitesse qui se courait sur la longueur du stade, soit 180 mètres[8]. Vinrent successivement s’y ajouter la double course, la course de fond (4600 mètres environ), le pentathlon (en 708), le pugilat (en 688), la course de chars à quatre chevaux[9] (en 680) le pancrace (en 648) ; puis à partir de l’an 632 les concours pour enfants ; enfin, en 396, les concours d’art. Il semble qu’on ait pendant longtemps tenu, pour rester fidèle à la tradition, à épuiser le programme en une seule journée. Mais en 472 les concours ne purent se terminer que fort avant dans la nuit et la durée des Jeux fut alors portée à cinq jours. Cela montre en tous cas que les concurrents ne furent jamais très nombreux et que leur spécialisation était extrême[10]. Le pentathlon dont l’apparition introduit dans l’histoire sportive les « sports combinés » comprenait la course, la lutte, le lancement du disque, le saut et le pugilat auquel par la suite fut substitué le lancement du javelot. Il ne paraît pas qu’on ait compté par points ; le vainqueur devait sortir premier des cinq épreuves successives. Nous ne savons pas exactement comment se faisait l’élimination.

La qualification du concurrent aux Jeux Olympiques était à la fois ethnique, sociale, morale et technique. Il devait être de pure race hellénique, n’avoir commis ni crime, ni impiété, ni sacrilège et une fois « accepté » comme candidat, s’être soumis, après un entraînement de dix mois, à un stage de trente jours à Élis pendant la période précédant les Jeux. Il y a là une gradation de garanties que le monde moderne n’a jamais relevées. Au début les Doriens, les Éléens et les Arcadiens étaient seuls convoqués. Ce fut un Éléen, Corœbos, qui remporta le prix de la course à la ire Olympiade. Mais dès le milieu du viie siècle avant Jésus-Christ, tous les Hellènes furent admis. Ils le furent seuls, en règle générale, jusqu’à la conquête romaine. Tibère, le premier des non-Hellènes, remporta un prix (course de chars). Lors de la 290e Olympiade (385 après J.-C.) qui devait être l’avant-dernière, le vainqueur au pugilat fut le prince héritier d’un royaume arménien.

Il est impossible d’entrer ici dans le détail des cérémonies et des solennités auxquelles donnaient lieu les Jeux Olympiques. La religion, l’art, le symbolisme philosophique ou patriotique y régnaient perpétuellement, engendrant comme une exaltation de tous les sentiments et de toutes les pratiques qui servaient de base à la cité grecque. Les historiens ne sauraient trop étudier ce qui concerne ces grandes fêtes de l’Hellénisme.

Les Jeux Olympiques furent supprimés par un édit de l’empereur Théodose en 392. Le christianisme vainqueur voyait en eux une institution païenne. En 426, Théodose ii, par un édit sacrilège, ordonna la destruction des temples et édifices que, dans l’intervalle, les hordes d’Alaric avaient pillés mais non détruits. L’édit ne fut que partiellement exécuté, mais les tremblements de terre de 522 et 551 et les inondations du Kladeos que ne retenaient plus les digues préservatrices achevèrent le désastre. Olympie disparut et on perdit jusqu’à ses traces. Retrouvée en 1829 par le corps expéditionnaire français venu au secours de la Grèce ressuscitée, elle fut exhumée de 1875 à 1881 par l’école allemande d’archéologie aux frais du futur empereur Frédéric iii ; 130 statues ou bas-reliefs, 13.000 bronzes, 6.000 monnaies, 400 inscriptions, 1.000 terres cuites et 40 monuments furent inventoriés[11].

Il n’y a rien de particulier à dire des Jeux Néméens qui avaient lieu tous les trois ans dans la vallée de Némée en Argolide et devinrent importants surtout à partir de la première guerre gréco-perse, non plus que des Jeux Isthmiques célébrés dans l’isthme de Corinthe ou des Jeux Pythiques dont Cressa fut le théâtre tous les cinq ans à partir du vie siècle. Toutes ces manifestations étaient des répliques des Jeux Olympiques mais de moindre importance. La course qui cessa d’y figurer fut rétablie aux Jeux Isthmiques et Néméens sous l’empereur Hadrien.

Excès et déformation.

Une institution quelconque ne dure pas mille ans sans se modifier et se déformer. Rien n’est plus instructif que d’étudier les péripéties sportives de l’antiquité. La gradation naturelle s’y révèle. On voit avec le succès se développer la complication et le spécialisme d’où sortent bientôt le professionnalisme et la corruption. L’esprit sportif, cet « aïdos » dont Pindare écrit que son pire ennemi est le désir du gain, se trouve vite mis en péril. La grandiose époque des guerres contre les Perses provoque un sursaut d’énergie et — si l’on peut ainsi dire — de purification sportives mais bientôt l’effet s’en atténue et le mal reprend. Ce sont alors les exagérations de l’entraînement ; l’athlète aux mains d’entraîneurs et de « managers » tend à devenir un être anormal vivant du sport comme ceux qui s’occupent de lui. C’est le mercantilisme… Callipos, l’Athénien, achète ses adversaires qui lui laissent gagner le Pentathlon (332 av. J.-C.) ou bien[12] Crotone et Sybaris s’efforcent par d’énormes subventions de monopoliser pour leurs fêtes les champions les plus renommés. C’est le fonctionnarisme… le gymnase et le stade se remplissent de « dirigeants » tandis que le Code des règlements devient chaque jour plus détaillé et plus complexe. Ce sont les querelles de méthodes… Sparte fait bande à part parce qu’elle désapprouve la « tendance scientifique » qui prévaut. La médecine veut mettre la main sur le sport et le régir à son profit. Les médecins lui donnent des lois et comme dit le prof. Strehly, « reconnaissant tout le parti qu’ils en peuvent tirer, en font leur bien propre et l’enferment dans un cycle de prescriptions ». Plus tard, Gallien, médecin de Marc-Aurèle, longtemps attaché à un gymnase de Pergame voudra faire croire que la gymnastique n’a guère été connue avant le temps de Périclès. Olympie subit une transformation concomitante. Les Jeux sont entourés d’une sorte de vaste foire où s’entassent les curiosités et les spectacles : il faut toujours du nouveau, du sensationnel, à cette foule énervée et bruyante. À plusieurs reprises pourtant s’esquissent des mouvements de salutaire réaction mais peu à peu l’opinion se détache et se détourne ; la religion athlétique perd ses fidèles : elle n’a plus que des clients.

Rome et Byzance.

Certains généraux grecs, avant la bataille, faisaient combattre sous les yeux de leurs troupes des prisonniers de guerre ; le vainqueur recevait la liberté. On trouvait que ce spectacle entretenait le moral des soldats. Il semble qu’un usage semblable ait existé chez les Étrusques à l’occasion des funérailles des chefs militaires. En tous cas, ce fut l’origine des combats de gladiateurs, devenus la distraction favorite du peuple romain. Le premier de ces combats eut lieu à Rome l’an 490 av. J.-C., la première année des guerres puniques. Or huit siècles plus tard, saint Augustin dans ses Confessions déplore l’indestructible passion de son ami Alype, à Carthage, pour ces combats dont il croyait avoir réussi à le détourner : « à peine eut-il vu couler le sang qu’il en devint comme avide, s’enivrant de ces voluptés sanguinaires. » On peut se rendre compte par là combien durable et violent fut l’attachement des Romains aux Jeux du cirque[13] et de quelle popularité jouissaient les gladiateurs malgré leur caractère mercenaire et les bas-fonds d’où généralement ils sortaient.

Il arriva maintes fois que des jeunes gens de la haute société se mêlèrent aux gladiateurs ; certains même se déclassèrent légalement pour pouvoir embrasser cette profession. Horace et Properce parlent de chevaliers servant comme gladiateurs au cirque. Suétone et Dion citent de jeunes nobles qui s’employaient à former eux-mêmes des gladiateurs. Il y eut du reste des combats publics mettant aux prises des amateurs. On vit des sénateurs et même un empereur descendre dans l’arène par désir des applaudissements. À un moment, un senatus-consulte vint interdire aux « fils et petits-fils de sénateurs » la participation aux Jeux de gladiateurs et Dion raconte que vingt-huit ans plus tard, ce senatus-consulte fut rapporté « à cause de son inefficacité ».

Y avait-il derrière cette activité du cirque une sportivité véritable s’étendant, non comme en Grèce à la majorité de la population, mais du moins à une importante minorité ? On ne peut le croire. Le caractère des exercices du Champ de Mars resta toujours exclusivement militaire. C’était une préparation au service : les adolescents y prenaient part uniquement pendant l’époque précédant leur appel ; les hommes mûrs cessaient de s’y intéresser. Si l’on cite Marius et Pompée qui parfois s’y montraient, c’est que justement le fait était rare. Lorsque l’athlétisme grec tenta de s’introduire à Rome, il fut formellement condamné par Caton ; tous les vieux Romains le dédaignaient. Il semble pourtant avoir vécu en annexe dans les Thermes que fréquentait la population. Quand Sénèque se lamente, habitant à proximité des bains, de tous les bruits qui s’y produisent, il cite des boxeurs et des lutteurs parmi ceux dont le voisinage l’incommode. Mais on peut se rendre compte par la lecture de bien des auteurs[14] de la très petite place que cet athlétisme-là tenait dans la vie romaine. Les fouilles, en faisant connaître la disposition intérieure des Thermes, ont corroboré cette impression.

Autres observations : au cirque, ce n’était jamais que le combat armé, donc de l’escrime : une escrime que l’on cherchait à varier, à rendre émouvante et théâtrale pour plaire aux spectateurs. (Exemple : le fameux combat qui mettait aux prises deux hommes, l’un muni d’un bouclier rectangulaire et d’un glaive court, et l’autre armé d’un trident et d’un filet long de deux mètres à l’aide duquel il cherchait à envelopper et à immobiliser son adversaire.) Quant aux Jeux (Ludi Apollinares, Ludi romani, Ludi Sevirales), c’étaient des courses de chars à deux ou quatre chevaux ou des sortes de manœuvres militaires de cavalerie. Rien à aucun moment n’y vint rappeler les Jeux grecs.

Cependant Alexandre avait porté l’Hellénisme jusqu’aux confins de l’Inde. Le prodigieux conquérant d’Ecbatane, de Suse et de Babylone avait fondé Herat, Kandahar, Kaboul… Et conquis à son tour par ses nouveaux sujets, il était devenu un adepte du monarchisme oriental sans pour cela se détacher de cet humanisme grec qu’il prisait au-dessus de tout. Aussi sur ses traces avaient germé les institutions helléniques et, parmi elles, le gymnase était au premier rang. Nous n’en pouvons douter lorsque nous voyons un siècle plus tard Antiochus, souverain d’un de ces royaumes hellénisants issus du démembrement de l’empire d’Alexandre, s’emparer de Jérusalem et voulant l’helléniser, y fonder en premier lieu… un gymnase. Il ne réussit pas d’ailleurs. L’Égypte et la Judée incarnent les deux seules civilisations qui résistèrent à la civilisation grecque et ne furent qu’à peine entamées par elle. Mais Séleucie, Antioche, Pergame, Nicomédie, Tarse, Éphèse, Thessalonique furent des foyers d’un hellénisme intense et l’olympisme, même affaibli et corrompu, y vibrait encore.

Comment se fait-il dès lors que Byzance devenue capitale d’un empire qui, encore latinisé au temps de Justinien, retourna de plus en plus à ses origines grecques, n’ait pas été à son tour une puissante métropole sportive ? Le geste de Théodose à Olympie nous l’explique. Le christianisme grandissant poursuivait en l’athlétisme une institution non seulement païenne de naissance mais qu’il jugeait apte à entretenir et à raviver la mentalité païenne. Il restera certains sportifs comme le jeune empereur Romain ii, joueur de paume et amateur de folles chevauchées qui ébranlèrent son tempérament délicat ou bien le fils de Nicéphore Phocas qui fut tué par son cousin pendant une joute à la lance. Le prestige des exploits sportifs subsistait malgré tout. L’empereur Jean Tsimiscès, habile au javelot comme à la course et capable de sauter « quatre chevaux de front », n’en dédaignait pas l’effet sur la foule et on sait que Basile ier dut l’origine de sa prodigieuse fortune à la façon dont il tomba un lutteur bulgare. Mais ce n’étaient là que de pittoresques détails. L’athlétisme condamné par l’Église n’avait plus ses temples.

Quant aux fameuses manifestations de l’Hippodrome[15], elles n’étaient rien moins que sportives. Les factions hostiles des Verts et des Bleus auxquelles les courses de chars servaient de prétexte à agir, étaient en réalité des sortes de Tammany Halls pour l’exploitation du pouvoir et des places. Elles s’appuyaient sur des milices ou gardes nationales privées, souvent composées de gens sans aveu. La passion du pari et du jeu et tous les désordres résultant d’une pareille organisation emplissent l’histoire de Byzance et des grandes villes de l’empire d’une activité où l’on ne trouve rien de sportif.

Ainsi s’est évanoui l’athlétisme antique. Son histoire est pleine d’enseignements ; elle souligne le rôle prépondérant de la passion sportive individuelle et la valeur des divers incitants qui l’aident à se développer comme aussi le danger des contacts qui la menacent de déchéance ; elle explique la périlleuse nécessité d’un appui de l’opinion, et le duel forcé de l’éclectisme et du spécialisme ; elle rappelle que le temps apporte à la fois à toute institution concours et usure ; elle montre à l’œuvre l’éternel balancier humain qui, toujours en poursuite de l’équilibre, n’arrive à le réaliser que passagèrement sur la route d’un excès à l’autre. Mais elle nous enseigne avant tout que, bien compris et bien dirigés, les sports peuvent constituer la recette virile sur laquelle s’échafaude la santé de l’État. Cette recette-là longtemps perdue de vue va reparaître inconsciemment au moyen âge et consciemment à l’époque moderne.

MOYEN ÂGE

Les rois barbares ne doivent pas avoir connu, même de réputation, le passé grec ; en tous cas ils ne s’en souciaient point. Théodoric voulant plaire au peuple romain lui offrit en 509 une réplique appauvrie des Jeux du Cirque pour laquelle il sembla surtout préoccupé de dépenser le moins possible. Quant à Charlemagne, il chercha à restituer les splendeurs des Thermes. Bon nageur lui-même, il avait parfois jusqu’à cent invités dans sa piscine d’Aix-la-Chapelle et, raconte Éginhard, ce n’étaient pas seulement des grands, mais aussi des soldats de la garde[16]. La tentative fut sans lendemain ; du reste la Gaule romaine ne s’était point éprise du sport si propre pourtant à exalter le tempérament celte[17]. Les Francs ne furent que de rudes chasseurs. Les ruines accumulées par la barbarie durant quatre siècles étaient peu favorables à une renaissance de la culture corporelle. On avait trop de peine à vivre pour s’occuper d’orner et d’embellir la vie. Pour que le sport renaisse, il faudra que, derrière la façade d’une institution germanique, se rencontrent les coutumes féodales et l’action indirecte de l’Église.

La chevalerie.

Il est hors de doute que la « remise des armes » au jeune germain telle que Tacite la décrit ne soit l’origine de la chevalerie. Or cette remise ne se faisait qu’à ceux reconnus « capables de porter les armes ». Comme elle était un signe de virilité et de noblesse à la fois, l’émulation est née parmi les candidats et vite devenue intense. C’est le germe du « baccalauréat musculaire » que passera le jeune chevalier avant d’être admis. Et pour s’y préparer, suivant encore une coutume germanique, il s’attachera en qualité d’écuyer à un chef éprouvé dont il sera en quelque manière le soldat, l’ordonnance, joignant un service personnel à des corvées d’écurie, de dressage et d’entretien des armes. La féodalité qui est toute basée sur ce principe de l’attachement de l’homme à un autre plus puissant qui le protège en échange de services — la féodalité tend à multiplier une telle pratique. Et ainsi la chevalerie s’organise. Voici maintenant l’Église pour lui fixer sa mission et la consacrer, l’Église à laquelle il va arriver cette étrange aventure qu’ayant anéanti l’athlétisme antique, elle aide à en faire surgir un autre qui lui échappera promptement et méritera bientôt ses censures répétées.

Le chevalier est armé pour la justice et pour le droit ; on lui confie la protection du faible, de la veuve et de l’orphelin ; il représente une sorte de police à cheval au sein d’une société rude et violente. Le prêtre bénit ses armes ; la religion est partout autour de lui, mais pour les prouesses qu’on lui demande, il faut bien qu’il s’entraîne[18]. La passion sportive s’empare ainsi de lui, le soulève et, à travers lui et par lui, va se répandre sur toute l’Europe occidentale d’Allemagne en Espagne, d’Italie en Angleterre, la France servant de carrefour central au mouvement.

Les tournois et les joutes.

Dès 1130 le pape Innocent ii fait entendre au Concile de Clermont des doléances qu’Alexandre iii renouvelle en 1179 au Concile de Latran, contre l’abus des tournois. Ce sont de vraies batailles et si fréquentes qu’il faut, dit un contemporain, en compter « un par quinzaine ». Le « tournoyeur professionnel » est né et déjà l’amour du gain le guette. Car dans ces batailles, on garde le cheval dont on s’est emparé sur le cavalier qu’on a réussi à désarçonner et celui-ci doit le racheter. S’il s’est laissé prendre lui-même, il doit encore payer sa propre rançon. Le village où se font le soir du tournoi ces étranges règlements de comptes présente l’aspect le moins recommandable. On cite un tournoyeur renommé qui se trouvait, au sortir de tel tournoi, possesseur de « douze chevaux avec selles et agrès » : toute une fortune. Rendons pourtant cette justice au moyen âge que l’esprit de lucre ne parvient à aucun moment à y tuer l’esprit sportif qui garde une intensité et une fraîcheur supérieures probablement à ce que l’antiquité grecque elle-même avait connu.

La chevalerie était aristocratique en son principe ; un « villain » pourtant pouvait être armé chevalier et cela se vit assez fréquemment. De même les tournois ne se limitèrent point aux chevaliers. Les tournois populaires ne furent pas une rareté. Celui qui, en 1330, mit aux prises les bourgeois de Paris avec ceux d’Amiens, Saint-Quentin, Reims, Compiègne et autres lieux, peut être considéré comme un modèle du genre. L’équipe parisienne qui comptait trente-six cavaliers l’emporta. Nombre de lances furent rompues « pour l’honneur des dames et l’exaltation de courtoisie ». Ce fut un maître des comptes qui obtint le premier prix. Un bourgeois de Compiègne eut le prix de la province ; comme il gisait au lit avec une jambe cassée, une jeune Parisienne, fille d’un drapier, alla le lui porter en le complimentant sur sa vaillance. En autorisant le tournoi[19], le roi Philippe de Valois avait recommandé « qu’il n’y eût pas d’émotion parmi le peuple ». C’est que depuis 1280, les rois s’alarmant, pour d’autres motifs que les papes, de l’abus des tournois cherchaient par une série d’ordonnances à entraver le mouvement ; ils ne semblent guère y avoir réussi. Eustache Des Champs, dont l’œuvre est pleine de détails pittoresques sur l’époque de la Guerre de Cent ans, se plaint vivement du surmenage physique qui pèse sur la jeunesse masculine ; elle mène, dit-il, une vie « que ne pourraient souffrir chevaux ni ours ».

Du xive au xve siècle toutefois, le tournoi évolue grandement. L’aspect s’en atténue ; des prescriptions plus douces le réglementent. Il est interdit à un chevalier d’y amener avec lui plus de trois écuyers ; quant aux assistants, ils doivent être « sans armes ». (Il paraît que trop souvent le goût de la bataille les gagnait aussi.) La capture des chevaux ou des hommes — et par conséquent la rançon et le rachat — ne seront plus permis. Ces atténuations issues de l’initiative d’Édouard ier d’Angleterre se répandent. Un cérémonial très compliqué et courtois s’établit. On se préoccupe de plus en plus des dames et de leur « ébattement ». Elles président les rencontres et donnent même leur opinion pour en fixer les détails. Le tournoi ainsi corrigé s’aristocratise parce que l’adresse de l’homme et la valeur du cheval y jouent maintenant un plus grand rôle. Il est en route vers son aboutissement purement équestre et tout à fait aristocratique qui sera le « carrousel ».

La joute qui est au tournoi ce que l’unité est au nombre multiple suit un destin un peu différent. Elle oppose l’un à l’autre deux cavaliers seulement qui se rencontrent en un choc unique, prévu et pour ainsi dire mathématique. Ils galopent en sens inverse de chaque côté d’une barrière, la lance en avant. Ou le cavalier ébranlé par le coup sera désarçonné ou bien la lance volera en morceaux. Même avec les lances légères en bois dites « armes courtoises », par opposition aux « armes de guerre », l’ébranlement était terrible[20]. Les armures devinrent de tels monuments qu’il fallait l’aide d’un escalier et de deux hommes pour se hisser à cheval[21]. Les accidents (du moins à « armes courtoises ») n’étaient pas très fréquents, mais la force, l’endurance — et plus qu’il n’y paraît — l’adresse nerveuse dépensées étaient extrêmes. C’était un « furieux plaisir ». La joute dura plus longtemps que le tournoi sans guère changer de caractère. Henri ii de France fut tué comme on sait, en 1559, en joutant contre un seigneur de sa cour.

Jeux populaires.

À côté des joutes et tournois qui sont des « sports combinés » d’escrime et d’équitation, fleurissent des jeux qui méritent vraiment la qualification d’athlétiques et, pour ce, ne doivent être confondus à aucun degré avec les jeux de quilles, boules et autres amusements de plein air en usage en presque tous pays. C’est d’abord la paume jouée avec la main, puis à partir du milieu du xve siècle environ, avec une raquette et se divisant en longue paume et courte paume ; la première en plein air, sans filet, la seconde en salle close avec filet ; elles se transforment, s’affinent. Trois siècles plus tard, en les combinant, le major Wingfield en fera le lawn-tennis. La passion de la paume est générale. Les rois en raffolent, mais les bourgeois aussi. Le journal d’un bourgeois de Paris, au xve siècle, parle d’une femme du Hainaut, nommée Margot, qui vint à Paris et battit tous les hommes sur le terrain dit du Petit-Temple. Un Anglais, Dallington, qui séjourna en France en 1598 décrit le pays comme follement sportif (« very immoderate ») et reproche aux Français d’avoir corrompu l’Angleterre qui les imite en tout et notamment dans leur passion pour les exercices violents[22] auxquels ils se livrent sans souci de l’heure ou de la température. Peut-être sait-il que, quatre ans avant, le lendemain de son entrée à Paris, Henri iv est allé « jouer à la paume tout du long de l’après-dinée » ; et sans doute en augure-t-il que le règne de ce prince sera déplorable !

Plus athlétique que la paume était la soule ou foot-ball, dont les règlements actuels se trouvent en germe très exactement, dans ceux du temps. Elle est violente et les accidents nombreux ; mais on n’en a cure. Tout le monde y joue. Henri ii s’y livre avec entrain et il veut toujours avoir le poète Ronsard dans son équipe. Ce n’est pas que la soule n’ait été très combattue. Philippe v vers 1319, Charles v vers 1369, ont essayé de l’interdire sans y réussir. Les ecclésiastiques eux-mêmes la pratiquaient au sortir de la messe[23] et des soules annuelles de village à village sont mentionnées dans une quantité d’actes du temps. Des plus curieux à cet égard, est le journal du Sire de Gouberville, gentilhomme du Cotentin, qui relate de magnifiques parties (1554) auxquelles il convie ses propres domestiques et les soldats du fort voisin, avec lesquels il dîne démocratiquement ensuite. Le foot-ball n’est guère moins populaire en Angleterre mais il est très mal vu en haut lieu. Sir Thomas Elyot, diplomate lettré, partisan de tous les sports, en excepte celui-là et Jacques ier fait de même dans ses instructions à son fils Henri.

On ne peut clore ce rapide résumé de l’activité sportive moyenâgeuse sans mentionner la « lutte », très prisée de toutes les classes. On connaît la passe fameuse entre François ier de France et Henri viii d’Angleterre, lors de leur entrevue dite du « Camp du Drap d’or ». Or la lutte, sport simple et non coûteux, était par là même l’un des plus à la portée du peuple. Mais les grands se gardaient de le dédaigner.

Le déclin sportif.

Il semble surprenant qu’après cinq siècles d’une si puissante activité sportive, le mouvement ait décliné et se soit éteint rapidement. Les pouvoirs publics qui n’avaient pu, au début, avoir raison de ses excès n’y auraient pas mieux réussi à la fin si des motifs «  extérieurs » n’étaient intervenus. D’abord la Renaissance qui surexcita la haute classe, détourna les uns vers le culte exclusif des choses de l’Esprit et les autres vers les élégances mièvres de la vie de cour. Puis une certaine fatigue musculaire s’était sans doute emparée de tous après s’être emmagasinée pendant cette période de vie physique intense. Enfin et surtout le démocratisme méconnu et pourtant si réel du moyen âge céda la place à des mœurs différentes[24].

Or l’armature de la sportivité moyenâgeuse était essentiellement démocratique[25]. Le chevalier, noble ou anobli, avait beau en être la figure la plus caractéristique et représentative, les sports mêmes dans lesquels il excellait avaient leurs racines dans le sol. C’est la passion populaire, franche et saine, qui les alimentait. Le peuple écarté et détaché, ils devaient s’affadir et se faner.

Si l’on compare, sous le rapport sportif, le moyen-âge avec l’antiquité, c’est cette différence fondamentale qui s’affirme tout d’abord. Il y en a d’autres. L’athlétisme antique s’est affaibli par un spécialisme outrancier ; celui du moyen-âge est demeuré jusqu’au bout éclectique en ses goûts et ses habitudes. Il n’a jamais eu d’assises fixes comme lieux et comme dates, rappelant les Jeux Olympiques ; il est resté à cet égard très fantaisiste d’allures. Il ne fut pourtant pas individualiste comme l’était l’athlétisme antique ; il reposait en général sur le besoin de groupement mais sans atteindre la notion d’association régulièrement constituée et permanente — notion qui sera caractéristique du mouvement moderne. Il a eu pour principaux incitants l’émulation des chevaliers entre eux et l’imitation par le peuple des gestes de ceux-ci. La recherche de la beauté et l’idée civique grecque lui furent étrangères. Enfin on lui doit l’introduction d’une coutume nouvelle : l’appel aux dames pour encourager le sport et couronner les vainqueurs — et d’un idéal nouveau : l’esprit chevaleresque. L’esprit sportif n’était que la loyauté pratiquée sans hésitation. L’esprit chevaleresque est une coquetterie de beau joueur, incitant à avantager l’adversaire à son propre détriment.

TEMPS MODERNES

Lorsque J.-J. Rousseau, en termes bien vagues, recommanda une culture physique qui d’ailleurs ne reposait point sur le principe sportif, il ne trouva guère d’écho[26]. Un peu plus tard, un Américain de marque, Noah Webster, devait proclamer cette vérité audacieuse : « qu’une salle d’armes n’est pas moins nécessaire dans un collège qu’une chaire de mathématiques ». Mais le Nouveau-Monde, pas plus que l’Ancien, ne répondit à l’appel. La période révolutionnaire et impériale est une des plus fermées à l’idée sportive. À la veille de la Révolution on voit, à Versailles, le comte d’Artois, épris de sport, faire venir un acrobate pour apprendre de lui à danser sur la corde raide ; et le prince, bien entraîné, convie la cour à admirer son adresse. Mais devenu le roi Charles x, et encore beau cavalier, il ne songera même pas à encourager les goûts sportifs de ses sujets. Ceux-ci du reste ne s’en soucient guère. Et pourtant Charles x a, sous la main, le leader désirable.

L’échec d’Amoros.

Rien n’est plus instructif à suivre que la carrière obstinée et méritoire d’Amoros, ce colonel espagnol qui vers 1820, tenta de faire de Paris un grand centre d’éducation sportive. Tout semblait lui permettre d’y aspirer. Au lendemain de l’épopée napoléonienne, les sports ne devaient-ils pas trouver dans une paix agitée et énervante l’occasion la plus favorable pour se développer ? Généralement Amoros est représenté comme ayant échoué, faute d’encouragement. Or ni la popularité ni l’argent ne lui manquèrent. Pas loin d’un million de francs lui furent remis. En 1821 l’État versait déjà 20.000 francs par an ; en 1824, 32.000. Un énorme espace que recouvre aujourd’hui une partie du quartier de Grenelle avait été concédé à Amoros pour y créer son établissement modèle. On peut dire qu’à aucun moment, un système d’éducation physique ne fut si puissamment épaulé. Le gouvernement, l’université, les autorités militaires, les Écoles chrétiennes, tout le monde était d’accord pour vouloir du bien à l’œuvre ; de partout les élèves affluaient. À partir de 1832 la générosité officielle se lassa et, cinq ans plus tard, le parc de Grenelle fut fermé. Cabales, injustices, maladresses d’Amoros trop autoritaire et parfois hâbleur… c’est entendu. Mais les élèves, comment expliquer leur dispersion ? Des footballers vont-ils renoncer au foot-ball parce que leur club est dissous ? ils en formeront un autre. Or les exercices d’Amoros étaient bien plus aisés à reconstituer. Souvent on aurait pu les continuer chez soi. « Mais dès qu’a cessé l’espèce d’envoûtement à l’aide duquel le maître faisait passer en ses élèves sa propre conviction et sa propre volonté, tout s’est évanoui sans presque laisser de traces ».

Jahn et Ling.

En 1774, Basedow avait fondé à Dessau une école où les exercices physiques étaient en honneur. Dix ans plus tard, un de ses disciples en fonda une autre à Gotha, tandis que Pestalozzi à Yverdon cherchait aussi à réintroduire la gymnastique dans l’éducation et que Clias, officier suisse, ouvrait à Berne une « palestre » modèle. Tous ces établissements végétèrent ; aucun ne créa d’enthousiastes élèves. C’est à un indiscipliné, fougueux, instable, médiocrement épris de sport pour lui-même, qu’il était réservé de soulever l’Allemagne. Ludwig Jahn ouvrit en 1811 dans le Hasenheide, près de Berlin, le « turnplatz », d’où allait sortir la régénération nationale. Un étrange patriotisme teutonique s’y installa avec lui. Les insignes des membres de l’association portaient ces chiffres cabalistiques : 9-919-1519-1811. C’étaient les dates du désastre de Varus, de l’introduction des tournois en Allemagne, de la célébration du dernier tournoi et de la création récente du Turnplatz[27]. Ce symbolisme, ridiculisé en haut lieu, plut aux masses et gagna de proche en proche. Mais en 1819 l’assassinat de Kotzebue par un membre d’un Turnverein détermina une réaction violente des pouvoirs publics jusque-là plutôt bienveillants. Jahn fut arrêté et les Turners abolis. Ils se reconstituèrent vingt-deux ans plus tard, en 1842. À partir de 1860 le mouvement s’accentua. Au festival de 1861, à Berlin, 6.000 gymnastes participèrent et 20.000 en 1863 à celui de Leipzig[28]. La nature des exercices pratiqués évoluait aussi. Jahn appelait le Turnplatz « un lieu de contestations chevaleresques ». La course, le saut, la lutte, le travail des poids y étaient habituels. Peu à peu, sous l’influence d’Ad. Spiess qui enseigna de 1830 à 1848, à Giessen, puis à Darmstadt, les mouvements d’ensemble s’implantèrent et se répandirent parmi les Turners. Mais l’esprit général resta ce que Jahn avait voulu qu’il fût : énergique et rude, sportif par conséquent.

Très différentes étaient les caractéristiques de l’œuvre entreprise par Ling. À 17 ans, Ling, échappé de l’école, avait déjà couru l’Europe et fait tous les métiers ; domestique, interprète, soldat de l’armée de Condé, etc. Rentré assagi à l’université de Lund, puis étudiant en théologie à Upsal, il passa de là à Copenhague où, croit-on, il reçut ses premières leçons d’escrime de deux émigrés français en même temps qu’il suivait l’enseignement donné par le danois Nachtegall, lequel venait d’introduire dans son pays la gymnastique allemande[29].

Plus tard, protégé par Charles xiv (Bernadotte) et Oscar Ier, il développa grandement l’Institut central de gymnastique fondé par lui à Stockholm en 1813 et dont il fut, durant un quart de siècle, le premier professeur. Chose curieuse, Ling n’avait rien d’un scientifique. C’était plutôt un imaginatif et un empirique[30]. Sa popularité naquit de ses efforts pour remettre en honneur les vieilles sagas scandinaves. Sans qu’on puisse déterminer exactement quels furent son rôle et celui de ses collaborateurs dans l’édification du « système suédois », la préoccupation de la lutte contre la maladie s’y affirma avec force dès le principe ainsi que le souci d’éviter toute exagération et, partant, toute émulation violente. C’est dans cette voie que la gymnastique suédoise n’a cessé de se développer, réalisant de beaux progrès et accomplissant des cures remarquables, mais tellement opposée à sa voisine la gymnastique allemande que la bataille entre elles ne pouvait manquer de se produire. Le heurt survint vers 1862 ; il fut violent. Le capitaine Rothstein, qui commandait alors l’Institut de Berlin (École normale de gymnastique, à la fois civile et militaire, créée en 1851) admirait Ling. Il supprima la barre fixe et les barres parallèles. Scandale et indignation dans les rangs adverses. L’université prit part à la controverse. Des célébrités comme le professeur Virchow n’hésitèrent pas à intervenir et Rothstein fut disgracié.

Ce conflit a eu une grande importance ; il domine toute l’époque moderne. En effet, on y voit aux prises les deux tendances fondamentales dont la divergence ira s’accentuant au point de donner naissance à deux courants pédagogiques presque inconciliables ; l’un se dirigeant vers la modération, l’unification, l’intérêt collectif et la physiologie pure — l’autre vers l’effort passionné, la culture individuelle, l’« esprit de record ». Cette opposition, que nous avons vu s’esquisser déjà dans l’antiquité, a pris de nos jours une telle ampleur qu’elle a pénétré notre civilisation et s’étend peu à peu à tous les domaines.

Thomas Arnold et la transformation de l’Angleterre.

Malgré certaines apparences, on peut dire que rien au début du xixe siècle n’indique que l’Angleterre soit prédestinée à devenir un foyer de renaissance athlétique[31]. Nous l’avons laissée au moyen-âge se défendant contre la passion des exercices violents qui lui vient de France. Édouard iii et Richard ii ont rendu des ordonnances dans ce sens. Deux siècles plus tard, Jacques ier éprouve le besoin d’encourager ses sujets en sens inverse. Mais son King’s Book of Sports ne préconise guère que des « amusements » villageois tels que quilles ou mât de Cocagne et on sait que le foot-ball, trop énergique, n’a pas ses faveurs.

À la lueur de ce qu’elle est devenue depuis, l’Angleterre de 1800 passe pour très sportive à cause de quelques chasses au renard qui occupent le « squire » dans son comté ou de quelques combats de boxe alimentés çà et là par des spectateurs-mécènes qui provoquent la rencontre à coups d’argent[32]. En réalité, il n’y a à agir dans un sens pseudo-sportif qu’un certain besoin de plein air engendré par l’excès des boissons alcooliques. Quant aux milieux scolaires, ils sont en proie à la plus affreuse brutalité. L’alcool et le jeu y règnent souverainement[33]. C’est alors que surgissent le chanoine Kingsley et ses « muscular Christians » en réaction absolue, physique et morale, contre la dépravation du jour. Ils ne prêchent que par l’exemple, ne parlant pas mais trop vigoureux pour ne pas se faire respecter. On se moque d’eux par derrière ; ils n’en ont cure et leur sportivité si saine commence à leur gagner des adhérents dans les universités[34]. L’aviron en bénéficie grandement. La fameuse course Oxford-Cambridge qui vient de naître attire du monde. Une furieuse campagne de presse éclate. À quoi pensent ces gens ? Ils vont abaisser le niveau des études, dénationaliser la jeunesse et la démoraliser… Cependant un clergyman inconnu a pris la direction du Collège de Rugby. Thomas Arnold a peu de temps devant lui : une mort prématurée l’enlèvera au bout de quatorze ans (1828-1842) mais ce délai lui suffit à transformer la mentalité des professeurs et des élèves ; il ne laissera aucun écrit sinon des lettres et des sermons mais il créera la cellule de la rénovation britannique, l’institution dont l’influence va opérer comme une sorte de radium, obligeant de proche en proche les plus rebelles à imiter ce qui s’y passe.

Or la pédagogie arnoldienne a le sport comme rouage central, non qu’il y empiète sur les études ou prétende remplacer la morale, mais Arnold qui considère que « l’adolescent bâtit sa propre virilité avec les matériaux dont il dispose et qu’en aucun cas on ne peut la bâtir pour lui », organise le sport en terrain de construction à l’usage de ses élèves. Il les y introduit et les y laisse libres. À eux de s’y débrouiller, d’y apprendre la vie pratique, de s’exercer à doser la tradition et la nouveauté, à combiner l’entr’aide et la concurrence… Qu’ils gouvernent en un mot leur petite république sportive et, comme elle est à base de muscles et de loyauté, leurs erreurs et leurs fautes n’auront pas grande conséquence, seront même salutaires. Aussi bien le maître est à portée, vigilant et aimant. Arnold professe, selon la formule que donnera plus tard un autre headmaster britannique, Edw. Thring, que « l’éducation est une œuvre de travail, d’observation et d’amour ». Son intervention est rare, mais son regard est inlassable et ses conseils toujours prêts.

Remarquons que de tels principes sont absolument nouveaux ; personne n’en a jamais conçu ni énoncé de pareils. Faire de l’organisation sportive remise aux mains du collégien et fonctionnant par ses soins l’école pratique de la liberté, c’est ce que ni l’antiquité ni le moyen-âge n’avaient même entrevu et ce sera la pierre angulaire de l’empire britannique[35] qui, au temps d’Arnold, est en train de s’édifier et dont on peut difficilement aujourd’hui apprécier les particularités architecturales si l’on fait abstraction de ses fondations scolaires.

Le collège anglais ainsi transformé a vécu indemne jusqu’au début du xxe siècle[36] ; depuis lors il tend à se détériorer sous l’action d’influences extérieures[37] ; ses rouages sportifs ne fonctionnent plus comme ils devraient, mais l’institution est encore assez forte pour trouver en elle-même les aliments de sa rénovation éventuelle.

L’adhésion des États-Unis.

Après un vague et vain essai aux environs de 1825 pour s’intéresser à la question de l’éducation sportive, les États-Unis s’en étaient détournés. Entre 1830 et 1860 on eût là-bas de tout autres préoccupations. L’éloquence débordait de toutes parts : prolixe et tonitruante chez les politiciens, sombre et maladive chez les agitateurs religieux. « L’éloquence, disait Daniel Webster, est la peste de ce pays. » Partout on parlait, on tenait des meetings et des revivals. Les étudiants déclamaient et versifiaient ; on faisait tourner et parler les tables, on fondait des sectes contre nature et des sociétés puérilement secrètes[38]. Dès le début de la Guerre de Sécession, tout changea. La fermeté, l’endurance et l’action reprirent leur prestige et, à partir de ce moment, les sports ne cessèrent de progresser. L’Université d’Amherst donna l’exemple en établissant, en 1861, un grand gymnase bien équipé. Les Allemands émigrés qui avaient commencé de former des Turnvereine en souvenir de la mère-patrie les unirent en une puissante North American Turnerbund. Les universités sans cesse enrichies par des legs et des donations[39] furent dotées de gymnases et de terrains de jeux perfectionnés cependant que des « camps de sport » s’établissaient chaque été dans les Adirondacks, groupant ceux qui souhaitaient mener pendant quelques semaines l’existence du cow-boy jadis méprisé et devenu le représentant d’une carrière enviée des petits Américains.

Les États-Unis ont introduit dans la vie sportive contemporaine — outre différents jeux dont les principaux sont le base-ball et un football Rugby modifié d’une façon qui le rend plus rude sans en accroître la valeur technique — quelques nouveautés intéressantes ; en premier lieu l’Athletic Club.

Un Athletic Club américain, — tels ceux de New-York, de Chicago, de Boston, de San-Francisco, etc., — est une réplique en hauteur du gymnase grec avec cette différence essentielle que la fréquentation en est restreinte aux seuls membres du club et que le public n’y est pas admis. Édifice urbain comprenant une piscine, des salons et salles à manger, un gymnase, une salle de paume, voire même des chambres à coucher, l’Athletic Club dont les nombreux étages se terminent par une terrasse où l’on peut prendre un bain d’air ou patiner en hiver, possède souvent une annexe rurale avec jardins, terrains de jeux, étangs ou cours d’eau, etc. Il semble que de tels paradis sportifs soient faits pour inciter tous ceux qui y ont accès à la pratique des sports. Mais ce n’est pas toujours le cas. Une statistique publiée en 1908 indiquait comme faisant partie des groupements régionaux de l’Amateur Athletic Union (la grande Fédération des États-Unis), plus de 400 clubs avec un effectif d’environ 850.000 membres. La valeur immobilière représentée était de plus de 120 millions de francs, sans compter 3 millions d’engins et appareils répartis en 314 gymnases et 323 terrains de jeu. Voilà des chiffres impressionnants, surtout pour l’époque. Mais on note avec surprise que, par exemple, dans la région de Saint-Louis il y avait 9.900 « inactifs » sur 13.579 membres. Dans l’ensemble on dénombrait 50.000 gymnastes, 43.000 adeptes des « athletic sports », 8.367 joueurs de balle, 1.482 lutteurs… C’est peu sur un pareil total[40]. Les autres donnaient leurs noms et leur cotisations ; ils n’avaient pas le temps de faire du sport eux-mêmes : Time is money. Depuis lors, les choses ont un peu changé. Il y a moins d’honoraires et plus d’actifs.

En matière de doctrine les Américains n’ont pas beaucoup innové sinon dans le détail. Un temps, ils se sont épris de l’« homme normal » et ont cru pouvoir le construire scientifiquement à l’aide d’une anthropométrie perfectionnée. Ils ont d’autre part introduit le coefficient corporel dans les examens et possèdent à Springfield (Massachussetts) où les célèbres Y. M. C. A. ont leur quartier général éducatif, une université musculaire de premier ordre. On y forme les « Directeurs d’Exercices physiques » que les Y. C. A. envoient dans le monde entier, partout où elles ont un de leurs cercles de jeunes gens.

La conquête de l’Europe continentale.

Les deux instruments de cette conquête ont été le ski et la bicyclette. En face de l’Angleterre de plus en plus sportive se tenait, il y a environ 38 ans (c’est-à-dire vers 1885), une Europe convaincue que le sport, particularité nationale de la vie britannique, ne saurait être nécessaire aux autres races : conviction qui ne déplaisait pas à l’insularisme des Anglais. Certes il y avait, çà et là, sur le continent, des groupes sportifs non négligeables, mais ce qui les distinguait c’est que leurs effectifs demeuraient stationnaires et que leur emprise sur l’opinion se trouvait presque nulle : amateurs de chasse à courre ou d’équitation de haute école, rameurs, escrimeurs (fleurettistes français, sabreurs italiens et hongrois). Seuls les gymnastes (turners allemands et suisses, sokols de Bohême, gyms français) préoccupés de préparation militaire et subissant un entraînement patriotique bénéficiaient d’un accroissement numérique d’ailleurs assez lent sauf en Bohême et en Allemagne. Mais leur programme d’action restait étroit et rigide.

Or en 1879 fut courue aux environs de Kristiania la première course de ski et, l’année suivante, fut fondé le « Kristiania Ski Club », premier du nom. C’est ainsi que le sport prit possession des régions scandinaves jusqu’alors plus ou moins monopolisées par la gymnastique médicale, étrangère et même hostile à l’idée sportive. La chose est d’autant plus étrange que le ski, venu sans doute d’Asie[41], était déjà pratiqué en ces régions il y a mille ans. Le roi Sveire, en 1200, avait un corps de skieurs émérites ; Gustave-Adolphe de même. Au début du xviiie siècle, des compagnies régulières furent créées dans l’armée norvégienne et un peu plus tard, des écoles militaires ouvertes à Trondhjem et à Kongsvinger ; en 1808 dans leur guerre contre la Suède, les Norvégiens avaient à leur disposition deux mille skieurs. Il n’en est que plus étonnant de constater combien de temps dut s’écouler avant que le sport n’annexe ce magnifique instrument[42]. Quiconque en a fait usage peut se rendre compte de sa valeur de propagateur sportif : engin de course et engin de saut, alternant l’âpreté de l’ascension avec la griserie de la descente, simple et peu coûteux, se portant sur l’épaule ou s’attelant à un cheval au galop, passant partout et permettant de doser l’audace depuis la sagesse jusqu’à la folie, le ski, dès que l’instinct sportif s’en empare, est fait pour conquérir le nombre en même temps que pour tenter le champion éventuel. C’est ce qui s’est produit. Par la trouée qu’il a faite, ont passé les autres sports d’hiver si intensément surexcitants : le hockey sur glace et, venus du Nord Amérique, le « steel skeleton » et l’« ice-yachting ». Ainsi s’est éprise de sport toute une portion de l’Europe[43] ; la bicyclette a conquis le reste.

L’histoire du cyclisme, bien qu’encore à écrire, n’est pas ignorée dans ses grandes lignes. Au point de vue sportif, l’engin le plus intéressant fut certainement le « grand bicycle » ; la génération actuelle ne le connait plus que par de rares représentations : appareil élégant, très amusant, volontiers dangereux, demandant autant de sang-froid que de souplesse mais qui nous semblerait aujourd’hui d’allures un peu lentes. En tous cas, il ne pouvait se généraliser, n’étant à la portée que de jeunes gens alertes. Leurs escouades, jusque vers 1885, sillonnèrent principalement les routes d’Angleterre et de Hollande.

La bicyclette changea toutes les conditions du cyclisme ; l’adjonction géniale de la chaîne et de la roue dentée lui ouvrit des perspectives inattendues d’agrément, de vitesse et de commodité. Le Touring Club de France et les autres Touring Clubs aidant, le merveilleux engin, bientôt muni de pneumatiques, put devenir pleinement utilitaire sans jamais cesser d’être sportif. À ce dernier point de vue, la bicyclette apparaît comme l’agent d’un perfectionnement physique incontestable. En effet la coordination de mouvements rapides auxquels elle oblige ceux qui s’en servent développe en eux l’équilibre corporel et, d’autre part, elle crée la soif « d’air » qui est le grand incitant physiologique des sports modernes[44].

C’est précisément cette « soif d’air » qui a fait que toutes les formes de sport ont bénéficié des progrès du ski et de la bicyclette après avoir souvent, et bien à tort, redouté leur concurrence.

La pédagogie sportive.

Lorsque le « Comité pour la propagation des Exercices Physiques » s’assembla pour la première fois à Paris, les 31 mai et 1er juin 1888, sous la présidence de Jules Simon, il avait en vue une réforme pédagogique déterminée. Ayant reconnu qu’il n’y avait rien d’exclusivement anglo-saxon dans les principes sur lesquels Arnold avait appuyé sa réforme et basé son système, les fondateurs du Comité avaient pour but d’introduire ces principes en France en les appropriant à la mentalité et aux institutions nationales. Ils se proposaient par là de transformer l’éducation et de « rebronzer » la France. Une pareille ambition ne pouvait naturellement séduire au début qu’une petite pléiade de novateurs et, dès les premières réalisations, elle devait par contre voir se dresser devant elle la coalition de ceux dont les intérêts se trouvaient lésés ou les habitudes dérangées.

Il est impossible d’exposer ici les diverses phases d’une lutte qui dure encore[45], mais il est utile de noter la nature des oppositions qui se sont produites et des obstacles rencontrés, tant en France que dans les pays avoisinants. La première en même temps que la plus naturelle vint des parents redoutant la rudesse des sports virils et les accidents pouvant en résulter. Il ne reste plus grand chose de cet état d’esprit ; l’accoutumance s’est faite, surtout depuis la guerre de 1914. Non moins passagère fut l’hostilité de certains milieux catholiques apercevant dans la renaissance athlétique et principalement dans le Néo-olympisme un retour offensif des idées païennes. Le pape Pie x sollicité en 1905 de se prononcer à cet égard le fit non seulement par des paroles significatives mais en présidant en personne au Vatican, dans la cour de Saint-Damase, des fêtes de gymnastique organisées par les patronages catholiques et auxquelles prirent part, en plus des Italiens, des gymnastes français, belges, canadiens et irlandais.

La résistance des milieux pédagogiques se fit sentir principalement sous deux formes. D’abord les partisans de la vieille discipline napoléonienne — nombreux dans tout l’occident — s’alarmèrent du régime de liberté dont l’organisation sportive arnoldienne impliquait l’introduction dans les lycées et collèges[46] ; ils y virent l’aube de l’anarchisme scolaire et la ruine de l’enseignement moral traditionnel ; heureusement ceux qui osèrent en faire l’expérience loyale ne tardèrent pas à découvrir que la pratique de cette liberté leur donnait sur leurs élèves une emprise moins serrée mais beaucoup plus efficace que le régime disciplinaire. Une seconde catégorie d’adversaires se groupa pour lutter contre le principe de l’émulation musculaire. « Ni concours ni championnats sinon surmenage et corruption. » Le quartier général de ceux-là était en Belgique[47] mais ils semblaient s’inspirer des théories intransigeantes qui régnèrent longtemps à l’Institut de Stockholm où l’on professait que les gymnastes ne doivent pas se comparer entre eux mais que chacun doit se comparer à soi-même. La vague sportive devait, en déferlant sur toute l’Europe, avoir raison de ces théories[48].

L’obstacle le plus redoutable rencontré par la pédagogie sportive fut l’œuvre du corps médical. Après avoir au début mené contre les sports scolaires une campagne d’une extrême violence, de nombreux médecins reconnaissant leur erreur s’y étaient intéressés et avaient dès lors cherché à s’emparer de la direction du mouvement. Ils le jugeaient en effet d’essence exclusivement physiologique. La foule en jugea de même et s’engagea sur leurs pas.

D’une part le commentaire fréquent d’une parole célèbre et malheureuse d’Herbert Spencer proclamant qu’il importe à une nation « d’être composée de bons animaux » — de l’autre les conséquences tirées des documents de Marey sur le mécanisme du vol des oiseaux et des travaux de son disciple Demény appliquant aux exercices physiques l’examen cinématographique, orientèrent à fond l’opinion vers l’animalisme. On se mit à la recherche de la « culture physique rationnelle », nouvelle pierre philosophale. On prétendit découvrir « l’art de créer le pur-sang humain ». On en vint à se demander si, dans l’armée, « la ration du cuirassier ou du dragon ne devait pas être plus forte que celle du hussard, de même que pour les chevaux qui les portent. » Les méthodes se succédèrent les unes aux autres, toutes basées sur l’étude du corps humain envisagé du seul point de vue animal. L’orientation de l’éducation physique moderne s’en trouva viciée tant au Nouveau-Monde où les mêmes tendances sévirent que dans l’Europe continentale. Seuls l’Angleterre et ses Dominions résistèrent à ce courant, plutôt par xénophobie d’ailleurs qu’en connaissance de cause.

Le Congrès de Psychologie sportive tenu à Lausanne en mai 1913 marqua la première tentative d’arrêt dans cette voie défectueuse[49]. Par son programme posant une série de problèmes non encore étudiés, par la collaboration de personnalités telles que G. Ferrero ou Théodore Roosevelt, le Congrès de Lausanne jalonna un champ nouveau que, malgré les oppositions, il faudra bien se décider à défricher. Il n’en restera pas moins que l’animalisme scientifique, en pénétrant de façon si absolue la pédagogie sportive, a stérilisé son action et grandement retardé, sinon compromis, les résultats qu’on en pouvait attendre.

Les Jeux Olympiques et la concentration sportive.

Le rétablissement des Jeux Olympiques a été solennellement proclamé à la Sorbonne à Paris, le 23 juin 1894, par le Congrès international universitaire et sportif convoqué à cet effet. Depuis lors les Jeux Olympiques ont eu lieu régulièrement dans l’ordre suivant : ire Olympiade, Athènes 1896 ; — iime Olympiade, Paris 1900 ; — iiime Olympiade, Saint-Louis 1904 ; — ivme Olympiade, Londres 1908 ; — vme Olympiade, Stockholm 1912 ; — vime Olympiade, Berlin 1916 (non célébrée) ; — viime Olympiade, Anvers 1920. Le Comité International Olympique, rouage central et permanent du Néo-olympisme, qui a son siège à Lausanne, tient une séance plénière annuelle, chaque année dans une ville différente ; il a en outre convoqué à diverses reprises des Congrès techniques ou pédagogiques. L’un de ces Congrès (celui de Paris en 1906), tenu au Foyer de la Comédie-Française sous la présidence de M. Jules Claretie, a fixé le programme des concours d’art (architecture, littérature, musique, peinture et sculpture) dès lors annexés aux Jeux Olympiques.

Le rénovateur de l’olympisme s’est assez clairement expliqué sur le but et le caractère de son œuvre pour n’avoir pas à y revenir ici ; ne peuvent se tromper à cet égard que ceux qui le veulent bien[50].

On considère généralement que les Jeux Olympiques ont eu pour principal résultat de créer l’internationalisme sportif. La chose n’est pas exacte en ce que les rencontres internationales se fussent multipliées de toute manière, bien que plus laborieusement, étant donné le besoin d’émulation résultant du progrès des sports. Mais le Néo-olympisme a surtout provoqué la concentration sportive en obligeant à travailler ensemble les adeptes d’exercices jusqu’alors étrangers et même hostiles les uns aux autres. Cette collaboration est en effet, en chaque pays, la condition du succès de la représentation nationale aux Jeux Olympiques.

Or on imagine malaisément aujourd’hui ce qu’étaient, il y a trente-cinq ans, la mentalité et les habitudes d’inimitié réciproque du petit monde sportif[51]. À des préjugés de caste se superposait la méfiance technique issue de la conviction que la pratique d’un sport nuit à la perfection musculaire d’un autre ; professeurs et élèves s’accordaient généralement sur ce point. En collaborant, on cessa de se dédaigner ; peu à peu les diverses formes d’exercices se pénétrèrent pour le plus grand bien de chacune. Si la méfiance n’a pas encore complètement disparu, elle s’est atténuée au point de devenir inoffensive.

L’extension démocratique.

Le sport antique écartait les esclaves ; les sports modernes allaient-ils être uniquement pour les riches ? Ce serait le cas tant que, pratiqués dans des établissements séparés les uns des autres et entièrement spécialisés, ils exigeraient non seulement des frais assez considérables de vêtements, de matériel, d’enseignement… mais aussi les loisirs nécessaires à la fréquentation desdits établissements.

Or toute une série de faits se sont produits qui ont aidé à la démocratisation sportive. Et d’abord le goût du plein air. Au lieu de vivre calfeutrés dans des locaux coûteux à aménager, à entretenir et à chauffer, bien des sports ont commencé d’émigrer au dehors ; ils y gagneront de toutes manières. Puis la simplification du costume et l’accoutumance à travailler la peau nue ont permis à l’athlète de réduire, de ce chef, sa dépense[52]. Un troisième agent et l’un des plus puissants, a été le foot-ball ; on ne saura jamais assez de gré à ce jeu magnifique des progrès non seulement musculaires et moraux mais aussi sociaux dont on lui est redevable et qui seront reconnus un jour[53].

La campagne en faveur de la « gymnastique utilitaire » et des méthodes simplistes qui en sont la base[54] apporta également un renfort en ouvrant des perspectives nouvelles. L’institution en France du « Diplôme des Débrouillards » et plus tard de la « fiche Hébert » fit pendant à celle de l’insigne sportif suédois que chacun peut obtenir le droit de porter à la boutonnière en subissant avec succès les épreuves d’une sorte de Pentathlon très ingénieusement combiné.

L’Angleterre a beaucoup fait pour l’extension démocratique du sport en créant les Boy-Scouts, dont le type s’est répandu aussitôt dans tous les pays : institution entourée au début de quelques puérilités mais qui, déjà, s’est perfectionnée. Toutefois il ne faut pas oublier que le scoutisme avait été précédé en Angleterre par une autre institution moralement supérieure et qui eût gagné à être l’objet d’une pareille propagande, celle des camps scolaires établis et dirigés chaque année par des collégiens en faveur des petits primaires moins fortunés. Ces camps, magnifique école de solidarité, eussent dû se multiplier et pouvoir fonctionner de façon presque permanente[55].

Parmi les groupements qui contribuent à la démocratisation sportive, on doit citer ici les Sokols. Ils diffèrent de leurs voisins germaniques, les Turners, en ce que — poursuivant le même but : la grandeur de la patrie — ils ne sont attachés à aucune formule gymnique exclusive et pratiquent volontiers tous les sports[56].

De l’autre côté du monde, il faut citer aussi la vaste institution d’origine américaine inaugurée en 1911 et dont Manille est le centre. Elle a pour but de créer en Extrême-Orient une sorte de « Kindergarten de l’athlétisme » et a organisé tous les deux ans à Manille, à Shanghaï, à Tokyo des « Far Eastern games » qui, patronnés par le Comité International Olympique, entraînent peu à peu la race jaune dans l’orbe de la civilisation sportive et groupent dès maintenant des milliers de jeunes gens.

Aux États-Unis, à côté des efforts déjà mentionnés des Y. M. C. A., ceux de la Playground Association qui cherche à créer partout des terrains de sport sont dignes d’attention. La façon dont s’est célébrée à New-York, les dernières années avant la guerre, la fête du 4 juillet ne l’est pas moins. Nulle fête nationale, dans le monde, n’est aussi fidèlement observée par tous que celle-là. Il en résultait, dans les grandes villes, du désordre et parfois des accidents. En 1910 on imagina de « décongestionner » New-York au moyen de l’athlétisme. Dans les dix-neuf parcs de la ville furent organisés des concours sportifs qui, la première année, groupèrent 7.000 jeunes gens et 200.000 spectateurs et, en 1912, 30.000 et 300.000 spectateurs.

Ainsi peu à peu se dessine le courant qui substituera l’intérêt sportif de l’individu pris isolément à celui des groupements dont, à l’heure actuelle, il est en quelque sorte obligé de faire partie pour pouvoir s’adonner aux sports[57]. Cela ne supposera pas seulement d’autres formules de règlements et de concours ; il faudra à cet état de choses futur des cadres renouvelés. Déjà des tâtonnements symptomatiques ont eu lieu ; par exemple, les aménagements créés par A. Carnegie dans sa ville natale de Dumferline, en Écosse, ou bien le fameux Collège d’athlètes édifié à Reims par le marquis de Polignac. Les squares sportifs populaires de Chicago répondent-ils complètement aux besoins de la génération prochaine ou bien faudra-t-il aller plus avant et faire revivre, en l’appropriant aux conditions modernes, le gymnase municipal de l’antiquité selon les vœux de l’Institut Olympique de Lausanne fondé précisément en vue de préparer l’opinion à la nécessité de cette restauration ?… L’avenir le dira.

Conclusions.

Nous voici au terme de notre révision historique. Envisagée par rapport à ses devancières, la période moderne n’infirme aucun des enseignements de celles-ci. Nous voyons clairement que l’activité sportive n’est pas naturelle à l’homme, qu’elle constitue une contrainte féconde que celui-ci s’impose mais que ni sa seule réflexion ni sa seule volonté ne suffisent à établir. Il faut qu’y aident les circonstances matérielles, les besoins collectifs et l’inclination des esprits. Alors peuvent se créer, après de longs intervalles d’inertie, des courants puissants[58] qui ne seront pas nécessairement durables. Leur durée ne sera assurée que par l’à-propos avec lequel ils seront alimentés et entretenus et surtout par la sagesse avec laquelle on saura parfois les retenir et les restreindre.

Les mêmes périls menacent toujours les sports ; d’une part, l’opinion dont la faveur leur est indispensable risque de se lasser de les soutenir et de finir par se détourner d’eux ; d’autre part, l’organisateur de spectacles tend à corrompre l’athlète pour mieux satisfaire le spectateur.

L’athlète moderne a, de par la civilisation trépidante au sein de laquelle il vit, deux ennemis qui lui sont plus redoutables qu’à ses prédécesseurs : la hâte et la foule. Qu’il se garde. Le sport moderne durera s’il sait être, du nom charmant que les Coréens donnaient jadis à leur pays : « l’empire du Matin calme ».

DEUXIÈME PARTIE

TECHNIQUE DES EXERCICES SPORTIFS

Classification des sports.

Une classification des Exercices sportifs n’est pas inutile à établir ; la théorie s’en trouve clarifiée et la pratique même en peut tirer quelques facilités.

Plusieurs bases de classification se présentent. La physiologie pourtant n’en fournit point de satisfaisantes. La distinction entre les exercices de force et les exercices d’adresse est erronée. La force et l’adresse se combinent dans chaque sport[59] ; le dosage seul diffère. L’origine du mouvement donnerait lieu à un meilleur classement : on peut distinguer à cet égard entre l’automatisme, l’obéissance et l’initiative répétée[60] ; mais les frontières ainsi établies ne sont pas assez précises.

La psychologie suggère une classification établie d’après la nature de l’instinct dominant : équilibre ou combat[61]. Ainsi, non seulement les escrimes mais l’alpinisme, la natation, le foot-ball… sont des sports où domine l’instinct combatif alors qu’en équitation, en cyclisme, en patinage, en course à pied… c’est l’équilibre qui s’affirme ; mais là encore, la distinction demeure trop peu tranchée.

C’est le point de vue utilitaire qui sert de base à la classification la plus complète et la plus exacte. Il permet de répartir les exercices sportifs en trois catégories, selon qu’ils concourent au sauvetage, à la défense et à la locomotion. Le sauvetage à terre comprend ce qu’on a appelé la gamme du sauvetage, c’est-à-dire les sept exercices suivants : courir, sauter, grimper, lancer, attraper, porter, ramper (les trois derniers ne sont point codifiés et commencent seulement d’être pratiqués çà et là, isolément). Le sauvetage dans l’eau comprend les diverses modalités du plongeon et de la natation.

La défense englobe les différentes formes d’escrime : escrime armée (canne, épée, sabre), escrime sans armes (lutte, boxes française et anglaise) — et le tir qu’on peut diviser en : tir de guerre et tir de chasse.

La locomotion, enfin, comprend : la marche, l’équitation, le cyclisme, l’aviron, l’auto, l’aviation, le ski, etc.

Malgré sa supériorité, nous n’adopterons point cette classification. Au point de vue pratique, il paraît préférable, ici, de nous tenir à la division qui est employée aux Jeux Olympiques et de distinguer : les sports athlétiques, les sports gymniques, les sports de défense, les sports équestres, les sports nautiques, les sports combinés, les sports de glace, les sports de tourisme, les jeux.

Caractéristiques générales.

La pratique d’un sport comporte trois phases successives. Tout sport, en effet, exige premièrement une gymnastique déterminée qui adapte le corps aux mouvements nécessaires et crée l’accoutumance musculaire désirable. Puis il devient une science : le sportif expérimenté possède son sujet ; il acquiert des connaissances grandissantes. Enfin le sport peut devenir un art selon le degré de perfection auquel parvient celui qui le pratique.

1o La préparation gymnique d’un exercice sportif se ramène à une besogne primordiale essentielle : le dressage des muscles, de façon à obtenir que ceux qui ne sont pas requis d’agir se tiennent tranquilles et ne gênent pas la manœuvre de ceux qui le sont. C’est « la bonne volonté » des muscles et l’encombrement en résultant qui provoquent et alimentent la maladresse sportive ; chez le novice, ils se précipitent tous à l’appel et le désordre en résulte (ex. : le cavalier au trot, le tennisseur, le boxeur français, etc., chez lesquels ce désordre est particulièrement visible).

D’autre part, chaque homme présente une figure mécanique qui lui est spéciale et que déterminent chez lui la longueur des leviers, leurs rapports proportionnels, la façon dont ils jouent et, d’une manière générale, toutes les particularités corporelles aptes à en faciliter ou à en entraver le fonctionnement. Dès qu’intervient un engin (cheval, bateau, cycle, barre fixe, patin, perche à sauter, etc.) la figure mécanique de l’homme doit s’adapter à celle de l’engin qui prolonge en quelque sorte ses propres membres. La préparation gymnique ne peut donc être exactement la même pour tous. Par le moyen de la cinématographie et de la radiographie, il semble qu’on pourrait arriver à fixer utilement les particularités mécaniques de chacun.

2o Les connaissances sportives n’ont point d’autre source que l’expérience personnelle. L’observation la plus minutieuse portant sur autrui n’a de valeur que conduite par quelqu’un de personnellement expérimenté. En sport, l’empirisme joue et jouera toujours le rôle essentiel. La théorie déraille très vite livrée à elle-même. Le principal motif en est que le théoricien se cantonne forcément sur le terrain physiologique le seul qu’il puisse repérer convenablement chez autrui. Cela le porte à édicter des lois générales et rigides que vient contredire l’individualisme psychique de chacun. Le rôle du psychisme chez le sportif est immense mais le non-sportif ne s’en rend pas compte.

3o Le degré supérieur n’est pas, en général, à la portée de tous ceux qui voudraient y atteindre ; il est assez rare que la volonté suffise à y conduire. Le tempérament et l’hérédité interviennent ici. Au point de vue tempérament, les sportifs se divisent en deux catégories qu’on pourrait appeler « Haute école » et « va de l’avant »[62] selon qu’ils sont aptes à travailler — au besoin sur place et en le fragmentant — le mouvement qu’ils veulent perfectionner ou bien que l’aspiration passionnée vers les sensations de rapidité, de distance, de force, d’endurance domine leur personnalité. Quant à l’atavisme sportif, c’est chose encore peu connue. Il semble qu’il faille plusieurs générations successives pratiquant le même sport pour déterminer une dose appréciable de facilité atavique, facilité se traduisant plutôt chez le descendant qui en bénéficie par une moindre dépense (donc par une diminution de fatigue) que par une adresse spontanée à exécuter les mouvements nécessaires. Mais ce ne sont là que des demi-conjectures.

Caractère spéciaux de chaque sport.

Ce qui suit, étant donné l’étendue du sujet, ne constitue le plus souvent que des Notes, des en-têtes de paragraphes dont chacun devrait être l’objet d’un développement particulier.

Sports athlétiques.

Cette appellation donnée à une certaine catégorie d’exercices sportifs est erronée. Un rameur, un boxeur, un footballeur, un voltigeur à cheval sont d’aussi beaux types d’athlètes qu’un coureur à pied ou un sauteur à la perche. Mais d’Angleterre est issue au xixe siècle, et s’est ensuite répandue dans tout le monde anglo-saxon, l’habitude de grouper sous la dénomination d’« Athletic sports », la course à pied, certains sauts, le lancer du boulet, auxquels est venu s’ajouter un exercice un peu enfantin, la lutte à la corde par équipes (tug of war). Peu à peu la course de relais, le lancement du javelot pratiqué en Suède et — depuis les Jeux Olympiques d’Athènes en 1896 — le lancement du disque et la course de Marathon, ont corsé le programme sans lui enlever son caractère d’étroitesse et d’exclusivisme.

La course est « le trot de l’animal humain ». Donc l’homme qui ne peut pas courir est un homme incomplet. ▬ Le mécanisme de la course est simple mais il comporte une modification complète de l’équilibre corporel : d’où la « surprise » de l’organisme désorienté par l’ensemble de conditions nouvelles brusquement imposées[63]. De là aussi la nécessité de se mettre au pas de course très fréquemment, presque quotidiennement, si l’on ne veut pas en devenir rapidement incapable. Aucun exercice ne présente une pareille rapidité de désaccoutumance. ▬ La course est classée : vitesse, demi-fond et fond selon l’allure, elle-même dépendante de la distance à parcourir ; elle est artificielle ou naturelle selon qu’elle emprunte un terrain non préparé ou bien une piste gazonnée ou cendrée, spécialement établie et entretenue ; enfin elle est plate ou à obstacles selon la nature du parcours. Ces obstacles eux-mêmes peuvent être naturels (barrières, haies, fossés) ou bien simulés et simplement posés sur le sol pour être plus facilement renversables. ▬ La course est un exercice rythmé, dans son principe du moins : ce rythme est poussé au degré le plus parfait dans le 110 mètres haies où la concordance absolue qui doit s’établir entre la course et le saut oblige l’athlète à une coordination de mouvements très remarquable. ▬ Le coureur est un calculateur ; à tous moments il lui faut connaître le Doit et Avoir de ses forces, sentir ce qu’il a dépensé et ce qu’il lui reste à dépenser de façon à tirer le maximum d’un effort bien réparti.

Le saut se prend avec ou sans élan, avec ou sans perche. Il comprend quatre modalités principales : sauts en longueur et en hauteur ; sauts vertical (de bas en haut) et en profondeur (de haut en bas)[64]. Tous ces sauts peuvent être exécutés avec la perche et non pas seulement le saut en hauteur[65]. ▬ Le saut demande de l’expérience, du jugement et de la décision. Le pire ennemi du sauteur, c’est l’hésitation. Il doit, d’un coup d’œil, apprécier au préalable la totalité de l’effort à fournir ; impossible de réviser son appréciation en cours d’exécution ; si elle est erronée, le sauteur s’en aperçoit en sautant et trop tard pour la corriger. ▬ La conséquence est qu’au rebours d’autres sports dans lesquels l’insuccès est un aiguillon nécessaire, son influence est, ici, néfaste. Aussi doit-on régler la progression avec prudence de façon à éviter les insuccès répétés qui feraient naître la « peur mécanique »[66]. ▬ Il est à peine besoin d’indiquer qu’à aucun moment et sous aucun prétexte l’emploi du tremplin n’est recommandable ; c’est un engin propre à détériorer le sauteur en donnant à ses muscles de mauvaises habitudes. À éviter aussi la cordelette tendue pour le saut en hauteur ; jamais complètement horizontale, elle habitue l’œil à de fausses évaluations. Quant au saut « à pieds joints », sa valeur éducative est des plus discutables.

Le lancer comporte trois phases : la prise, la pose, la détente. De la façon dont l’objet à lancer se trouve placé dans la main et de l’attitude du lanceur au moment où la détente va s’effectuer dépend en grande partie le degré de la force de propulsion. Aussi ce sport exige-t-il beaucoup d’expérience personnelle. C’est à chacun, tout en observant les règles générales dont l’application est nécessaire à trouver la formule personnelle conforme à sa structure particulière et capable d’assurer avec l’aide de l’entraînement, le meilleur rendement. Le lanceur procède donc par tâtonnements et doit beaucoup s’observer et se contrôler ; il n’a d’ailleurs rien à craindre de ses nerfs spectateurs presque indifférents de son geste. ▬ Nous avons pris aux Anciens l’usage de lancer le disque et le javelot ; les Anglais y ont ajouté le lancement du poids, grosse boule de métal, pesant un poids déterminé. Jusqu’ici on a laissé de côté le lancement de la corde ou lasso, aussi utilitaire que corporellement éducatif ; le lasso se manie très diversement, de haut en bas, de bas en haut, obliquement, etc. ▬ Tous ces lancers[67] se font sans viser et de pied ferme : c’est la règle. Double erreur. On devrait avoir des concours de lancer au visé avec la balle sur une cible et au lasso sur un but, immobile ou non. Ces mêmes concours devraient avoir lieu de pied ferme et en se mouvant à pied ou à cheval, exactement comme les sauts ont lieu avec ou sans élan. Enfin il conviendrait d’opérer le lancer avec les deux mains successivement. ▬ Lancer avec la main ne suffit pas ; on devrait aussi lancer avec le pied, exercice très propice à développer l’habileté corporelle ; le foot-ball, il est vrai, y supplée.

De ce qui précède, il résulte que les sports dits « athlétiques » présentent actuellement un programme de courses très complet, un programme de sauts incomplet et un programme de lancers tout à fait insuffisant.

Sports gymniques.

Les exercices d’ensemble ne répondant pas, en général, à la définition du sport sur laquelle nous basons nos études, il n’y a pas lieu de s’en occuper ici sans que cela implique d’ailleurs une mésestimation de leur importance et de leur valeur éducative. Les sports gymniques se trouvent ainsi ramenés à deux catégories seulement : les exercices aux agrès et le travail des poids et haltères.

Les principaux agrès utilisables pour les concours sont : la corde lisse, la barre fixe, les barres parallèles, le cheval, les anneaux et le trapèze. Ces deux derniers engins, au cours de la campagne violemment hostile menée contre la gymnastique vers la fin du xixe siècle, ont été peu à peu abandonnés. Du point de vue sportif, qui est celui auquel nous nous plaçons ici, cette campagne est injustifiable. L’accusation d’artificialisme peut aussi bien être portée contre le discobole ou le coureur de bobsleigh que contre le gymnaste aux anneaux ; et le sauteur à la perche en hauteur n’est pas moins « acrobatique » que le travailleur de barre fixe. Quant au trapèze volant, c’est un sport où l’élégance le dispute à la hardiesse. ▬ La corde lisse et la barre fixe représentent les exercices de grimper lesquels se ramènent à un mouvement fondamental, la traction de bras, combiné avec trois autres qui sont : l’adhérence, le renversement et le rétablissement. Ces trois formes d’escalade constituent l’ABC du sauvetage. La caractéristique psychologique de l’escalade est inverse de celle du saut. Ici la difficulté n’est pas au départ mais en route. Ce ne sont plus le jugement et la décision du début qui importent mais la persévérance et le sang-froid prolongés. ▬ Les exercices aux agrès susceptibles de variations et de complications multiples sont malaisés à codifier et, partant, à juger dans un concours. Mais, du point de vue de leur sportivité, cela ne les rend aucunement inférieurs ; ils restent essentiellement sportifs.

Malgré que l’abus qu’en ont fait les cirques forains ait tendu à discréditer le travail des poids et haltères, il n’en apparaît pas moins comme un sport véritable qui a toujours été pratiqué par l’homme. Quiconque s’y est essayé, même avec des poids anodins, comprend que l’adresse et l’équilibre y ont presque autant de part que la force. ▬ Les poids se manient de diverses façons : au jeté, l’athlète élève le poids à la hauteur de l’épaule puis, en se fendant, le projette en l’air par une brusque détente du bras ; au développé, il commence par l’épauler et lentement le dresse au-dessus de lui ; à l’arraché, il l’enlève directement du sol ; à la volée, il le balance entre les jambes pour l’élever par un vigoureux effort des reins. À deux mains, on manie la barre à sphères ou la « gueuse ». ▬ En général, pour exceller dans ce sport, il faut s’y entraîner avec beaucoup de persévérance, en soulevant quotidiennement des poids légers et moyens ; le prodige s’y prépare par la répétition de gestes mesurés.

Sports de défense.

Les sports de défense comprennent les escrimes et le tir. Il y a deux sortes d’escrimes ; l’escrime sans armes et l’escrime armée. La première comprend la boxe (boxe anglaise et boxe française) et la lutte (lutte européenne et jiu-jitsu). La seconde se pratique avec le fleuret, l’épée, le sabre et la canne. L’essence psychologique des escrimes réside dans l’aspiration à atteindre l’adversaire. Chaque effort tend à ce but à tel point que l’homme s’énerve s’il demeure trop longtemps sans y réussir. C’est pourquoi l’offensive doit dominer l’enseignement ; la défensive s’apprend surtout par l’expérience : un enseignement défensif est mauvais. Ce principe général est applicable à toutes les formes d’escrime. ▬ Autre généralité : les escrimes, armées et non armées, ne s’opposent ni ne se remplacent l’une l’autre ; elles se complètent en se succédant. « Prenez un homme armé d’une canne et que l’on attaque dans la rue. Va-t-il débuter par jeter sa canne pour se servir de ses poings ? Ce serait folie. Il recourra à ses poings si sa canne casse ou lui échappe. Ainsi il aura ses deux lignes de défense bien établies, l’une derrière l’autre. La canne, quand on sait en jouer, est une arme redoutable et tous devraient apprendre à la manier. De même un homme qui tient un sabre va-t-il le lâcher pour donner des coups de pied sous prétexte que ses « chassés-bas » sont de premier ordre ? Il commence par utiliser le fer et ne se mettra à « ruer » que s’il se trouve ensuite désarmé.[68] »

La boxe anglaise, devenue la boxe tout court, a évolué grandement depuis quarante ans. Autrefois le boxeur prenait son point d’appui sur le sol, cherchant en quelque sorte à s’y enraciner ; l’agilité ne commençait qu’à la ceinture : attaques, parades, ripostes se succédaient en « phrase d’armes ». Par la suite, le volume du poing revêtu d’un gant mieux fabriqué et très diminué, se rapprocha davantage de la nature et ainsi la parade tendit à se voir plus souvent remplacée par l’esquive[69] avec coup d’arrêt. Survint alors la méthode américaine actuellement en vigueur. Désormais le boxeur est en continuel déplacement, tournant autour de son adversaire, semblant danser devant lui pour le dérouter, puis fonçant le bras raccourci, de façon que toute la force de l’épaule vienne accroître la puissance du coup porté. En lui tout est vitesse : travail des jambes, détente des bras, pivotage du torse. Les coups se succèdent en pilage ; impossible de les détailler, même de les esquiver tous ; il faut s’accoutumer à les « encaisser » sans broncher. ▬ En évoluant de la sorte, la boxe n’a pas perdu les qualités qui la distinguaient ; elle reste un exercice dont l’intensité assure le maximum d’effort dans le minimum de temps ; l’intérêt de la leçon y approche presque celui de l’assaut ; elle est, de tous, l’exercice qui exige le moins comme emplacement, vêtements et engins. Enfin, malgré sa violence, son caractère d’équilibre corporel en rend la pratique recommandable tôt et tard dans la vie ; elle convient déjà à l’adolescence et encore à l’homme mûr. ▬ Son caractère apaisant provient de ce qu’elle ne comporte jamais de « retenue » ; le boxeur met toute sa force dans chacun de ses coups (un coup de poing retenu ne rime à rien) et se « donne » à chaque instant tout entier. ▬ La boxe n’a contre elle que de servir d’occasion à de déplorables exhibitions, où un public avide d’émotion exacerbe les combattants dans l’espoir de les voir arriver au « knock out ».

La boxe française a évolué en sens inverse de la boxe anglaise ; d’exubérante, elle est devenue beaucoup plus sobre. Elle n’a pas renoncé au « coup de pied de figure » comme procédé d’entraînement mais elle en a reconnu l’inefficacité comme moyen de combat ; à plus forte raison a-t-elle abandonné sa légendaire « leçon sur les quatre faces » par laquelle elle se figurait jadis pouvoir enseigner à un homme à repousser l’attaque simultanée de quatre adversaires l’encerclant. Elle se limite aux coups de pied susceptibles de tenir un assaillant à distance, de le déconcerter, de le déséquilibrer sans nuire pour cela à la force et à la justesse du coup de poing demeuré l’argument décisif. Seulement, mêlant désormais l’un à l’autre dans un sage éclectisme, on se demande pourquoi elle s’obstine à ignorer le coup de poing à l’américaine si propre à compléter sa valeur combative. Le jour où le boxeur français l’encartera dans son jeu, il sera devenu extrêmement redoutable en même temps qu’il aura réalisé la plus merveilleuse gymnastique d’entraînement qui se puisse concevoir.

La lutte, elle, n’a guère subi de transformation depuis les âges les plus reculés ; elle était alors conventionnelle ; elle l’est encore et le restera toujours, mais cela n’est pas pour diminuer son mérite sportif qui est grand. Elle débute debout et se poursuit à terre ; renverser l’adversaire puis le terrasser constituent ses deux phases éternelles. C’est un exercice d’homme fait qui met en jeu toutes les forces de la machine humaine, combinant l’action et la résistance à un degré tout à fait rare.

Le jiu-jitsu pourrait être considéré comme une variante de la lutte s’il ne présentait certaines particularités auxquelles il faut s’arrêter un moment. Jadis, dans l’ancien Japon, on désignait sous ce nom l’ensemble des luttes sans armes auxquelles s’entraînaient les « samourai », et qui constituaient une manière de système d’éducation physique. Avec la diffusion des armes à feu, la vogue en avait tout à fait passé lorsqu’en 1882 le professeur J. Kano en entreprit à la fois la restauration et le rajeunissement. Ainsi naquit le Judo actuel. Du Kodokwan (Institut supérieur de Tokyo) son succès a rayonné sur tout l’empire. Or le Judo, contrairement à ce que croient encore bien des gens, n’a rien d’un art mystérieux dont les secrets seraient jalousement gardés mais il apporte une donnée nouvelle dans un domaine qu’il a préalablement perfectionné. Tout bon professeur de lutte est capable d’enseigner à ses élèves non seulement quels sont les endroits sensibles du corps, endroits sur lesquels une pression ou une torsion opérées à point réduiront l’adversaire à merci, mais encore par quelles ingénieuses applications de la mécanique on arrive à « créer » des endroits sensibles. Pour y réussir, il faut dans les doigts et la main de la précision. La patience japonaise parvient à donner à cet instrument humain une force et une justesse incomparables[70]. Mais, avant d’en arriver là, il faut s’être « emparé » de l’adversaire et déjà le dominer ; cela suppose la possession du secret de son équilibre de façon à pouvoir appliquer la force dans le sens où il tend à se déséquilibrer et jamais en sens inverse. Tout le Judo est là ; il vise à développer une sorte de « perception par le corps » dont la subtilité devient telle que, même dans l’obscurité, le plus léger contact renseignera le lutteur sur le centre de gravité de son adversaire. On conçoit qu’une pareille science ne puisse naître rapidement et qu’au Kodokwan, on demande plusieurs années pour former un bon élève.

Que si nous passons maintenant à l’escrime armée, nous la trouvons dominée — quelles que soient d’ailleurs l’arme employée et la méthode appliquée — par certaines conditions générales provenant de la structure même de l’homme en garde. Chez celui-ci, la main représente en quelque sorte le pont-levis de la forteresse dans laquelle il s’abrite et d’où il opérera ses sorties. À l’intérieur, les forces sont mobilisées comme une armée ; le bras constitue l’active ; les jambes, la réserve appelée en même temps, mais partant en seconde ligne ; le reste du corps, la territoriale. À toutes trois il faut ménager constamment une retraite bien couverte et bien ordonnée. De là, les feintes, les pièges tendus, les « temps » marqués à propos, les attaques esquissées et brusquement modifiées, tout l’ensemble de savantes et fines manœuvres qui exigent une perpétuelle retenue des forces et expliquent à la fois la complexité raffinée de l’escrime, la tension nerveuse qu’elle provoque et le caractère de la fatigue qu’elle peut arriver à produire.

Le fleuret, arme légère, qui s’interdit chevaleresquement de toucher ailleurs qu’à la poitrine est particulièrement apte à préparer le tireur de pointe auquel sa position effacée et l’action mécanique de son allonge imposent, en raison de leur caractère anormal, un travail préalable opiniâtre ; la leçon de fleuret représente pour l’escrimeur ce qu’est l’exercice des gammes pour le pianiste. On ne peut s’en passer pour progresser. ▬ Cette leçon devrait toujours être prise des deux mains en commençant par la gauche (par la droite si l’on est gaucher) de façon à maintenir l’équilibre corporel que l’escrime tend à détruire.

L’épée introduit la possibilité d’un jeu de force auquel le tireur de fleuret ne recourra jamais sans se condamner à la médiocrité ; l’épéiste, lui, s’y risquera sans dommage si son tempérament et ses moyens l’y inclinent ; par là, bien plus que par des différences conventionnelles dans le système de toucher, le fleuret et l’épée divergent et, si l’on peut ainsi dire, « leurs génies s’opposent ».

Le sabre est à la fois arme de tranchant et arme de pointe et celui qui le manie est porté à hésiter entre ces deux qualités, ou plutôt à les sacrifier l’une à l’autre. La nature impose la première[71] mais la réflexion suggère de ne pas négliger la seconde ; de leur connaissance naît une escrime variée et entraînante, un peu fantaisiste, prompte aux coups doubles, plus vigoureuse mais sensiblement moins fine que celle du fleuret ou de l’épée.

Cette escrime, la canne en présente comme un raccourci préparatoire à condition toutefois que l’arme utilisée soit rigide et non mince et flexible comme un jonc ; il y aurait peu à en dire si l’on ne devait signaler les nouveautés enseignées par le professeur Pierre Vigny, de Genève, concernant la garde et certains coups utilitaires[72]. De la rapière et du bâton, il ne paraît pas opportun de parler ici.

Les différentes formes d’escrime armée présentent un inconvénient au point de vue de l’hygiène, celui du costume qu’elles imposent ; il y faudrait du moins remédier par une aération renforcée, à défaut de plein air complet. Or les salles d’armes sont, par tradition, des endroits clos et souvent resserrés où l’air ne pénètre qu’à grand peine. ▬ Une dernière question à propos de l’entraînement dans le vide ; il n’est jamais à recommander aux débutants et, pour les autres, ne doit être employé que devant une grande glace permettant à l’œil de contrôler tous les mouvements ; sous bénéfice de cette observation, le fleurettiste peut trouver utile d’entretenir son allonge en tirant au mur et le boxeur de se faire les poings sur un gros sac pesant pendu au plafond ; pour ce dernier, le punching ball ordinaire est peu favorable, du moins tant qu’il n’est pas expérimenté et que ses coups de poing n’ont pas acquis leur plein développement.

Resterait à parler du tir ; mais le tir, à lui tout seul, est-il vraiment un sport ? On cherche en vain dans le geste du tireur le caractère de « muscularisme intensif » considéré comme un des éléments essentiels de l’exercice sportif. Nous le retrouverons d’ailleurs tout à l’heure, en parlant de la chasse, combiné virilement avec d’autres formes sportives ; réduit au seul tir à la cible, il ne serait pas ici à sa place. Quant au tir à l’arc, c’est aujourd’hui un jeu plutôt qu’un moyen de défense.

Sports équestres.

Les sports équestres ont de la peine à se mêler aux autres. Le préjugé aristocratique, qui les isole, est entretenu par l’orgueil de caste et par l’intérêt professionnel lesquels, en Europe surtout, s’entendent pour perpétuer des errements dont le principe réside dans une méthode défectueuse d’apprentissage. Cette méthode repose sur l’abus du manège. Le manège, lieu de perfectionnement pour le cavalier d’élite qui en est à pouvoir améliorer un cheval fin en le travaillant, ne saurait convenir au débourrage du cavalier populaire qui se contentera de pouvoir utiliser un cheval ordinaire sans le détériorer. ▬ La caractéristique physiologique de l’équitation réside dans la position du cavalier. Entre l’homme à pied qui repose perpendiculairement sur le sol et l’homme à cheval qui s’appuie latéralement sur l’animal existe une différence telle qu’elle supposerait chez le second une structure autre que chez le premier. À défaut d’une structure spéciale, il faut une adaptation, donc une préparation gymnique spéciale. Cette préparation visera à obtenir avant tout la fixité des cuisses et des genoux, la souplesse des reins et du tronc, et l’indépendance des bras. Or si les rênes sont remises entre les mains de l’élève avant que ce résultat gymnique n’ait été obtenu[73], il adviendra que l’élève prendra immanquablement un point d’appui sur la bouche du cheval, ce qui est à l’origine de toutes les mauvaises habitudes et demeure, même pour des cavaliers expérimentés, la cause de la plupart des accidents. ▬ Le manège par sa forme, son exiguïté relative et sa routine fatale n’a pas un meilleur effet sur le cheval qu’il transforme en un très mauvais précepteur. Le cheval de manège se signale en effet, d’une part par sa facilité trop grande à exécuter certaines choses auxquelles il est habitué et de l’autre, par son obstination extraordinaire à n’en pas faire d’autres qui ne rentrent pas dans le cadre habituel de ses exercices. D’où résultent pour l’élève : dans le premier cas, des illusions sur ses talents et, dans le second, une lutte inégale avec l’entêtement de l’animal contre lequel il fait alors un appel exagéré aux aides, forçant tous les effets sans presque rien produire. Le manège a encore l’inconvénient capital de déshabituer le cheval du galop franc qui est la véritable allure éducative. ▬ Le remède unique à cet état de choses apparaît dans la transformation complète de l’école d’équitation civile laquelle devrait toujours posséder un vaste terrain d’exercice, clos avec des pistes bien tracées permettant d’assez longs parcours en ligne droite, deux cirques, des obstacles faciles et espacés… La cavalerie, assez nombreuse, devrait être composée d’animaux bien choisis et préparés à leur rôle ; harnachement soigné avec rênes toujours souples. L’élève serait appelé à seller son cheval, à le ramener à l’écurie et à en prendre soin. Les promenades collectives[74], le travail de la volte au galop, enfin quelques exercices d’escrime équestre constitueraient les étapes de sa formation comme cavalier populaire dans des conditions qui assureraient une bonne pépinière pour le développement du cavalier du second degré ou d’élite[75]. ▬ La clef psychique de l’équitation est la confiance ; il faut se méfier de tout ce qui peut l’ébranler car elle s’y récupère moins aisément que dans d’autres sports. En équitation, il faut être attentif à la « première peur » en raison des traces musculo-nerveuses qu’elle peut laisser. La peur commence, pour le cavalier, avec le désir de mettre pied à terre ; si elle ne s’accompagne pas de ce désir, elle est sans portée et sans lendemain. Le « sauteur » qu’on a supprimé des manèges avait, à cet égard, une bonne influence[76]. L’endurance est aussi productrice de confiance ; les séances d’équitation sont beaucoup trop courtes ; les jeunes gens devraient être habitués tout de suite à de longues chevauchées.

Sports nautiques.

Il y aurait beaucoup à dire concernant la natation envisagée du point de vue utilitaire, c’est-à-dire du point de vue de sa diffusion et des moyens d’en répandre la pratique en tous lieux ; il ne semble pas que les méthodes appliquées soient très complètes[77]. Il y a par contre peu à en dire du point de vue sportif ; tout y est très simple. La natation est un sport de combat où l’homme bataille contre un élément hostile, avec le danger à côté de lui, ou plutôt au-dedans de lui. Il sait que l’eau finira toujours par le vaincre, mais il arrive à prolonger magnifiquement la durée de sa résistance ce qui le rend capable d’opérer des sauvetages inespérés. ▬ Les lois psycho-physiologiques de la natation demeurent mystérieuses : la pratique y contredit la théorie ; l’action presque foudroyante de la peur y reste scientifiquement inexplicable. ▬ Le mécanisme varie selon la constitution individuelle et les particularités corporelles de chacun mais la brasse ordinaire en demeure l’alpha et l’oméga. ▬ Des exercices préliminaires à sec sur le chevalet peuvent-ils aider l’apprentissage ? Oui, mais dans une faible mesure[78] ; ils servent davantage à entretenir l’acquis et constituent d’ailleurs une excellente gymnastique quotidienne.

En matière d’aviron, on oppose parfois le matelot au « canotier ». L’opposition est erronée ; « plumer » et « souquer » ne diffèrent pas tant qu’on le croit. Dans les deux cas, l’homme attaque, tire et dégage et c’est la même alternance régulière de mouvements déterminés provoquant l’action successive des muscles des bras, des jambes, de l’abdomen et du dos[79] et en exigeant des efforts à la fois précis et nuancés, durs et moelleux ; physiologiquement, l’aviron est un sport de la plus rare perfection, en couple du moins, car il est évident qu’en pointe cette perfection est moindre. ▬ Sa valeur hygiénique est également exceptionnelle en raison des conditions respiratoires dont il bénéficie, de la façon dont l’effort y est réparti, de l’absolue régularité et du caractère apaisant de l’automatisme qu’il établit. ▬ Psychiquement, le rameur est joyeux de se sentir une machine pensante et d’éprouver à chaque coup d’aviron, comment la force se forme en lui, se répand et s’écoule. D’autre part, il doit s’imposer et subir une discipline austère et s’y abandonner avec abnégation ; sans contact avec le spectateur, il n’est, en équipe, qu’un anonyme dont l’effort à la fois robuste et continu vient s’ajouter mathématiquement à celui de ses co-équipiers. ▬ Techniquement, il n’est point de sport où chaque détail importe davantage ; la position du corps, celle des mains et des pieds au moment de l’attaque ; puis la franchise nette de celle-ci, la juste inclinaison du corps en arrière, la « tirée » des reins appuyée à point par la poussée des jambes, enfin la précision rapide du dégagement et tout aussitôt le retour du corps en avant, sans effort aucun, à la position d’attaque[80], toutes ces phases successives appellent une constante et féconde surveillance non seulement du coach mais du rameur sur lui-même. ▬ Socialement enfin, l’aviron est le plus coopératif des sports ; il ne s’accommode ni de l’isolement ni même du groupe restreint. Pour acquérir l’emplacement du garage, l’édifier, l’entretenir, l’équiper, prendre soin des bateaux, former les équipes, les entraîner à point, il faut une coopération de chaque instant, à la fois financière et personnelle. Toutes ces conditions expliquent pourquoi l’aviron n’attire à proportion qu’un petit nombre d’adeptes ; mais ceux qu’il n’a pas découragés lui demeurent toujours fidèles[81].

Du yachting, nous dirons seulement qu’il ne peut être admis comme sport que s’il s’agit de yachts à voiles manœuvrés personnellement. Naviguer avec un équipage salarié en se contentant de tenir parfois la barre ne constitue pas un acte sportif puisqu’il y manque un élément essentiel de la sportivité.

Sports d’hiver.

Les plus simples sont les plus récents, les plus compliqués sont les plus anciens. Le patinage, en usage depuis si longtemps a demandé, semble-t-il, un autre effort d’invention que le Bobsleigh. On l’a dénommé la « poésie du mouvement ». C’est le sport d’équilibre par excellence. Il comporte la course de vitesse, les « figures » dont le patineur expert arrive à dessiner sur la glace les arabesques très variées, enfin la danse (valse ou quadrille). Il est peu d’exercices où le succès soit aussi dépendant des dispositions naturelles et où celles-ci soient plus malaisées à suppléer ; il convient de commencer très jeune. La pratique du hockey y donne beaucoup de solidité et d’assurance. D’autre part, l’invention des patinoires de glace artificielle pouvant être utilisées une grande partie de l’année assure au patineur moderne des facilités d’entraînement qui manquaient à son prédécesseur[82].

Moins favorisé, le ski sans doute ne glissera jamais sur de la neige artificielle. À part cela c’est le sport le plus accommodant qui existe ; très individualiste, il se dose de façon à pouvoir satisfaire l’athlète en pleine vigueur aussi bien que l’homme âgé en plein déclin sportif. Très varié aussi, il est aux pieds du sauteur un engin d’audace, à ceux de l’excursionniste de longue distance, un engin d’endurance. Traîné par un cheval, le skieur a besoin de force et de souplesse étroitement unies ; pour exécuter enfin des « Télémark », des « Kristiania » ou des « Slaloms » il lui faut surtout de l’adresse générale.

La luge, plaisir d’enfants ou moyen rapide de descendre de la montagne, a donné naissance à des instruments de sport qui sont le skeleton et le bobsleigh[83], par abréviation « bob ». Le skeleton, luge d’acier sur laquelle l’homme à plat ventre et capitonné, parcourt à la vitesse de 100 à l’heure et davantage des pistes de glace à virages relevés ; le bob monté par un conducteur et plusieurs passagers encastrés les uns derrière les autres, appareil articulé posé sur patins, rendu dirigeable au moyen d’un volant d’auto que manie le conducteur et à la manœuvre duquel participent les passagers en se penchant violemment à l’intérieur du virage pour reporter le poids au-dedans de la courbe décrite.

La même recherche de griserie se retrouve dans l’ice-yachting, appareil formé de deux traverses en bois, l’une perpendiculaire à l’autre, aux trois extrémités desquelles sont de grands patins ; le patin d’arrière s’inclinant sert de gouvernail ; à l’intersection des deux pièces s’élève le mât portant la voile tendue ; c’est là que les passagers s’arriment de leur mieux pour résister à la course et aux bonds que fait l’appareil. L’Hudson et le Saint-Laurent sont les lieux de prédilection des amateurs de ce sport, comme Saint-Moritz l’est pour les adeptes du skeleton.

Ce qui distingue ces différents exercices (et même la simple luge dévalant sur une pente un peu rapide), c’est leur caractère de saine rudesse ; ils sont dangereux et on n’y peut pas tricher avec le danger ; ils sont par là-même fortifiants et l’hygiène morale y égale presque l’hygiène physique.

Sports combinés.

Cette catégorie est de contours imprécis. On peut entendre l’expression : sports combinés, de deux façons ; ou bien une série d’épreuves distinctes dont les résultats additionnés composent un total ; c’est le cas des Pentathlons ; ou bien l’union complète de deux sports simultanés comme dans la voltige, l’escrime équestre, le skijoring et les jeux de polo, de water-polo et de hockey sur glace. Cette dernière sous-catégorie peut se multiplier à l’infini ; n’a-t-on pas inventé de jouer au polo à bicyclette ? Et c’était sportif et mouvementé en tous points.

Le Pentathlon classique que nous dénommons faussement ainsi n’est plus, à vrai dire, qu’une association de courses, de sauts et de lancers (200 et 1.500 mètres plat : saut en longueur avec élan, lancements du disque et du javelot) ; dans l’antiquité, la lutte remplaçait une des deux courses. Par contre le Pentathlon moderne comprend le tir, la natation, l’escrime à l’épée, un cross-country équestre et un cross-country pédestre. Le créateur de ce Pentathlon qui fut inauguré à Stockholm, lors de la vme Olympiade, est le premier à reconnaître que d’une part, il vaudrait mieux remplacer le tir par une épreuve d’aviron et que d’autre part, les cinq épreuves qui le composent devraient se succéder sans interruption, l’athlète passant de l’une à l’autre sans autre arrêt que celui nécessité par une sommaire modification de costume. On y viendra sans doute.

La voltige à cheval est un sport d’une puissance extrêmement élégante et virile. Il est trop peu répandu. La préparation du cheval est plus rapide et moins difficile qu’on ne le pense. En annexant la voltige à leur programme, les sociétés de gymnastique en augmenteraient l’attrait et prépareraient des cavaliers.

L’escrime équestre n’est pas encore dotée de règlements lui permettant de se populariser ; jusqu’ici elle est plutôt de l’équitation armée où le cheval a trop de part et le maniement de l’arme pas assez[84].

Le skijöring et ses variantes sont devenus les annexes habituelles de tous championnats de ski. Le cheval s’y dresse aisément.

Enfin doit-on citer les « gymkhanas » où les sports combinés interviennent fréquemment sous des formes amusantes et fantaisistes. Le principe des gymkhanas sportifs est bon mais ils doivent être organisés par des gens compétents et il n’en faut pas abuser ; le « style » tendra toujours à souffrir de la hâte qui y domine.

Sports de tourisme.

Sous cette rubrique (défectueuse comme la précédente en ce qu’elle est mal tranchée) se classent principalement le cyclisme et l’alpinisme.

Le cyclisme est par excellence l’instrument du tourisme sportif. Il est vain de revenir sur ce que nous avons dit précédemment concernant son action mondiale, la provision de santé et d’adresse qu’il a insufflée partout. La perfection mécanique de la bicyclette se double de qualités sociales et familiales que le tourisme met en relief. Un seul inconvénient à signaler ; l’effort y est en quelque sorte diffus et si aisément provoqué par la pédale que la dose d’exagération y peut être atteinte et dépassée sans que le cycliste s’en doute : c’est souvent le cas pour des adolescents grimpant des côtes trop fortes ; il y a là une surveillance à exercer. Quant au cyclisme sur piste, on n’en saurait dire trop de mal. Un vélodrome est une machine à paris et le spectacle qui s’y déroule n’est ni esthétique ni sportif[85].

L’alpinisme est bien un sport de combat. L’homme y livre à la montagne une vraie bataille ; contre lui, elle se défend comme un adversaire vivant, l’égarant, le mystifiant, tenant en réserve pour le perdre brouillards, crevasses, avalanches, sans parler du vertige, de la bise et du froid. Ce n’est que par la plus virile combinaison d’énergie bien distribuée, de sang-froid voulu et de ferme prudence que l’homme arrive au but.

Quelques mots sur la chasse qui est, à bien des égards, un sport de tourisme. Nous ne parlerons pas du chasseur local qui bat en tous sens les dimanches d’été un minuscule espace, ravi d’en rapporter une fois sur deux un perdreau ou un lièvre[86]. Mais c’est un préjugé assez répandu que les territoires de grande chasse vont se restreignant de jour en jour. Ce n’est pas exact. En multipliant les moyens de transport et en en abaissant le prix, on avait rendu possibles, dans les années avant la guerre, des déplacements cynégétiques lointains qui ne l’étaient pas autrefois. L’éléphant d’Afrique aux environs des grands lacs, les hippopotames sur les fleuves du continent noir, au Cap et dans le sud du Congo le buffle puis encore la girafe, l’okapi, l’antilope, la gazelle, le gorille, la panthère, le lion… voilà ce que l’Afrique recèle. En Asie, ce sont les tigres, les rhinocéros, les gaurs, la grande antilope ; en Australie, le kangourou ; en Amérique, le caribou, le wapiti, le jaguar, le condor des Andes ; en Europe même, le grand élan, l’ours, le loup, le sanglier. Il y a de quoi faire. La tournée la plus fameuse a été celle accomplie en 1910 par Théodore Roosevelt en Afrique.

En regard de cet exploit, on peut citer celui d’un officier français, le commandant Lancrenon qui, vers 1905, employa un congé à se rendre à Moscou à bicyclette, à descendre la Volga en canoë et à revenir à Paris à cheval. Celui-là avait su combiner de la façon la plus hardie les trois tourismes : cycliste, équestre et nautique. Il devrait avoir beaucoup d’imitateurs. De tels raids sont de magnifiques écoles d’énergie, d’endurance et de valeur sportive[87].

Jeux sportifs.

Il importe d’employer ce qualificatif de façon à bien établir la distinction entre les jeux sportifs et les jeux simplement « récréatifs », si mouvementés soient-ils d’ailleurs. Nous ne parlerons pas des jeux nationaux ou restreints à un petit groupe de pays tels que le cricket, le base-ball, la crosse, la pelote, car cela nous entraînerait trop loin. Parmi les jeux « internationaux », il en est trois qui priment les autres par leur valeur éducative et sportive : avant tout le foot-ball, puis le polo et le hockey sur glace ; viennent ensuite le water-polo et, au bas de l’échelle sportive, le lawn-tennis et le golf[88].

La royauté du foot-ball repose sur la combinaison à des doses presque égales de courage d’attention et d’abnégation individuelle qui compose en quelque sorte la trame du jeu. Le bon joueur qui doit à tout moment se trouver prêt à « charger » sans hésitation aussi bien qu’à sacrifier à l’intérêt collectif l’occasion d’une prouesse au profit d’un camarade mieux à même de la réussir[89], se trouve en outre dans l’obligation de ne jamais perdre de vue la physionomie du vaste échiquier dont il est lui-même une des pièces. Il lui faut observer tout du long de la partie les changements qui s’opèrent dans la disposition des joueurs par rapport les uns aux autres car on sait que les règles du foot-ball sans être extrêmement compliquées, sont rendues fort scientifiques[90] par les incapacités momentanées résultant du « hors-jeu ». Ceux qui ne connaissent le foot-ball qu’en qualité de spectateurs se rendent difficilement compte de l’effort intellectuel au prix duquel son plus haut degré de perfection peut être atteint. Non seulement il n’est pas inutile mais il est nécessaire pour le capitaine d’une équipe aspirant aux honneurs du championnat de travailler sa partie d’avance sur le tableau noir tout comme des officiers s’exercent au Kriegspiel. Un incident instructif de l’histoire du foot-ball montre qu’il n’y a rien d’exagéré dans cette assertion. Un avocat de Boston s’étant jadis épris de ce jeu dès le premier match auquel il assistait, se mit à en étudier les possibilités tactiques, et ayant relevé dans l’Histoire du Consulat et de l’Empire, de Thiers, que Napoléon avait coutume de jeter à l’improviste des masses d’hommes rapidement formées sur les points faibles de l’adversaire, il proposa l’application de ce principe au foot-ball ; ce qui eut lieu en effet. Pour communiquer des ordres à ses hommes, le capitaine employa dès lors un langage chiffré convenu entre eux et, à son appel, on vit des flying wings (ailes volantes) se former brusquement et exécuter d’ingénieuses et décisives manœuvres. Cela n’atténua pas d’ailleurs le caractère déjà très dur du Rugby américain ; bien au contraire[91].

Le polo, le water-polo et le hockey sur glace sont des jeux basés sur la combinaison de deux sports. L’équitation, la natation et le patinage en constituent la raison d’être. Le premier a contre lui d’être très couteux même si l’on parvient, ce qui n’est guère aisé, à faire posséder les poneys par le club auquel le joueur les loue en payant en outre une prime d’assurance. Le water-polo demande une nappe d’eau de quelque étendue et profondeur sans courant et, de la part des joueurs, une endurance souvent très longue à acquérir. Le hockey sur glace est dépendant de la température ; toutefois on peut le pratiquer sur la glace artificielle si les dimensions de la patinoire s’y prêtent. Ce qui distingue ces jeux, c’est qu’il est impossible de les pratiquer si l’on a peur ; le joueur de foot-ball, de polo ou de hockey qui n’est pas brave n’a qu’à se retirer ; non seulement il ne peut pas bien jouer mais il ne peut pas jouer du tout.

Travaux manuels.

Dans notre temps démocratique, le sportif est normalement et techniquement obligé de savoir sinon confectionner — ce qui serait trop demander — du moins nettoyer, entretenir et quelque peu réparer ses engins de sport. Il y a là une série de travaux manuels dont le détail n’entre pas dans le cadre de ces leçons mais dont le principe devait être proclamé ici[92].

Hygiène sportive.

On a calculé que l’homme en état de travail musculaire intense se trouvait par rapport à l’homme au repos, en ce qui concerne la quantité d’air respirable qui lui est nécessaire, comme 1 est à 28. Cet écart représente, si l’on peut ainsi dire, la puissance de la soif d’air qu’éprouve l’athlète. D’où il résulte que la première loi de l’hygiène sportive est une loi d’aération des locaux. Dès qu’il s’agit d’un sport ne pouvant avoir lieu en plein air, nul local ne peut satisfaire pleinement aux conditions désirables s’il demeure clos pendant l’exercice.

La seconde loi est beaucoup moins connue ; en fait, elle est à peine proclamée encore. C’est la loi du dételage. L’homme moderne vit au centre d’une civilisation dont le caractère de plus en plus trépidant l’affaiblit en le surexcitant. Heureusement il trouve dans l’exercice sportif un antidote qui le fortifie et l’apaise en même temps. Mais c’est à condition d’éviter, en s’y livrant, la superposition d’un surmenage à un autre. Or ce second surmenage ne risque point, à moins d’excès toujours faciles à éviter, de se produire musculairement mais bien nerveusement par suite de la hâte fébrile apportée de nos jours dans la pratique de toutes choses et des sports comme du reste[93]. De là cette règle essentielle, bien que peu observée encore[94], de l’intervention du dételage (ou repos animal), complet avant et surtout après l’activité sportive intense : une sorte de matelas d’immobilité à intercaler entre le sport et la vie ordinaire. Quelques instants y suffiront ; encore faut-il que l’homme « sache » dételer. Il y faut l’apprentissage car, chez lui, bien que l’immobilité corporelle s’étende aussitôt au cerveau, il advient qu’au contraire elle entretient ou accroît l’agitation mentale. Le retour à la nature contrariée (aussi sur ce point) par les excès de la vie intellectuelle s’opèrera chez l’individu par volonté et persévérance avec l’aide de l’allongement total, du silence et d’une atmosphère propice. Tout athlète qui s’imposera d’encadrer ainsi sa pratique sportive y trouvera la source d’un merveilleux renouvellement de tout son être et même un adjuvant au perfectionnement technique. Mais, présentement, il y aura quelque mérite ; rien n’est prêt dans les établissements de sport pour le lui faciliter : le « tepidarium » moderne n’a encore été prévu nulle part.

L’hydrothérapie est le complément obligatoire de l’exercice sportif ; elle se présente comme tel sous trois formes : le bain de pleine eau, le tub, la douche. Le bain en baignoire ne vaut rien, il est affaiblissant et un homme y perd son temps ; la douche en pluie vaut cent fois mieux ou bien le tub. Remarquons que le tub, après l’exercice, peut se prendre en plein air : un seau d’eau et une grosse éponge d’écurie avec le gazon pour plancher, constituent le plus parfait confort pour un sportif. La douche se donne en jet ou en pluie ; la première, compliquée comme installation et pour laquelle il faut l’intervention d’un doucheur, a pris un caractère de plus en plus médical ; la seconde, d’installation facile, se répand bien qu’avec une lenteur inexplicable ; à l’heure actuelle, il ne devrait pas y avoir une école, une caserne, une usine qui n’en fussent pourvues. Quant au bain de pleine eau (mer, lac, rivière), il est handicapé par une série de préjugés anciens et fortement enracinés : celui de la saison d’abord, celui de la latitude ensuite et encore celui de la réaction[95]. Il faut citer les « rari nantes » d’Italie, les organisateurs des matchs de la Serpentine à Londres et de la coupe de Noël à Paris, enfin et surtout les Scandinaves parmi les bons ouvriers de la lutte contre ces préjugés. Ils prouvent victorieusement chaque année qu’il n’est point de saison absolue pour le bain de pleine eau de l’homme bien portant non plus que de latitude et que, d’autre part, la réaction dépend de l’organisme dont elle mesure la puissance et non de la température extérieure. — Ceci dit, il convient d’observer que l’hydrothérapie est un agent des services duquel on ne doit jamais abuser. Mettant à part les lavages et les savonnages dont l’athlète principalement ne risque point de faire abus, il lui sera recommandé de résister à la tentation de se procurer plus d’une réaction hydrothérapique par jour. Bien entendu, le bain-douche n’est pas visé par cette prescription mais le tub à l’eau froide ou à l’eau très chaude[96] doit être considéré comme provoquant la dite réaction. Faut-il envisager tous ces soins donnés au corps comme un souci de décadence ? Un écrivain français l’a prétendu il y a une quinzaine d’années : « C’est le propre, disait-il, des générations moribondes de vivre dans une angoisse perpétuelle de la maladie et d’attacher aux soins physiques une importance excessive[97]. » Or les deux termes de cet aphorisme sont contradictoires. Les hommes qui entretiennent jalousement leurs corps sont presque toujours des bien-portants et ils n’ont pas l’angoisse de la maladie ; ils ont la passion de la force et de la santé. Certes une certaine rudesse est nécessaire à l’humanité. Mais la rudesse ignorante des premiers âges et la rudesse intelligente des époques civilisées ne sont point sœurs ; elles ne sont que cousines.

À côté de l’hydrothérapie, il faut placer l’aérothérapie[98], c’est-à-dire le bain d’air. Le bain d’air ne sera jamais mieux pris par le sportif qu’au cours de ses exercices. Mais s’il peut courir, sauter, grimper, lancer, ramer et boxer sans vêtements autres qu’un léger caleçon, l’escrimeur, le cavalier, le cycliste, le patineur restent en dehors de ce bénéfice. Or le bain d’air leur importe comme aux autres non seulement parce qu’il est sain et reposant, parce qu’il oxyde le corps et détend l’esprit mais parce qu’il apporte un concours certain au perfectionnement technique. Tout garçon, tout jeune homme (sinon tout adulte) qui s’entraînent à un sport sans vêtements y progressent plus vite que celui qui s’entraîne vêtu ; est-ce en raison de l’aisance absolue, de la possibilité complète d’extension assurées à leurs mouvements ? La chose n’est pas encore très claire mais le fait est là, que confirment déjà de multiples expériences.

Il ne faut pas confondre l’aérothérapie avec l’héliothérapie ; le bain de soleil proprement dit relève de la médecine ; c’est un remède violent avec lequel on ne doit pas plaisanter et dont les effets peuvent être nocifs ; le bain d’air au contraire, qu’il soit pris dans l’air ensoleillé ou bien dans l’air nocturne, convient (avec quelques précautions d’accoutumance et à condition de n’y point demeurer immobile) à toute personne bien portante et surtout à tout athlète.

On s’étonnera peut-être de ne pas trouver ici de conseil ou de préceptes précis relatifs à l’alimentation. C’est bien une question d’hygiène sportive mais qui a conduit à beaucoup d’errements. D’un côté, on s’est disputé entre « carnivores » et « végétariens ». Vers 1907, une sorte d’épreuve-expérience a eu lieu à Berlin. Un cross-country mit aux prises des concurrents appartenant aux deux catégories. Les végétariens s’enorgueillirent de leur victoire et du fait que parmi les vainqueurs figuraient un homme de 31 ans et un autre de 28. Mais en différentes circonstances la revanche semble avoir été prise. Nous ne voyons aucun intérêt à cette querelle. Il paraît tout simple qu’il y ait des athlètes végétariens et si l’humanité en arrive quelque jour à ne se nourrir que de légumes et de pâtes, il est fort possible qu’elle ne s’en porte pas plus mal. Un second aspect de la question, du point de vue sportif, c’est l’alimentation très spéciale à laquelle, à l’exemple de l’Angleterre, on a cru longtemps nécessaire de soumettre ceux qui s’entraînent, proscrivant pour eux des quantités d’aliments et établissant une sorte d’ascétisme des exagérations duquel les plus fanatiques eux-mêmes sont en train de revenir. Nous pensons que tout cela ne reposait sur rien de probant et que le succès de l’entraînement dépend à cet égard d’une formule beaucoup plus large et beaucoup plus claire qui se résume en deux mots : aucun excès.

Modalités.

Les modalités de l’exercice sportif dépendent du sexe, de l’âge, de l’état de santé, des dispositions personnelles, des facilités extérieures, enfin des méthodes adoptées : elles sont donc en fonction des conditions individuelles.

Toute notre étude étant conduite du point de vue masculin, nous commencerons par passer en revue ces modalités en ce qui concerne les hommes, nous réservant d’examiner ensuite dans quelle mesure ce que nous avons dit peut être applicable aux femmes.

i

Âge.

Il faut distinguer comme de juste l’enfant, l’adolescent, l’adulte. Lequel doit donner le ton ?… L’adulte. Il ne s’agit pas de prolonger jusqu’à l’adulte, en y ajoutant simplement de la vigueur, des plaisirs d’enfant ; il s’agit au contraire de préparer l’enfant à des plaisirs d’adulte. Ce n’est point là une simple affaire de mots. L’opinion, dans la plupart des pays autres que les pays anglo-saxons, envisage encore la question sportive sous le premier angle qui est erroné et ne peut s’accoutumer au second qui est le bon. Donc c’est le programme de l’adulte — celui que nous avons esquissé dans les pages précédentes — qui doit servir de base à l’éducation sportive de l’enfant et de l’adolescent.

Pour l’enfant en dehors de ses jeux qui ne doivent pas être savants et qu’il faut lui laisser conduire à son idée, il convient de grandement se méfier de toute initiation sportive prématurée[99]. Le saturer de plein air et veiller à ce que son corps soit mécaniquement en ordre, voilà le but à atteindre ; beaucoup de liberté tempérée par une gymnastique modérée, mais très fréquente, où les mouvements d’ensemble, la discipline, le rythme dominent ; un seul sport la natation. Vient l’adolescence. Deux initiateurs s’indiquent : l’aviron et la boxe[100] ; bien entendu ni concours ni assaut libre mais un enseignement à la fois prudent et très énergique. Alors, vers 13 ans, le foot-ball, le jeu éducatif par excellence d’où l’adolescent déjà débrouillé au point de vue de la mobilisation musculaire et initié à la bonne combativité, tirera la leçon suprême de la virilité collective : l’apprentissage de l’abnégation. L’époque du foot-ball sera aussi celle de la course à pied et des sports athlétiques et gymniques, il faudra ensuite le contact du cheval[101]. Pour finir, l’escrime. Au moyen âge, l’arme remise à l’adolescent faisait de lui un homme : belle tradition que la science confirme car l’escrime est un sport retenu, raffiné auquel, physiologiquement, les autres conduisent et qui n’y prépare pas. Le jeune homme aux forces épanouies atteint ainsi le sommet de sa vie musculaire ; puis le foot-ball passe et encore la course à pied, les sauts, le grimper mais très longtemps demeure la possibilité des grandes randonnées alpestres ou cyclistes. L’homme mûr ne doit pas s’abandonner ; il doit maintenir sa souplesse et sa vigueur sportives, ne se les laissant arracher que par bribes, en luttant toujours ; et, très tard, non seulement l’escrime et l’équitation mais la boxe et l’aviron lui resteront accessibles pour le grand bien de son corps et de son âme.

Santé.

Trois catégories : normal, débile, malade. Le premier seul compte en matière sportive. La convalescence du troisième relèvera peut-être de la gymnastique médicale mais bien rarement (sauf peut-être dans certains cas de neurasthénie[102] de l’activité sportive. Quant au second — le débile — il faut se méfier de lui. Il régnait hier encore sur la civilisation ; on eût dit qu’il en était le plus intéressant personnage et on allait courber vers lui les sports comme tout le reste. Cette tendance néfaste peut reparaître, sitôt oubliés les rudes contacts de la guerre. Elle s’explique d’ailleurs par la prédominance des préoccupations scientifiques. Pour la science, l’homme sain, l’homme normal, est physiologiquement inintéressant. Le physiologiste n’a pas davantage, au point de vue de son propre perfectionnement scientifique, à regarder fonctionner des rouages normaux. Il se détourne forcément vers l’anormal, vers le cas morbide ; il entraîne le sociologue dans cette voie ; il entraîne tout le monde. Il ne voit plus que cet homme là et c’est en l’observant qu’il pose les bases d’une législation créée de la sorte pour la minorité anormale et destinée à être appliquée à une majorité normale. Il importe de barrer la route à de telles habitudes d’esprit. C’est pourquoi, en sport, la méfiance de l’emprise médicale s’impose et pourquoi, d’autre part, l’état de santé doit toujours servir de base aux comparaisons. Ainsi quiconque veut progresser ou même s’entretenir doit sans crainte user du record et de la façon suivante : connaître les records du monde ; viser les records moyens ; noter ses propres records[103].

Dispositions personnelles.

« État de santé », cela ne veut pas dire, bien entendu, un état de perfection absolue dans lequel les germes de la déchéance future du corps se trouveraient complètement annihilés par des organes intacts fonctionnant sans accroc. Ceci ne se rencontre que de façon très exceptionnelle ou passagère. Nous avons en vue l’homme chez lequel tout « penche vers la santé » par la prédominance des agents redresseurs sur les agents destructeurs. Or chez celui-là, il y a pourtant des tares[104], héréditaires ou acquises, qui le handicapent ; il y a aussi des forces. Les unes et les autres composent avec ses ambitions[105] le barême de sa sportivité éventuelle. Pour établir ce barême, il lui faut tenir compte de ces trois éléments. Par là — et par là seulement — il arrivera au « connais-toi toi-même », précepte que la sagesse antique semble avoir forgé pour le sportif tant il s’applique exactement à son cas et répond aux nécessités de son perfectionnement.

Facilités extérieures.

Elles ne sont pas toujours considérables et on ne peut guère espérer que l’outillage sportif arrive jamais, dans le monde moderne, à pourvoir à tout moment chaque individu des facilités nécessaires à la pratique de tous les sports. Ce n’est pas un motif pour ne point s’efforcer d’y tendre mais il serait imprudent d’y compter. Dès lors une seule recommandation résume la question des « facilités extérieures ». Ne pouvant toujours les créer, il faut du moins en toujours profiter ; c’est-à-dire qu’il faut saisir chaque occasion qui s’offre de se livrer au sport. Si vous attendez paisiblement au bord de la route que l’occasion s’arrête devant vous, vous n’arriverez à rien. L’occasion est un animal pressé qui passe au galop ; il faut sauter en croupe quand il passe.

Méthodes.

Il ne s’agit aucunement ici des systèmes imaginés par l’empirisme de l’un ou préconisés par l’expérience de l’autre. Nous ne saurions trop le répéter, les méthodes ainsi entendues sont, en général, peu recommandables ; elles ne valent que par l’homme qui les applique ; aucune n’est complètement bonne ; presque aucune n’est complètement mauvaise. L’individu est trop variable, physiologiquement et surtout psychiquement pour qu’on puisse codifier les moindres détails de son dressage. Par contre, deux alternatives essentielles dominent la question. La pédagogie sportive doit distinguer l’apprentissage et l’entretien. Cet apprentissage sera-t-il pour les différents sports, successif ou simultané ? Et l’entretien lui-même se réalisera-t-il régulièrement ou par à-coups ?

En ce qui concerne l’apprentissage, il faut poser ce principe qu’un sport ne prépare pas à un autre et que, par conséquent, chaque sport doit avoir ce qu’on pourrait appeler une « initiation autonome » visant à organiser la mobilisation musculaire qui lui est propre[106] Mais ces initiations risquent-elles de se contrarier ou, à l’inverse, peuvent-elles s’entr’aider ? Il n’y a ni trop à le craindre ni beaucoup à l’espérer. S’il est indiqué par exemple de ne pas faire marcher de pair l’enseignement de la boxe et celui de l’escrime au fleuret, rien n’empêche l’aviron de voisiner avec le cheval dans la formation du débutant. Mais un principe général dont l’expérience souligne le caractère bienfaisant sera d’enseigner, autant que possible, les sports deux par deux. Il s’établit ainsi, dans la répartition du travail musculaire, une bonne variété et point de confusion.

S’entretenir est en général plus facile et plus méritoire à la fois qu’apprendre ; si l’effort y est moindre, il faut l’intervention de la volonté pour le déclancher. C’est pourquoi tant de ceux qui ont appris n’entretiennent pas leur savoir et le laissent s’évader de leur être. Les sports n’échappent pas à cette loi, d’autant que la mémoire des muscles a ceci de très particulier qu’après s’être longuement perpétuée, elle disparaît brusquement. C’est ce qui se passe le plus souvent chez l’homme normal. Déterminer sa durée approximative est donc pour l’individu la première condition d’un bon entretien de ses connaissances sportives. On peut dire que « le jeune homme et l’homme fait doués d’aptitudes physiques moyennes ont besoin de trois à six séances tous les dix à dix-huit mois[107] » pour tout sport dans lequel ils veulent se maintenir en état de « demi-entraînement ». À chacun de trouver sa mesure et de s’y tenir. Le demi-entraînement n’est pas la moitié de l’entraînement ; c’est autre chose. Qui dit entraînement dit état d’exception vous différenciant temporairement de vos semblables. Le demi-entraînement doit être permanent et ne pas vous différencier d’eux. C’est simplement un état de puissance que l’on peut définir ainsi : le demi-entraîné est celui qui peut à tout moment substituer à sa journée habituelle une forte journée sportive sans dommage pour sa santé et sans qu’il en éprouve autre chose que de la saine fatigue. Cette « journée sportive » qui ferait ainsi irruption dans son existence ordinaire, que faut-il pour lui en assurer le bénéfice ? La volonté, avons-nous dit, et aussi l’occasion, l’une devant du reste s’employer à saisir ou même à provoquer l’autre.

En groupant de semblables journées en périodes de plusieurs semaines, les Américains ont introduit de façon empirique et même inconsciente une coutume bienfaisante qui ne peut manquer de se répandre. La cure de sport (on ne lui donne pas encore ce nom qui la définit pourtant par ses résultats) consiste à couper court à toutes les occupations et préoccupations habituelles en allant mener en pleine campagne, dans un camp ou un hôtel approprié[108] une vie intensément sportive. Tout l’organisme s’en trouve renforcé. Cette cure « préventive » en évite plus tard de « curatives ». Mais, pour nous en tenir à la question de l’entretien des connaissances et capacités sportives, c’est là le type de cet « entretien par à-coups », que nous opposions tout à l’heure à l’« entretien régulier ». On peut, pendant de telles périodes, se remettre en train et même réaliser des progrès appréciables dans la pratique de plusieurs sports.

L’entretien régulier est d’organisation difficile dans la plupart des cas. Toutefois il peut être aidé par un moyen quotidien et dont l’aspect un peu homéopathique ne doit pas dissimuler la réelle valeur. Il s’agit de la gymnastique matinale dont l’usage se répand de plus en plus et qui n’a que deux pas à faire pour devenir au sportif ce que les gammes sont au pianiste désireux de maintenir ses doigts agiles. Pour cela, il faut d’abord la rendre plus énergique qu’elle n’est et ensuite lui assurer un caractère plus directement technique. Aux mouvements trop anodins et sans application précise que chacun s’impose au risque d’une patience bientôt lassée, on n’a qu’à substituer les mouvements fondamentaux des différents sports mais poussés à fond (surtout en ce qui concerne les allonges) et sans crainte d’essoufflement ou de fatigue[109]. La natation, l’escrime, la boxe, les exercices de lever ou de ramper — voire même la course ou le lancer y trouveront leur compte. Il n’est pas jusqu’à l’aviron et l’équitation dont certains mouvements exécutés à terre ou sur une chaise ne servent fort bien la préparation musculaire.

ii

La question des sports féminins s’embrouille de ce que la campagne féministe y apporte de passion et d’expressions exagérées. Les dirigeants de cette campagne prétendent volontiers à l’annexion de tout ce qui était jusqu’ici du domaine de l’homme ; d’où la tendance à se montrer capable d’égaler l’homme en toutes choses. C’est ainsi qu’en sport, les femmes font appel à la force nerveuse pour atteindre aux résultats obtenus par la force musculaire de leurs rivaux masculins. Quels seront les inconvénients ou les dangers d’un semblable état de choses le jour où il aura achevé de se répandre ? Or sa diffusion s’opère en ce moment avec une grande rapidité… Je dirai très franchement ici toute ma pensée : rien de sérieux ni de durable n’est à craindre si se trouve observée la règle unique qui domine toute la question : pas de spectateurs. Le spectateur sportif a toujours besoin d’être surveillé moralement. Il faut savoir ce qu’il cherche et pourquoi il est là. Mais tandis que, pour les concours masculins, la grande majorité est là pour le sport en sorte que les brebis galeuses perdues dans la masse peuvent être négligées, il en ira toujours autrement des concours féminins. Techniquement, les footballeuses ou les boxeuses qu’on a déjà tenté d’exhiber çà et là ne présentent aucun intérêt ; ce seront toujours d’imparfaites doublures. Il n’y a rien à apprendre à les regarder ; aussi ceux qui s’assemblent dans ce but obéissent-ils à d’autres préoccupations. Et par là, ils travaillent à la corruption du sport sans aider par ailleurs au relèvement de la morale générale.

Que si les sports féminins sont soigneusement dégagés de l’élément spectacle, il n’y a aucune raison pour les proscrire. On verra ce qui en résulte. Peut-être les femmes s’apercevront-elles bientôt que cette tentative ne tourne pas au profit de leur charme ni même de leur santé. Par contre, il n’est pas sans intérêt que l’épouse puisse participer dans une assez large mesure aux plaisirs sportifs de son mari et que la mère soit à même de diriger intelligemment l’éducation sportive de ses fils. Ne pourrait-on même attendre de l’intervention de l’une et de l’autre des conséquences plus générales, par exemple une sorte de stabilisation de la vogue qui est nécessaire aux sports pour s’alimenter mais dont les excès risquent toujours d’amener une réaction ?

Organisation sportive.

Les questions relatives à l’organisation sportive se ramènent à quatre rubriques distinctes ; d’abord ce qui concerne les groupements ; le sport a besoin de s’appuyer sur des groupements ; c’est une utopie que de se le figurer vivant d’une vie purement individuelle. À ces groupements — aussi bien qu’à l’individu d’ailleurs — il faut des terrains et des locaux pour s’exercer. D’autre part l’émulation qui naît forcément et de laquelle on ne pourrait se passer provoque des concours et, en vue de ces concours, des règlements s’imposent…

Groupements sportifs.

La forme en est extrêmement variée. Si l’on considère leur durée ou leur périodicité, on peut distinguer les groupements permanents (comme le sont la plupart des sociétés) de ceux qui sont simplement temporaires ou encore intermittents. Le type des groupements temporaires, c’est le camp de sport qui surgit tout agencé, dure un temps déterminé et disparaît. Que si le camp est annuel et que le comité organisateur subsiste d’une année à l’autre, c’est bien un groupement intermittent : formule encore peu coutumière mais qui répond trop aux besoins actuels pour ne pas se répandre fatalement et dans tous les domaines. Elle s’affirme d’ailleurs çà et là par des succès probants. C’est le principe de l’intermittence qui sert de base à l’organisation militaire suisse si ingénieuse et pratique ; c’est à lui qu’il faudra recourir lorsque l’on voudra créer des universités ouvrières à la fois actives et économiques. L’intermittence sera le grand levier de la société égalitaire et les sports en bénéficieront tout particulièrement. En attendant le groupement permanent domine.

Si l’on tient compte des rapports des groupements sportifs entre eux, ils apparaissent libres ou syndiqués, selon qu’ils acceptent ou non d’aliéner une partie de leur liberté au profit du sur-groupe qui s’appelle une fédération. Nous traversons en ce moment une véritable crise de fédéromanie. Tout le monde veut se fédérer. Il y a beaucoup de bon dans le principe fédératif ; pourtant ce n’est pas une panacée et il n’est pas certain que, finalement, le sport en tire les grands avantages que ses adeptes paraissent en attendre.

Par rapport aux pouvoirs publics, les groupements sportifs sont indépendants ou subventionnés. Si la chose se fait discrètement rien à objecter, mais si les luttes politiques et religieuses pénètrent par là au sein des sports, il en résulte beaucoup de mal. Cela s’est vu[110] et aussi l’exploitation du sport par l’intérêt électoral.

Enfin une dernière distinction (et non la moins intéressante) oppose le groupement de participation au groupement d’encouragement, le type mixte étant toutefois le plus répandu de nos jours. Et par là il ne faut pas entendre la présence des membres honoraires dont les cotisations sont nécessaires au groupement, mais la présence de membres dits actifs et qui n’agissent pas. Il y a toujours là un danger, c’est que le groupement ne se resserre autour d’une poignée de champions éventuels vers lesquels tout l’effort convergera, les autres adhérents étant plus ou moins complètement laissés de côté. D’autre part, le type dans lequel tous agissent est difficile à constituer et plus encore à faire vivre. L’Alpine Club d’Angleterre, les « Audax »… sont basés sur la nécessité pour le candidat qui veut y entrer d’avoir fait ses preuves sportives. Il faut bien le dire, c’est la formule idéale vers laquelle on devrait tendre et que peut-être la diffusion des goûts sportifs permettra plus tard de populariser.

Terrains et locaux.

Nous avons déjà abordé ce sujet dans la partie historique de ces études. Nous aurons à y revenir à propos de l’art sportif. La concentration des sports dans le monde moderne a donné naissance d’une part au Stade olympique, de l’autre à l’Athletic Club à l’américaine, tous deux groupant bon nombre de sports mais non point tous. La forme du stade antique s’est trouvée condamnée, après la restauration de celui d’Athènes, en raison des tournants imposés aux coureurs et trop courts pour les vitesses auxquelles les pistes perfectionnées permettent aujourd’hui d’atteindre. Les stades construits depuis 1896 sont en réalité des arènes soit à ellipses complètes, soit à courbes interrompues, comme à Bukarest ou à Paris (stade Pershing). À Londres (ive Olympiade, 1908) une piscine se trouva encastrée dans le stade, en bordure intérieure des pistes cyclistes et de courses à pied qui en faisaient le tour tandis qu’aux deux extrémités de l’énorme enceinte, des plate-formes avaient été installées pour la lutte. Par un ingénieux dispositif, le plongeoir s’élevait mécaniquement du fond de la piscine et s’y repliait après les plongeons, de façon à laisser la vue s’étendre des tribunes sur tout le stade sans aucune gêne. Le stade de Londres était prévu pour près de 80.000 spectateurs. Celui de Stockholm, plus restreint, ne pouvait comporter de piscine. À Berlin, le stade construit en vue de la vie Olympiade, qui ne fut pas célébrée, présentait une vaste encoche dans laquelle se trouvait la piscine entourée de gradins. À Stockholm, le terrain central utilisé pour le foot-ball et la gymnastique fut aménagé de façon à pouvoir servir ensuite aux sports équestres. À Anvers, pour les Jeux de la viie Olympiade (1920), on adopta la même disposition. En somme il apparaît que presque tous les sports olympiques pourraient avoir lieu dans l’enceinte du stade hormis l’aviron pour lequel cette enceinte transformée en bassin se trouverait encore trop petite — et les escrimes qui demandent à être suivies de près et pour lesquelles elle resterait toujours trop grande.

L’Athletic Club américain est susceptible d’un moindre éclectisme. Ayant comme annexes des salles d’escrime, de boxe, un jeu de paume, une piscine[111]… sa principale originalité a consisté dans l’installation à mi-hauteur du hall de gymnastique d’une galerie circulaire portant une piste de courses plates, élastique et à virages relevés, qui permet l’entraînement des coureurs dans des conditions relativement satisfaisantes. Les halls de gymnastique comprenaient autrefois une partie planchéiée et, au centre, un vaste espace rempli de sciure de bois. Les hygiénistes en poursuivirent la disparition qui n’eut guère été possible sans la campagne parallèle menée contre les agrès et notamment le trapèze volant. Le sol des gymnases est devenu un parquet ciré où d’épais tapis paillassons placés sous les quelques engins qui subsistent sont destinés à amortir la retombée du gymnaste.

Nous ne dirons rien ici des terrains ou bâtiments spéciaux à certains jeux : lawn-tennis, longue et courte paume, etc., et mentionnerons seulement les « squares sportifs », terrains municipaux ouverts à tout venant, dont il a déjà été question ci-dessus.

Concours.

Inutile de revenir sur ce que nous avons dit concernant la nécessité du concours et l’absurdité d’en vouloir supprimer le principe. Bornons-nous à classer les différentes formes de concours et à indiquer comment se présentent deux questions connexes, de haute importance : celle de la publicité et celle des prix. On distingue les concours d’après les conditions de départ : si certains concurrents reçoivent un avantage sous forme de points ou d’avance sur le terrain (ainsi que cela se pratique par exemple en courses à pied ou au tennis) le concours est dit handicap. Rien de meilleur pour aider à l’entraînement. Mais outre que certains sports ne le comportent pas, les règles d’après lesquelles le handicap est établi sont toujours malaisées à fixer. Quant aux championnats, ils sont dits mondiaux, nationaux ou régionaux, selon que sont admis à y participer les représentants de tous les pays, d’un seul pays ou d’une région d’un pays. La qualification de champion du monde est pratiquement vaine par la raison qu’il n’existe point de réunions — même les Jeux Olympiques — où toutes les nations se trouvent représentées par leurs meilleurs hommes ; à peine pourrait-on y tendre pour un championnat national dans un pays de dimensions restreintes. Mais le titre de champion réjouit à ce point la vanité qu’on a multiplié les occasions de s’en affubler en créant des championnats locaux dans la moindre ville d’eaux. Ces créations ont apporté à la publicité un renfort déplorable et singulièrement aggravé la néfaste influence des prix.

Toutes ces notions sont en fonction les unes des autres. Plus il existe de championnats locaux, plus le journal s’escrime pour les mettre en lumière et plus l’enjeu matériel du concours augmente de valeur et acquiert d’importance aux yeux du concurrent. La médaille ou la coupe portant un nom et une date tendent à se muer en objets utilitaires, dépourvus d’individualité et propres à rentrer aisément dans le commerce, si même le remboursement n’en est pas d’avance facilité au gagnant.

Les remèdes à ces maux sont de diverses sortes mais le principal, le seul vraiment efficace, consisterait à substituer de plus en plus le concours de défi au championnat. Le « défi » met aux prises annuellement deux villes, deux universités, deux écoles, deux clubs[112]… Il s’agit d’une rencontre dont les conditions sont fixes et dont l’enjeu est un objet d’art sur le socle duquel les vainqueurs successifs inscrivent leur victoire. À tous égards, pour le public comme pour le concurrent, du point de vue technique comme du point de vue moral, cette forme d’émulation est infiniment supérieure à toute autre. Le principe en a dominé les sports du moyen âge qui, de ce chef, ont eu beaucoup moins que ceux de l’antiquité ou des temps modernes à compter avec les soucis professionnels et mercantiles.

Règlements.

Si les règlements sportifs ne visaient que l’organisation et la tenue des concours, ils ne donneraient guère lieu à querelles et à conflits, mais ils visent principalement la qualification des concurrents et de là sort tout le dommage. Il faut en effet distinguer l’amateur du professionnel, les séparer, protéger le premier contre le second. C’est là une nécessité primordiale à laquelle le sport ne peut se soustraire sous peine de déclin rapide. Du principe amateuriste découlent de grandes difficultés mais on ne peut s’en passer car il est en quelque manière le garde-barrière de ce que les Américains appellent justement « clean sport ». Or qui doit-on considérer comme professionnel… Le bon sens répond : celui qui tire du sport un profit pécuniaire direct ou indirect. Par malheur, ce point de départ si simple est obscurci par des considérations d’ordre différent. La faute en est à l’Angleterre qui a adopté jadis une définition de l’amateur peu raisonnable et dont les conséquences ont été empirant avec la diffusion des sports.

Cette définition établit qu’on cesse d’être amateur : 1o en touchant un prix en espèces ; 2o en se mesurant avec un professionnel ; 3o en recevant un salaire comme professeur ou moniteur d’exercices physiques ; 4o en prenant part à des concours ouverts à tous venants (all comers). Ces termes sont indéfendables au point de vue tant de la logique qu’ils offensent que de la liberté humaine dont ils font bon marché[113]. On peut décréter qu’on considérera comme professionnel un homme qui se sera mesuré avec un professionnel ou qui aura pris part à un concours public ; cela ne fait pas qu’il le soit. On l’exclut, voilà tout. Là est le germe de toutes les tyrannies syndicalistes qui se sont manifestées depuis vingt-cinq ans dans les milieux sportifs. La confusion entre le professeur et le professionnel renvoyés dos à dos est de moindre conséquence ; cependant elle a été fâcheuse à bien des égards ; et elle n’est pas juste. Quant à la source unique du professionnalisme que la définition dénonce (avoir touché un prix en espèces), elle laisse de côté tous ceux qui reçoivent des indemnités du club dont ils font triompher les couleurs ou de la localité à laquelle leur victoire fait de la réclame, qui sont fournis gratuitement d’instruments ou d’habillements sportifs par les maisons dont ils consentent à patronner les produits, qui reçoivent une part inavouée du bénéfice des entrées sur le terrain (gate money) ou de l’argent provenant des paris… la liste est nombreuse des déguisements sous lesquels le faux amateur (parfois beaucoup moins sportif que tel professionnel) force l’entrée des concours qui devraient lui être interdits.

Lorsque l’on aura refait de fond en comble cette législation de l’amateurisme[114], un très grand nombre de problèmes sans lien apparent avec cette question perdront de leur complexité. Les règlements sportifs s’accorderont facilement d’un pays à l’autre, les tendances tyranniques de certaines fédérations s’atténueront et il ne sera plus possible à des dirigeants étrangers au sport de se servir du groupement sportif comme d’un tremplin propre à assurer la satisfaction de leurs ambitions personnelles.

TROISIÈME PARTIE

ACTION MORALE ET SOCIALE
DES EXERCICES SPORTIFS

Les résultats sportifs sont, généralement parlant, d’une nature mathématique ou réaliste ; ils ont pour sanctions des chiffres et des faits. Vous sautez telle hauteur ou telle longueur, vous faites à la course tant de mètres en tant de secondes, vous nagez ou vous ramez telle distance en tant de temps : voilà des chiffres. D’autre part, vous avez monté tel cheval connu pour ses défenses, vous avez fait telle ascension réputée pour ses difficultés, vous avez doublé tel escrimeur ou matché tel boxeur : voilà des faits.

Or ces chiffres et ces faits sont le produit de possibilités musculaires coefficientées par l’effort et la volonté de l’individu. L’individu a sa limite en lui mais il l’ignore. Il y a une hauteur que ses sauts ne dépasseront jamais ; d’avance, il ne sait pas laquelle. Il y a un temps au-dessous duquel sa course de cent mètres ne s’abaissera pas ; il ne le connaît pas au juste. Ce maximum et ce minimum déterminés par la collaboration de ses muscles et de sa volonté, il n’arrivera à les atteindre qu’en s’y efforçant laborieusement, opiniâtrement. Pour y réussir, il faudra non seulement de l’énergie et de la persévérance mais du sang-froid, du coup d’œil, de l’observation, de la réflexion… et il en faudra aussi pour se maintenir car, en sport, ce qui a été acquis est vite reperdu si l’on n’y veille. Ainsi le sport dépose dans l’homme des germes de qualités intellectuelles et morales.

Des germes seulement — et dont le développement peut demeurer localisé autour de l’exercice pour lequel ils sont utilisables mais peut aussi franchir cette étroite limite et, débordant sur l’individualité entière, en provoquer la fécondation et la transformation. Les deux cas s’observent fréquemment. Combien de cyclistes hardis et prompts à se décider qui, descendus de leurs machines, se montrent timides et hésitants à tous les carrefours de la vie. Combien de cavaliers pleins d’allant sur l’obstacle et sans vigueur le reste du temps, d’escrimeurs superbes de sang-froid sur la planche et perdant la tête à la moindre des adversités quotidiennes. Mais le cas inverse se rencontre de même et la guerre de 1914-18 a fourni de nombreux exemples de la pénétration de la personnalité par les qualités sportives et de leur extension au domaine purement moral.

Quelles sont les conditions propres à provoquer ou à aider cette extension ? Ce sont : 1o le mélange intime de l’activité sportive et des autres formes de l’activité humaine ; donc les manifestations de cette activité sportive au lieu de demeurer isolées doivent — non seulement dans l’éducation mais dans la vie publique — s’unir à celles de la pensée ; l’exercice sportif, loin d’être considéré comme un simple contre-poids servile du travail cérébral, doit devenir son associé habituel et honoré — 2o la collaboration effective du maître et de l’élève, du père et du fils, de l’ancien et du novice. Seule une telle collaboration consacre aux regards de la jeunesse le caractère viril et sérieux de l’exploit sportif en lequel il lui devient impossible de n’apercevoir dès lors qu’un délassement passager ; seule, d’autre part, elle fournit à l’aîné mêlé aux exercices des jeunes le moyen de s’en servir pour bronzer moralement ceux-ci[115] en même temps que la recette féconde pour rester jeune lui-même.

Action sur l’entendement.

On peut, reprenant un terme cher à nos pères et d’ailleurs bien adapté à ce qu’il prétend exprimer, grouper sous la rubrique d’« entendement » ce qui concerne la compréhension et la mémoire, la réflexion et le jugement, enfin les habitudes de pensée et de langage.

En ce qui concerne la compréhension, il n’y a point de raison pour qu’elle se trouve accrue et pour que le sportif soit, au sens étymologique du mot, plus « intelligent » que son égal non sportif. Nous en dirons autant pour la mémoire. Mais on n’aperçoit non plus de motifs à une influence inverse. La légende du sportif rebelle par destination aux choses de l’esprit n’a plus cours. C’est un vieux cliché désuet.

La réflexion et le jugement qui gagnent à être exercés ne peuvent manquer de bénéficier du fait que non seulement le sportif est appelé à tout moment à évaluer et à comparer mais encore que ces opérations doivent s’accomplir en lui avec une grande rapidité, la promptitude de décision étant presque toujours à la base du geste sportif. Or ce sont les éléments essentiels du sens critique de sorte qu’on serait amené à conclure que, toutes choses égales d’ailleurs, le sens critique se développe mieux et plus vite chez le sportif que chez le non-sportif. Il n’y a rien d’exagéré à le prétendre et l’expérience de ceux qui sont à même d’en faire la constatation tend à confirmer l’assertion.

L’action sur les habitudes de pensée et de langage[116] est plus malaisée à saisir, plus subtile et surtout moins générale. Le sport incline volontiers à un certain réalisme et contredit par là la tendance à l’hyperbole qui est un défaut fréquent chez les jeunes ou chez les races méridionales. Il impose souvent le silence ; il dispose à la proportion mentale ; il peut même donner à l’esprit un penchant pour certaines doctrines philosophiques ; stoïcienne d’abord[117] ; fataliste aussi, encore que le fatalisme sportif, devant rester propre à l’action, se dose toujours de résolution et d’espérance. Mais toutes ces influences ne s’exerceront de façon sensible que pour autant qu’elles ne seront pas trop contrariées par les particularités individuelles contre lesquelles alors elles se révéleraient impuissantes. De même, sous l’action du sport, le langage pourra devenir plus sobre, plus contenu et, par là, le style prendre certaines qualités de vigueur et de concision. Mais ici, il y a un péril inverse ; c’est celui de la vulgarité envahissante de l’argot sportif. À vrai dire, l’argot sportif n’est pas le pire — bien loin de là, — de tous ceux qui menacent de nos jours la pureté des mots, le choix des qualificatifs et le dessin de la phrase, non seulement en français mais dans la plupart des langues civilisées. L’argot commercial et celui qu’on peut appeler l’argot « scientifique » exercent de bien autres dommages. Il n’en reste pas moins qu’à côté de quelques expressions heureusement imagées, le sport n’a pas embelli le langage, moins par sa faute que par celle des sportifs qui oublient de se surveiller et desservent ainsi la cause qui leur est chère.

Action sur le tempérament, le caractère
et la conscience.

Cet attelage indissoluble traîne l’homme à travers la vie. La pédagogie n’y prend point assez garde. Là où elle devrait se proposer d’exercer un contrôle d’ensemble, elle agit d’ordinaire de façon fragmentaire et, partant, inefficace. Sur le terrain sportif, l’action d’ensemble est facilitée comme nous l’allons voir par la façon même dont elle s’exerce.

i. — En ce qui concerne le tempérament, le sport intervient sous trois formes dont l’importance varie selon l’âge du sujet. Le plus grand service que le sport puisse rendre à la jeunesse, c’est d’empêcher chez elle le vagabondage de l’imagination et de la maintenir non dans l’ignorance mais dans l’indifférence à l’égard de ce qui menace d’éveiller en elle un sensualisme prématuré. On fait intervenir à tort ici des considérations climatologiques ou ethniques dont l’influence est minime. La nature a disposé sagement que l’éveil des sens, chez l’éphèbe, serait tardif mais la nature est contrariée de trois manières sur ce point par la civilisation laquelle tend d’abord à imposer à l’éphèbe une existence trop sédentaire, ensuite lui inflige le redoutable contact d’une littérature imprégnée d’érotisme et enfin ne lui fournit pas le moyen de satisfaire son désir normal d’affirmer sa virilité prochaine en imitant l’adulte qu’il est pressé de rejoindre[118]. Cette hâte est de tous les temps. Autrefois elle pouvait se satisfaire par la guerre. Mais le monde moderne, en régularisant le militarisme et en fixant l’âge d’admission au régiment, a mis fin à ces engagements prématurés et aventureux. Il ne resterait donc que l’amour s’il n’y avait le sport qui, en permettant à l’adolescent de se comparer à l’homme, le passionnera sainement et constituera l’aliment rationnel de son imagination.

Que si nous passons maintenant à l’adulte, un point de vue nouveau apparaît. Il faut à celui-ci une certaine dose de volupté et la volupté, ce n’est pas le bien-être, c’est le plaisir physique intensif[119]. Or le sport produit du plaisir physique assez intensif pour être qualifié de voluptueux. Nombre de sportifs l’attesteront ; il atteint volontiers le double caractère impérieux et troublant de la passion sensuelle. Sans doute, tous ne l’éprouvent pas à ce degré. Il y faut certaines qualités corporelles d’équilibre ainsi que l’ardeur durable et aussi l’absence de préoccupations étrangères et de retenue qui est à la base de toute exaltation des sens mais cette exaltation, tel nageur, tel cavalier, tel escrimeur, tel gymnaste vous diront qu’ils l’ont souvent ressentie. Ainsi l’ivresse de la vague, du galop, du combat, du trapèze… n’est rien moins qu’une ivresse de convention. Elle est à la fois réelle et définie ; elle a cette supériorité qu’elle n’est jamais artificiellement provoquée par l’imagination et rarement déçue par la satiété. Il existe donc une volupté sportive qui pacifie les sens, pas seulement par la fatigue mais par la satisfaction. Elle ne se borne pas à les neutraliser. Elle les contente.

Enfin voici un troisième point de vue qui s’applique au besoin à l’adolescence mais surtout à l’âge adulte et encore à l’âge mûr. Il est une passion à visages multiples dont le rôle dans la vie est beaucoup plus considérable qu’il n’y paraît tout d’abord ; c’est la colère. Colères diffuses contre les injustices, la malchance, les malentendus… colères contre soi-même aussi, faites d’aveux et de regrets… colères souvent sans éclats mais dont les conséquences n’en sont que plus durables et plus profondes. Les sources d’alimentation sont nombreuses : instincts comprimés, sentiments méconnus, occasions manquées,… mais les résultats sont toujours les mêmes, à savoir : l’aigreur concentrée ou la violence habituelle, les fausses manœuvres, le mécontentement de soi et d’autrui, le jugement obscurci, le geste dévié. À l’heure actuelle, la colère est partout dans le monde : elle trouble à la fois le foyer familial et les institutions sociales ; elle compromet à la fois le repos de l’individu et la paix publique. Or le sport est le plus grand « apaiseur » qui soit. Nulle recette supérieure n’existe pour faire tomber l’irritation, dissiper la mauvaise humeur, redresser le cours des idées, replacer l’organisme au service du vouloir. « L’homme exaspéré qui brise une chaise se calme aussitôt mais au dépens du meuble détruit et de sa dignité diminuée. Qu’il recoure à l’exercice intensif : l’effet sera le même, mais rien ne sera détruit ; au contraire une force précieuse aura été produite et emmagasinée. Théodore Roosevelt savait cela lorsqu’au début de sa carrière politique, ayant sous sa juridiction la police de New-York, il osa ouvrir des salles gratuites de boxe dans les quartiers mal famés ce qui amena une diminution immédiate et considérable des rixes sanglantes dont cette portion de l’énorme cité était journellement le théâtre[120]. »

ii. — La question étant ainsi « déblayée » de tout ce que, sous une forme ou sous une autre, y mêlent les sens, nous sommes plus aptes à étudier les répercussion possibles[121] du sport sur le caractère. Le sport ouvre à cet égard deux sources précieuses de perfectionnement. Il ne peut en effet s’accommoder ni du mensonge, ni du découragement. L’antinomie du mensonge et du sport découle de cette nature mathématique et réaliste des résultats sportifs sur laquelle nous insistions tout à l’heure. Elle est absolue. Un sportif ne peut tricher utilement ni avec autrui ni avec soi-même ; le chiffre et le fait sont là et leur relief brutal le rappelle au culte de la vérité. De même, se décourage-t-il, le plus lourd des handicapages pèse sur lui ; il ne réussira jamais qu’à condition de surmonter toute velléité de défaillance prolongée et ce n’est qu’à doses de volonté distillée que ses progrès s’inscriront en une courbe satisfaisante.

Une autre répercussion du sport sur le caractère vient du dosage des qualités contraires dont le sportif a besoin. Il faut à celui-ci de l’audace et de la prudence mélangées, c’est-à-dire, en l’espèce, de l’élan et du calcul. Il lui faut de la méfiance et de la confiance, c’est-à-dire une claire notion des difficultés et pourtant la foi qu’il en viendra à bout. Sans doute ce dosage est toujours imparfait ; le penchant de l’individu l’emporte d’un côté ou de l’autre. Cela est si vrai que, lorsque des scolaires encouragent des camarades au départ d’un concours sportif, on les entend crier à l’un : « vas-y » et à l’autre : « méfie-toi ». Ils trouvent d’instinct la parole propre à rectifier la balance chez le concurrent enclin à être trop calculateur ou trop osé, trop confiant ou trop méfiant. N’empêche que cette particularité du sport d’exiger la collaboration de qualités contraires souligne sa valeur comme instrument pédagogique. Les autres instruments pédagogiques n’ont pas, en général, la possibilité de s’employer à créer de l’équilibre direct ; ils y procèdent, si l’on peut ainsi dire, par des effets alternatifs.

Il y a chez le sportif une certaine obligation d’impassibilité qui est fortement éducative. Un sportif qui laisse transparaître la moindre contrariété paraît un peu choquant ; un sportif qui laisse transparaître la moindre souffrance scandalise. Si le sport lui a fait des épaules larges, c’est aussi pour porter les ennuis et s’il lui a fait les muscles solides, c’est pour faire taire ses nerfs et le rendre maître chez lui. Ainsi raisonnent inconsciemment les voisins ; et ils sont dans le vrai[122]. Soyez attentifs, vous remarquerez que l’enfant déjà en a parfaitement conscience ; dès qu’il a revêtu son premier costume de sport, il se sent sous une manière d’empreinte virile qui lui impose une attitude déterminée, qui le force à donner l’illusion du courage et du calme, même s’il n’en possède pas la réalité. Mais cela est fugitif et imprécis. C’est à l’éducateur à tirer profit de cette disposition d’être, à la souligner, à y appuyer. S’il n’y songe pas, c’est qu’il est inférieur à son métier.

Y a-t-il des revers à la médaille ? Le sport qui procure ainsi d’heureuses occasions d’influer sur le caractère ne risque-t-il pas d’y introduire aussi de mauvaises germes ? Le goût de la force brutale, par exemple ?… On l’a dit. C’est un thème commode pour ceux qui ne savent pas ce que c’est que le sport et n’y voient que plaies et bosses. Le sport donne bien le goût de la force, mais de la force cultivée, travaillée, contrôlée et honnêtement utilisée. C’est là un goût qui est sain et dont une civilisation tire plus de profits que d’inconvénients. Non ; s’il y a un péril à redouter, il est d’une autre nature. Nous l’avons déjà rencontré sur la route : c’est le goût des applaudissements. Il est dévoyeur et corrupteur au premier chef. C’est assez que le champion y soit exposé, le champion dont l’existence est nécessaire au progrès de la collectivité. Que du moins le concurrent ordinaire, le scolaire surtout, en restent préservés. Pour en finir avec cette question déjà traitée ci-dessus, plus on arrivera à diminuer autour du sportif les contacts malsains de la publicité et à réduire aux circonstances solennelles le crépitement dangereux des acclamations, plus la renaissance sportive actuelle aura chance de durer et d’accomplir jusqu’au bout sa mission régénératrice.

iii. — Tout sportif qui veut sérieusement le perfectionnement est amené à s’examiner et ainsi que nous l’avons déjà dit, à mettre en pratique le Γνῶθι σεαυτόν des Anciens ; seulement son examen demeure physique et éventuellement psychique. Il y a assez loin de là à l’inspection morale de la conscience et pourtant l’instrument est le même. Ce ne sont que l’objet et la nature des observations qui diffèrent. Le mécanisme de la conscience est celui d’un tribunal dont il faut tenir les rouages éveillés ; il repose sur la notion toujours présente de l’imperfection. Or, en sport, cette notion s’impose avec un relief singulier. Quel est le sportif, à moins d’une victoire trop facile, qui ne se demande, au sortir de l’épreuve, s’il n’aurait pu faire encore mieux, ou ne cherche à se rendre compte, en cas de victoire disputée, à quel moment et pourquoi il a failli perdre. Il relève les infériorités qui sont à sa charge et celles dont il ne se croit pas responsable. Les unes et les autres viennent enrichir son expérience et préparent directement de la sorte l’amélioration de ses performances futures. Eh bien ! tout cela n’est-il pas transportable sur le terrain moral et de telles habitudes d’esprit appliquées à des faits moraux ne constituent-elles point un instrument de progrès d’une incontestable valeur ? Encore faut-il que la cloison assez épaisse qui sépare les deux domaines soit jetée bas. L’éducateur ne s’en avisant guère, ce n’est pas généralement le sportif qui y songera de lui-même ; ainsi la cloison subsiste tout du long de la vie sportive de l’individu. Il n’en demeure pas moins que l’examen de conscience — seul véritable moyen de perfectionnement moral pour l’homme — possède dans le sport comme un jardin d’essai où l’habitude se prendrait aisément des gestes nécessaires. Et c’est là une possibilité de très grandes conséquences. À la pédagogie d’en profiter.

Action sur les rouages sociaux.

Le lien entre l’effort individuel et la force collective était bien connu des Anciens. Civium vires, civitatis vis disaient les Romains en leur langage lapidaire. Formule excellente mais qui demande cependant à être corrigée. C’est « civium vires hodie, cras civitatis vis » qu’il faudrait dire. En effet les forces acquises aujourd’hui par les citoyens feront demain la force de la cité. Ainsi s’introduisent la loi d’évolution et la loi de patience dont la connaissance et l’acceptation sont à la base de toute sagesse politique. La saine sportivité d’une jeune génération prépare les succès nationaux de celle qui la suit immédiatement[123].

La coopération.

Le premier des rouages sociaux sur lesquels agit le sport est la coopération. L’enfant entre en contact avec elle dès son plus jeune âge en prenant ses ébats avec ses petits camarades. Mais le principe en est alors rudimentaire et il risque de le rester. La coopération ne se complète qu’en se compliquant et les qualités qu’elle requiert ne s’apprennent qu’à l’usage. L’école de la vie y pourvoit sans doute mais fort lentement et fort inégalement. L’adolescent en particulier ne rencontre que peu d’occasions de s’y exercer et il le fait toujours avec gaucherie et maladresse. Le sport est le seul terrain qui permette un apprentissage rapide et homogène en même temps que gradué par l’introduction successive d’éléments nouveaux. Ainsi en arrive-t-on progressivement en sport jusqu’à l’équipe de foot-ball, ce groupement qui, une fois au point, constitue probablement le prototype le plus parfait de la coopération humaine : coopération volontaire, dépourvue de sanction, basée sur le désintéressement — et, pourtant, solide et savamment « articulée » en toutes ses parties[124].

La coopération sportive possède des caractères qui font d’elle une sorte d’école préparatoire à la Démocratie. En effet l’État démocratique ne peut vivre et prospérer sans ce mélange d’entr’aide et de concurrence qui est le fondement même de la société sportive et la condition première de sa prospérité. Point d’entr’aide et l’on verse dans un individualisme brutal qui mène à l’anarchie ; point de concurrence et c’est l’affaiblissement des énergies conduisant à la somnolence collective et à l’abdication. Toute l’histoire des démocraties est faite de la recherche et de la perte de cet équilibre essentiel et aussi instable qu’essentiel. Mais quelle est, en pédagogie, l’institution capable d’y préparer d’une façon directe ? On s’efforcerait vainement de la trouver en dehors du sport.

Même observation pour ce qui concerne l’égalité. La coopération sportive fait bon marché des distinctions sociales. Les titres de noblesse ni les titres de rentes qu’il possède n’ajoutent quoi que ce soit à la valeur sportive de l’individu. Mais, d’autre part, si les démarcations établies par les hommes en sont exclues, on ne saurait badiner dans les groupements de sport, avec les distinctions imposées par l’inexorable nature. Sans doute (et c’est là ce qu’il y a de supérieurement moral dans l’entraînement) la volonté et la persévérance, l’effort énergique et réfléchi parviennent à suppléer dans une certaine mesure à ce que la nature n’a point donné et ainsi ses décisions peuvent être atténuées ou redressées en quelque manière, mais les avantages qu’elle a décrétés en faveur de tel ou tel demeurent avec toute l’apparente injustice dont elle est prodigue envers l’homme. Nulle part l’inégalité naturelle et l’égalité sociale ne se trouvent donc combinées aussi ouvertement ; et la leçon qui s’en dégage est bonne à recevoir et à méditer.

La défense.

À peine est-il besoin de marquer les liens entre le sport et le service militaire. Ces liens ne pouvaient demeurer longtemps inaperçus dès lors que le service à court terme s’établissait partout dans le monde. Les armées de métier d’autrefois non seulement redoutaient un apprentissage préalable portant à faux comme celui des bataillons scolaires, mais s’accommodaient volontiers de garçons non dégrossis pourvu qu’ils fussent solidement constitués. Leurs chefs, ayant le temps, préféraient la table rase à tout commencement d’entraînement. Ils se chargeaient d’éduquer entièrement leurs hommes, à leur guise. De nos jours on apprécie au contraire[125] le dégrossissement opéré par les sports. C’est autant de gagné sur le temps réduit dont on dispose. Peut-être même va-t-on un peu trop loin dans la voie nouvelle. Mais la chose est fort compréhensible au lendemain d’une guerre qui a illustré d’une façon si saisissante et probante la valeur des sports comme instrument de préparation militaire. Nul, même parmi les plus fervents adeptes de ceux-ci, ne s’attendait à voir surgir en Angleterre et aux États-Unis des armées nombreuses et redoutables auxquelles ils avaient servi de pourvoyeurs et dont ils avaient rendu possible l’improvisation d’une rapidité quasi-miraculeuse.

La famille.

Il y a deux conceptions de la famille : celle dans laquelle les rapports entre parents et enfants sont basés sur la distance volontairement maintenue et même accrue dans la pensée de provoquer le respect — et celle dans laquelle ces mêmes rapports visent à atténuer cette distance dans le désir d’accroître et de consolider l’union et d’aboutir même à une sorte de collaboration entre les générations successives. Il va de soi que le sport ne joue aucun rôle dans le premier cas ; mais dans le second son rôle est considérable[126]. Le rapprochement cherché sera toujours un peu artificiel, la jeunesse et l’âge mûr n’ayant point la même façon de penser ni le même bagage d’informations et chaque génération étant généralement dominée par des préoccupations qui lui sont propres et la différencient de sa devancière. Sur le terrain sportif seulement, le rapprochement est tout à fait naturel et s’opère sans effort.

Un second point de vue est à considérer, celui du mariage et du nouveau foyer que le sportif créera pour lui-même. Le sport l’incitera-t-il ou non à cette création ? La hâtera-t-il ? La rendra-t-il plus saine et plus solide ? Sans rien exagérer ni se payer d’illusions, on peut répondre : oui. On le pouvait du moins avant la guerre[127]. La vague d’immoralité et de débauche que la guerre a déchaînée ne doit pas infirmer la confiance qui naissait alors, mais elle prouve toutefois qu’il s’agit d’influences fragiles et, si l’on ose ainsi dire, aisées à effaroucher. L’action moralisatrice du sport, en ce qui concerne le mariage ne peut s’exercer en force et en étendue que pour autant qu’elle ne soit pas contrariée par une opinion dévoyée et une littérature faisandée. Dès que, dans le monde actuel, se sera réalisé à cet égard un double retour à la raison et au bon goût, les sportifs seront à même de prouver par leur exemple qu’effectivement l’activité musculaire tend à ramener l’homme à la normale dans la conduite de sa vie.

Le métier.

On pourrait croire que le sport incline la jeunesse vers certains métiers, par exemple vers l’agriculture, l’art forestier, les travaux en plein air. Il n’y paraît pas. On ne saurait même indiquer qu’il l’incite aux carrières d’expansion, à la vie coloniale, à l’exploration, aux entreprises lointaines. La politique a plu à certains sportifs au point qu’il leur est arrivé de l’identifier avec le sport ; beaucoup d’autres, par contre, lui marquent un éloignement insurmontable. Ainsi, malgré que ce soit étrange, on ne saisit pas de corrélation habituelle entre l’activité musculaire intensive et le choix d’une carrière. Peut-être est-ce précisément pour les motifs exposés plus hauts : à savoir que le geste sportif demeure trop souvent isolé au milieu de la personnalité et que les germes qu’il y dépose ne sont pas utilisés par l’éducateur comme ils pourraient l’être. S’il en est ainsi, le développement de la pédagogie sportive pourrait peu à peu amener des modifications intéressantes dans ce domaine.

Répercussions sur la question sociale.

Il en est de plusieurs sortes ; deux surtout appellent l’attention. On est généralement d’accord pour considérer que la question sociale ne peut être résolue ni même utilement abordée sans qu’un effort énergique dans le sens de l’antialcoolisme[128] ne soit tenté préalablement ou tout au moins simultanément. Mais les armes dont on dispose pour lutter contre l’alcoolisme, pour directes qu’elles soient, ne valent pas l’arme indirecte, qui est le sport. L’abstentionniste, même engagé par serment, n’échappe guère à la tentation ; très souvent, incertain sur sa force de résistance, il tâche surtout de fuir les occasions de rechute ! Rien de pareil avec le sport. Ni serment, ni méfiance n’interviennent. Le sportif reste libre de s’alcooliser à son gré. Seulement s’il s’alcoolise, il n’est plus sportif. Ceci est un fait. Un excès passager n’abattra pas l’élasticité du sportif mais tout excès répété en aura très vite raison. Or cette qualité d’être et de se sentir « élastique » est ce par quoi le sport tient l’homme. La joie de l’élasticité est la base de toutes les joies comme de toutes les possibilités sportives. Pour la conserver ou la retrouver, le sportif qui reconnaît vite en l’alcool son pire ennemi n’hésite pas à le répudier. La grande erreur des sociétés antialcooliques est de n’avoir pas saisi la portée de ce fait et de n’être pas appuyées délibérément sur le sport.

Un second point par lequel le sport touche à la question sociale, c’est le caractère apaisant qui le distingue et que nous avons déjà relevé à plusieurs reprises. Le sport, avions-nous dit, détend chez l’homme les ressorts tendus par la colère. Or qu’est la question sociale à bien des égards, sinon le produit d’une agglomération de « ressorts tendus par la colère » ? C’est pourquoi, il n’y a pas lieu de s’émouvoir parce que des sociétés sportives uniquement composées de travailleurs manuels refusent de laisser leurs membres se mesurer avec des « bourgeois ». Ce qui importe, ce n’est pas, comme on le répète à tort, un contact matériel dont, à l’heure actuelle, ne saurait résulter aucun rapprochement mental ; c’est bien plutôt l’identité du plaisir goûté. Que la jeunesse bourgeoise et la jeunesse prolétarienne s’abreuvent à la même source de joie musculaire, voilà l’essentiel ; qu’elles s’y rencontrent, ce n’est présentement, que l’accessoire. De cette source découlera, pour l’une comme pour l’autre, la bonne humeur sociale ; seul état d’âme qui puisse autoriser pour l’avenir l’espoir de collaborations efficaces.

L’art et le sport.

Le sport doit être envisagé comme producteur d’art et comme occasion d’art. Il produit de la beauté puisqu’il engendre l’athlète qui est de la sculpture vivante. Il est occasion de beauté par les édifices qu’on lui consacre, les spectacles, les fêtes qu’il provoque.

Athlètes et artistes.

L’art antique s’est servi de l’athlète avec abondance et perfection mais de l’athlète au repos. Il s’est abstenu de le reproduire au plein de son effort et a persévéré dans cette abstention d’une façon si obstinée qu’elle en est déconcertante. Pourquoi ?… L’effort athlétique contracte le visage de l’homme et l’enlaidit généralement ; la photographie instantanée ne laisse guère de doute sur ce point. Mais, outre qu’il existe certaines exceptions dont on aurait le droit de se prévaloir, cette laideur n’est point de celles qu’on se garde d’interpréter car elle est pleine de vie et de puissance. Si jadis l’artiste a considéré qu’elle déparait le corps dont il s’efforçait à modeler les lignes pures, son successeur n’est nullement tenu d’adopter les mêmes vues[129]. Et certainement, ce n’est pas à notre époque qui fuit le « classique » avec une terreur parfois comique que de pareils scrupules auraient cours. Il faut rechercher ailleurs la cause de l’inattention que l’artiste et l’athlète modernes se prêtent l’un à l’autre. Il faut la chercher dans l’absence de contact organisé entre eux et dans les préjugés dont le premier continue de s’embarrasser concernant le choix de ses sujets. À cette méfiance de la ligne qui, aujourd’hui, entrave si volontiers les envolées du peintre et du sculpteur se joint le penchant à traduire des impressions compliquées et inhabituelles, des rêves hésitants ou imprécis. Or l’athlète est la plus concrète des réalités ; chacun de ses mouvements s’affirme avec une netteté autour de laquelle le pinceau ni le ciseau ne sauraient biaiser ou s’attacher à créer du doute.

Mais d’une part, les événements contemporains tendent à rendre aux réalités le prestige qu’elles n’avaient plus et, de l’autre, le corps humain recèle tant de beauté que, malgré lui, l’artiste s’y laisse ramener lorsque des exemplaires parfaits lui sont présentés. Tout se réduit donc, en fin de compte, à une question de rencontre. Où se rencontrer ?… Les salles d’armes ou de boxe n’y étaient point propices, le gymnase guère davantage surtout alors que l’habitude y persistait de vêtements inutiles. Mais maintenant que nous avons le stade, il semble qu’il soit facile d’y inviter les artistes. Sans doute ne tarderont-ils point à en découvrir le chemin. Il serait quand même opportun de les y appeler et surtout d’y faciliter leurs études… de les encourager aussi. Pourquoi des expositions d’art sportif n’accompagneraient-elles pas les manifestations musculaires dont les athlètes, pendant l’entraînement, auraient servi de modèles ?…

Édifices et jardins.

Les Américains sont les premiers dans le monde moderne à s’être avisés que les lieux consacrés à la culture musculaire pussent, sans nuire aux exigences techniques se revêtir de quelque beauté. Ils n’y ont pas complètement réussi. Les architectes ont tant construit de gares de chemins de fer, d’hôtels des Postes et de Casinos qu’ils arrivent difficilement à s’échapper des silhouettes habituelles à ces monuments. Ils s’attardent à concevoir de grandes halles où ni l’esthétique ni la technique ne trouvent leur compte. Leur idée semble toujours de réunir le plus de sports possible sous les yeux du plus grand nombre possible de spectateurs. Mais ce n’est là qu’une préoccupation de festival pour ainsi parler. Le gymnase grec ou les thermes romains ne visaient point à remplacer le stade ou le cirque. Ce qu’il nous faudrait maintenant, ce sont des projets de clubs équestres, nautiques, gymniques… moitié à couvert, moitié à l’air libre avec la possibilité d’y adjoindre d’autres sports si le club étend son programme d’action : des sortes de petites cités d’athlétisme en pierre, en briques, en bois… en terrain plat ou en terrain accidenté : projets pratiques, variés en même temps qu’originaux et artistiques ; ou bien alors des parcs sportifs avec les édifices indispensables, ouverts à tous et destinés à la population tout entière. Cela n’empêchera pas par ci par là de présenter des plans d’« Olympies modernes[130] » lorsque les architectes se sentiront en veine d’en suggérer l’édification à quelque municipalité sans déficit ou à quelque milliardaire sans héritiers.

Décoration.

C’est un vaste sujet ; il a été traité ailleurs avec l’ampleur désirable[131]. Ici nous ne pouvons qu’en indiquer en passant les principales directives. Il existe bien des instruments de décoration ; ils se ramènent pourtant à ceux-ci : le drapeau, l’oriflamme, le pavois, la guirlande, le massif, l’écharpe, le velum, le trophée, le treillage, la frise… Il est difficile de sortir de là. Mais que n’existe-t-il pas de diversité dans la façon d’utiliser ces objets et quels effets différents sont produits selon que sont observées ou non les lois très simples qui en régissent l’emploi. On aurait tort d’y voir une question d’argent. On dépensera tout l’argent que l’on voudra ; si ces lois ont été méconnues, l’impression esthétique ne se produira pas. En général, c’est l’absence de proportion qui choque les regards. La proportion et la mesure devraient être partout ; elles risquent de n’être nulle part tant il est facile de les heurter. Elles gisent dans la rencontre de certaines lignes, dans le contraste de certaines couleurs ou le plan de certaines surfaces. Un rien suffit à les déplacer et les force à s’évanouir. Il est des règles générales comme celle-ci : que la décoration d’un monument ne doit jamais en épouser la silhouette[132] ; mais, en plus, il faut qu’un certain instinct aide à les bien appliquer. La façon de dresser et de draper une tribune, la forme à lui donner, l’accès à y ménager… tout détail a sa valeur et doit être examiné en confrontation avec les détails voisins. Ainsi seulement, et non par la richesse ou l’éclat des matériaux employés, arrive-t-on à composer des décorations eurythmiques.

Cortèges.

Rien de plus défectueux — et souvent ridicule — qu’un cortège moderne. Il lui manque à la fois l’aisance et la conviction individuelles, la concordance de l’ensemble et l’apport des accessoires, c’est-à-dire des costumes et du cadre. C’est là ce que possédaient les Anciens ; il serait puéril de s’imaginer qu’ils détinssent le secret d’une beauté perdue qui suffisait à rendre chacun de leurs gestes gracieux ou approprié ; ce sont là des mirages que le recul de l’histoire provoque et dont on doit se méfier. Ils atteignaient au résultat cherché par leur éducation première et aussi par l’observation de règles générales auxquelles nous sommes aptes à revenir sans trop de peine. La première était assurément de ne point abuser des cortèges et de ne les organiser que lorsqu’on était en mesure de leur assurer l’ampleur nécessaire. La seconde, d’en toujours approprier l’évolution au cadre dans lequel elle était appelée à se dérouler. Sans doute, il nous manque les portiques, les escaliers, les terrasses… mais qu’est-ce qui nous empêche de les rétablir ? L’architecte moderne a tout à fait perdu le sens de « l’utilisation des niveaux différents » mais il n’a pas besoin de remonter au Parthénon pour le retrouver ; Versailles le lui rendra. Cela ne suffirait pas d’ailleurs à assurer la perfection d’un cortège ; il faut, avant tout, que chacun de ceux qui le composent y sache jouer son rôle et, le sachant, prenne plaisir à le remplir. Aujourd’hui, en dehors des alignements militaires, nul ne sait marcher, se tenir, se grouper : la conscience de cette ignorance rend gauche. Quant au costume civil, il annihile d’avance toute possibilité de beauté : mais les vêtements de sport la restituent.

Harmonies.

La question de l’encadrement musical d’une manifestation musculaire ne se confond aucunement avec les problèmes que peut soulever l’organisation d’un festival de plein air. Il faut alors de puissants orchestres et de grandes masses chorales par la raison que la musique étant la seule raison d’être de telles réunions, doit concentrer sur elle toute l’attention et en elle toutes les énergies. Dans le premier cas, au contraire, elle n’est que l’ornement, le feston. Ce qui importe alors bien plus que la puissance des sons, c’est leur rythme. Évitez les rythmes guillerets, vulgaires ou simplement trop usagés. Le grave, le lent feront infiniment plus d’effet. Si vous avez des cuivres, éloignez-les de façon à en estomper les résonances agressives. Si vous n’avez qu’une poignée de chanteurs, rapprochez-les des spectateurs ; placez-les même au centre des tribunes, si nécessaire. À tout orphéon préférez toujours le chant choral. Si vous avez le moyen d’alterner le chant avec des sonneries de trompes de chasse lui répondant de loin, n’hésitez pas. C’est l’effet le plus eurythmique que vous puissiez attendre.

Distributions de prix.

Écueil fatal sur lequel il est si difficile de ne pas sombrer : cérémonie où le prestige manque généralement et où la vulgarité cherche toujours à s’introduire. Il y faut en tous cas le groupement des lauréats en costumes de sport formant tableau vivant, au centre. Mais si l’on veut qu’en face de leur groupe évocateur de jeunesse et d’aisance, ne détonne pas celui des « officiels » chargés de remettre les prix, la précaution à prendre serait de faire descendre — au lieu de monter — les premiers vers les seconds. L’aménagement d’un large demi-cercle au bas des tribunes permettrait d’agencer la chose. Encore conviendrait-il que des « maîtres de cérémonies » avisés et l’œil aux aguets surveillassent les mouvements d’un chacun. Que si l’autre formule prévaut, la plus grande minutie de détail s’imposera en ce qui concerne les gestes à accomplir et la disposition matérielle de l’estrade, et des marches y donnant accès[133]. L’éloquence est ici bien redoutable ; point de harangues vaudrait mieux ; s’il en faut une, qu’elle soit brève et unique.

La fête du 16 mai 1911.

En donnant cette fête nocturne en l’honneur des lauréats du concours d’architecture auquel nous avons fait allusion plus haut, le Comité International Olympique s’était proposé de montrer aux sociétés sportives par une sorte de leçon de choses, de quelles ressources elles disposent en un domaine dont elles-mêmes ne soupçonnent pas la richesse. Le cadre avait été choisi au centre du vieux Paris ; c’était la grande cour intérieure du Palais de la Sorbonne, dont la nuit vient accroître encore la prestigieuse beauté. Une société de gymnastique et une société d’escrime du quartier fournirent les acteurs et les figurants au nombre d’une centaine ; une société chorale, les chanteurs. Un petit orchestre professionnel se dissimula avec ces derniers derrière de grands massifs de verdure appuyés aux statues de Pasteur et de Victor Hugo. Les marches qui s’étendent entre ces statues délimitaient la scène ; au fond, le péristyle de la chapelle de Richelieu. Une rampe électrique et quelques foyers permettaient les jeux de lumière désirables. Dans la partie réservée au public et maintenue dans une ombre complète, de simples chaises de jardin. Sur la scène, ni décors ni accessoires ; les gymnastes dans leur tenue habituelle de travail, portant des torches et de grandes palmes alternées, dessinaient un demi-cercle autour de ceux de leurs camarades qui, presque nus, interprétaient un programme d’exercices très simples et très lents… Au cours de cette soirée dont le programme singulièrement varié ne peut être résumé ici, quelques gymnastes représentèrent la « moralité » écrite pour la circonstance par Maurice Pottecher et dans laquelle se trouvait encastrée une passe de lutte[134]. La foule s’écoula tandis que l’harmonie d’un chœur de Rameau montait vers la vieille façade historique sur laquelle des flammes de bengale jetaient des lueurs d’incendie. Pendant ces heures inoubliables, le maximum d’eurythmie avait été atteint avec le minimum de frais[135] et par les moyens les plus simples.

Sur l’évocation de cette vision de beauté sportive, nous terminerons ce bref aperçu des contacts possibles de l’art et du sport — et en même temps notre excursion à travers le domaine de la pédagogie sportive. Puissent de nombreux éducateurs y pénétrer et s’y établir. Ils trouveront là un solide levier pour travailler au bien de la jeunesse et la rendre — selon la formule par laquelle est proclamée la clôture solennelle des Jeux Olympiques — « toujours plus ardente, plus courageuse et plus pure ».

  1. Dans les attributs du dieu Vischnou figurent une massue et une espèce de disque dans lesquels on a prétendu voir une évocation de l’idée sportive. La chose est inadmissible, cette idée paraissant totalement étrangère aux conceptions philosophiques hindoues.
  2. Les conditions iraniennes y étaient favorables et sans doute aussi l’esprit Aryen si enclin au culte de l’équilibre humain. Il ne serait pas surprenant que l’idée sportive eut existé en germe chez les Aryens primitifs, mais nous n’en savons rien.
  3. Ces étapes auraient été en moyenne de douze lieues (communication de M. Maspero). On possède un document dans lequel un Égyptien se vante d’avoir appris à nager ; ce qui prouve que la chose n’était pas fréquente.
  4. « Les dieux sont amis des Jeux », disait Pindare.
  5. Il est improbable que les Anciens n’aient jamais songé à envelopper le poing pour le rendre relativement inoffensif. Remarquons, en effet, que le gant de boxe peut être remplacé, bien que de façon imparfaite, par n’importe quel morceau d’étoffe enroulé autour du poing ; dès lors cette pratique a dû exister dans l’antiquité.
  6. Avant d’être poète tragique, Euripide avait été champion du pugilat.
  7. Le texte de cette convention gravé sur un disque se voyait encore à Olympie au iime siècle après Jésus-Christ.
  8. La longueur du « stade » (unité de longueur) variait. On distinguait à côté du stade olympique, le stade attique, l’asiatique, (celui d’Hérodote et de Xénophon, de 147 mètres), le routier (de 157 m.).
  9. Il y eut par la suite des courses de chevaux, de poulains et même de mulets. On se demande si les questions d’élevage ne jouèrent pas un rôle à Olympie.
  10. Le fameux Thayllos de Crotone dont Hérodote conte les exploits et qui prit part à la bataille de Salamine était un champion de saut qui gagna en outre deux pentathlons et une épreuve de course, fait évidemment très rare. On a calculé que son record de saut était d’à peu près 16 m. 30, ce qui indiquerait un triple saut.
  11. À l’occasion du 25me anniversaire du rétablissement des Jeux Olympiques (1919) le gouvernement Hellène a promis d’ériger une stèle commémorative de ce rétablissement au centre des ruines d’Olympie.
  12. Un concurrent aux Jeux Isthmiques promit 300 drachmes à son concurrent le plus redoutable pour le laisser gagner, puis refusa de les payer déclarant qu’il aurait gagné de toute façon. L’affaire causa grand scandale.
  13. Le cirque romain était ovale et différait donc essentiellement du Stade grec. Pourtant les Grecs avaient aussi pratiqué la forme elliptique. Si les stades d’Olympie, de Delphes, d’Épidaure, d’Athènes, de Messène, de Cibyra en Lycie affectent la forme classique, celui d’Aphrodisies en Carie est elliptique. Les principaux cirques de Rome étaient le Maximus qu’on prétendait dater de Tarquin, le Flaminius, bâti en 220 avant Jésus-Christ, l’Agonalis édifié par Alexandre Sévère, le Vaticanus dans les jardins de Caligula, mais surtout l’amphithéâtre Flavien au Colisée, bâti par Vespasien.
  14. Voir le Reflet de l’athlétisme dans les œuvres d’Horace (Revue Olympique, janvier 1911). Pourtant Tacite se plaint que la jeunesse « fréquente les gymnases » et un jour que Démétrius le cynique osait s’attaquer à Néron en public, Perse déclare que « la jeunesse musculeuse du prétoire » veut lui faire un mauvais parti mais tout cela s’applique certainement à une minorité où il y a autant de snobs que de convaincus.
  15. L’hippodrome était un stade démesurément agrandi, coupé dans toute sa longueur par la longue plate-forme appelée spina ; il était quasi impraticable à tous autres sports que des courses de chars.
  16. Charlemagne était aussi grand chasseur comme la plupart des princes de ce temps. Un chroniqueur inconnu qui vivait à sa cour nous a laissé de ses chasses une description dont les courtisanesques exagérations n’effacent pas complètement l’intérêt.
  17. Il semble étrange que les Grecs de Provence fortement implantés autour de Marseille et en relations fréquentes avec les Gaulois dont ils étaient aimés ne leur aient pas « appris l’athlétisme ». Mais eux-mêmes l’avaient un peu désappris malgré des circonstances climatériques favorables.
  18. Voir Souvenirs d’Amérique et de Grèce, p. 111-112.
  19. Ce qui n’est pas éclairci concernant les tournois populaires, c’est la question des armures. Une armure de choix faite sur mesure coûtait cher et les tournoyeurs occasionnels ne devaient pas en posséder chacun une. Sans doute pouvait-on en louer comme aussi des chevaux de tournoi soit à des entrepreneurs soit à des chevaliers peu fortunés.
  20. Les règlements rééditaient fréquemment l’interdiction de se faire attacher sur sa selle.
  21. Plusieurs musées contiennent de ces armures de joutes très bien conservées et complètes, notamment celui de Nuremberg. On y peut se rendre compte de la position de la lance soutenue par des crochets. Les Allemands perfectionnèrent grandement la disposition de ces armures.
  22. C’est toujours la France qui est le centre, mais dans tout l’occident et aussi en Allemagne il y a « grands ébats » sportifs.
  23. À Auxerre, tout nouveau chanoine devait offrir à la confrérie un ballon.
  24. Aux États généraux de 1484, on entendit en France un député de la noblesse dire que « la royauté est un office, non un héritage et l’État, la chose du peuple, c’est-à-dire de l’universalité des habitants du royaume » de sorte qu’un Édit ne « prend force de loi que par la sanction des États généraux ». Or en 1614 les nobles déclarent « qu’il y a autant de différence entre eux et le Tiers qu’entre maître et valet ». Toute l’évolution entre les deux époques s’inscrit dans le rapprochement de ces deux faits.
  25. Il y a vingt ans dans mes Notes sur l’Éducation publique, j’avais soutenu à tort la thèse inverse.
  26. Il restait en Allemagne quelque Ritterschulen ou Adels-Akademien où les jeunes nobles pouvaient apprendre l’escrime et l’équitation. À Paris où en 1657 subsistaient encore 114 jeux de paume, il n’y en avait plus en 1780 que 10 et qui déclinaient. En 1839 il n’en restera plus qu’un, sur le point de fermer.
  27. La figure de Ludwig Jahn est une des plus caractéristiques de l’Allemagne moderne dont il fut le précurseur et l’artisan. Son dernier écrit daté des environs de 1848, contenait ces lignes suggestives et révélatrices ; « L’unité de l’Allemagne a été le rêve de ma première enfance, la lumière matinale de mon adolescence, la splendeur ensoleillée de mon âge viril ; elle demeure l’étoile du soir qui guide encore mes pas au seuil de l’éternel repos. »
  28. C’est alors que fut fondée la Deutsche Turnerschaft dont les 15 divisions régionales englobèrent l’Autriche et atteignirent en 1914 un effectif de 1.456.000 membres dont 68.000 femmes.
  29. L’œuvre de Nachtegall, lui-même élève de l’Allemand Guths Muths, paraît avoir été considérable ; il créa de nombreux gymnases dont un pour femmes que fréquentèrent plusieurs milliers d’élèves ; et dès 1803 il persuada au gouvernement danois d’annexer à chaque école communale un terrain d’exercice.
  30. On peut en juger par sa théorie des « trois manifestations vitales » d’après laquelle le système nerveux joue dans le corps humain le rôle dynamique, la circulation du sang le rôle chimique et le système musculaire le rôle mécanique. Ling considère que ces trois manifestations devant « s’égaler, la prédominance de la manifestation mécanique amènera une maladie d’ordre chimique tandis que la prédominance de la manifestation chimique amènera une maladie d’ordre dynamique ».
  31. Le sens même du mot était perdu. Voir le Dictionnaire du Dr Johnston au mot Athletick.
  32. En 1750, au match dans lequel John Slack, à Londres, abattit Jack Broughton, le duc de Cumberland engagea et perdit 250.000 fr. Ce Broughton n’était pas seulement champion professionnel ; il avait succédé à un certain James Figg qui entre 1719 et 1734 enseignait l’escrime et la boxe s’intitulant Master of ye noble science of Defence ; il paraît avoir surtout formé des prize-fighters.
  33. Cet état de choses se reflète dans les souvenirs d’adolescence de maints écrivains notoires, mais j’ai tenu en 1888 à en faire l’objet d’une longue conversation avec le plus illustre d’entre eux, W. E. Gladstone. Le « grand old man » me confirma et au delà tout ce que j’avance ici.
  34. Le premier Athletic Club fut fondé à Exeter College, Oxford, en 1850 ; cinq ans plus tard St Johns College, Cambridge en créa un autre. Les premiers concours interuniversitaires eurent lieu en 1864.
  35. Ce point de vue encore étranger à beaucoup d’Anglais a été exposé à W. E. Gladstone dans l’entretien que je viens de rappeler ; il y a donné après mûre réflexion, sa complète adhésion.
  36. En 1889, à l’occasion du Congrès des Exercices Physiques annexé à l’Exposition universelle de Paris, une enquête fut faite dans tous les pays anglo-saxons aux fins de savoir sous quel aspect s’y présentait la vie de collège. Plus de 90 établissements d’Australie, du Sud Afrique, du Canada, de l’Inde, de la Jamaïque, de Hong Kong répondirent, donnant l’impression d’une grande unité de vues et d’une fidélité complète bien que généralement inconsciente aux principes posés par Arnold.
  37. Is too much time given to games ? a demandé en 1911 un grand journal anglais s’adressant aux personnalités les plus en vue. Le dossier formé par les réponses est intéressant. La majorité des interrogés conclut que le mal vient à la fois des spectateurs et de la presse, les compte-rendus de celle-ci contribuant à accroitre indéfiniment le nombre de ceux-là ; double élément corrupteur dont souffre le sport et qui annule sa mission éducatrice.
  38. À New-York en 1889, j’ai recueilli à cet égard le témoignage de deux survivants de cette époque, l’illustre général Sherman et le président de l’Institut technologique de Boston, le général Francis A. Walker.
  39. En dernier lieu on a vu M. Carnegie faire creuser à Princeton un grand lac artificiel afin que les étudiants pussent y ramer à l’aise.
  40. D’autre part, M. S. Curtis, secrétaire de la Playground Association of America calculait en 1909 que l’Université Harvard dépensait 5.000 fr. par an et par homme pour ses champions éventuels (environ une centaine) et 20 fr. par homme pour l’éducation physique du reste de ses étudiants.
  41. Certaines peuplades asiatiques le pratiquaient encore sous sa forme embryonnaire ; d’autre part il est décrit en 1689 comme passé dans les habitudes des paysans du district d’Aursperg en Carniole, mais c’est toujours un ski très rudimentaire et non celui que les Lapons et les Norvégiens ont perfectionné.
  42. Les récits de la traversée du Groenland par Nansen ont aidé à populariser le ski sans lequel cet exploit n’eut pu être réalisé.
  43. La Suisse s’y trouvait mieux préparée que toute autre par la diffusion de l’alpinisme, encore qu’assez récente.
  44. La vitesse exerce sur les sports modernes une attraction inconnue des époques précédentes, mais c’est souvent au détriment du rythme. Voir sur cette question du rythme et de la vitesse et aussi à propos de la bicyclette la Revue Olympique de septembre 1909 et mai 1911 ou bien, Essais de Psychologie sportive (Payot).
  45. Je dois renvoyer le lecteur désireux d’en être informé à mon livre Une campagne de vingt-un ans, publié en 1908 et à un article paru dans la Revue hebdomadaire de mai 1917 et qui résume assez complètement la période 1887-1917.
  46. Vers 1890 dans un grand Lycée de Paris, le maître répétiteur qui devait conduire les joueurs de football à un match contre un autre lycée s’étant trouvé souffrant, le capitaine de l’équipe alla trouver le proviseur et engagea sa parole d’honneur de veiller sur ses camarades. « Mon ami, répondit le proviseur, comment voulez-vous que j’accepte la parole d’honneur d’un élève ? » Cet incident synthétise une époque et une doctrine.
  47. Voir notamment les réunions tenues à Liège en 1912 et à Gand en 1913.
  48. Voici en quels termes la Revue Olympique de juillet 1913 appréciait la nécessité des championnats. « Pour que cent se livrent à la culture physique, il faut que cinquante fassent du sport ; pour que cinquante fassent du sport, il faut que vingt se spécialisent ; pour que vingt se spécialisent, il faut que cinq soient capables de prouesses étonnantes. Impossible de sortir de là. Tout se tient et s’enchaîne ».
  49. Voir le volume des travaux de ce congrès (Payot et Cie).
  50. Je renvoie de nouveau à mon livre Une campagne de vingt-un ans et à l’article de la Revue hebdomadaire cité plus haut, ainsi qu’à ceux publiés dans l’Indépendance Belge et dans la Fortnightly Review. Consulter également mes Souvenirs d’Amérique et de Grèce.
  51. La première tentative de concentration sportive s’opéra autour du Congrès des Exercices physiques de l’Exposition de 1889, congrès à l’occasion duquel eurent lieu les premiers concours scolaires ; 150 concurrents pour l’équitation, 375 pour les courses à pied, 137 pour la natation, près de 100 pour l’escrime répondirent à l’appel des organisateurs cependant que les dirigeants des différents sports étaient conviés à discuter de leurs intérêts communs. — Voir aussi la Revue Olympique de décembre 1913, p. 188.
  52. C’est à l’ingénieur danois J. P. Müller qu’il faut faire l’honneur en premier lieu de ce résultat. Sa fameuse campagne en faveur de la nudité sportive a atteint tous les pays du monde où sa brochure traduite en toutes les langues s’est écoulée par centaines de mille.
  53. La diffusion du football en Europe a été aussi rapide que complète. Par exemple dès 1906, le Sport Club Slavia de Prague pouvait mettre en ligne sept équipes.
  54. Commencée en 1901. — Voir le livre du même nom (Alcan), paru en 1905.
  55. On s’apercevra à l’usage que le grand défaut du scoutisme, à côté de tous ses avantages, est d’initier l’enfant de façon trop précoce à une existence virile dont la nouveauté risque de se trouver émoussée pour lui à l’heure où, près de devenir homme, il aurait le plus besoin d’en éprouver l’attrait. Au contraire, le solidarisme des camps scolaires n’est jamais prématuré.
  56. Fondés en 1862 par Miroslav Tyrs, professeur de philosophie à l’Université de Prague, ils se développèrent rapidement. En 1906 ils étaient environ 50.000 en Bohême, 10.000 en Galicie, 4.000 en Pologne allemande, 2.000 en Slovènie et 4.500 en Croatie.
  57. Le régime actuel a donné naissance à un véritable syndicalisme qui, à certains moments s’est montré capable d’une tyrannie complète. On a vu des groupements s’efforcer de rendre la pratique des sports impossible à ceux qui refusaient de s’affilier à eux et parfois des trusts s’établir pour rendre le boycottage de ceux-là plus absolu.
  58. Ces courants se répercutent en tous lieux. C’est ainsi que l’Islande dans son isolement a ressenti, elle aussi, l’action sportive moderne. En l’an 1100 la lutte, sport national, y était fort pratiquée par des membres de l’Althing aussi bien que par les fermiers de l’intérieur. Trois écoles de lutte fonctionnaient et le championnat annuel (Boendaglima) était jour de liesse générale. En 1874, le sport avait à ce point déchu qu’on ne trouva dans toute l’île que deux lutteurs à montrer au roi Christian ix. Or, trente-trois ans plus tard, lors du voyage de Frédéric viii, lutteurs et spectateurs affluèrent comme au temps passé.
  59. Le travail des poids, sport de force par excellence, comporte beaucoup d’adresse.
  60. Voir Essais de Psychologie sportive (Payot et Cie).
  61. Voir mes Notes sur l’Éducation publique (Hachette) et la Revue des Deux-Mondes du 1er juillet 1900.
  62. Voir mes Essais de Psychologie sportive, p. 187.
  63. Cette surprise n’existe pas à un pareil degré même chez le nageur qui se trouve pourtant transporté sans transitions dans un milieu hostile : c’est que sa surprise est extérieure tandis que celle du coureur est en quelque sorte intérieure.
  64. On pourrait ajouter la prouesse gymnique connue sous le nom de « saut périlleux ».
  65. L’emploi de la perche limité au saut en hauteur constitue une erreur. C’est un sport de tous points admirable mais il ne doit pas être exclusif. Pratiquement, il ne sera jamais très opportun d’aborder un obstacle de cette façon-là. La perche, au contraire, est indispensable pour accroître en cas de besoin, l’amplitude d’un saut en longueur.
  66. La peur mécanique est un phénomène animal et en quelque sorte localisé qui semble prendre son point de départ dans la « mémoire des muscles ». La maladresse commise tend à s’incruster dans les muscles et à se reproduire en s’aggravant.
  67. On pourrait citer encore le lancement de la fronde que le « marteau » américain, sorte d’amusement d’hercule, ne saurait remplacer.
  68. La leçon et l’assaut en boxe et en escrime (Revue Olympique, mars 1914).
  69. Le poing nu est mal conformé pour parer ; le geste est aussi peu naturel qu’est naturel celui de parer avec une arme. C’est une simple question de mécanique : prolongé par l’arme, le levier à la longueur voulue pour opérer une poussée latérale efficace ; le bras seul ne l’a pas.
  70. Voir la Revue Olympique (janvier 1906, janvier et février 1912).
  71. Placez un bâton dans les mains d’un inexpert ; il va faire du sabre instinctivement ; jamais il ne fera de la pointe.
  72. Voir la Revue Olympique de mai 1912. Dans le système Vigny, le bras gauche est en avant comme s’il tenait un bouclier et le bras droit levé en arrière brandit l’arme au-dessus de la tête ; un changement brusque de garde s’opère au moment où l’arme s’abat sur l’adversaire.
  73. C’est pourquoi les meilleurs écuyers d’autrefois préconisaient la leçon à la longe. À défaut de cette solution devenue peu pratique et trop coûteuse, on pourrait recourir à la leçon couplée (voir la Gymnastique utilitaire, p. 57) ; voir aussi dans les Leçons de Gymnastique utilitaire ce qui a trait à la gymnastique équestre préparatoire.
  74. En promenade collective et surveillée, le cheval de manège est un bon instrument de gymnastique équestre ; il n’y a pas à le conduire. Sa résistance se borne à vouloir rejoindre la troupe si on le maintient quelques instants en arrière.
  75. De tels établissements peu nombreux mais bien équipés, devraient être subventionnés par les municipalités ou par les sociétés hippiques de façon que les prix des leçons et promenades restent peu élevés et contrôlés. À Bruxelles en 1906 la Société Hippique possédait 35 chevaux qui étaient loués 2 fr. l’heure au manège et 5 fr. la promenade de deux heures. Dans certaines villes de Suisse, notamment à Berne, l’appui des pouvoirs publics atteignait à des résultats similaires. Leur intervention pourrait s’exercer de bien des manières au point de vue locaux, matériel, fourrage, etc…
  76. Voir Essais de Psychologie sportive, p. 66.
  77. Voir à ce sujet la Gymnastique utilitaire, p. 20-26 et les Leçons de Gymnastique utilitaire, p. 16-18.
  78. Surtout en habituant à des mouvements ralentis ; dans l’eau, le débutant les précipite et les dessine mal.
  79. Ce qui diffère c’est la résistance ; ce sont aussi les aides, bancs, portants, avirons. En mer, le remous fait parfois le vide sous l’attaque et force de « nager à l’embellie », c’est-à-dire dans l’intervalle des lames ; il diminue en tout cas la prise, la rend moins stable. L’allonge du corps n’est pas possible au même degré qu’en rivière et l’embarcation plus robuste est à plus hauts bords et sans portants extérieurs.
  80. Le Dr Warre, longtemps headmaster d’Eton et d’une grande compétence en matière de rowing, insistait toujours sur l’importance d’un retour souple et prompt durant lequel the muscles should be enjoying a holiday indiquant par là l’absence complète de force. Bien des équipes sont défectueuses à cet égard.
  81. À l’aviron se rattache le maniement de la pagaie très inférieur physiologiquement mais susceptible avec la périssoire en mer, le canoë canadien sur les rivières rapides et surtout le Kayak scandinave d’exiger de belles qualités sportives.
  82. À différentes reprises on a pratiqué le patinage à roulettes dont la vogue fut toujours assez passagère et qui a contre lui le tapage agaçant qu’il produit. Quant au patin bicyclette qui permettait de courir sur les routes à belle allure, le pied pris entre deux petites roues à caoutchoucs creux, il n’a jamais réussi à s’imposer bien qu’il fût aussi pratique que sportif.
  83. Voir la Revue Olympique de janvier 1906.
  84. Voir dans la Revue Olympique de février 1906 un projet de réglementation sur des bases nouvelles permettant d’utiliser l’escrime équestre pour perfectionner des cavaliers novices.
  85. Faut-il évoquer la fameuse course de six jours qui se court chaque année à New-York ? En 1899 une loi interdisant à un coureur de rester en selle plus de 12 heures sur 24, elle se court depuis lors par équipes.
  86. En France où la propriété est très morcelée, il ne se délivrait en 1908 pas moins de 100.000 permis de chasse et la vente de la poudre à cartouches atteignait 7 millions de francs chaque année tandis que les recettes encaissées par l’État ou les communes du fait de la chasse à tir s’élevaient à 45 millions. Ceci ne concerne que la chasse à tir. Il y avait en outre 285 équipes de chasse à courre employant 11.000 chevaux et 8.000 chiens et dépensant à peu près 30 millions de francs par an.
  87. En fait de raid, on ne saurait passer sous silence celui des Scandinaves qui en 1893 se rendirent à l’Exposition de Chicago en traversant l’océan sur une embarcation semblable à celle qu’avaient employée leurs vaillants ancêtres les Vikings dans leurs courses audacieuses à la découverte du Nouveau·Monde.
  88. Ce classement n’implique nullement une critique ou une mésestime de ces jeux mais si l’on se reporte à notre définition du sport, on admettra que le lawn-tennis et le golf n’y répondent qu’incomplètement.
  89. Voir dans la Revue Olympique de mai 1914 la reproduction d’un rapport présenté le 7 mars 1892 à une séance plénière du Comité Jules Simon à la Sorbonne.
  90. Jusqu’en 1863 régna en Angleterre une certaine anarchie dans la réglementation du Football. En face du Rugby issu de l’école de ce nom se trouvaient les diverses sortes d’Associations dont Eton avait été quelque peu le berceau. Cette année-là, on commença de s’entendre pour établir des règles fixes.
  91. Il n’y a pas lieu de discuter si le Rugby l’emporte sur l’Association ou réciproquement. On connaît mes préférences que j’ai maintes fois exposées mais les deux jeux qui se complètent admirablement doivent coexister et progresser de compagnie. Il s’agit bien entendu du Rugby anglais aujourd’hui répandu en Europe et non du Rugby américain.
  92. Voir Leçons de Gymnastique utilitaire, p. 35 et 36. Les travaux manuels sportifs y sont divisés en leçon de chantier, leçon d’écurie, leçon d’atelier et leçon de campement. Il serait à désirer que le scoutisme tendit de ce côté plus qu’il ne le fait.
  93. Voir dans Essais de Psychologie sportive les chapitres intitulés : La chaise-longue de l’athlète — Savoir dételer — Le sport peut-il enrayer la névrose universelle ?
  94. Bien des Anglais l’ont dès longtemps découverte et appliquée empiriquement sans en tirer de théorie.
  95. Voir la Revue Olympique de septembre 1907.
  96. Voir la Revue Olympique de mars 1914 à propos de l’Hydrothérapie japonaise.
  97. Répondant à cet écrivain, la Revue Olympique (janvier 1906) disait notamment : « Les Grecs jadis, les Anglo-Saxons, les Scandinaves, les Japonais de nos jours comptent parmi les peuples qui ont attaché le plus d’importance aux soins physiques et par contre, nous n’apercevons pas qu’aux approches des périodes de déchéance, ceux qui ont connu de mauvais jours comme les Italiens, les Espagnols ou les Polonais aient été, le moins du monde, férus d’hygiène ».
  98. Voir la Revue Olympique de mars et avril 1912.
  99. L’inconvénient serait double ; physiologiquement, on risquerait de provoquer un développement inharmonieux du corps ; moralement, on émousserait la puissance d’action des sports virils.
  100. Voir la Revue Olympique de septembre 1913 ; Les échelons d’une éducation sportive.
  101. On ne doit pas, disait Jules Simon, permettre à un gamin de voir pousser ses moustaches avant d’avoir enfourché un cheval.
  102. Voir Essais de Psychologie sportive, p. 242.
  103. Voir ce sujet développé dans Leçons de Gymnastique utilitaire, p. 44 et 45.
  104. Elles peuvent être physiques, morales, sociales. La faiblesse de tel organe, une paresse musculaire générale, de l’excitabilité nerveuse… sont tares physiques. De l’hésitation, de la crainte dans les mouvements, toutes les formes de défaillance… sont tares morales. Enfin il faudrait ranger parmi les tares sociales l’orgueil de caste, la timidité paralysante produite par la présence d’autrui, la susceptibilité ombrageuse et cet ensemble de défauts qui composent le « mauvais joueur ».
  105. Sans ambition, le sportif (nous l’avons dit en le définissant) n’existe pas, mais il n’est pas ambitieux de façon vague et générale ; il l’est dans certaines directions précises vers lesquelles il se sent poussé. À noter toutefois que, du point de vue utilitaire, on ne doit pas suivre exclusivement ses penchants et ses instincts. Voir la comparaison avec le baccalauréat (Gymnastique utilitaire, p. viii, avant-propos).
  106. Voir ce que nous avons dit plus haut à propos des « caractéristiques générales ».
  107. Voir la Gymnastique utilitaire, p. 111 et suivantes. Je sais qu’on a critiqué ces intervalles, les trouvant beaucoup trop longs. Je crois devoir en maintenir l’indication, mais en rappelant qu’il s’agit de fortes séances et non de sports brièvement et anodinement pratiqués. Il va de soi aussi que plus on avance en âge, et plus ces intervalles doivent aller se rapprochant. En règle générale, vers la cinquantaine et au delà, on fera bien de ne pas dépasser le trimestre.
  108. « L’hôtel approprié » est précisément ce qui manque en Europe. Il est étrange que l’industrie hôtelière se montre si lente à y accorder ses intérêts (voir la Revue Olympique de mai et juillet 1910). Avant la guerre, le Collège d’athlètes de Reims avait inauguré une manière de « cure de sport » appelée certainement à un grand succès.
  109. Il faut compter 20 à 25 minutes vigoureusement employées si l’on veut obtenir de bons résultats et plus on avance en âge, plus il convient d’observer fidèlement la quotidienneté de cette pratique.
  110. Voir la Revue Olympique (avril 1907 et septembre 1911).
  111. Il possède souvent hors la ville une annexe pour les courses à pied, l’aviron ou même le polo et tend alors à grouper des adhérents de tous les sports.
  112. Par exemple, en aviron, le match Oxford-Cambridge ou bien la course Paris-Francfort dont la guerre a interrompu la série.
  113. Les Anglais sont souvent mus en sport par des préoccupations de castes. C’est ainsi que les principaux clubs d’aviron, en Angleterre, en sont encore à refuser la qualité d’amateur à tout travailleur manuel.
  114. On va trop souvent répétant qu’une telle réforme est impossible. Dans aucun pays on ne s’y est encore attelé sérieusement et l’état de choses actuel se trouve maintenu par ceux qui y ont intérêt et qui répandent cette légende.
  115. Il est rare que la volonté individuelle suffise, sans le service d’autrui, à assurer le bronzage. — Voir sur ce sujet la captivante autobiographie écrite par Théodore Roosevelt pour le Congrès Olympique de Lausanne (Psychologie sportive) en 1913 et publiée dans le volume des compte-rendus. Il semble que quelque chose d’analogue bien que moins voulu se soit produit dans la vie de Cecil Rhodes après son arrivée en Afrique.
  116. Voir les discours d’ouverture prononcés aux Congrès Olympiques de Bruxelles en 1905 et de Lausanne en 1913 par MM. Marcel Prévost et G. Ferrero.
  117. Voir Conférence faite en 1889 à l’Association pour l’avancement des Sciences.
  118. Nous renvoyons les lecteurs à la Revue Olympique d’août 1910 (Un sujet scabreux et oiseux), de mars 1911 (La crise évitable) et d’octobre 1913 (Le sport, passeport de vertus).
  119. Cette nécessité n’est pas de toutes les époques parce qu’elle n’est pas essentiellement animale. Dès lors les temps de spiritualisme ou d’ascétisme dominants en peuvent éteindre momentanément l’aiguillon. Mais dès que la nature humaine traverse une phase de liberté corporelle, pour ainsi dire, la dose de plaisir physique intensif redevient indispensable au bon fonctionnement vital de l’individu.
  120. Discours prononcé par le président du Comité International Olympique à l’Hôtel de Ville d’Anvers le 18 août 1920 en présence du roi des Belges pour l’ouverture de la session du Comité.
  121. On doit insister sur le mot possible, car il faut toujours se remémorer que, contrairement à l’optimisme des disciples de J.-J. Rousseau, la nature entièrement livrée à elle-même ne réussira ni à engendrer l’activité sportive ni surtout à s’en servir pour bronzer la personnalité morale.
  122. Voir Essais de Psychologie sportive, le chapitre intitulé : « La Face » dans lequel ce sujet est développé.
  123. L’exemple de la France actuelle en est une preuve nouvelle et convaincante. Entre la France de 1870 et celle de 1914, il y a toute la différence d’une nation vaillante mais non entraînée physiquement à la même nation vaillante et entraînée.
  124. Voir la remarquable étude rédigée sur ce sujet pour le Congrès de Psychologie sportive tenu à Lausanne en 1913 par M. Louis Dedet, directeur du Collège de Normandie.
  125. Celle évolution a été très lente. Instructifs sont à cet égard les débats du Congrès Olympique de Bruxelles en 1905 où la troisième Commission présidée par un général se prononça contre les sports pour les soldats, les admettant, bien qu’avec réticence, pour les officiers.
  126. Voir la Revue Olympique de décembre 1911. (Les réflexions du bonhomme Noël) et de décembre 1913. (Le sport et l’art de vieillir).
  127. Voir le remarquable travail présenté sur ce sujet au Congrès de Psychologie sportive de Lausanne en 1913 par M. Georges Rozet et publié dans le volume du Congrès.
  128. Voir Ceci tuera cela dans La Revue, 1917, Paris.
  129. Ceux, trop rares qui ont essayé de nos jours de traduire l’effort athlétique y ont parfois réussi. Tel le grand artiste belge Jacques de Lalaing dont les fameux Lutteurs à cheval ornent l’entrée du bois de la Cambre, à Bruxelles.
  130. Tel était précisément le sujet du concours d’architecture ouvert à Paris en 1911 par le Comité International Olympique et dont les lauréats furent MM. Monod et Laverrière architectes à Lausanne. Leur conception magnifique a été popularisée depuis par l’image.
  131. Voir Décorations, Pyrotechnie, Harmonies, Cortèges, essai de ruskinianisme sportif paru dans les numéros d’avril, mai, juillet, août et octobre 1911 de la Revue Olympique et ensuite en brochure.
  132. C’est ce qui rend si affreux les cordons de gaz qui suivent les corniches et l’angle des toitures ; par exemple, à Paris dans l’illumination des édifices publics.
  133. Les distributions de prix aux Jeux Olympiques ont toujours été mal réussies hormis celle de la ive Olympiade (Londres 1908), présidée par la reine Alexandra, fort bien conçue et réglée.
  134. Le Philosophe et les Athlètes. La pièce a été publiée en brochure. Elle est précédée d’une description de la fête. Un compte rendu plus complet a paru dans la Revue Olympique de juin 1911.
  135. Parmi les spectateurs enthousiasmés, plus d’un estima à environ 15.000 francs le coût de cette soirée. Le Comité, fidèle à la pensée qui l’avait guidé, en publia les dépenses qui ne se montaient pas même à 4.000 fr. Or parmi les 2.000 invités présents, pas un qui n’eut volontiers payé sa place.