Pêche de la baleine en France

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LE HAVRE.Pêche de la baleine. — Il fut un temps où la marine française se livrait presque seule à la pêche de la baleine ; alors tous les autres gouvernemens étaient tributaires de notre commerce. Neuf ou dix mille marins, aux quatorzième et quinzième siècles, sortaient chaque année de nos ports et y ramenaient de riches chargemens. Aujourd’hui nous employons à peine quelques navires à l’exploitation de cette branche importante de l’industrie maritime ; encore un armateur étranger en possède-t-il le plus grand nombre.

La pêche de la baleine se trouve maintenant tout entière dans les mains de notre éternelle rivale, l’Angleterre. En quatorze ans, cette puissance a expédié 1,864 navires ; ils ont rapporté 178,503 tonneaux d’huile qui s’est vendue, terme moyen, 30 liv. sterl. par tonneau. Les valeurs créées chaque année par la pêche anglaise s’élèvent à plus de 30,000,000 de francs. La marine royale compte 32,000 marins ; la pêche de la baleine en entretient constamment plus de 7,000, tous endurcis aux plus rudes travaux, tous propres à monter immédiatement sur un vaisseau de l’état, etc. De là, par conséquent, ces efforts nombreux, de là cette active sollicitude que l’on remarque dans la législation de l’Angleterre pour conserver une supériorité qui lui a coûté deux siècles à acquérir.

Reconnaissons cependant que nos armateurs commencent à diriger de nouveau leurs regards vers les pêches lointaines. Le gouvernement fait lui-même de nombreux sacrifices pour les encourager. Déjà plusieurs équipages entièrement composés de matelots français ont pu affronter les dangers d’une navigation toujours orageuse, et les dernières ordonnances, en augmentant les primes, n’ont eu d’autre but que de nous affranchir de toute association étrangère.

Les dépenses sont moins considérables qu’on pourrait se l’imaginer. On organise en ce moment au Havre une opération où la totalité des dépenses n’est évaluée, pour un navire de 400 tonneaux qu’à 200,000 fr. ; et il faut considérer que cette somme est exagérée, parce que les directeurs de l’entreprise ont sagement pensé qu’il valait mieux prendre un chiffre plus élevé, afin d’éviter aux actionnaires un nouvel appel de fonds, quels que fussent les frais imprévus.

Armement d’un navire de 400 tonneaux pour la pêche de la baleine aux côtes de Patagonie.
fr.
Achat d’un navire neuf 
110,000
Installation baleinière 
10,000
Six pirogues 
2,558
Lignes de pêche 
4,000
Harpons, lances, pelles, chaudières 
4,000

Outils du tonnelier et du charpentier 
600
Avirons, manches de harpons 
600
Planches, clous, feuillards, rivets, robinets 
2,000
48,000 veltes de fûts neufs, à 60 c. la velte 
28,800
Vivres pour un an, pour trente-deux hommes d’équipage, à 1 fr. 50 c. 
17,520
Assurance et commission 
17,922
Frais de police, droits de bassin, etc. 
2,000
Total 
200,000 fr.

Il est évident qu’on fera sur le coût du navire, sur le prix des futailles et sur l’assurance, des économies qui réduiront à 185,000 ou 190,000 fr. cette somme de 200,000 fr. demandée.

Or, voici ce que l’expédition pourra produire, en n’admettant qu’un succès médiocre.

Un navire de 400 tonneaux doit rapporter, s’il est bien dirigé, de 3,000 à 3,500 barils d’huile : nous nous contenterons d’évaluations beaucoup moins élevées, et nous prendrons pour base de notre calcul un retour de 2,000 barils d’huile, avec une quantité proportionnelle de fanons.

Nous avons donc :

2,000 barils d’huile, au cours moyen de 80 fr. par baril 
160,000
7,000 kil. de fanons à 450 fr. 
31,500
Total 
191,500 fr.

Il faut soustraire de cette somme le tiers, qui est affecté à l’équipage, ce qui la réduit à

127,667 fr., ci. 
127,667
et en y ajoutant la prime de 36,000 fr., ci. 
36,000
on a un bénéfice net de 163,667 fr., ci. 
163,667 fr.

Les frais pour les opérations suivantes ne s’élèveraient pas à 60,000 fr. ; mais, quand bien même on les porterait à 80,000 fr., si l’on admet un succès moyen de 2,000 barils d’huile par expédition, on trouvera qu’après dix ans cette opération aura donné, non compris les intérêts à 5 p. 100, une somme de plus de 800,000 fr., et qu’il resterait encore le navire et ses apparaux, ce qui porte à près de 50 p. 100 par an le produit du capital employé.

De tels résultats semblent au premier abord exagérés ; cependant, si l’on vient à considérer que l’huile ne vaut en Angleterre que 600 fr. le tonneau et 900 fr. en France ; que le prix relatif des fanons est dans une proportion analogue ; que les Anglais n’ont plus aucun secours de l’état, tandis que nous obtenons une prime de 90 ou de 180 fr., par tonneau[1] ; en un mot que, de deux opérations pareilles, l’une donnera nécessairement en France 50 p. 100 de plus qu’en Angleterre, on est forcé d’admettre la vérité des calculs que nous venons de présenter. Mais, si l’on ne peut nier leur exactitude, comment comprendre que nous ayons huit navires baleiniers, tandis que la pêche anglaise emploie près de 200 voiles et plus de 60,000 tonneaux ?


  1. Suivant la latitude à laquelle on fait la pêche.