P.-J. Blok. Geschiedenis van het nederlandsche volk. III (Pirenne)

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P.-J. Blok. Geschiedenis van het nederlandsche volk. III. Groningue, Wolters, 1896. In-8o.


L’excellente histoire du peuple néerlandais de M. P.-J. Blok, dont nous avons analysé ici même les deux premiers volumes[1], se continue rapidement. Dans la troisième partie de son grand ouvrage, qui va du départ de Philippe II pour l’Espagne (1559) jusqu’à la trêve de douze ans (1609), l’auteur aborde le récit des événements glorieux auxquels les Hollandais ont donné le nom de guerre de quatre-vingts ans (tachtigjaarige oorlog). Cette époque ne constitue pas seulement la période la plus brillante et la plus importante de l’histoire des Pays-Bas, elle en est encore sinon la mieux connue, du moins la plus étudiée. Depuis Bor et van Meteren jusqu’à M. Fruin, le maître le plus éminent de l’école historique hollandaise contemporaine, elle n’a cessé d’attirer invinciblement les travailleurs, et le nombre des ouvrages d’ensemble, des dissertations spéciales et des publications de mémoires, de correspondances et d’actes diplomatiques auxquels elle a donné lieu égale sans doute, s’il ne le surpasse, celui des travaux consacrés au reste de l’histoire de Hollande. Dominer cette énorme littérature n’est pas chose aisée, et il est plus difficile encore de reconnaître, sous des documents altérés presque tous par les passions politiques ou religieuses de leurs auteurs, la réalité historique. Disons tout de suite que M. Blok y a réussi. Son récit des cinquante années comprises entre 1559 et 1609 est aussi exact qu’il est possible de l’être dans l’état actuel de la science, et il témoigne de l’impartialité la plus complète. Il ne vise ni au dramatique ni au pittoresque, mais à la simple et nue vérité. Il est également éloigné de l’enthousiasme protestant d’un Motley ou de la véhémence catholique d’un Kervyn de Lettenhove : il se distingue avant tout par le calme et par le sang-froid.

M. Blok s’est attaché beaucoup plus dans son troisième volume que dans les deux précédents à l’histoire purement politique. Il est impossible en effet de comprendre la formation de la république des Provinces-Unies sans connaître, au moins dans leurs traits essentiels, les diverses péripéties de leurs rapports non seulement avec l’Espagne, mais encore avec la France, l’Angleterre et l’Empire. Au XVIe siècle, plus encore qu’au XVe, l’histoire des Pays-Bas se rattache intimement à l’histoire générale de l’Europe, et c’est un des grands mérites de l’auteur que d’avoir accordé à l’intervention des grandes puissances l’importance qui lui revient. M. Blok a su d’ailleurs très habilement garder la juste mesure. Il ne s’égare pas dans l’exposé des négociations et des intrigues diplomatiques. Le lecteur ne perd jamais de vue les Pays-Bas, même lorsqu’il lui arrive d’être momentanément transporté hors de leurs frontières. L’histoire étrangère n’étouffe pas l’histoire nationale. Les provinces révoltées restent continuellement au premier plan. J’avouerai pourtant que j’ai moins trouvé dans ce troisième volume que dans les deux précédents l’action même du peuple néerlandais. Débordé par la masse des faits politiques et militaires qu’il avait à raconter, M. Blok a craint, dirait-on, de donner aux causes sociales et économiques, qui, à côté de la question religieuse, ont tant contribué à déterminer la marche des événements, toute l’importance qu’elles méritent. Bien des questions se présentent à l’esprit dont, plus que personne, M. Blok eût pu donner la solution. Dans quelle mesure l’attitude religieuse de la noblesse, de la bourgeoisie et du peuple a-t-elle été influencée par la situation économique de ces divers groupes ? Quelles sont les causes qui ont favorisé en même temps l’extension de la démagogie en Flandre et celle du calvinisme ? Comment expliquer le triomphe de ce dernier dans le nord, alors qu’à la fin du XVIe siècle les protestants y étaient encore en minorité ? Sans doute, dans l’état actuel de nos connaissances, la réponse à ces problèmes n’est pas aisée, et il faut se garder de se laisser entraîner à la légère à invoquer des facteurs économiques et sociaux là où l’on n’en peut pas clairement démontrer l’existence. Plus la mode est aujourd’hui à l’histoire sociale, plus il importe à l’historien consciencieux de se garder de tout excès en cette matière. M. Blok a préféré en bien des cas l’abstention à une solution hasardée. Il faut reconnaître d’ailleurs qu’il a souvent (par exemple dans son excellent chapitre sur la séparation des provinces du nord d’avec celles du midi) indiqué la voie dans laquelle il convient, semble-t-il, de se diriger. Le succès de son livre et l’autorité de son nom ne peuvent manquer d’attirer les historiens hollandais vers plus d’un domaine encore inexploré. Toute œuvre de synthèse n’est-elle pas, en même temps qu’un tableau de ce que nous savons, une excitation à de nouvelles recherches ?


H. Pirenne.


  1. Rev. hist., t. LI, p. 380, t. LIX, p. 175.