Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/289

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— Je ne plaisante pas, dit le ministre. Votre stage est terminé depuis deux ans, et vos défenses dans le procès Ximeuse et d’Hauteserre vous ont placé bien haut.

— J’ai cru jusqu’aujourd’hui que mon dévouement à ces malheureux émigrés me nuisait.

— Vous êtes bien jeune, dit le ministre d’un ton grave. Mais, reprit-il après une pause, vous avez beaucoup plu ce soir à l’Archi-Chancelier. Entrez dans la magistrature du parquet, nous manquons de sujets. Le neveu d’un homme à qui Cambacérès et moi nous portons le plus vif intérêt ne doit pas rester avocat faute de protection. Votre oncle nous a aidés à traverser des temps bien orageux, et ces sortes de services ne s’oublient pas.

Le ministre se tut pendant un moment.

— Avant peu, reprit-il, j’aurai trois places vacantes au tribunal de première instance et à la cour impériale de Paris, venez alors me voir, et choisissez celle qui vous conviendra. Jusque-là travaillez, mais ne vous présentez point à mes audiences. D’abord, je suis accablé de travail ; puis vos concurrents devineraient vos intentions et pourraient vous nuire auprès du patron. Cambacérès et moi en ne vous disant pas un mot ce soir, nous vous avons garanti des dangers de la faveur.

Au moment où le ministre acheva ces derniers mots, la voiture s’arrêtait sur le quai des Augustins, le jeune avocat remercia son généreux protecteur avec une effusion de cœur assez vive des deux places qu’il lui avait accordées, et se mit à frapper rudement à la porte, car la bise sifflait avec rigueur sur ses mollets. Enfin un vieux portier tira le cordon, et quand l’avocat passa devant la loge : — Monsieur Granville, il y a une lettre pour vous, cria-t-il d’une voix enrouée.

Le jeune homme prit la lettre, et tâcha, malgré le froid, d’en lire l’écriture à la lueur d’un pâle réverbère dont la mèche était sur le point d’expirer.

— C’est de mon père ! s’écria-t-il en prenant son bougeoir que le portier finit par allumer. Et il monta rapidement dans son appartement pour y lire la lettre suivante :

« Prends le courrier, et si tu peux arriver promptement ici, ta fortune est faite. Mademoiselle Angélique Bontems a perdu sa sœur, la voilà fille unique, et nous savons qu’elle ne te hait pas. Maintenant, madame Bontems peut lui laisser à peu près quarante