Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/121

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n’ai pas cru qu’on put écouter ici des philosophes, très habiles d’ailleurs, qui font venir un Dieu comme dans une machine de théâtre, pour faire le dénoûment de la pièce, en soutenant que Dieu s’emploie tout exprès pour remuer les corps comme l’âme le veut, et pour donner des perceptions à l’âme comme le corps le demande ; d’autant que ce système, qu’on appelle celui des causes occasionnelles (parce qu’il enseigne que Dieu agit sur le corps à l’occasion de l’âme, et vice versa) outre qu’il introduit des miracles perpétuels pour faire le commerce de ces deux substances, ne sauve pas le dérangement des lois naturelles établies dans chacune de ces mêmes substances que leur influence mutuelle causerait dans l’opinion comnume.

62 Ainsi, étant d’ailleurs persuadé du principe de l’harmonie en général, et par conséquent de la préformation et de l’harmonie préétablie de toutes choses entre elles, entre la nature et la grâce, entre les décrets de Dieu et nos actions prévues, entre toutes les parties de la matière, et même entre l’avenir et le passé, le tout conformément à la souveraine sagesse de Dieu, dont les ouvrages sont les plus harmoniques qu’il soit possible de concevoir, je ne pouvais manquer de venir à ce système, qui porte que Dieu a créé l’âme d’abord de telle façon, qu’elle doit se produire et se représenter par ordre ce qui se passe dans le corps ; et le corps aussi de telle façon, qu’il doit faire de soi-même ce que l’Ame ordonne. De sorte que les lois, qui lient les pensées de l’âme dans l’ordre des causes finales et suivant l’évolution des perceptions, doivent produire des images qui se rencontrent et s’accordent avec les impressions des corps sur nos organes ; et que les lois des mouvements dans le corps, qui s’entresuiventdans l’ordre des causes efficientes, se rencontrent aussi et s’accordent tellement avec les pensées de l’âme, que le corps est porté à agir dans le temps que l’âme le veut.

63 Et bien loin que cela fasse préjudice à la liberté, rien n’y saurait être plus favorable. Et M. Jacquelot très-bien montré dans son livre de la Conformité de la Raison et de la Foi, que c’est comme si celui qui sait tout ce que j’ordonnerai à un valet le lendemain tout le long du jour, faisait un automate qui ressemblât parfaitement à ce valet, et qui exécutât demain à point nommé tout ce que j’ordonnerais ; ce qui ne m’empêcherait pas d’ordonner librement tout ce qui me plairait, quoique l’action de l’automate qui me servirait, ne tiendrait rien du libre.