Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/127

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une autre espèce d’harmonie préétablie que celle qui paraît dans le commerce de l’âme et du corps. Car enfin, tout ce que Dieu fait est harmonique en perfection, comme j’ai déjà remarqué. Peut-être donc que cette convenance cesserait par rapport à ceux qui agiraient sans la véritable liberté, exempte de la nécessité absolue, et qu’en ce cas la seule justice corrective aurait lieu, et point la justice vindicative. C’est le sentiment du célèbre Conringius dans une dissertation qu’il a publiée de ce qui est juste. Et, en effet, les raisons dont Pomponace s’est déjà servi dans son livre du destin pour prouver l’utilité des châtiments et des récompenses, quand même tout arriverait dans nos actions par une fatale nécessité, ne regardent que l’amendement et point la satisfaction, cholasin ou timorian. Aussi n’est-ce que par manière d’appareil qu’on détruit les animaux complices de certains crimes, comme on rase les maisons des rebelles, c’est-à-dire pour donner de la terreur. Ainsi, c’est un acte de la justice corrective où la justice vindicative n’a point de part.

75 Mais nous ne nous amuserons pas maintenant à discuter une question plus curieuse que nécessaire, puisque nous avons assez montré qu’il n’y a point de telle nécessité dans les actions volontaires. Cependant il a été bon de faire voir que la seule liberté imparfaite, c’est-à-dire qui est exempte seulement de la contrainte, suffirait pour fonder cette espèce de châtiments et de récompenses qui tendent à l’évitation du mal et à l’amendement. L’on voit aussi par là que quelques gens d’esprit qui se persuadent que tout est nécessaire ont tort de dire que personne ne doit être loué ni blâmé, récompensé ni puni. Apparemment ils ne le disent que pour exercer leur bel esprit ; le prétexte est que tout étant nécessaire, rien ne serait en notre pouvoir. Mais ce prétexte est mal fondé ; les actions nécessaires seraient encore en notre pouvoir, au moins en tant que nous pourrions les faire ou les omettre, lorsque l’espérance ou la crainte de la louange ou du blâme, du plaisir ou de la douleur y porteraient notre volonté, soit qu’elles l’y portassent nécessairement, soit qu’en l’y portant elles laissassent également la spontanéité, la contingence et la liberté en leur entier. De sorte que les louanges et les blâmes, les récompenses et les châtiments garderaient toujours une grande partie de leur usage, quand même il y aurait une véritable nécessité dans nos actions. Nous pouvons louer et blâmer encore les bonnes et les mauvaises qualités naturelles,