Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/336

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la gloire, et y avaient placé le souverain bien, embrassaient avec transport tout ce qui pouvait la leur mériter. On en voit les traces dans beaucoup de leurs institutions, en commençant par la splendeur de leurs sacrifices, comparée à la modestie des nôtres, dont la pompe plus pieuse qu’éclatante n’offre rien de cruel ou de capable d’exciter le courage. La pompe de leurs cérémonies égalait leur magnificence ; mais on y joignait des sacrifices ensanglantés et barbares, où une multitude d’animaux étaient égorgés : la vue continuelle d’un spectacle aussi cruel rendait les hommes semblables à ce culte. Les religions antiques, d’un autre côté, n’accordaient les honneurs divins qu’aux mortels illustrés par une gloire mondaine, tels que les fameux capitaines ou les chefs de républiques : notre religion, au contraire, ne sanctifie que les humbles et les hommes livrés à la contemplation plutôt qu’à une vie active : elle a, de plus, placé le souverain bien dans l’humilité, dans le mépris des choses de ce monde, dans l’abjection même ; tandis que les païens le faisaient consister dans la grandeur d’âme, dans la force du corps, et dans tout ce qui pouvait contribuer à rendre les hommes courageux et robustes. Et si notre religion exige que nous ayons de la force, c’est plutôt celle qui fait supporter les maux, que celle qui porte aux grandes actions.

Il semble que cette morale nouvelle a rendu les hommes plus faibles, et a livré le monde aux scélérats audacieux. Ils ont senti qu’ils pouvaient sans crainte exercer leur tyrannie, en voyant l’universalité des hommes disposés, dans l’espoir du paradis, à souffrir tous leurs outrages plutôt qu’à s’en venger.

On peut dire cependant que si le monde s’est énervé, si le ciel n’ordonne plus la guerre, ce changement tient plutôt sans doute à la lâcheté des hommes qui ont interprété la religion selon la paresse et non selon la vertu : car s’ils avaient considéré qu’elle permet