Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/545

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dans leurs fonctions, et l’on n’en serait pas venu à prolonger également le commandement des armées ; usage qui, avec le temps, entraîna la ruine de la république. Le premier pour qui le commandement fut prorogé est Publius Philo. Il assiégeait la ville de Palaepolis, son consulat touchait à son terme ; et le sénat, qui craignait que la victoire ne lui échappât des mains, ne lui envoya pas de successeur, mais le nomma proconsul, et il est le premier qui fut revêtu de cette dignité. Une telle innovation, quoique dictée au sénat par l’intérêt de l’État, fut celle qui, avec le temps, amena l’asservissement de Rome. Plus les armées romaines s’éloignèrent du centre de l’empire, plus cette prorogation parut nécessaire, et plus on en fit usage. Il en résulta deux inconvénients : le premier, c’est qu’un plus petit nombre de citoyens s’exercèrent au commandement, et de là vint que quelques-uns d’entre eux seulement obtinrent toute la considération ; le dernier, c’est qu’un général, après avoir commandé pendant un assez long espace de temps une armée, gagnait l’affection de ses soldats, dans chacun desquels il trouvait autant de partisans ; et à la longue l’armée, oubliant le sénat, ne connaissait plus que son chef. C’est ainsi que Sylla et Marius parvinrent à trouver des soldats qui ne balancèrent pas à les suivre pour opprimer la république ; c’est ainsi que César put asservir sa patrie. Si jamais les Romains n’avaient prolongé ni les magistratures, ni les commandements ; si leur élévation n’eût point été aussi rapide ; si leurs conquêtes eussent été plus lentes, ils seraient aussi tombés plus tard dans la servitude.