Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/547

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cer son élévation à la dictature, et lui faire connaître dans quel péril imminent se trouvait la république. Il prit aussitôt sa toge, se rendit à Rome ; et, rassemblant une armée, il courut délivrer Minutius ; mais, après avoir battu et dépouillé les ennemis et sauvé le consul, il ne voulut pas que l’armée délivrée participât au butin, et lui adressa ces paroles : « Je ne veux pas que tu partages les dépouilles de ceux dont tu as failli devenir la proie. » Il priva Minutius du consulat, et le fit simple lieutenant, en lui disant : « Tu resteras dans ce grade jusqu’à ce que tu aies appris à savoir être consul. » Il avait nommé maître de la cavalerie L. Tarquinius, que sa pauvreté obligeait de combattre à pied. Et remarquons combien dans Rome la pauvreté était en honneur, et comment un homme illustre et vertueux, tel que Cincinnatus, n’avait besoin que de quatre arpents de terre pour se nourrir. On voit encore cette pauvreté subsister du temps de Marcus Regulus ; et ce général, qui se trouvait en Afrique à la tête des armées romaines, demanda au sénat la permission de venir soigner sa métairie, dont ses fermiers avaient négligé la culture.

On doit ici faire attention à deux considérations bien importantes : l’une est de voir les citoyens, satisfaits au sein de la pauvreté, se contenter de la gloire que leur procurait la guerre, et en abandonner tous les autres avantages à l’État. S’ils avaient pensé, en effet, à s’enrichir par la guerre, que leur aurait importé de voir leurs propres champs dégradés ?

L’autre est d’examiner la grandeur d’âme de ces citoyens. A peine placés à la tête d’une armée, leur magnanimité les élevait au-dessus des princes : méprisant la puissance des rois et des républiques, rien ne pouvait ni les éblouir ni les épouvanter ; mais à peine étaient-ils rentrés dans la vie privée, ils devenaient économes, modestes, cultivateurs de leurs humbles possessions, soumis aux magistrats, respectueux envers leurs supé-