Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/558

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disposés, pour le salut de la patrie, à commander et à obéir.

Ce récit nous enseigne ce que peut faire un homme sage et prudent ; de quel bien il est la source, et quels avantages il peut procurer à sa patrie, lorsque ses vertus et son courage sont parvenus à étouffer l’envie, ce vice qui trop souvent est cause que les hommes vertueux ne peuvent rendre leurs vertus utiles, en les empêchant d’avoir cette autorité qu’il est nécessaire de posséder dans les circonstances difficiles.

L’envie est surmontée de deux manières : elle l’est, ou par un danger imminent et redoutable, dans lequel chacun, se voyant périr, fait abnégation de toute ambition personnelle et court se soumettre volontairement à celui qu’il croit le plus capable de le sauver par son courage : c’est ce qui arriva à Camille. Il avait donné tant de preuves éclatantes de sa supériorité ; et, nommé trois fois dictateur, il avait tellement gouverné à l’avantage de la république, sans jamais songer à son intérêt particulier, que ses concitoyens ne redoutaient nullement sa grandeur, et que, dans le rang où l’avaient élevé ses vertus et son courage, personne ne regardait comme une honte de s’abaisser devant lui. C’est donc avec raison que Tite-Live a fait la réflexion que nous avons citée.

L’envie est encore surmontée lorsqu’une mort violente ou naturelle ravit le jour à ceux qui courent avec vous la carrière de la gloire ou des honneurs, et qui, à l’aspect d’une réputation plus éclatante que la leur, ne peuvent ni demeurer en repos, ni supporter patiemment cette élévation. Si ce sont des hommes accoutumés à vivre dans un gouvernement corrompu, où l’éducation ne leur ait inspiré nulle vertu, il est impossible qu’aucun événement puisse jamais les ramener ; car, pour obtenir l’objet de leurs désirs et satisfaire la perversité de leur âme, ils verraient d’un œil content la ruine de leur propre patrie. Pour vaincre cette envie, il n’existe