Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/202

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Il reste à la maison, maintenant, quatre fois sur six ; il y reste, le sourcil froncé, le regard dur, les lèvres serrées, morne et pâle, et un rien le fait éclater et devenir cruel.

Il parle à ma mère d’une voix blanche, qui soupire ou qui siffle ; on sent qu’il cherche à paraître bon et qu’il en souffre ; il lui montre une politesse qui fait mal et une tendresse fausse qui fait pitié.

Il a le cœur ulcéré, je le vois.

Oh ! la maison est horrible ! et l’on marche à pas lents, et l’on parle à voix basse.

Je vis dans ce silence et je respire cet air chargé de tristesse.

Quelquefois, je trouble cette paix de mes cris.

Mon père a besoin de rejeter sur quelqu’un sa peine et il fait passer sur moi son chagrin, sa colère. Ma mère m’a lâché, mon père m’empoigne.

Il me sangle à coups de cravache, il me rosse à coups de canne sous le moindre prétexte, sans que je m’y attende : bien souvent, je le jure, sans que je le mérite.

J’ai gardé longtemps un bout de jonc qu’on me cassa sur les côtes et auquel j’avais machinalement emmanché une lame, je m’étais dit que si jamais je me tuais, je me tuerais avec cela. — Et j’ai eu l’idée de me tuer une fois !

Voici à quelle occasion.


Mon père rentre brusque et pâle, et me prenant par le bras qu’il faillit casser :