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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

die que la petite vérole ; mais je faillis périr d’un accident que je vais vous raconter.

Je n’avais que trois ans lorsqu’il advint ; mais il fut si grave, que le souvenir en est reste gravé dans ma mémoire. Comme j’avais le nez un peu retroussé et la figure ronde, mon père m’avait surnommé le petit chat. Il n’en fallut pas davantage pour donner à un si jeune enfant le désir d’imiter le chat ; aussi mon plus grand bonheur était-il de marcher à quatre pattes en miaulant, et j’avais pris ainsi l’habitude de monter tous les jours au second étage du château, pour aller joindre mon père dans une bibliothèque, où il passait les heures de la plus forte chaleur. Dès qu’il entendait les miaulements de son petit chat, il venait ouvrir la porte et me donnait un volume des œuvres de Buffon dont je regardais les gravures pendant que mon père continuait sa lecture. Ces séances me plaisaient infiniment ; mais un jour ma visite ne fut pas aussi bien reçue qu’à l’ordinaire. Mon père, probablement occupé de choses sérieuses, n’ouvrit pas à son petit chat. En vain, je redoublai mes miaulements sur les tons les plus doux que je pus trouver, la porte restait close. J’avisai alors, au niveau du parquet, un trou nommé chatière, qui existe dans les châteaux du Midi au bas de toutes les portes, afin de donner aux chats un libre accès dans les appartements. Ce chemin me paraissait être tout naturellement le mien ; je m’y glisse tout doucement. La tête passe d’abord, mais le corps ne peut suivre ; alors je veux reculer, mais ma tête était prise, et je ne puis ni avancer ni reculer. J’étranglais. Cependant, je m’étais tellement identifié avec mon rôle de chat, qu’au lieu de parler pour faire connaître à mon père la fâcheuse situation dans laquelle je me trouvais, je miaulai de toutes mes forces, non pas doucereusement, mais en chat fâché, en chat qu’on