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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

59

Les hommes sont nés les uns pour les autres ; instruis-les donc, ou supporte-les.

60

Une flèche se meut autrement que l’esprit ; cependant l’esprit, même quand il prend ses précautions et tourne autour des choses qu’il examine[1], n’en va pas moins tout droit vers son but[2].

61

Entre dans le for intérieur de chacun[3], mais permets à chacun d’entrer dans le tien.

Livre IX

1

Celui qui commet l’injustice est impie. En effet, la nature universelle a créé les êtres raisonnables les uns pour les autres[4] ; elle a voulu qu’ils s’entr’aidassent les uns les autres selon leur mérite, et qu’ils ne se fissent jamais aucun tort. Celui qui transgresse cette volonté[5] de la nature est évidemment impie envers la plus antique des divinités.

Celui qui ment est également impie à l’égard de la même divinité. En effet, la nature universelle comprend toute réalité. Or, tout être est parent[6] de toute réalité. En outre, la nature

  1. [Var. (2e manuscrit) : « et se met à faire l’examen des choses. »]
  2. [Cf. supra VI, 17, et la note, complétée aux Addenda. Le verbe φέρεται, qui convient au mouvement d’une flèche, n’exprime pas très exactement la démarche de l’esprit. Mais κινεῖται, qui admet νοῦς comme sujet, ne serait pas moins impropre à côté de βέλος, et il ne fallait qu’un seul verbe à la fin de la première phrase.]
  3. [Je n’ai pas jugé plus nécessaire ici qu’à l’article IV, 38 (voir la note), de substituer aux mots « for intérieur » la traduction ordinaire de τὸ ἡγεμονικόν. Dans une pensée du livre IX, 27, qui explique celle-ci, Marc-Aurèle lui-même a écrit : ἔρχου ἑπὶ τὰ ψυχάρια αὐτῶν, et non plus : τὰ ἡγεμονικὰ αὐτῶν.]
  4. [Cf. supra II, 1 ; V, 16 ; V, 30 ; VII, 55 ; VIII, 59, etc.]
  5. [Couat : « Celui qui transgresse l’ordre de la nature. » — Cf. supra IV, 49, 4e note.]
  6. [Couat : « Or, toutes les parties de la réalité sont unies entre elles par des liens étroits. » — Il m’a semblé que peut-être οἰκείως voulait être traduit avec plus de précision ; ensuite que la distinction — si vague qu’elle fût — de τὰ ὅντα et τὰ ὑπάρχοντα pouvait être maintenue dans la traduction. La pensée de Marc-Aurèle est celle-ci : « L’homme ne peut pas plus être indifférent, à plus forte raison hostile, à la réalité, donc à la vérité, qu’à un allié ou à un parent. »]