Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/12

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taient du haut de la tribune. Cependant, la première fois qu’il parla devant le peuple, on fit un tel bruit qu’il put à peine se faire écouter : on se moqua de la singularité de son style, qu’on trouvait embrouillé, à cause de la longueur des périodes, et surchargé d’enthymèmes jusqu’à la satiété. Il avait d’ailleurs la voix faible, la prononciation pénible, et la respiration si courte, que la nécessité où il était de couper ses périodes pour reprendre haleine rendait difficile à saisir le sens de ses paroles.

Il avait fini par renoncer aux assemblées du peuple. Un jour qu’il se promenait au Pirée, triste et découragé, Ennomus le Thriasien, qui était fort vieux alors, le voyant dans cet état, lui adressa de vifs reproches : « Quoi ! lui dit-il, avec cette éloquence qui rappelle si bien celle de Périclès, tu t’abandonnes ainsi toi-même par mollesse et par timidité ; tu te résignes, faute de courage pour braver la populace et de force pour t’exercer dans les luttes, à languir oisif et inutile ! » Une autre fois, à ce que l’on conte, comme il venait d’échouer encore, et se retirait chez lui, la tête couverte, et vivement affecté de ses disgrâces, Satyrus le comédien, qui était son ami, le suivit par derrière, et entra avec lui dans sa maison. Démosthène se mit à déplorer son infortune : « Je suis, disait-il, de tous les orateurs, celui qui se donne le plus de peine ; j’ai presque épuisé mes forces pour me former à l’éloquence ; et pourtant je ne suis point agréable au peuple : des matelots crapuleux et ignorants sont écoutés, et occupent la tribune, tandis que moi, le peuple me rejette avec mépris. — Tu dis vrai, Démosthène, répondit Satyrus ; mais j’aurai bientôt remédié à la cause de ce mépris, si tu veux me réciter de mémoire quelque tirade d’Euripide ou de Sophocle. » Démosthène le fit sur-le-champ. Satyrus répéta après lui les mêmes vers, et les prononça si bien, et d’un ton si adapté à l’état et à la disposition du personnage, que Démosthène lui-même les trouva tout