Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/150

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qu’ils ne me fissent. J’étais, au contraire, tout à fait bien avec les petites filles de mon âge : elles me trouvaient tranquille et raisonnable. J’avais douze ou treize ans. Je ne me rendais aucun compte de l’attrait qui m’attachait à elles. L’idée vague qui m’attirait me semble avoir été surtout qu’il y a des choses permises aux hommes qui ne sont pas permises aux femmes, si bien qu’elles m’apparaissaient comme des créatures faibles et jolies, soumises, pour le gouvernement de leur petite personne, à des règles qu’elles acceptaient. Toutes celles que je connaissais étaient d’une modestie charmante. Il y avait dans le premier éveil qui s’opérait en moi le sentiment d’une légère pitié, l’idée qu’il fallait aider à une résignation si gentille, aimer leur retenue et la seconder. Je voyais bien ma supériorité intellectuelle ; mais, dès lors, je sentais que la femme très belle ou très bonne résout complètement, pour son compte, le problème qu’avec toute notre force de tête nous ne faisons que gâcher. Nous sommes des enfants ou des pédants auprès d’elle. Je ne comprenais que vague-