Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/382

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du cœur qui cherchent la vie la plus honorable, non la plus exempte de péril : car en lui tout respire le ciel, modèle et but dont il se rapproche autant que peuvent le faire les pas d’un mortel. Il appelle le grand jour, il aime à se croire devant ses juges et ses approbateurs. Roi de l’univers, supérieur à tout ici-bas, devant quoi s’humilierait-il ? Rien lui semble-t-il assez accablant pour qu’il courbe sa noble tête ?

Ce couple affreux à voir, la souffrance et la mort[1],


ne l’est nullement pour qui ose l’envisager d’un œil fixe et percer de trompeuses ténèbres. Mainte fois les terreurs de la nuit se changent au matin en objets de risée101.

Ce couple affreux à voir, la souffrance et la mort,


dit si bien Virgile, et non point affreux en réalité, mais seulement à voir ; il entend que c’est pure vision, que ce n’est rien. Qu’y a-t-il là, répétons-le, d’aussi formidable que ce qu’en publie la renommée ? Qu’y a-t-il, je te prie, Lucilius, pour qu’un homme de cœur craigne la souffrance, un mortel la mort ?

Je ne vois que gens qui réputent impossible ce qu’ils n’ont pu faire[2] ; et puis nos doctrines sont trop hautes, disent-ils, elles passent les forces de l’homme, Ah ! combien j’ai d’eux meilleure opinion qu’eux-mêmes ! Eux aussi peuvent, mais ils ne veulent pas. L’essai qu’on leur demande a-t-il jamais trahi ceux qui l’ont tenté ? N’a-t-il pas toujours paru plus facile à l’exécution ? Ce n’est point parce qu’il est difficile que nous n’osons pas ; c’est parce que nous n’osons pas, qu’il est difficile. D’ailleurs, s’il vous faut un exemple, prenez Socrate, vieillard éprouvé par tous les malheurs, poussé sur tous les écueils, et que n’ont vaincu ni la pauvreté, aggravée encore par ses charges domestiques, ni les fatigues des camps qu’il dut subir aussi, ni les tracasseries de famille dont il fut harcelé, soit par une femme aux mœurs intraitables, à la parole hargneuse, soit par d’indociles enfants qui ressemblaient plus à leur mère qu’à leur père. Quelle vie passée presque toute ou à la guerre, ou sous la tyrannie, ou sous une liberté plus cruelle que la guerre et que les tyrans ! Après vingt-sept ans de combats, la fin des hostilités fut l’abandon d’Athènes à la merci de trente tyrans, la plupart ennemis de Socrate. Pour

  1. Énéid., IV, 277.
  2. Voy. Lettres XCVIII, CXVI. De la Colère. I, XII.