Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/528

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
518
TOLÉRANCE.

des égards, la plus détestable qui ait jamais souillé la terre. Mais tout absurde et atroce qu’elle était, la secte des saducéens fut paisible et honorée, quoiqu’elle ne crût point en l’immortalité de l’âme, pendant que les pharisiens la croyaient. La secte d’Épicure ne fut jamais persécutée chez les Grecs. Quant à la mort injuste de Socrate, je n’en ai jamais pu trouver le motif que dans la haine des pédants. Il avoue lui même qu’il avait passé sa vie à leur montrer qu’ils étaient des gens absurdes ; il offensa leur amour-propre ; ils se vengèrent par la ciguë. Les Athéniens lui demandèrent pardon après l’avoir empoisonné, et lui érigèrent une chapelle. C’est un fait unique qui n’a aucun rapport avec l’intolérance.

Quand les Romains furent maîtres de la plus belle partie du monde, on sait qu’ils en tolérèrent toutes les religions, s’ils ne les admirent pas ; et il me paraît démontré que c’est à la faveur de cette tolérance que le christianisme s’établit, car les premiers chrétiens étaient presque tous Juifs. Les Juifs avaient, comme aujourd’hui, des synagogues à Rome et dans la plupart des villes commerçantes. Les chrétiens, tirés de leur corps, profitèrent d’abord de la liberté dont les Juifs jouissaient.

Je n’examine pas ici les causes des persécutions qu’ils souffrirent ensuite : il suffit de se souvenir que si de tant de religions les Romains n’en ont enfin voulu proscrire qu’une seule, ils n’étaient pas certainement persécuteurs.

Il faut avouer, au contraire, que parmi nous toute Église a voulu exterminer toute Église d’une opinion contraire à la sienne. Le sang a coulé longtemps pour des arguments théologiques, et la tolérance seule a pu étancher le sang qui coulait d’un bout de l’Europe à l’autre.

SECTION II[1].

Qu’est-ce que la tolérance ? C’est l’apanage de l’humanité. Nous sommes tous pétris de faiblesses et d’erreurs ; pardonnons-nous réciproquement nos sottises, c’est la première loi de la nature.

Qu’à la bourse d’Amsterdam, de Londres, ou de Surate ou de Bassora, le guèbre, le banian, le juif, le mahométan, le déicole chinois, le bramin, le chrétien grec, le chrétien romain, le chrétien protestant, le chrétien quaker, trafiquent ensemble : ils ne lèveront pas le poignard les uns sur les autres pour gagner des

  1. Faisait tout l’article dans le Dictionnaire philosophique, 1764. (B.)