Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
13
OU DEUX AMOURS

— Vous êtes fou ! dit-elle en riant ; mais est-ce Gaston lui-même qui vous a demandé mon portrait ?

— Lui-même, et cela m’a fort étonné, car je sais qu’il ne m’aime guère.

— C’est sa nourrice qui lui a inspiré cette sotte jalousie ; mais vous-même, vous n’êtes pas non plus très-disposé à l’aimer ?

— Si, je trouve qu’il prend chaque jour plus de ressemblance avec vous, et cela change mes sentiments. Il est venu me voir ce matin ; il a daigné jouer avec les pipes que j’ai rapportées de Constantinople. Oh ! quel souvenir ! oh ! que j’aime Constantinople ! c’est là que j’ai appris que vous étiez veuve. Oh ! j’aime Constantinople ! quelle admirable ville, et avec quel plaisir je l’ai quittée pour revenir vers vous, qui étiez libre, que je pouvais retrouver encore !

— J’admire votre manière de voyager, dit en souriant Marguerite ; vous ne visitez pas les villes où de mauvaises nouvelles viennent vous chercher, et vous quittez tout de suite les pays où vous en recevez qui vous plaisent.

— Hélas ! je ne voyageais pas pour m’instruire, je fuyais bien loin pour oublier… Heureusement, on m’a permis de revenir sans avoir rien oublié.

Étienne dit ces mots avec tant de grâce et d’émotion, que Marguerite en fut touchée. — Un amour de dix-huit ans, c’est très-beau, dit-elle, surtout pour un héros de votre âge.

— Un amour, que ni le temps, ni l’absence, ni le désespoir, n’ont pu altérer un seul instant !

— Et vous avez peur que je ne sois ingrate ?

— J’ai peur de tout : j’ai peur de votre mère, de votre enfant ; j’ai peur d’un rival…

À ce mot, Marguerite partit d’un éclat de rire.

— Et de quel rival, s’il vous plaît ? Nommez-le ! nommez-le !

— Je n’en connais point jusqu’ici, mais il en peut venir un tout à coup, qui vous paraîtra plus aimable que moi.

— Oh ! ne faites pas le modeste ; jamais personne ne me plaira plus que vous.

— Pourquoi ?

— Parce que personne ne sera jamais à la fois si bon et si spirituel, si plein de courage, de générosité, de talent.