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MARGUERITE

— Je ne crois pas un mot de tout cela mais c’est égal, c’est bien agréable à entendre.

— Parce qu’enfin, continua Marguerite, personne ne m’aimera jamais autant que vous.

— Eh ! mon Dieu, qui sait ? Cela n’est déjà pas si difficile, de vous aimer !

Marguerite regarda son cousin avec une expression de joie charmante, un mélange d’étonnement et de fierté. — Eh bien, dit-elle, voilà ce qui me plaît en vous : jamais vous ne tombez dans les vulgarités d’usage. Ordinairement, les gens qui ont la prétention d’aimer n’admettent pas qu’on puisse les égaler en amour ; vous, au contraire, vous permettez la concurrence… à la bonne heure ! c’est nouveau.

— Ce n’est pas de ma part originalité, je vous jure ; si quelque chose me surprend, c’est qu’on puisse vous voir et vous aimer autrement que je vous aime. Aussi, je ne compte pas sur la supériorité de mon amour pour me rassurer ; et, d’ailleurs, qu’importe celui qui aime le mieux ? Aimer n’est rien, plaire est tout.

Comme il parlait encore, une grande rumeur se fit sentir dans tout le château. Des cris affreux partaient du côté de l’avenue. Étienne descendit aussitôt dans la cour pour savoir ce qui était arrivé, et Marguerite, trop faible encore pour marcher, s’appuya sur le balcon, pâle et tremblante, en appelant son fils avec effroi.



II.

Étienne regardait de tous côtés autour de lui, cherchant vainement à interroger quelqu’un… Tous les habitants du château couraient avec empressement vers le bas de l’avenue, comme des gens inquiets qui vont au secours d’une personne en danger. Étienne se mit à courir aussi ; mais l’avenue était très-longue : il ne pouvait de si loin distinguer ce qui se passait. Ce qu’il éprouvait ressemblait à ces angoisses irritantes de