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MARGUERITE

qu’à cinq cents pas environ de l’endroit où se passait ce drame inexplicable… Il put remarquer un autre groupe, invisible jusqu’alors pour lui : une douzaine de personnes, la tête en l’air, gesticulant, parlant avec chaleur, entouraient un jeune arbre et paraissaient très-occupées de ce qu’il y avait sur les branches de cet arbre.

Étienne, parmi ces personnes, reconnut à son habit noir M. Berthault, le précepteur de Gaston, et cette vue tout à coup le rassura. Il pensa avec raison que si Gaston était dangereusement blessé, M. Berthault le tiendrait dans ses bras, le soignerait, le consolerait, et qu’il ne resterait pas là comme un curieux à regarder un oiseau dans un arbre.

Étienne atteignit le premier groupe. « Ah ! voilà M. d’Arzac ! » dit une paysanne. Elle s’approcha de lui, elle pleurait. « Mon pauvre cher monsieur, un grand malheur ! s’écria-t-elle ; un loup qui a mordu l’enfant à la Louise… voilà qu’on lui brûle le bras !… » L’enfant poussait des cris affreux.

Étienne, effrayé, appela : « Gaston ! Gaston ! »

« Ils jouaient tous les deux ensemble, continua cette femme ; les pauvres petits, elle les aura mordus tous les deux, la vilaine bête ! elle était enragée, c’est sûr… par cette chaleur ! Grâce au ciel, on l’a tuée… C’est bien heureux ; sans quoi elle aurait pu faire encore d’autres malheurs. »

Étienne ne l’entendait plus, ; il avait rejoint le second groupe. Les paysans se séparèrent, pensant qu’il voulait voir ce qu’ils regardaient. C’était une énorme louve étendue tout de son long par terre, dans une mare de sang. Étienne jeta sur elle un coup d’œil et demanda en tremblant où était l’enfant de madame de Meuilles.

— Il est là-haut, monsieur le comte, dans ce petit cerisier ; il n’en veut pas descendre ; il dit qu’il a peur.

— La louve l’a mordu ?

— Je le croirais volontiers, et que c’est pour ça qu’il ne veut pas descendre ; il a entendu dire que le maréchal allait venir avec un fer rouge pour brûler le bras du petit Charlot, et il ne veut pas qu’on voie s’il a été mordu ; voilà l’affaire.

Étienne arriva au pied de l’arbre. Gaston, pâle, les cheveux hérissés de frayeur, se cramponnait aux branches de l’arbre