Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
INTRODUCTION À LA CONNAISSANCE

et l’idée de cette disposition, il l’emprunte encore de différents modèles qu’il fond dans son imagination pour former un nouveau tout. De même un poëte ne crée pas les images de sa poésie ; il les prend dans le sein de la nature, et les applique à différentes choses pour les figurer aux sens : et encore le philosophe ; il saisit une vérité souvent ignorée, mais qui existe éternellement, pour la joindre à une autre vérité, et en former un principe. Ainsi se produisent en différents genres les chefs-d’œuvre de la réflexion et de l’imagination. Tous ceux qui ont la vue assez bonne pour lire dans le sein de la nature, y découvrent, selon le caractère de leur esprit, ou le fond et l’enchaînement des vérités que les hommes effleurent, ou l’heureux rapport des images avec les vérités qu’elles embellissent. Les esprits qui ne peuvent pénétrer jusqu’à cette source féconde, ou qui n’ont pas assez de force et de justesse pour lier leurs sensations et leurs idées, donnent des fantômes sans vie, et prouvent plus sensiblement que tous les philosophes, notre impuissance à créer. Je ne blâme pas néanmoins ceux qui se servent de cette expression pour caractériser avec plus de force le don d’inventer ; ce que j’ai dit se borne à faire voir que la nature doit être le modèle de nos inventions, et que ceux qui la quittent ou la méconnaissent ne peuvent rien faire de bien.

Savoir après cela pourquoi les hommes quelquefois médiocres excellent à des inventions où des hommes plus éclairés ne peuvent atteindre, c’est là le secret du génie que je vais tâcher d’expliquer.

15. — Du Génie et de l’Esprit.

Je crois qu’il n’y a point de génie sans activité. Je crois que le génie dépend en grande partie de nos passions. Je crois qu’il se forme du concours de beaucoup de différentes qualités et des convenances secrètes de nos inclinations avec nos lumières. Lorsque quelqu’une des conditions né-