Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/55

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autrement que par ce que je vais vous dire. » Le lord Keeper la regarda avec quelque surprise, mais ne dit rien. « Milord, » continua-t-elle d’un ton grave et solennel, « prenez garde à vous ; vous êtes sur le bord d’un précipice.

« Vraiment ? » dit le lord Keeper, dont l’esprit se reporta sur les circonstances politiques du pays ; « quelque chose est-il venu à votre connaissance ; quelque complot, quelque conspiration ? — Non, milord, répondit Alix ; ceux qui trafiquent dans de pareilles denrées n’appellent à leurs conseils ni les vieillards, ni les aveugles, ni les infirmes. L’avis que j’ai à vous donner est d’une autre nature. Vous avez poussé les choses bien loin avec la famille de Ravenswood. Croyez que ce que je vous dis est vrai ; c’est une famille redoutable, et il y a du danger à avoir affaire à des gens qu’on a réduits au désespoir. — Bon ! dit lord Keeper, ce qui s’est passé entre nous est l’ouvrage de la loi, non le mien, et c’est à la loi qu’ils doivent s’en prendre s’ils veulent attaquer mes actions. — Oui, répliqua la vieille, mais il est possible qu’ils pensent autrement, et qu’ils veuillent se faire justice par eux-mêmes, lorsqu’ils verront qu’il n’y a pas d’autre moyen de l’obtenir. — Qu’entendez-vous par là ? dit le lord Keeper : sûrement le jeune Ravenswood ne voudrait pas se rendre coupable de violence personnelle. — À Dieu ne plaise que je dise cela ! répliqua Alix ; je ne connais rien de ce jeune homme qui ne soit loyal et honorable… loyal et honorable, ai-je dit ! j’aurais pu ajouter franc, généreux, noble. Mais encore c’est un Ravenswood, et il peut attendre le moment. Souvenez-vous du sort de sir George Lockhart[1] »

  1. Président de la cour supérieure d’Écosse, composée de quinze juges. Il fut tué d’un coup de pistolet dans High-Street, à Édimbourg, par John Chiesley, de Dalry, en 1689. Ce fut dans un accès de désespoir que cet homme commit cet acte de vengeance, auquel il avait été porté par l’opinion où il était qu’il avait été injustement condamné, par une sentence arbitraire prononcée par le président, au paiement d’une provision alimentaire d’environ 95 livres sterling à sa femme et à ses enfants. On dit qu’il avait d’abord formé le dessein de tuer le juge pendant qu’il assisterait au service divin, mais qu’il en fut détourné par respect pour la sainteté du lieu. Lorsqu’on fut sorti de l’église, il suivit sa victime jusqu’au bout de la ruelle au sud de Lawn-Market, où était la maison du président, et il l’étendit raide mort à l’instant où il allait entrer chez lui. Cette action eut lieu en présence d’un grand nombre de spectateurs. L’assassin ne chercha pas à fuir, mais il se glorifia de son crime en disant : « J’ai appris au président à rendre la justice. » Il l’avait bien averti, au moins, comme dit Jack Cade (qui fut chef d’une insurrection à Londres) dans une occasion semblable. Le meurtrier, après avoir été livré à la torture en vertu d’un acte spécial du parlement, fut mis en jugement devant le lord prévôt d’Édimbourg, en qualité de grand shériff, et condamné à être traîné sur une claie jusqu’au lieu de l’exécution, à avoir le poing droit coupé pendant qu’il était encore vivant, et enfin à être pendu, ayant le pistolet avec lequel il avait tué le président suspendu à son cou. La sentence fut exécutée le 3 avril 1689, et cet événement fut long-temps cité comme un exemple terrible de ce que les livres de jurisprudence nomment le perfervidum genium Scutorum, le caractère bouillant des Écossais. a. m.