Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/57

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CHAPITRE V.

le taureau sauvage.


Est-elle une Capulet ? Ô délicieuse nouvelle ! ma vie est une dette que je dois à mon ennemie.
Shakspeare. Roméo et Juliette


Le lord Keeper fit près d’un quart de mille sans rompre le silence. Sa fille, naturellement timide et élevée dans ces idées de respect filial et d’obéissance absolue qu’on imprimait à cette époque dans l’esprit de la jeunesse, n’osa interrompre ses méditations.

« D’où vient donc cette pâleur, Lucy ? » lui demanda son père en se tournant vers elle et rompant le silence.

Suivant les idées du temps, qui ne permettaient pas à une jeune fille d’énoncer son opinion sur aucun sujet important, à moins qu’on ne la lui demandât expressément, Lucy devait paraître n’avoir rien compris à tout ce qui s’était passé entre Alix et son père, et elle attribua l’émotion qu’il avait remarquée en elle à la frayeur que lui causaient quelques taureaux sauvages qui paissaient dans la partie du vaste parc qu’ils traversaient en ce moment.

Ces animaux étaient les descendants de ces troupeaux sauvages[1] qui erraient autrefois en pleine liberté dans les forêts de la Calédonie, et la noblesse écossaise se faisait un point d’honneur d’en conserver quelques-uns dans ses parcs. On se souvient encore d’en avoir vu dans les domaines d’au moins trois familles de distinction, celles d’Hamilton, de Drumlanrick et de Cumberland. Ils avaient dégénéré de leur ancienne race, tant pour la taille que pour la force, si nous devons en juger d’après ce qu’en racontent les vieilles chroniques, et d’après les ossements énormes que l’on découvre fréquemment dans les étangs et les marais lorsqu’on les dessèche ou qu’on les effondre. Le taureau avait perdu les honneurs de sa crinière, et la race était petite et peu robuste, d’un blanc jaunâtre, ou plutôt d’un jaune pâle, avec des cornes et des sabots noirs. Ils conservaient cependant quelque chose de la férocité de leurs ancêtres on ne pouvait en faire des animaux domestiques, à cause de leur antipathie contre l’espèce humaine, et ils étaient souvent dangereux quand on s’en appro-

  1. C’étaient des espèces de bisons. a. m.