Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/61

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naïade, qui n’était belle qu’en apparence, et n’hésita point à prononcer que c’était une habitante du royaume des ténèbres. L’amant l’écouta avec une incrédulité opiniâtre ; et ce ne fut qu’après avoir été fatigué par les instances pressantes de l’anachorète, qu’il consentit à mettre à une épreuve certaine l’état et la condition de sa maîtresse mystérieuse ; à cet effet il acquiesça à la proposition de Zacharie de sonner la cloche de l’office, à leur prochaine entrevue, une demi-heure plus tard que de coutume. L’ermite soutint et appuya de l’autorité de Malleus Maleficarum, de Sprengerus, de Remigius, et d’autres savants démonologistes, l’opinion que le malin esprit, ainsi séduit pour rester au-delà de l’heure fixée, reprendrait sa véritable forme, et qu’après s’être montré aux yeux de son amant épouvanté comme un démon de l’enfer, il disparaîtrait au milieu d’un éclair, en laissant après lui une odeur de soufre. Raymond de Ravenswood consentit à faire cette épreuve, plein du désir d’en connaître le résultat, mais bien persuadé que l’ermite se verrait trompé dans son attente.

À l’heure convenue, les amants se trouvèrent au rendez-vous, et leur entrevue se prolongea au-delà de celle à laquelle ils avaient coutume de se séparer, à cause du retard que mit le prêtre à sonner la cloche. Aucun changement ne s’opéra dans la forme extérieure de la nymphe ; mais dès que les ombres qui s’allongeaient lui firent connaître que l’heure ordinaire à laquelle on sonnait les vêpres était passée, elle s’arracha des bras de son amant, en poussant un cri de désespoir, lui dit adieu pour toujours, et se plongeant dans la fontaine, disparut à ses yeux. Des traces de sang apparurent bientôt à la superficie ; ce qui fit penser au baron désespéré que son imprudente curiosité avait occasionné la mort de cet être intéressant et mystérieux. Le remords qu’il éprouva, aussi bien que le souvenir de ses charmes, fit le tourment du reste d’une vie qu’il perdit, peu de mois après, à la bataille de Flodden[1]. Mais en mémoire de cette naïade il avait, avant son départ, orné la fontaine dans laquelle elle paraissait faire sa résidence, et, dans la vue de mettre ses eaux à l’abri de toute profanation, l’avait entourée d’un petit édifice voûté, dont on voyait encore les fragments épars à l’entour. C’était de cette époque que l’on croyait que la maison de Ravenswood datait celle de sa décadence.

  1. Fameuse bataille qui eut lieu, sous Jacques IV d’Écosse, entre les Écossais et les Anglais, et où ce prince et presque toute sa noblesse périrent. C’est le sujet d’un poème de Marmion, par Walter Scott. a. m.