Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/63

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L’étranger était si près d’elle, qu’à moins que de la laisser réellement tomber, il ne put s’empêcher de la soutenir dans ses bras ; il le fit cependant avec une répugnance momentanée, bien peu ordinaire à un jeune homme qui vient au secours de la beauté en danger. On aurait dit que son poids, tout léger qu’il était, était cependant trop lourd pour ce jeune athlète, car, sans éprouver la tentation de la retenir dans ses bras, même pour un seul instant, il la replaça sur la pierre qu’elle venait de quitter, et s’éloignant de quelques pas, il s’empressa de répéter : « Sir William Ashton est parfaitement en sûreté et sera ici dans un instant. N’ayez aucune inquiétude sur son compte. Le destin vous l’a conservé d’une façon bien singulière. Quant à vous, mademoiselle[1], vos forces sont épuisées, et vous ne devez point songer à vous lever, jusqu’à ce que vous ayez quelque assistance plus convenable que la mienne. »

Lucy, dont les sens étaient plus recueillis, fut naturellement portée à examiner l’étranger avec plus d’attention. Il n’y avait rien dans son extérieur qui dût le faire hésiter à offrir son bras à une jeune personne qui avait besoin de secours, ou qui eût pu la porter à le refuser, et elle ne pouvait s’empêcher de penser, même dans ce moment, qu’il avait un air froid et peu prévenant. Un habit de chasse de drap d’une couleur foncée indiquait le rang de celui qui le portait, quoiqu’il fût en partie caché sous un ample manteau flottant d’un brun verdâtre. Un montero ou bonnet espagnol, surmonté d’une plume noire, tombait sur ses sourcils et cachait une partie de ses traits, qui, autant qu’on pouvait en juger par ceux que l’on voyait, étaient bruns, réguliers, et avaient une expression majestueuse, quoiqu’un peu sombre. Quelque chagrin secret, ou le sentiment pénible de quelque passion sombre et concentrée, avait amorti la vivacité naturelle de sa physionomie, et il n’était pas facile de regarder l’étranger sans éprouver un sentiment de pitié ou de crainte, ou du moins de doute et de curiosité.

Cette impression que nous avons longuement décrite, Lucy l’éprouva en un instant, et elle n’eut pas plus tôt rencontré les yeux noirs et perçants de l’étranger, qu’elle baissa les siens, avec un mélange d’embarras, de timidité et de crainte. Il était cependant

  1. En Angleterre on donne le titre de madame à toute femme, mariée ou non, quand on ne la connaît pas ; mais ici nous savons que le jeune étranger connaît Lucy, et nous la lui faisons appeler mademoiselle, contrairement au texte. a. m.