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nouveaux essais sur l’entendement

§ 2. Ph. Or la vivacité de l’esprit consiste à rappeler promptement les idées : mais il y a du jugement à se les représenter nettement et à les distinguer exactement.

Th. Peut-être que l’un et l’autre est vivacité d’imagination, et que le jugement consiste dans l’examen des propositions suivant la raison.

Ph. Je ne suis point éloigné de cette distinction de l’esprit et du jugement, et quelque fois il y a du jugement à ne le point employer trop. Par exemple, c’est choquer en quelque manière certaines pensées spirituelles que de les examiner par les règles sévères de la vérité et du bon raisonnement.

Th. Cette remarque est bonne. Il faut que des pensées spirituelles aient quelque fondement au moins apparent dans la raison ; mais il ne faut pas les éplucher avec trop de scrupule, comme il ne faut point regarder un tableau de trop près. C’est en quoi il me semble que le P. Bouhours[1] manque plus d’une fois dans son art de penser dans les ouvrages d’esprit, comme lorsqu’il méprise cette saillie de Lucain :

Victrix causa diis placuit, sed victa Catoni.

§ 4. Ph. Une autre opération de l’esprit à l’égard de ses idées, c’est la comparaison qu’il fait d’une idée avec l’autre par rapport à l’étendue, aux degrés, au temps, au lieu ou à quelque autre circonstance ; c’est de là que dépend ce grand nombre d’idées qui sont comprises sous le nom de relation.

Th. Selon mon sens, la relation est plus générale que la comparaison, car les relations sont ou de comparaison ou de concours. Les premières regardent la convenance ou disconvenance (je prends ces termes dans un sens moins large), qui comprend la ressemblance, légalité, l’inégalité, etc. Les secondes renferment quelque liaison, comme de la cause et de l’effet, du tout et des parties, de la situation et de l’ordre, etc.

§ 6.Ph. La composition des idées simples, pour en faire de complexes, est encore une opération de notre esprit. On peut rapporter à cela la faculté d’étendre les idées, en joignant ensemble celles qui sont d’une même espèce, comme en formant une douzaine de plusieurs unités.

  1. Bouhours (Dominique) (1628-1702). Son principal ouvrage est : De la manière de bien penser dans les ouvrages d’esprit (1687).